Han van Meegeren

Publié le par Mémoires de Guerre

Han van Meegeren (né Henricus Antonius van Meegeren le 10 octobre 1889 à Deventer, Overijssel, Pays-Bas - mort le 30 décembre 1947 à Amsterdam) est un peintre néerlandais, un restaurateur d'œuvres d'art et un faussaire. Ce serait l'un des faussaires en art les plus adroits du XXe siècle puisque les acheteurs qu'il a réussi à duper lui ont donné entre 25 et 30 millions de dollars américains. Sa vie est liée à la renommée de Johannes Vermeer, peintre très prisé des grands collectionneurs à partir de la fin du XIXe siècle, et dont environ 35 œuvres seulement nous sont parvenues. 

Han van Meegeren
Carrière

Son professeur, Bartus Korteling, ayant suscité très tôt chez lui le désir d'être peintre, van Meegeren s'enthousiasma pour les merveilleuses couleurs qu'utilisaient les peintres pendant l'Âge d'or des Pays-Bas. Malheureusement, son père ne partageait pas la passion pour l'art de son fils et l'envoya étudier l'architecture à la Hogeschool de Delft pour se préparer au métier. Han se lassa bien vite de cette étude imposée et commença avec un certain succès une carrière de peintre, en pratiquant au début l'art moderne. Il en fut vite ennuyé et se sentit attiré par les couleurs et les perspectives décadentes de certaines peintures du siècle d'or néerlandais. À ce moment-là, cependant, c'étaient les peintres de l'École de la Haye, à laquelle Vincent van Gogh avait été associé au début de sa carrière, que l'on plaçait le plus haut et qui étaient les plus demandés aux Pays-Bas. Les critiques d'art dénigrèrent le travail de van Meegeren comme une imitation qui sentait la fatigue, si bien que les galeries et les musées n'achetèrent plus ses peintures. Van Meegeren ne resta pas sans se défendre devant ces attaques et il étrilla les critiques d'art dans un article agressif publié par son magazine De Kemphaan.

Et comme les critiques d'art bien-pensants l'avaient attaqué et avaient brisé sa carrière, il décida de fabriquer des faux imitant des tableaux d'artistes bien connus. Il se mit à copier leurs styles et leurs couleurs avec une telle perfection que les méthodes d'authentification de l'époque ne permettaient pas de déceler la fraude. Après avoir passé six ans à mettre au point ses techniques, il finit par produire des imitations parfaites de peintures de Frans Hals, Pieter de Hooch, Gerard ter Borch et Johannes Vermeer (premier pastiche en 1934, la Femme lisant de la musique), au point que même les meilleurs critiques d'art et les meilleurs experts de ce temps les considéraient comme des peintures authentiques et quelquefois géniales, à l'exception d'Abraham Bredius qui, s'opposant à Cornelis Hofstede de Groot, décrète que le Lachende Cavalier (« Cavalier riant ») de Frans Hals est un faux. Dans cette activité particulière, il s'attacha principalement à la création de faux Vermeer. Sa toile Les Disciples d'Emmaüs (1937) trompa dans les années 1930 et 1940 les meilleurs experts.

C'est pendant la Seconde Guerre mondiale que van Meegeren connut l'apogée de sa carrière : ses peintures furent accrochées dans les musées et ses chefs-d'œuvre furent célébrés dans le monde entier. La vente de ses faux fut facilitée par l'occupation allemande aux Pays-Bas. De riches Néerlandais, voulant empêcher que les œuvres d'art de leur pays tombent aux mains d'Adolf Hitler et de membres du parti nazi, se ruaient avidement sur les imitations. Un faux « Vermeer », œuvre de Han van Meegeren, Le Christ et la parabole de la femme adultère, se retrouva en possession d'Hermann Göring qui lui proposa en échange 200 toiles saisies dans les musées de Hollande. Un livre sur Gerard Terborch publié en 19433 porte une dédicace imprimée : « Aan HAN VAN MEEGEREN /Den Kenner en bewonderaar/ van Terborch's edele kunst » (« À Han van Meegeren le connaisseur et admirateur du noble art de van Terborch ». Après la Seconde Guerre mondiale, les Forces alliées découvrirent ce « Vermeer » et son véritable auteur fut arrêté pour avoir collaboré avec les Allemands, car on croyait réellement qu'il avait vendu aux nazis un trésor culturel de son pays.

Comme un tel crime était passible de la peine capitale, van Meegeren préféra avouer la falsification et il entreprit de se disculper en peignant un autre « Vermeer », Le Christ au temple, dans sa cellule en présence de six témoins. À la suite d'une enquête détaillée, menée par des experts internationaux commissionnés par la cour régionale de justice d'Amsterdam, il fut confirmé que la peinture de Göring ne pouvait pas dater de l'Âge d'or néerlandais et qu'elle était en réalité un faux. Han van Meegeren ne fut plus voué aux gémonies comme collaborateur, mais célébré par le public néerlandais comme un escroc subtil, dont les faux avaient réussi à duper à la fois les experts et le très détesté Hermann Goering. La cour régionale de justice d'Amsterdam n'en condamna pas moins Han van Meegeren pour faux et tromperie, mais se contenta de la peine minimale, un an de prison. Van Meegeren ne l'accomplit d'ailleurs jamais puisque le 26 novembre 1947, dernier jour pour faire appel de la décision de justice, il fut victime d'une crise cardiaque et envoyé à la Valeriuskliniek, un hôpital d'Amsterdam, où il mourut le 30 décembre 1947.

La critique de Jean Decoen

Dans un livre de 1951 Jean Decoen, expert et restaurateur d'art de Bruxelles, fit savoir qu'il croyait que deux des peintures attribuées à Van Megeeren, Les Disciples d'Emmaüs et La Dernière Cène, étaient d’authentiques Vermeer. Il concluait que les conclusions de l'équipe du Dr Paul Coremans, directeur de l'Institut royal du Patrimoine artistique à Bruxelles, étaient erronées et que les peintures devaient subir un nouvel examen. Daniel George van Beuningen, un armateur qui avait acheté La Dernière Cène et d'autres peintures, exigea que le Dr Paul Coremans admît publiquement qu'il s’était trompé dans son analyse des tableaux de Van Megeeren. Devant son refus, il l’attaqua en justice, affirmant que l’appréciation injuste de La Dernière Cène avait diminué la valeur de son « Vermeer » et réclama une indemnité de 500 000 £ (10 millions de dollars américains actuels). Fixé initialement au 2 juin 1955 le jugement fut retardé en raison de la mort de Van Beuningen le 29 mai 1955. Sept mois plus tard environ le tribunal entendit les arguments de ses héritiers, mais trancha en faveur de Paul Coremans et les conclusions de la commission furent confirmées.

Recherches ultérieures

En 1967, l'Artists Material Center de l'université Carnegie Mellon de Pittsburgh examina plusieurs des « Vermeer » qui figuraient dans ses collections. Mené sous la direction de Robert Feller et de Bernard Keisch, l'examen confirma qu'un certain nombre de ces peintures avaient en fait été réalisées à l'aide de matériaux inventés au XXe siècle. On en conclut que ces prétendus Vermeer étaient modernes et pouvaient donc être des faux dus à Van Meegeren, ce qui confirmait les conclusions de la commission Paul Coremans de 1946 et invalidait celles de Jean Decoen. Voici résumés ci-dessous les résultats des tests obtenus par l'équipe de Carnegie Mellon. Han van Meegeren savait que c'était de la céruse qu'on utilisait à l'époque de Vermeer, mais évidemment il avait bien été obligé de se procurer de la céruse moderne, très différente de celle du XVIIe siècle. À l'époque de Vermeer, le plomb utilisé aux Pays-Bas était extrait de gisements locaux, mais à partir du XIXe siècle, on l'a importé d'Australie et des Amériques, et il différait de la céruse utilisée par Vermeer à la fois dans la composition isotopique du plomb et dans la teneur en oligo-éléments contenus dans les minerais.

La céruse des Pays-Bas était extraite à partir de minerais contenant des niveaux élevés d'oligo-éléments comme l'argent et l'antimoine, alors que la céruse moderne dont se servait Van Meegeren ne contenait ni argent, ni antimoine, du fait que ces éléments sont séparés du plomb au cours du processus moderne de fusion. Les faux dans lesquels on a utilisé du plomb moderne ou de la céruse moderne peuvent être reconnus à l'aide d'une technique appelée Datation Pb (plomb)-210. Le Pb-210 est un élément radioactif naturel qui appartient à la chaine de désintégration de l'uranium 238, et a une demi-vie de 22,3 ans. Pour déterminer la quantité de Pb-210, on mesure la radioactivité α émise par un autre élément, le polonium-210 (Po-210). De cette façon, il est possible d'estimer l'âge d'un tableau, avec une approximation de quelques années, par extrapolation de la teneur en Pb-210 présent dans la peinture utilisée pour créer le tableau. La céruse dans la peinture Les Pèlerins d'Emmaüs avait des valeurs de polonium-210 de 8,5 ± 1,4 et des valeurs de radium-226 (partie des séries de la désintégration radioactive de l'uranium-238) de 0,8 ± 0,3. En revanche, la céruse trouvée dans les peintures hollandaises réalisées entre 1600 et 1660 avait des valeurs en polonium-210 de 0,23 ± 0,27 et des valeurs en radium-226 de 0,40 ± 0,47.

En 1977, une autre enquête fut menée par les laboratoires de police judiciaire des Pays-Bas, en utilisant les techniques les plus modernes, parmi lesquelles la chromatographie en phase gazeuse, afin de confirmer officiellement l'origine de six contrefaçons de Van Meegeren, y compris Les Pèlerins d'Emmaüs et La Dernière Cène dont on affirmait qu'il s'agissait d'authentiques Vermeer. Les conclusions de la commission de 1946 furent une nouvelle fois confirmées par la justice néerlandaise. En 1998, la chaine câblée A&E, diffusa un programme appelé Scams, Schemes & Scoundrels (escroqueries, complots et gredins) où l'on s'intéressait à la vie et aux contrefaçons artistiques de Van Meegeren, dont beaucoup avaient été confisquées en tant que fruits des pillages nazis. Le programme était présenté par un sceptique, James Randi, et présentait également les histoires de Victor Lustig et de Soapy Smith. En juillet 2011, le programme télévisé de la BBC, Fake or Fortune, se pencha sur une copie de L'Entremetteuse de Dirck van Baburen qui appartenait à l'Institut Courtauld. Les avis étaient partagés sur la question de savoir s'il s'agissait d'un travail en atelier du XVIIe siècle ou d'une contrefaçon de Van Meegeren. L'analyse chimique de la peinture montra qu'elle contenait de la bakélite et confirma par là que le tableau était un faux du XXe siècle.

Ce qu'il reste de lui

Van Meegeren a joué plusieurs rôles, et dans certains il avait l'intention de tromper les gens, comme lorsqu'il a cherché à berner ses détracteurs. Dès le début il est possible que son père ait pressenti la voie qu'il prendrait puisqu'il lui dit un jour : « Tu es un tricheur et tu le seras toujours. ». D'un autre côté, ses frères et ses sœurs voyaient en lui quelqu'un de loyal, de généreux et d'affectueux, et il a toujours aimé ses enfants et cherché à leur rendre service. À la question « quel était son caractère ? » il est donc impossible de répondre de façon brutale. En effet, des travaux récents remettent en question bon nombre des hypothèses existantes sur van Meegeren et sur les motivations de sa carrière de faussaire. Avec lui, tout était à double face et son caractère se présente sous forme de fragments plutôt que comme un tout. Après sa libération, il continua à peindre, en signant ses œuvres de son propre nom.

Sa popularité toute nouvelle lui garantissait une vente rapide de ses nouvelles peintures, souvent à des prix plusieurs fois plus élevés qu'avant d'avoir été démasqué comme faussaire. Van Meegeren assura également aux médias qu'il « avait reçu une offre d'une galerie de Manhattan pour venir aux États-Unis et y peindre des portraits « à la manière du XVIIe siècle » à 6 000 $ pièce. » Un sondage d'opinion réalisé aux Pays-Bas en octobre 1947 plaçait Han van Meegeren à la deuxième place en popularité dans le pays, seul le Premier ministre le devançait. Les Néerlandais voyaient en lui un escroc rusé, qui avait trompé avec succès les spécialistes de l'art hollandais, et, ce qui était plus important encore, Hermann Göring lui-même. En fait, selon un récit contemporain, quand Göring apprit que son « Vermeer » était en réalité un faux, « il fit une tête comme s'il découvrait pour la première fois qu'il y avait du mal dans le monde». Han van Meegeren restera l'un des faussaires artistiques les plus ingénieux du XXe siècle. Après son procès il n'en a pas moins déclaré : « Mon triomphe comme faussaire, c'était mon échec comme artiste créateur »

Han van Meegeren
Liste non exhaustive de ses pastiches
  • Les Disciples d’Emmaüs ("Vermeer")
  • La Tête du Christ ("Vermeer")
  • Le Dernier Souper, 1re version ("Vermeer")
  • Le Dernier Souper, 2e version ("Vermeer")
  • La Bénédiction de Jacob ("Vermeer")
  • La Femme prise en faute ("Vermeer")
  • Le Lavement de pieds ("Vermeer")
  • Le Couple à l'épinette ("Vermeer")
  • Les Joueurs de cartes ("Pieter de Hoogh")
  • Les Buveurs de bière ("Pieter de Hoogh")
  • Femme lisant de la musique ("Vermeer")
  • Femme jouant de la musique ("Vermeer")
  • Portrait ("Terborgh")
  • Femme sous l'emprise de l'alcool ("Frans Hals")
  • Jésus et les Docteurs ("Vermeer")

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