Je suis partout

Publié le par Mémoires de Guerre

Je suis partout est un hebdomadaire français publié par Arthème Fayard, dont le premier numéro sort le 29 novembre 1930. Pierre Gaxotte est son responsable jusqu'en 1939. Jusqu'en 1942, la rédaction se trouve rue Marguerin à Paris avant de s'installer rue de Rivoli. Journal rassemblant des plumes souvent issues ou proches de l'Action française, il devient, à partir de 1941, le principal journal collaborationniste et antisémite français sous l'occupation nazie. Le dernier numéro est daté du 16 août 1944, et ses rédacteurs sont ensuite jugés et condamnés. 

Je suis partout

Je suis partout : le grand hebdomadaire politique et littéraire (et parfois « le grand hebdomadaire de la vie mondiale »), comme ses titres complets l'indiquent, souhaite couvrir l'actualité internationale et celles des lettres. Fondé au départ par l'éditeur Arthème Fayard qui a lui-même trouvé le titre, le journal, qui sort son premier numéro le samedi 29 novembre 1930 pour capter les lecteurs du week-end, n'est initialement ni d'extrême droite, ni antisémite, ni même politiquement uniforme. Mais le noyau dur des rédacteurs clairement imprégnés de maurrassisme l'emporte assez rapidement[ : les normaliens Pierre Gaxotte et Robert Brasillach, Lucien Rebatet, Pierre-Antoine Cousteau, Claude Jeantet, Bernard de Vaulx (ancien secrétaire de Charles Maurras), Maurice Bardèche, Alain Laubreaux, Claude Roy, Miguel Zamacoïs, Daniel Halévy, Pierre Drieu la Rochelle et le dessinateur Ralph Soupault, etc. Le journal devient dès lors antiparlementaire, antidémocrate, nationaliste et convaincu de la « décadence » de la France. Il durcit ses positions, alors que la rédaction est de plus en plus séduite par les partis fascistes. 

Le rapprochement avec les fascismes dès 1932

Comme nombre de ses confrères de droite, Je suis partout plébiscite Mussolini dès 1932, dans un numéro spécial publié en octobre de cette année. Puis, il soutient la Phalange espagnole, la Garde de fer roumaine et le petit mouvement anglais d'Oswald Mosley. Il montre un grand intérêt pour Léon Degrelle et son mouvement fasciste, le Christus Rex. Degrelle est le correspondant de l'hebdomadaire en Belgique et, par ailleurs, député rexiste dans les années 1930. Je suis partout se rapproche progressivement à partir de 1936 du nazisme : c'est là l'année du premier basculement, car Arthème Fayard, effrayé par la radicalisation de la mauvaise foi au sein de ses colonnes, envisage de suspendre le journal, ne le jugeant plus utile, mais l'année 1936 paraît au complet, soit 52 numéros. Il meurt le 20 novembre de la même année. Le lectorat avait suivi : le tirage passe durant cette période de 45 000 à 100 000 (pour retomber ensuite)1. Ce relatif succès n’empêche pas son fils Jean Fayard de revendre le titre à ses rédacteurs associés en nom collectif, Pierre Gaxotte en tête : ils appellent entre eux leur nouvelle équipe « le gentil soviet ». Le principal actionnaire est le riche héritier d'origine argentine Charles Lesca qui se définit comme un « fasciste authentique autant que calme ».

L'antisémitisme, qui avait commencé à s'exprimer après les émeutes de février 1934, va se déchaîner avec l'accession de Léon Blum en 1936 à la tête du gouvernement. À partir de 1938, il rivalise de racisme avec les publications nazies publiées en Allemagne, avec deux numéros spéciaux intitulés en pleine manchette « Les Juifs » (1938) puis « Les Juifs et la France » (1939). Dans ce deuxième numéro, Lucien Rebatet est l'auteur d’un long article sur « L’Affaire Dreyfus », dans lequel il revient sur la culpabilité d'Alfred Dreyfus (alors que l'innocence de Dreyfus est démontrée et établie depuis 1906). En juin 1940, pendant la débâcle, Alain Laubreaux et Charles Lesca sont arrêtés sur l'ordre de Georges Mandel, nouveau ministre de l'Intérieur du gouvernement Paul Reynaud pour "agissements de nature à porter atteinte à la sûreté extérieure et intérieure de l'Etat" (article 75 et suivants, articles 87 et suivants du Code pénal), une ordonnance de non-lieu sera prononcée par le juge d'instruction le 6 août 1940. Georges Mandel fait également arrêter les principaux intellectuels d'extrême droite favorables à l'Allemagne nazie. Je suis partout réclame un fascisme à la française : « On ne matera le fascisme étranger que par le fascisme français, le seul vrai fascisme. » (14 avril 1939). Il ne cache pas sa sympathie pour le Front de la liberté esquissé par Jacques Doriot avec les principaux mouvements d'extrême droite et le plus grand parti conservateur de l'époque, la Fédération républicaine. Jusqu'en février 1941, le vieux Charles Maurras, germanophobe par tradition, ne condamne pas ses disciples. La rupture avec la doxa de l'Action française a lieu au début de cette année-là, lorsque le journal, interdit depuis juin 1940, reparaît et devient pro-allemand. 

L'organe emblématique du collaborationnisme

L'hebdomadaire reparaît le 7 février 1941 et soutient immédiatement une politique collaborationniste. Robert Brasillach, rédacteur en chef depuis juin 1937, reprend les rênes à son retour de captivité. Cette nouvelle équipe comprend aussi Jean de Baroncelli, André Bellessort de l'Académie française, Georges Blond, Abel Bonnard de l'Académie française, Kleber Haedens, Jean de La Varende, Jean Meillonnas, Morvan Lebesque, Lucien Combelle, Michel Mohrt. Triomphant après avoir obtenu de reparaître sous l'occupation allemande, l'hebdomadaire multiplie les polémiques et les appels au meurtre contre les Juifs et les hommes politiques de la IIIe République. Ainsi, dans l'édition du 6 septembre 1941 Robert Brasillach écrit-il que « la mort des hommes à qui nous devons tant de deuils […] tous les Français la demandent ». Et dans celle du 25 septembre 1942 : « Il faut se séparer des Juifs en bloc et ne pas garder les petits. »

Si Je suis partout n'est pas, tant s'en faut, le seul journal collaborationniste, il est le plus important et le plus influent. Ses rédacteurs revendiquent d'avoir été les pionniers du fascisme en France, même s'ils reconnaissent des précurseurs, comme Édouard Drumont et revendiquent, au moins jusqu'en 1941, l'influence de Charles Maurras (en février 1941, Maurras, replié à Lyon, désapprouve la reparution du journal en zone occupée). Ils travaillent aussi à La Gerbe, au Journal de Rouen, à Paris-Soir et plus encore au Petit Parisien, étendant ainsi leur influence. Je suis partout exerce une attraction assez importante sur un lectorat plutôt jeune et intellectuel. Son audience devient plus grande sous l'Occupation : le tirage passe de 46 000 exemplaires en 1939 à 250 000 en 1942. Il publie sous forme de feuilleton des romans de Jean Anouilh (Léocadia), Marcel Aymé (Travelingue), René Barjavel (Ravage), Jean de La Varende (Les Derniers Galériens), Jacques Decrest (Les Jeunes Filles perdues) ou encore Jean de Baroncelli (Vingt-six Hommes), et des interviews de certains d'entre eux. L'hebdomadaire publie également six lettres de Louis-Ferdinand Céline, ainsi que des articles enjôleurs sur ce dernier.

Après l'éviction de Brasillach, jugé trop modéré, la direction est assurée par Pierre-Antoine Cousteau (frère aîné du commandant Jacques-Yves Cousteau). Ce changement marque un dernier glissement : Je suis partout s'aligne intégralement sur le nazisme, oublie l'ouverture aux intellectuels qui avait fait une partie de son succès dans les années 1930 pour l'anti-intellectualisme des nazis et des fascistes les plus fanatiques, ouvre ses colonnes aux Waffen-SS. Plusieurs rédacteurs adhèrent au Parti populaire français (PPF) de Jacques Doriot et à la Milice. Cousteau et Rebatet clament le 15 janvier 1944 : « Nous ne sommes pas des dégonflés » et assurent la parution de l'hebdomadaire jusqu'en août. Tous deux, ainsi que l'ensemble de la rédaction de Je suis partout, s'enfuient à Sigmaringen avec ce qu'il reste du régime de Vichy en septembre 1944. Ils sont par la suite arrêtés, jugés et condamnés par la justice française pendant l'Épuration. 

Au sortir de la guerre, les anciens rédacteurs et membres du journal sont poursuivis par les tribunaux lors de l'Épuration :

  • Claude Maubourguet est condamné aux travaux forcés à perpétuité en novembre 1944 ;
  • Robert Brasillach est condamné à mort et fusillé en 1945 ;
  • Camille Fégy est condamné aux travaux forcés à perpétuité en 1946 ;
  • Lucien Rebatet et Pierre-Antoine Cousteau sont condamnés à mort en 1946, mais la peine est commuée en réclusion à perpétuité par le président Vincent Auriol. Ils sortent de prison en 1952 et 1953 ;
  • Pierre Villette, connu sous le nom de Dorsay, administrateur du journal, Alain Laubreaux et Henri Lèbre, connu sous le nom de François Dauture, journalistes, sont condamnés à mort par contumace en 1947 ;
  • Ralph Soupault, dessinateur, est condamné à quinze ans de travaux forcés en 1947.

Publié dans Journaux et Médias

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