Scamaroni Fred
Godefroy Scamaroni, dit Fred Scamaroni, né à Ajaccio le 24 octobre 1914 et mort dans la citadelle de cette même ville le 19 mars 1943, est un haut fonctionnaire français, membre de la France libre dès 1940, héros et martyr de la Résistance. Arrêté par la police politique italienne (OVRA) à Ajaccio alors qu'il dirige le réseau Action R2 Corse, il se suicide dans sa cellule de la citadelle d'Ajaccio pour ne rien révéler à ses tortionnaires italiens.
Godefroy François Jules Scamaroni, dit Fred, naît à Ajaccio le 24 octobre 1914. Il est le fils d'un préfet, Jules Scamaroni, qu'il suit au fil de ses nominations, à Ussel, Saint-Brieuc, Brive, Mende (1929-1931) et Charleville-Mézières (1931-1933). Licencié de la faculté de droit de Paris en 1934, Fred Scamaroni devance l’appel, devenant élève officier de réserve à Saint-Maixent, et sert dans l’infanterie comme sous-lieutenant. De retour à Paris, il passe le concours et devient chef de cabinet du préfet du Doubs (1936), qu’il suit à Caen, quand il est nommé dans le Calvados (1937-1939). Après la mort de son père, préfet du Loiret à Orléans le 1er février 1938, le préfet le met à son insu en « affectation spéciale », comme chef de famille. Toutefois, quand Fred Scamaroni la découvre, il la déchire. Bien que pouvant être dispensé d'enrôlement, il tient à prendre part au combat lors de la déclaration de guerre. Pendant la drôle de guerre, il rejoint le 119e régiment d'infanterie de Cherbourg, qui combat dans la forêt de la Wardt, à l'Est, avant d'être envoyé dans le Nord. Par refus de l'inaction, il rejoint l'aviation. Affecté à Tours, il passe le brevet d'observateur. Lieutenant de réserve dans l'armée de l'Air, il est grièvement blessé dans un combat aérien le 19 mai 1940, ce qui lui vaut la croix de guerre et un deuxième galon. À peine rétabli, il rejoint sa base aérienne repliée à Carpiquet, puis en Auvergne et à Pau.
Au courant de l'appel du 18 juin lancé par le général de Gaulle, il part pour Saint-Jean-de-Luz, grâce à un faux ordre de mission, et parvient à s'embarquer à bord du Sobieski le 21 juin 1940 à destination de l'Angleterre, comme 110 autres aviateurs. Là, ils montent sur un bateau de guerre polonais qui rapatrie des unités polonaises en Angleterre. En pleine mer, il se rend compte qu'il est considéré comme un déserteur. Débarqué à Plymouth, il est l'un des premiers Français libres et ne parle pas un mot d'anglais. Engagé dans les Forces françaises libres, il est affecté à la base de Saint-Atham, où il apprend à piloter, avant d'être nommé à l'état-major personnel du général de Gaulle. Volontaire pour le raid anglo-gaulliste sur Dakar, qui a pour but de rallier l'immense Afrique-Occidentale française à la cause alliée, Fred Scamaroni décolle en Luciole de l'Ark-Royal et rejoint la base aérienne de Ouakam. Il est porteur d'une lettre du général de Gaulle pour le gouverneur général Pierre Boisson. Arrêté par les vichystes avec ses camarades Jacques Soufflet, Jules Joire, Henri Gaillet, Adonis Moulènes, Gabriel Pécunia, Marcel Sallerin, il est emprisonné dans de dures conditions. Lors de son transfert vers Bamako, il s'évade avec Maurice Kaouza mais est repris. Rapatrié en métropole, il est interné successivement à la prison Barberousse d'Alger, puis à Clermont-Ferrand, le 24 décembre 1940. Là, on doit l'hospitaliser plusieurs semaines. Gracié avec les autres aviateurs capturés à Ouakama, il est libéré en février 1941. Mais, radié de la préfectorale, il doit accepter un modeste emploi dans un ministère pour survivre.
Il trouve un emploi de garçon de courses au secrétariat d'État au ravitaillement à Vichy. Voyageant beaucoup, il prend des contacts, notamment en Corse. Un réseau de résistance à Vichy est créé avec quelques amis : le réseau Copernic. Très vite, la Gestapo le condamne à mort et le recherche. Sur ordre de Londres, il regagne l'Angleterre en janvier 1942. À Londres, il est affecté à l'état-major du général de Gaulle. Membre des Forces Françaises Combattantes (F.F.C.) et du BCRA, il assure plusieurs missions de confiance pour la France libre. Fred Scamaroni élabore un projet d'insurrection dans sa Corse natale, occupée par l'Italie fasciste depuis novembre 1942. Il doit être débarqué en Corse sous une fausse identité pour prendre contact avec des résistants locaux, unifier les organisations existantes, repérer les terrains de débarquement et de parachutages, pour préparer un futur débarquement dans l'île. Sa nouvelle identité est François-Edmond Severi. Le 7 janvier 1943, le sous-marin HMS Tribune, parti de Gibraltar, le dépose en Corse accompagné de son radio, d'armes, d'explosifs et de postes émetteurs. Le matériel est caché au 42, cours Napoléon à Ajaccio (Corse-du-Sud), chez Paul Pardi et sa famille. Tous les jours, le radio et un résistant sortent pour changer l'émetteur de place afin de ne pas se faire repérer.
La redoutable police politique fasciste, l’OVRA traque le réseau qu’il a monté. Sa sœur Marie-Claire Scamaroni raconte dans une interview en 2008 que son frère a été trahi contre de l’argent : « Il se trouvait dans le nord de l’île quand il a su qu’un colonel italien des Chemises noires était prêt à vendre le plan de défense italien de la Corse et de la Sardaigne. Voulant négocier, mon frère a vite compris que cette histoire était invraisemblable. Il s’est rendu à Ajaccio pour s’informer. C'est là que les Italiens l’ont arrêté ». Jean-Louis Panicacci précise que l'OVRA a repéré et arrêté son radio Jean-Baptiste Hellier le 18 mars 1943. Ce dernier, après 30 heures de tortures effroyables, livre l'adresse de son chef. Fred Scamaroni est arrêté à Ajaccio dans la nuit du 18 au 19 mars. Fred se trouve chez Joseph Vignocchi. Les carabiniers arrivent vers une heure du matin avec le radio Hellier : C’est lui le chef.... leur dit Hellier. Les gendarmes italiens capturent Vignocchi, puis Severi (Scamaroni), et les enferment à la citadelle d'Ajaccio, dans des cellules différentes. Le rapport italien communiqué après la Libération, raconte le sort subi par Fred Scamaroni. Interrogé, il dit s’appeler Edmond Severi, être officier français de la Coloniale, né à Alger en 1908. À un Italien qui l’interroge et lui promet la vie sauve s’il parle, il rétorque : « Vous ne savez pas ce que c’est que l’honneur ». Il est horriblement torturé. On lui arrache les ongles et on lui met des morceaux de fer rouge. Dans la cellule voisine, il y a un autre détenu du réseau. À travers le mur, Fred Scamaroni lui dit : « Tu diras à ma mère, à mes sœurs, que ce n'est pas très dur de mourir et que je meurs content ».
Fred Scamaroni a en effet décidé de se suicider pour garder ses secrets. Dans sa cellule de la citadelle, il se fait passer un fil de fer à travers la gorge. Il a trouvé ce fil de fer dans sa cellule. Il écrit sur le mur avec son sang : « Je n'ai pas parlé. Vive De Gaulle ! Vive la France ! ». Il meurt trois heures plus tard. Les Italiens ignorent sa véritable identité. L'évêque d'Ajaccio refuse des obsèques religieuses à « l'inconnu qui s’était suicidé ». Son corps, roulé dans une couverture militaire, est jeté à la fosse commune par quatre carabiniers en présence d'un aumônier italien. En janvier 1944, après la libération de la Corse (septembre-octobre 1943), sa dépouille est exposée à la demande du nouveau maire Eugène Macchini dans la cathédrale d'Ajaccio. Ce dernier l’accueille dans sa propre chapelle familiale du cimetière de la ville natale de Fred Scamaroni. Avertis de l’arrestation de Fred Scamaroni, les habitants du 42, cours Napoléon, dont Paul Pardi, vident l’appartement de ses armes et du matériel radio. Angèle, la mère de Paul Pardi, est arrêtée et torturée. Elle ne parle pas. Pour son courage, elle se verra attribuer la croix de guerre avec étoile de bronze à la libération. Dix-huit membres du réseau sont tout de même arrêtés avec Fred Scamaroni. Le 12 juillet 1943, le tribunal militaire du VIIe corps d'armée italien de Bastia (haute-Corse) jugent les membres du réseau arrêtés par l'OVRA. Le radio Jean Hellier est condamné à mort. Paul Pardi, Archange Raimondi et Auguste Vieau sont condamnés à mort par contumace. Joseph Vignocchi, Bernard Ceccaldi, Marius Bost, Antoine Cantoni et André Bert (ce dernier par contumace) sont condamnés à 30 ans de réclusion. François Robert, Antoine Serafini, Santa Paravisini, Jean Federici, Jean-François Giovanelli, Joseph Chiappe et Fernand Poli sont condamnés à 24 ans de réclusion. Paul Pardi rejoint Londres et devient agent du Special Operations Executive (SOE).