Kollontaï Alexandra
Alexandra Mikhaïlovna Kollontaï, née le 31 mars (19 mars) 1872 à Saint-Pétersbourg et morte le 9 mars 1952 à Moscou, est une femme politique socialiste, communiste et militante féministe soviétique. Elle est la première femme de l'Histoire contemporaine à avoir été membre d'un gouvernement et ambassadrice dans un pays étranger.
Fille unique d'un général de l'armée tsariste nommé Mikhaïl Domontovitch, issue de l'aristocratie, Alexandra Domontovitch reçoit une éducation soignée et polyglotte. Ses origines partiellement caréliennes lui permettent d'acquérir une bonne connaissance de la culture et de la langue finnoises, ce qui orientera sa carrière à partir de 1939. Après avoir refusé, à l'âge de 17 ans, un mariage arrangé, elle épouse à l'âge de 20 ans un jeune officier dont elle est éprise, qui lui donnera un enfant et son nom en 1893. En 1896, lassée de la vie de couple, elle rompt avec son milieu d'origine et part étudier l'économie politique à l'Université de Zurich, où elle devient progressivement marxiste. Appréciant les voyages, elle parcourt l'Europe, notamment la France, l'Allemagne et l'Italie. Elle se lie avec Lénine et Gueorgui Plekhanov, en exil en Suisse, ainsi qu'avec d'autres figures révolutionnaires, à l'instar de Rosa Luxemburg en Allemagne ou Paul Lafargue en France, dont elle prononcera l'éloge funèbre en 1911.
Alexandra Kollontaï adhère au marxisme et au POSDR en 1898. En 1903 se produit la scission entre bolcheviks et mencheviks : rejetant dans un premier temps l'organisation militarisée[réf. nécessaire] des bolcheviks, elle rejoint les mencheviks. Elle revient un temps en Russie pour participer à la révolution de 1905. En 1914, elle s'oppose à la Première Guerre mondiale, et pour cette raison rejoint les bolcheviks, en 1915. Elle déclarait ainsi en 1912 : « Le prolétariat russe, aux côtés de celui du monde entier, proteste contre toutes les guerres. C’est un fait bien connu que le prolétariat ne connaît aucune frontière nationale. Il ne reconnaît que deux "nations" dans le monde civilisé : les exploiteurs et les exploités. » Elle se réfugie quelque temps en Europe du Nord puis aux États-Unis. Elle participe à la révolution de 1917 et devient Commissaire du peuple à l’Assistance publique (qui correspond aux actuels ministères de la Santé) dans le gouvernement des soviets, de novembre 1917 à mars 1918, ce qui fait d'elle la première femme au monde à avoir participé à un gouvernement. Elle créé le Zhenotdel (ministère chargé des affaires féminines) avec Inès Armand.
Alexandra Kollontaï est rapidement en désaccord avec la politique du parti bolchevik, d'abord avec l'étatisation de la production au lieu de la collectivisation, puis avec la réduction des libertés politiques, les conditions du traité de Brest-Litovsk et la répression contre les autres révolutionnaires. En 1918, elle fait partie de la tendance « communiste de gauche », qui publie la revue Kommunist. Elle fonde en 1920 une fraction interne au Parti, « l'Opposition ouvrière » qu'elle dirige avec Alexandre Chliapnikov et qui réclame plus de démocratie et l'autonomie des syndicats. En 1921, lors du passage à la NEP, elle accuse Lénine d'être devenu un défenseur du capitalisme. Le droit de fraction est supprimé en 1921 dans le parti bolchevik, qui est devenu le parti unique de Russie, et l'Opposition ouvrière est dissoute. Alexandra Kollontaï fait cependant partie des signataires d'une lettre ouverte écrite par Alexandre Chliapnikov en 1922. Alexandra Kollontaï devient ambassadrice de l'Union soviétique en Norvège en 1923 — elle y était représentante depuis 1922, mais ce n'était pas encore une ambassade à proprement parler —, ce qui revient à un exil de fait et lui interdit toute action dans la vie politique soviétique. Cela fait néanmoins d'elle la première femme ambassadrice. Elle n'est pas formellement inquiétée, mais les journaux de l'époque l'attaquent avec virulence en mettant l'accent sur sa vie sentimentale sulfureuse, n'hésitant pas à la surnommer : « la scandaleuse » ou « l'immorale ».
Alors qu'elle effectue un voyage aux États-Unis en qualité de représentante du Parti, les journaux soviétiques titrent : « La Kollontaïnette part pour l’étranger ; si ça pouvait être pour toujours ! ». Cet éloignement lui permet cependant d'échapper aux purges staliniennes, qui frappent notamment les anciens de l'Opposition ouvrière, entre 1927 et 1929, entraînant des déportations au Goulag et des assassinats. Elle marque son mandat en récupérant l'or que l'ancien chef du gouvernement provisoire de la Russie Aleksandr Kerenski avait transféré en Finlande. Après des missions diplomatiques saluées — en tant qu'ambassadrice et « représentante commerciale » — au Mexique (1926-1927) et à nouveau en Norvège (1927-1930), Alexandra Kollontaï est nommée ambassadrice en Suède en 1930 où elle mène les négociations pour les deux armistices entre l'URSS et la Finlande, en 1940 et en 1944, et pour l'armistice avec la Roumanie en 1944 (avec Neagu Djuvara). Des hommes politiques finlandais proposeront sa candidature pour le Prix Nobel de la paix, en 1946.
Victor Alexandrov évoque Alexandra Kollontaï, alors ambassadrice d'URSS dans son récit Histoire secrète du pacte germano-soviétique : « Elle avait sans désemparer attendu le visiteur important qui lui était simplement annoncé par un télégramme chiffré, depuis la veille au soir. Elle avait somnolé sur un canapé de velours, sous le portrait fait d'elle, vingt ans plus tôt, par Annenkov, le peintre officiel du nouveau pouvoir bolchevik. Le temps avait passé et chiffonné son agréable visage aux pommettes saillantes. La première femme « ambassadeur » des temps modernes, celle dont on disait dans les chancelleries occidentales qu'elle était le seul « homme de confiance » de Staline, le seul à ne pas risquer d'être soudainement liquidé par le NKVD, avait atteint les soixante-sept ans. Souffrant d'une maladie de cœur, elle supportait les contrastes de l’été baltique en abusant de la digitaline » et « Le statut de l'« ambassadrice » (elle ne porta véritablement ce titre qu'à partir de 1943) était ainsi fait de nombreuses tolérances, d'abord de la part du camarade Staline qui avait renoncé à lui reprocher une garde-robe outrageusement parisienne, ensuite par les pouvoirs publics et la police de Stockholm, rapidement conquis par son charme slave et son féminisme désinvolte ».
Alexandra Kollontaï renonce en mars 1945 à ses fonctions et termine sa vie à Moscou, où elle décède en 1952. Elle est enterrée au cimetière de Novodevitchi. Comme beaucoup de socialistes ou de communistes, Alexandra Kollontaï condamne le féminisme de son époque, le considérant comme « bourgeois », puisqu'il détourne la lutte des classes en affirmant qu'il n'y a pas qu'une domination économique, mais aussi une domination des genres. Mais elle travaille cependant à l'émancipation de la femme dans le combat communiste ; elle déclare ainsi : « La dictature du prolétariat ne peut être réalisée et maintenue qu’avec la participation énergique et active des travailleuses. » Elle participe à la première conférence de l'Internationale socialiste des femmes, le 17 août 1907, à Stuttgart (Allemagne). En 1910, elle accompagne la femme politique allemande Clara Zetkin (qu'elle aide à créer la Journée internationale des femmes, le 8 mars) à la deuxième conférence qui se tient à Copenhague ; elle y représente les ouvrières du textile de Saint-Pétersbourg. Elles y rencontrent Inès Armand et Rosa Luxemburg. Lors de la conférence qui a lieu deux ans plus tard à Bâle, elle est qualifiée de « Jaurès en jupons »). Elle est membre honoraire de la British Society for the Study of Sex Psychology. Elle est membre en 1921-1922 du secrétariat international des femmes au Komintern, en tant que secrétaire générale.
L'action d'Alexandra Kollontaï, en tant que commissaire du peuple, et de ses consœurs leur permet d'obtenir le droit de vote et d'être élues, le droit au divorce par consentement mutuel, l'accès à l'éducation, un salaire égal à celui des hommes, des congés de maternité et l'égalité de reconnaissance entre enfants légitimes et naturels. Le droit à l'avortement est obtenu en 1920 — il sera limité en 1936 par Staline, puis rétabli après la mort de ce dernier. Elle sera au cœur de nombreuses polémiques sur la place des femmes dans la société soviétique. Elle pose la question de ce que seront les relations amoureuses dans une société libérée de la morale bourgeoise. Appliquant à l'amour le concept marxiste d'idéologie, elle considère qu'à chaque type d'organisation sociale (féodalisme, capitalisme, etc.) correspond un idéal amoureux, dont les caractéristiques permettent l'efficacité et le maintien de cette organisation. Pour elle, l'association entre sentiment amoureux et sexualité et le principe de fidélité au sein du couple marié sont des principes répondant aux besoins de la bourgeoisie dans une société libérale. « Le réformateur religieux Luther, et avec lui tous les penseurs et hommes d'action de la Renaissance et de la Réforme (XVe-XVIe siècles) mesuraient très bien la force sociale que renfermait le sentiment de l'amour.
Sachant que pour la solidité de la famille – unité économique à la base du régime bourgeois – il fallait l'union intime de tous ses membres, les idéologues révolutionnaires de la bourgeoisie naissante proclamèrent un nouvel idéal moral de l'amour : l'amour qui unit les deux principes [sentiment amoureux et sexualité]. [...] L'amour n'était légitime que dans le mariage ; ailleurs, il était considéré comme immoral. Un tel idéal était dicté par des considérations économiques : il s'agissait d'empêcher la dispersion du capital parmi les enfants collatéraux. Toute la morale bourgeoise avait pour fonction de contribuer à la concentration du capital. » Elle estime que le mariage et la fidélité, qu'elle appelle la « captivité amoureuse », sont amenés à disparaître, et théorise une nouvelle morale sentimentale, l'amour-camaraderie, préfigurant le concept moderne de polyamour et basé sur trois principes :
- l'égalité des rapports mutuels.
- l'absence de possessivité et la reconnaissance des droits individuels de chacun des membres du couple.
- l'empathie et le souci de l'autre réciproque (qui n'est exigé, précise-t-elle, que de la femme vers l'homme dans la "civilisation bourgeoise"). Elle-même vit des relations amoureuses libres et multiples.
Elle est critiquée par Lénine comme par Trotski, plus prudes, qui estiment le couple fidèle comme la forme naturelle d'expression amoureuse. Au courant de ses nombreuses liaisons, Lénine qualifie la vision de Kollontaï de « décadente ». Alexandra Kollontai milite pour l'abolition des lois règlementant ou interdisant la prostitution, dénonçant la réglementation comme la prohibition de la prostitution comme des "hypocrisies" qui frappent avant tout les prostituées les plus démunies. Le gouvernement dont elle fit partie mit fin aux réglementations de la prostitution qui existaient sous le régime tsariste. « Le scandale de cette règlementation, c’est qu’elle retombe entièrement sur les femmes des classes pauvres ; devant les prostituées riches, la police comme les règlements ne font qu’ôter poliment leur chapeau » Tout en s'opposant farouchement à la prostitution, elle met celle-ci sur un pied d'égalité avec le mariage tel qu'il existe à son époque, préfigurant la notion d'échange économico-sexuel de l'ethnologue contemporaine Paola Tabet. « Dans la société bourgeoise, une femme est persécutée non pas quand elle ne travaille pas utilement pour la collectivité, ou parce qu'elle se vend pour des raisons vénales (deux tiers des femmes de la société bourgeoises se vendent à leur époux légitime), mais lorsque leurs relations sexuelles sont informelles et de courte durée.
Le mariage dans la société bourgeoise se caractérise par la durée et la nature formelle de son enregistrement. L'héritage de la propriété est ainsi préservé. Les relations temporaires sans validation officielle sont considérées par les bigots et les hypocrites tenants de la morale bourgeoise comme étant honteuse. [...] Pour nous, dans la république ouvrière, il n'est pas important qu'une femme se vende à un homme ou à plusieurs, qu'elle soit catégorisée comme une prostituée professionnelle vendant ses faveurs à une succession de clients ou comme une femme se vendant à son mari. » Elle s'oppose également à la pénalisation des clients de la prostitution : « Le problème suivant qu'il nous fallut résoudre fût de déterminer si la loi devait punir ou non les clients de prostituées. Certains membres de la commission furent pour, mais ils durent renoncer à l'idée, qui ne suit pas, logiquement, nos prémisses de base. Comment un client peut-il être défini ? Est-il quelqu'un qui achète les faveurs d'une femme ? Dans ce cas, les maris de nombreuses femmes légales seraient coupables. Qui décide qui est client et qui ne l'est pas ? » Pour elle, la fin de la prostitution ("qui est une violence que s'inflige une femme à elle-même pour des raisons financières") doit venir par l'égale participation des femmes et hommes au travail collectif et à l'égale distribution des ressources produites, mettant fin à toute nécessité, pour les femmes, de se vendre à des hommes en échange d'argent - c'est-à-dire mettant fin à la fois au mariage bourgeois et à la prostitution.