Nordmann Joë
Joë Nordmann (né le 26 janvier 1910, mort le 12 novembre 2005) était un avocat et résistant français, né dans une famille juive de Mulhouse, fils d'un avocat alsacien poursuivi par les militaires allemands en 1914.
Joë Nordmann adhère au Parti communiste français en 1933, année de l’accession de Adolf Hitler au pouvoir en Allemagne, ainsi qu'à l'Association juridique internationale (AJI), pour laquelle il voyage en Roumanie et en Grèce en 1936 afin d'effectuer un rapport sur les conditions de détention dans ces régimes autoritaires. Radié du barreau de Paris en 1942 parce que juif, il fonde une organisation de résistance, le Front national judiciaire, dont Pierre de Chauveron membre du conseil de l'Ordre, assure la présidence. Le Front est une organisation de résistance du Palais de Justice de Paris puis partout en France. Il publie un journal clandestin, « le Palais libre ». Durant la Résistance, il participe à de nombreuses opérations, dont l'une, confiée par Jacques Duclos, consistait à remettre à Louis Aragon, qui se trouvait en Zone Sud, divers documents importants, dont les paroles et les écrits des otages de Châteaubriant pour « en faire un monument ». A la Libération, il devient directeur de cabinet du communiste Marcel Willard, éphémère ministre intérimaire de la Justice du gouvernement provisoire (24 août-10 septembre 1944) et ex-membre de l'AJI.
Il est désigné pour assister le parquet français au tribunal militaire de Nuremberg lors du procès des hauts dignitaires nazis : « J’étais assis sur les bancs de l’accusation, face à Göring et aux autres grands criminels de guerre nazis. C’est ainsi que je me suis préoccupé de la notion de crimes contre l’humanité et que j’ai mené campagne, des années plus tard, pour que cette notion entre dans le droit français ». En 1973, il est le premier à relancer les poursuites contre Paul Touvier pour « crime contre l'humanité », fait inédit dans l'histoire, qui aboutira après de longues années d'attente. Suivront les procès de Klaus Barbie et de Maurice Papon, dans lesquels il joue, chaque fois, un rôle de premier plan. Il fut, durant ces années, le porte-parole de la Fédération nationale des déportés internés résistants et patriotes (FNDIRP). Son engagement militant le fit aussi défendre les victimes de l'Affaire de la station de métro Charonne, des républicains espagnols, ainsi que des combattants vietnamiens et algériens. Il plaide en Grèce contre le régime des colonels, au Paraguay contre le dictateur Alfredo Stroessner, au Chili contre Augusto Pinochet, mais aussi contre le mercenaire Bob Denard.
Président de l’Association internationale des juristes démocrates (AIJD), qu'il fonde en 1945, il est l’avocat des Lettres françaises dans l’affaire Kravtchenko. Lors du procès, il tente de prouver que Kravtchenko et ses témoins sont des « menteurs » voulant dénigrer l'Union soviétique. Maître Nordmann prit la défense de plusieurs dissidents soviétiques comme lors des procès des écrivains soviétiques Andreï Siniavski et Iouli Daniel, en 1965, et d’Alexandre Ginsburg en 1968, et fit envoyer à Kaboul une mission de l’AIJD, au moment de l’intervention soviétique en 1980. Dans les années 1970, il fait une première « autocritique » et reconnaît ses « erreurs » sur l'Union soviétique. En 1996, il explique avoir nié la réalité du stalinisme en raison du contexte de la Seconde Guerre mondiale et de l'après-guerre : « Pour moi, le Parti et l'Union soviétique étaient dans la continuité de la résistance puis de la coexistence pacifique. Souvenez-vous qu'à cette époque les intellectuels français étaient dans leur grande majorité proches des communistes. Je suis entré au Parti et dans la lutte pendant la guerre par antifascisme. Mon engagement n'avait rien à voir avec l'Union soviétique ». Dans ses souvenirs, il écrit : « Tout bien pesé, la croyance qui est à l'origine de mon aveuglement me paraît comparable à la foi religieuse. La sacralisation de l'idéal à travers un homme divinisé, remonte à des temps fort anciens (...) Le souvenir de mon comportement à la mort de Staline me fait penser à un agenouillement, à une prosternation. »