Tournier Michel
Michel Tournier, né le 19 décembre 1924 à Paris et mort le 18 janvier 2016 à Choisel, est un écrivain français. Philosophe de formation et germaniste, Michel Tournier commence comme traducteur pour les éditions Plon, puis participe à des émissions culturelles à la radio et à la télévision. Il publie son premier roman à 42 ans, Vendredi ou les Limbes du Pacifique, qui reçoit le Grand prix du roman de l'Académie française et qui est salué pour son originalité et la maîtrise « classique » de son écriture. Vendredi ouvre trois décennies consacrées à la littérature. Il est l'auteur de plusieurs romans, dont le plus célèbre est Le Roi des aulnes qui obtient le prix Goncourt en 1970, d'œuvres pour la jeunesse, parmi lesquelles Vendredi ou la Vie sauvage, et d'essais, dont Journal extime. Il est membre de l'Académie Goncourt de 1972 à 2010.
Famille
La branche maternelle de Michel Tournier est bourguignonne. Sa mère, née Marie-Madeleine Tournier, était la fille d'un pharmacien de Bligny-sur-Ouche en Côte-d'Or et Michel Tournier a passé ses vacances d'enfant dans le village voisin de Lusigny-sur-Ouche où ses parents louaient le presbytère désaffecté (il y séjourna de nouveau pendant l'été 1944 et pendant la Libération de la région en septembre). Son père, Alphonse Tournier, est issu d'une famille d'artisans verriers établis dans l'Hérault au début du XIXe siècle, puis à Lalinde en Dordogne. Alphonse Tournier était né à Cognac en Charente, d'un père gascon et d'une mère d'ascendance aveyronnaise.
Les parents de Michel Tournier s'étaient rencontrés à la Sorbonne alors qu'ils étaient étudiants en licence d'allemand. Alphonse, gueule cassée de 14-18 et germaniste accompli, renonce à l'enseignement et fonde plusieurs sociétés de collecte des droits d'auteurs à l'origine de la SACEM. En 1929, il fonde notamment le Bureau international des éditions musico-mécaniques (BIEM), et il est conseiller de la SACEM.
La famille (trois garçons, dont Jean-Loup Tournier, directeur de la SACEM, et une fille) habite d'abord à Paris, boulevard Haussmann dans le 9e arrondissement, avant de s'installer dans une grande maison à Saint-Germain-en-Laye. Michel Tournier fréquente alors l'École Saint-Érembert où il est un élève turbulent et médiocre. Il passe durant cette période ses vacances à Fribourg-en-Brisgau, dans un foyer d'étudiants catholiques avec ses frères et sœur et assiste à l'avènement du nazisme avec ses parades militaires et les discours du Führer.
Formation
En 1941, la famille Tournier quitte la maison de Saint-Germain-en-Laye réquisitionnée par les Allemands et s'installe à Neuilly-sur-Seine. Michel Tournier entre au lycée Pasteur, où il découvre la philosophie avec Maurice de Gandillac. « J'avais comme condisciple au lycée Pasteur Roger Nimier. Il était effrayant de précocité : il avait tout lu, tout compris, tout assimilé à seize ans. Il a publié son premier livre à dix-huit ans, son dernier livre à vingt-huit ans et il est mort à trente-sept ans. C'est une espèce de trajectoire de météore. Franchement, je préfère le contraire. C'est plus sûr de se donner le temps. Il faut aussi ne pas raconter sa vie. Mais un écrivain jeune ne peut qu'aller vite et raconter sa vie » explique-t-il au journaliste Jean-Luc Delblat dans Le Métier d'écrire en juin 1991".
Passionné par les ouvrages de Gaston Bachelard et ayant échoué au concours d'entrée à l'École normale supérieure, il choisit de préparer une licence de philosophie à la Sorbonne, où il soutient en juin 1945 son diplôme d'études supérieures de philosophie sur Platon. Il réside ensuite quatre ans dans l'Allemagne en reconstruction — il y rencontre Gilles Deleuze — et suit les cours de philosophie de l'université de Tübingen avant de rentrer en France en 1949. Finalement, il renonce à l'enseignement après son deuxième échec à l'agrégation de philosophie en 1950. « J'ai découvert la philosophie à seize ans, et j'ai abandonné toute ambition littéraire pour m'y consacrer. Mais à vingt-cinq ans, j'ai renoncé à la carrière universitaire, car, au lieu d'être reçu dans les premiers à l'agrégation de philosophie, comme j'y comptais bien, j'ai été rejeté dans les derniers ! », avoue-t-il avec humour à Jean-Luc Delblat.
La philosophie tient cependant une part très importante dans ses romans, en particulier dans ses contes enfantins : « Amandine ou Les deux jardins, c'est le conte de la métaphysique, Amandine allant voir de l'autre côté du mur, c'est-à-dire le Métamur. Pierrot ou Les secrets de la nuit, c'est le conte de l'ontologie, car la pâte que pétrit le boulanger est le symbole de la substance. Pierrot et Arlequin s'opposent dans ce conte par des qualités diamétralement opposées : Pierrot, c'est le noir et blanc, la nuit et la lune, l'écriture, la vie sédentaire. Arlequin c'est la couleur, le jour et le soleil, la parole et la chanson, la vie nomade... Et, surtout, Pierrot c'est la substance, Arlequin c'est l'accident. Avec cette petite histoire qu'on peut lire à des enfants de six ans, je jette une passerelle entre le jardin d'enfants et Spinoza. ».
Débuts dans l'édition et à l'ORTF
Michel Tournier s'installe à Paris, dans un hôtel de l’île Saint-Louis. Il fréquente des écrivains comme Georges Arnaud et Yvan Audouard, des artistes comme Pierre Boulez ou des philosophes comme Gilles Deleuze. Pendant huit ans il fait des traductions pour les éditions Plon, où il est directeur littéraire. Il traduit entre autres certains romans d'Erich Maria Remarque. « Puisque je ne pouvais pas être professeur, j'ai fait des "petits boulots" pour gagner ma vie... J'ai été ainsi producteur et réalisateur à la RTF, attaché de presse d'Europe 1, collaborateur à différents journaux. Et il m'a fallu dix-sept ans de tâtonnements et de recherches pour arriver à intégrer la philosophie dans une formule littéraire. » explique-t-il à Jean-Luc Delblat.
Il participe alors à des émissions culturelles sur Europe 1 et anime une cinquantaine d'émissions mensuelles sur la deuxième chaine de l'ORTF intitulées Chambre noire sur la photographie qui deviendra indissociable de son œuvre : « Les photographies me servent pour me remémorer des paysages. Notamment, j'ai beaucoup photographié l'Islande pour Les Météores. La photographie est un domaine que j'ai beaucoup travaillé, car j'ai fait dans les années soixante une cinquantaine d'émissions pou la télévision, qui m'ont obligé à passer quatre, cinq jours dans l'intimité des plus grands photographes. J'ai ainsi rencontré Man Ray, Bill Brandt, André Kertesz, Jacques-Henri Lartigue, Brassaï... C'est une expérience irremplaçable, un grand savoir personnel... Mais Michel Tournier photographe, c'est zéro ! Je fais de belles photos, mais elles n'ont aucun intérêt de création.
Ce sont des choses personnelles, qui me servent beaucoup comme source d'inspiration. Dans Gaspard, Melchior et Balthazar, Balthazar tombe amoureux d'un portrait. J'y décris une perversion qui est l'iconophilie, c'est-à-dire le culte de la vedette, le fait qu'on aime quelqu'un parce qu'il ressemble à une image. Et puis La Goutte d'or aurait pu s'appeler La Photographie. Ce roman commence par une photo, et tout le problème, pour mon personnage, est de retrouver cette image. Il court après son image. ».Il se lie alors avec Lucien Clergue avec qui il crée en 1968 le plus grand festival consacré à la photographie en France, Les Rencontres photographiques d'Arles.
Carrière
Après plusieurs textes qu'il juge trop médiocres, Michel Tournier publie en 1967, à quarante-deux ans, son premier roman Vendredi ou Les Limbes du Pacifique. Il rencontre vite le succès et l'estime du monde littéraire. Son roman est couronné par le grand prix du roman de l'Académie française. En 1970, son deuxième roman, Le Roi des aulnes, marque les esprits et obtient à l'unanimité le Prix Goncourt. Écrivain reconnu, Michel Tournier entre au comité de lecture des éditions Gallimard et devient en 1972 membre de l'Académie Goncourt. Il se consacre dès lors entièrement à la littérature avec en plus de ses romans et nouvelles, des textes pour la jeunesse (comme la reprise de son premier roman sous le titre de Vendredi ou La vie sauvage en 1971 ou Barbedor en 1980). Il publie également des essais : Le Vent Paraclet (1978), autobiographie et réflexion littéraire et philosophique, Célébrations (1999).
Il écrit de nombreux articles, des préfaces de livres, pour Le Bachelier de Jules Vallès ou pour Calligraphe d'Hassan Massoudy. En 1957, il s'installe dans un ancien presbytère à Choisel dans la vallée de Chevreuse où il travaille dans la solitude, à l'écart de Paris et des dispersions du milieu littéraire. Il se montre très attentif à ses lecteurs qu'il aime rencontrer, tout particulièrement les collégiens auxquels il rend souvent visite. Il a aussi beaucoup voyagé pour la longue préparation de ses livres, comme il l'explique en juin 1991 à Jean-Luc Delblat : « J'ai fait quelquefois des voyages immenses. Pour Les Météores, j'ai fait le tour du monde, parce que l'un des jumeaux fuyait son frère, lequel lui courait après. J'ai traversé ainsi le Canada, de Vancouver à Montréal, en chemin de fer, pendant quarante-huit heures jour et nuit, pour un passage de ce livre.
Il fallait l'avoir fait, ça ne s'invente pas ! Souvent, mon manuscrit me donne l'ordre de faire des choses extrêmement dures. Pour La Goutte d'or, j'ai été passer une matinée dans un abattoir. J'en ai beaucoup souffert. En ce moment, je m'intéresse au métro et au suicide. Il m'arrive de passer des nuits entières dans le métro parisien. C'est très dur, mais ça donne du piment à la vie... C'est extrêmement juteux, c'est très rentable. C'est la méthode Zola, qui allait au charbon - et doublement - quand il écrivait Germinal. Flaubert l'a aussi fait, il a été le premier à faire des enquêtes, et à aller sur le terrain. »; Ses livres sont désormais traduits dans plusieurs dizaines de langues et les tirages sont toujours impressionnants, comme pour Vendredi ou La vie sauvage (près de trois millions d'exemplaires en France) ou Le Roi des aulnes (quatre millions). Objet de plusieurs études et thèses, l’œuvre de Michel Tournier lui a valu la médaille Goethe en 1993, et le titre de docteur honoris causa de l'université de Londres en 1997.
Fin de vie
Fin 2010, à 85 ans, il fait connaître à Edmonde Charles-Roux son souhait de démissionner du jury de l'Académie Goncourt et d'en devenir membre honoraire. Il n'écrit plus mais continue à parler de ses œuvres. Il se confie, comme en mai 2010 en répondant à Marianne Payot, journaliste à Lire : « Je ne me suiciderai pas, mais je trouve que j'ai déjà beaucoup trop vécu. Je souffre de la vieillesse : je n'entreprends plus rien, je ne voyage plus. Je m'ennuie. » Il alimente aussi le Fonds Tournier créé en 1996 à la bibliothèque universitaire d'Angers. Il meurt le 18 janvier 2016 à son domicile de Choisel à l'âge de 91 ans. Ses obsèques sont célébrées le 26 janvier 2016, en l'église Saint-Jean-Baptiste de Choisel. Il est inhumé dans le cimetière qui jouxte l'église et son presbytère, ayant lui-même choisi son épitaphe : « Je t'ai adorée, tu me l'as rendu au centuple, merci la vie ! ».
Publications
- Vendredi ou les Limbes du Pacifique (1967)
- Le Roi des aulnes (1970)
- Les Météores (1975)
- Gaspard, Melchior & Balthazar (1980)
- Gilles et Jeanne (1983)
- La Goutte d'or (1985)
- Eléazar ou la Source et le Buisson (1996)
- Vendredi ou la vie sauvage (1971)
- Le Coq de bruyère (1978)
- Le Médianoche amoureux (1989)
- Le Fétichiste (1974)
- Le Vent Paraclet (1978)
- Le Vol du vampire (1981)
- Vues de dos (1981). Photographies Édouard Boubat
- Des clefs et des serrures (1983). Avec photographies
- Le Vagabond immobile (1984) (avec Jean-Max Toubeau)
- Petites Proses (1986)
- Le Tabor et le Sinaï, essais sur l'art contemporain (1988)
- Le Crépuscule des masques (1992). Photos et photographes
- Le Pied de la lettre (1994)
- Le Miroir des idées (1994)
- Célébrations (1999)
- Journal extime (2002)
- Allemagne, un conte d'hiver de Henri Heine (2003)
- Le Bonheur en Allemagne ? (2004)
- Les Vertes lectures (2006)
- Voyages et paysages (2010)
- Je m'avance masqué (2011, entretiens avec Michel Martin-Roland)
- Lettres parlées à son ami allemand Hellmut Waller (2015)
- Vendredi ou la Vie sauvage (1971)
- La Fugue du Petit Poucet (1979)
- Pierrot ou les secrets de la nuit (1979)
- Barbedor (1980)
- L'Aire du muguet (1982)
- Les Rois Mages (1983)
- Sept contes (1984)
- Angus (avec l'illustrateur Pierre Joubert, Signe de piste, 1988)
- Les Contes du médianoche (1989)
- La Couleuvrine (1994)
- Barberousse (2003)
- Trois contes, de Gustave Flaubert (1973)
- Le Bachelier, de Jules Vallès (1974)
- Le Docteur Faustus, de Thomas Mann (1975)
- Mephisto, de Klaus Mann (1975)
- Robinson Crusoé, de Daniel Defoe (1975)
- Le Père Goriot, d'Honoré de Balzac (1979)
- Les Affinités électives, de Goethe (1980)
- Anton Reiser, de Karl Philipp Moritz (1986)
- Le Trésor d'Arlatan, d'Alphonse Daudet (1991)
- Un temps pour vivre, un temps pour mourir, d'Erich Maria Remarque (2000)
- Les Indes noires, de Jules Verne (2004)
- Fils du soleil, de Jack London (2005)
- La Jangada, de Jules Verne (2005)
- Les Réprouvés, d'Ernst von Salomon (2011)
Adaptations de son œuvre
- 1996 : Le Roi des aulnes, film germano-franco-britannique réalisé par Volker Schlöndorff, d'après le roman éponyme publié en 1970.
- 1998 : Le Nain rouge, film belgo-franco-italien réalisé par Yvan Le Moine, d'après Le Coq de bruyère (conte Le Nain rouge)
- 1990 : La Goutte d'or, téléfilm français de Marcel Bluwal, d'après le roman éponyme publié en 1985.