Rose Valland à la veille de la Seconde Guerre mondiale
publié le 22/03/2014 à 15h54 par Emmanuelle Polack
Une chargée de mission bénévole au musée du Jeu de Paume
Rose Valland, André Dézarrois et un gardien lors de l’accrochage ou du décrochage en 1935
En mai 1935, Rose Valland (1898-1980) seconde le conservateur André Dézarrois (1889-1979) en préparant
minutieusement la grande exposition sur l’Art italien des XIXe et XXe siècles. Sur cette photographie dont nous ignorons le nom du photographe, Rose Valland, André Dézarrois et un gardien posent lors de l'accrochage, ou du décrochage, de cet événement au musée du
Jeu de Paume. Cette présentation prolongeait la mémorable exposition sur l’Art italien de Cimabue à Tiepolo,
organisée simultanément au Petit-Palais.
Rose Valland dotée d'un solide bagage de plasticienne et d’historienne de l'art, débute en 1932 une longue
carrière au service des musées comme bénévole à la section des Écoles étrangères contemporaines, une annexe du musée du Luxembourg. Elle occupe l’ancien bâtiment du Jeu de Paume de Paris, dans le jardin des Tuileries, qui est réaménagé à la fin de cette même année. Situé à
l’avant-garde de l'art moderne, il multiplie alors les expositions et sa politique d’acquisition lui fait gagner au cours de cette décennie une notoriété certaine.
Pour la dernière exposition de l’avant-guerre au musée du Jeu de Paume, l’art de la Lettonie est à l’honneur,
cette exposition vaudra à Rose Valland l’estime du Président Letton qui lui décerne en septembre 1939 la médaille
de la Croix du Chevalier des trois étoiles de Lettonie.
L'Exposition d’art italien (Section moderne, XIXe et XXe siècles) au musée du Jeu de Paume, mai - juillet
1935
Rose Valland fixe l’objectif avec beaucoup d’intensité en s’appuyant au socle de Il Puro folle, sculpture en
bronze d'Adolfo Wildt (1868-1931) , artiste originaire de Suisse. Derrière elle, à droite, on aperçoit une autre œuvre du même artiste, son autoportrait pour le moins tourmenté en marbre (1908),
à gauche, couchée et peu visible, Lilia Nuda (1930), bronze de Bruno Innocenti (1906-1986) et, debout, Figura che cammina, grande sculpture en bois de Pericle Fazzini (1913-1971). Au centre de
l’image, le conservateur du musée, André Dézarrois, retient et contemple l’Autoportrait au modèle de Felice Carena (1880-1966), dit aussi La Fenêtre (1930), tout en s’appuyant au buste en bronze
de Stendhal par Antonio Maraini (1886-1963), artiste mais aussi homme politique fasciste et incontournable président du comité exécutif de l’exposition. Un gardien, contribuant à l’installation
de l’exposition, tient quant à lui une œuvre de Felice Casorati (1883-1963), Jeunes filles endormies. De nombreuses autres peintures de l’exposition sont posées contre le mur. (Les étiquettes
fixées au dos permettent de repérer des œuvres de Conti et Cerracchini).
Une historienne de l’art liée au destin du musée du Jeu de Paume
La maladie frappe le conservateur André Dézarrois, ce qui conduit Rose Valland à jouer un rôle de premier plan au
sein du musée du Jeu de Paume. Le 28 septembre 1938, Jacques Jaujard, sous-directeur des musées nationaux et de l’Ecole du Louvre, lui confie le soin de prendre les
dispositions nécessaires à la sécurité des collections et au bon fonctionnement du musée. Le 30 septembre 1938, en conséquence de la signature des accords de Munich, le projet d’évacuation des œuvres, initialement imaginé par Jaujard s’interrompt.
Un an plus tard, suite à la déclaration de guerre à l’Allemagne, Rose Valland participera aux mesures de défense
passive et aux ordres d’évacuation des collections du musée du Jeu de Paume. Les pièces les plus précieuses de
l’exposition permanente, soit un ensemble de 283 peintures parmi les plus significatives de l’Ecole de Paris (Marc
Chagall, Juan Gris, Amedeo Modigliani, Pablo Picasso, Kees Van Dongen, etc.) sont rangées dans une vingtaine
de caisses, placées dans un premier temps au château de Chambord.
A l’automne 1940, s’installe au musée du Jeu de Paume une organisation culturelle du parti nazi dirigée par
l’idéologue du Reich, Alfred Rosenberg, dont la mission consiste à confisquer systématiquement les collections
privées appartenant aux personnes d’origine juive. Rose Valland pendant toute la période de l’Occupation, parvient à se maintenir à son poste, réussissant à soustraire au service Rosenberg (ERR) les renseignements les plus précieux sur la localisation des œuvres emportées en Allemagne.
A la signature de l’armistice, Rose Valland intégrera l’état-major de la 1ère armée du général de Lattre de Tassigny, se rendra en Allemagne afin d’y mener des enquêtes pour l’identification et le retour
des biens culturels reconnus comme appartenant au patrimoine artistique français. Son action d’agent de liaison au sein de la Commission de Récupération Artistique (CRA) conjuguée à celle des
Alliés permettra le retour d’environ 60 000 objets sur environ 100 000 transférées en Allemagne et en Autriche.
Bibliographie
- BOUCHOUX Corinne, Rose Valland, la Résistance au musée, La Crèche, Geste éditions, 2006.
- VALLAND Rose, Le Front de l’art, Réunion des musées nationaux – Grand Palais, Paris, 1997, 2014.
- POLACK Emmanuelle et DAGEN Philippe, Les Carnets de Rose Valland, Le pillage des collections privées d’œuvres d’art en France durant la Seconde Guerre mondiale, Fage éditions, Lyon, 2011.