Bruno Lohse et Hermann Goering
publié le 22/03/2014 à 15h36 par Emmanuelle Polack avec Alain Prevet
Contexte historique - Le marché de l’art à Paris sous l’Occupation
Le fait est avéré, pour ne pas dire indéniable : le marché de l’art à Paris sous l’Occupation allemande est
florissant. Cette euphorie est le reflet d'un afflux massif de marchandises issues de spoliations des personnes de confession juive et de tout opposant du Troisième Reich.
Les dignitaires nazis pressentent l'occasion offerte, par les confiscations, d'enrichir à moindre coût leurs collections artistiques personnelles. Parmi eux, le Reichsmarschall, Hermann Göring (1893-1946), véritable chef d'une « pègre artistique », s'entoure de rabatteurs sollicités pour
débusquer les collections de grande valeur. Bruno Lohse (1912-2007), historien de l’art, spécialiste des maîtres
flamands et hollandais du XVIIe siècle, impressionne Göring par ses connaissances. Celui-ci se l'attache.
Lohse devient l’un des missi dominici en charge de l'enrichissement de la collection Göring, en traquant les œuvres des plus belles collections du patrimoine artistique français.
Un photographe de l'Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg (ERR), peut-être Hans Simokat, a immortalisé au moins deux visites sur la vingtaine qu'Hermann Göring a faites au musée du Jeu
de Paume entre novembre 1940 et novembre 1942, sans qu'il soit possible pour l'instant de préciser davantage la date de la présente image. Elle s'insère dans une petite série d'une
demi-douzaine de clichés quasi simultanés, dont la finalité n'était probablement pas d'être publiés mais de garder le souvenir pour le service du passage de ce puissant « protecteur ».
Sur les traces des Rembrandt
Confortablement installé dans un canapé d’un bureau du musée, réquisitionné au profit du service parisien de l'ERR, sous le regard satisfait de Bruno Lohse, Hermann Göring examine
attentivement une monographie consacrée à Rembrandt, très probablement une des publications de l’historien de l’art allemand Wilhelm R. Valentiner, grand spécialiste du peintre depuis sa thèse
soutenue en 1904.
Sous ses yeux, à sa gauche, on croit reconnaître un portrait de Saskia peint en 1633. Ce tableau appartenait à Lord Elgin dans les années 1920. Sur une autre photographie prise à quelques
instants d’intervalle, Göring s’arrête sur le portrait de Marten Looten (1632) provenant d’une collection
londonienne et sur celui du mari de Cornélia Pronck, Albert Cuyper (1632) de la collection du banquier Henri Pereire (1841-1932) à Paris. Ce collectionneur offrit ce tableau au Louvre en 1930.
(Inv. RF. 3743)
Une histoire du goût : la collection du Reichsmarshall
La mine réjouie de Bruno Lohse sur cette photographie laisse augurer une belle prise. Le chargé de mission,
responsable des acquisitions personnelles du Reichsmarshall sur le marché parisien semble accomplir avec zèle la mission qui lui a été confiée. Dès sa deuxième visite au Jeu de Paume, le 5
novembre 1940, Göring avait sélectionné pour sa collection personnelle le Portrait d’un garçon avec une toque
rouge, fraichement saisi dans les collections Rothschild. Un mois plus tôt, le conservateur de la collection de Göring, Andreas Walter Hofer (1893-1971?) avait acquis pour lui un portrait de Saskia, également de 1633. Ce n’était
toutefois qu’une production de l’atelier.
L’image ne permet pas de prendre la mesure de l’ampleur des transactions opérées sur le marché de l’art lors de cette période sombre, de même qu’elle ne permet pas de se faire une idée des
attitudes peu scrupuleuses de trop nombreux marchands d’art français qui sacrifieront sans état d’âme leur considération éthique à leur intérêt économique. Cette photographie est néanmoins
révélatrice d’un certain pan de l’histoire de l’art ; une histoire du goût. Elle met en exergue la place de l’excellence, selon l’esthétique du Troisième Reich, des écoles du Nord dans la
collection privée d’Hermann Göring.
Notes
ERR : Service allemand dépendant du parti nationalsocialiste (NSDAP), chargé de la lutte idéologique dans toute l’Europe contre les Juifs et les
francs-maçons. Installé au Jeu de Paume à l’automne 1940, il conduisit lui-même l’essentiel des saisies ciblées et de grande ampleur et reçut les objets d’art trouvés lors de l’ouverture des
coffres bancaires effectués par le Devisenschutzkommando et lors du pillage des appartements dans le
cadre de la Möbel Aktion.