Léon XIII
Léon XIII, né Vincenzo Gioacchino Raffaele Luigi Pecci (2 mars 1810 - 20 juillet 1903), est le 257e pape de l'Église catholique (nom latin : Leo XIII ; nom italien : Leone XIII). Ayant succédé au pape Pie IX le 20 février 1878, il régna jusqu'à sa mort en 1903. Il est enterré à la basilique du Latran. Né à Carpineto Romano, près de Rome, en Italie, il est le fils du comte Lodovico Pecci et de la comtesse née Anna Prosperi-Buzi qui eurent six autres enfants, dont le futur cardinal Giuseppe Pecci.
Élève au collège des Jésuites de Viterbe, Vincent Joachim Pecci entre en 1824 au Collegium romanum avec son frère qui deviendra jésuite. Il poursuit ses études à l'Académie des nobles ecclésiastiques qui prépare les futurs diplomates du Saint-Siège. Il est reçu docteur en théologie en 1836 puis docteur en droit in utroque jure, le tout à Rome. Il est ordonné prêtre le 31 décembre 1837. Ses qualités universitaires le font remarquer par le cardinal Lambruschini qui le présente au pape Grégoire XVI. Il est bientôt nommé « prélat de Sa Sainteté », puis légat pontifical à Bénévent, enclave pontificale dans le Royaume de Naples où, par des mesures énergiques, il arriva à mettre fin au banditisme. Devenu légat pontifical à Spolète, il est ensuite nommé légat pontifical à Pérouse pour préparer la visite de Grégoire XVI dans ce diocèse de 200 000 habitants.
En 1843, il est nommé archevêque titulaire (ou in partibus) de Damiette et reçoit l'ordination épiscopale, qui lui est conférée par les mains du cardinal Lambruschini, et il est aussitôt envoyé en tant que nonce apostolique en Belgique, le 28 janvier 1843 ; mais il y eut moins de succès : ce jeune diplomate trentenaire ne réussit pas à mettre fin aux querelles qui opposaient les jésuites et l'épiscopat belge. Il devient en 1846 archevêque de Pérouse et devait le rester jusqu'en 1877 ; en 1846 Grégoire XVI nomme Mgr PECCI cardinal , in petto,c'est-à-dire en secret, pour que le nouveau cardinal puissent rester à un poste que normalement le chapeau de cardinal lui interdit. A la mort de Grégoire XVI, son titre de cardinal devient officiel par l'ouverture des archives secrètes du Vatican, mais sa grande popularité lui valut permission de Pie IX de rester archevêque de Pérouse . En 1877, il fut nommé cardinal camerlingue de la Sainte Église romaine, poste qu'il occupa jusqu'à sa propre élection comme pape le 20 février 1878.
Il est rapporté que Léon XIII fut addict au vin Mariani, boisson alcoolisée à forte teneur en cocaïne. Il avait, dit-on, toujours une fiole avec lui en cas de nécessité. Il est possible qu'on l'ait élu parce qu'il était de santé fragile et qu'on voyait en lui un pape de transition. On ne se doutait pas qu'il allait régner pendant vingt-cinq ans. Il aurait eu envie de quitter Rome où se déroulaient souvent des manifestations hostiles envers l'Église, mais son secrétaire d'État, le cardinal Rampolla, le convainquit de rester au Vatican et de s'y considérer comme prisonnier.
Les principales encycliques :
- Un pape thomiste : Dès 1879, avec l'encyclique Æterni Patris, Sur la restauration dans les écoles catholiques de la philosophie chrétienne selon l'esprit du Docteur angélique (il s'agit de saint Thomas d'Aquin), il relança les études thomistes.
- Un défenseur des consciences chrétiennes : En avril 1884 il fut l'auteur de l'encyclique Humanum Genus, une violente attaque contre la franc-maçonnerie qui récapitulait les nombreuses condamnations de celle-ci par ses prédécesseurs.
- Un pape politique : Au grand dam des monarchistes, il est l'initiateur du ralliement des catholiques français à la IIIe République, marqué par l'encyclique Au milieu des sollicitudes et le toast, prononcé à sa demande, à Alger, par le cardinal Lavigerie le 12 novembre 1890. Ce geste scandalisa nombre de catholiques et, par exemple, « les dames dévotes de Bretagne et d'Anjou priaient pour la conversion du pape » ; certains allèrent même jusqu'à soutenir qu'au véritable Léon XIII on avait substitué un sosie ; Les Caves du Vatican contiennent une allusion à cette fable qu'on a répétée avec Paul VI. La comtesse de Pange raconte que son père, le duc de Broglie, avait coutume d'inviter à déjeuner une ou deux fois par an les curés du voisinage ; l'un d'eux, un peu échauffé par le vin de champagne dont il n'avait pas l'habitude, n'hésita pas à lancer au dessert un : « Et quand je pense à ce monstre de pape ! », qu'il refusa de retirer.
- Un pape défenseur de la doctrine sociale de l'Église : Sur les pas des catholiques sociaux tels que Frédéric Ozanam, il se saisit de la question ouvrière, et dans l'encyclique Rerum Novarum, du 15 mai 1891, il dénonce d'une part comme étant un mal « la concentration entre les mains de quelques-uns de l'industrie et du commerce, devenus le partage d'un petit nombre d'hommes opulents et de ploutocrates, qui imposent ainsi un joug presque servile à l'infinie multitude des prolétaires », et d'autre part il condamne le marxisme comme une " peste mortelle " pour la société.
Dans ce document, Léon XIII critique le libéralisme et son régime de concurrence effrénée qui réduit les ouvriers à la misère et rejette le socialisme qui veut abolir la propriété privée, droit naturel, et instaurer la lutte des classes. Il recommande l'association fraternelle des travailleurs et l'intervention de l'État pour régler les rapports entre patrons et ouvriers. L' encyclique Rerum Novarum a fait l'objet, depuis lors, de développements successifs, par exemple Centesimus annus en 1991. Léon XIII fut le premier pape à être filmé, à sa demande. C'était un humaniste raffiné, et ses poèmes latins sont remarquables.
En avril 1884 il fut l'auteur de l'encyclique Humanum Genus, une violente attaque contre la franc-maçonnerie qui récapitulait les nombreuses condamnations de celle-ci par ses prédécesseurs, et se trouve être généralement considérée comme le manifeste contre-moderniste de l'Église, pourtant il dénonça le canular de Taxil. Le 20 septembre 1900, Léon XIII dissout officiellement les États pontificaux, mettant ainsi la papauté en accord avec la réalité politique. Il réorganise les grands Ordres en particulier l'Ordre de saint Benoît en fondant la confédération bénédictine en 1893 par le bref Summum semper. Le pontificat de Léon XIII fut le quatrième plus long pontificat de l'histoire, après saint Pierre, le bienheureux Pie IX et Jean-Paul II.
On a souvent opposé l'esprit « progressiste » de Léon XIII au « conservatisme » de son prédécesseur Pie IX et de son successeur Pie X, que ses détracteurs comparaient à un curé de campagne hissé sur la chaire de saint Pierre. De fait, c'est surtout la prudence qui caractérisa son pontificat. Le choix de Pie IX avait été, dans le Syllabus, de présenter la doctrine romaine en phrases courtes et lapidaires qui ont pu choquer sur le fond les lecteurs non catholiques et sur la forme un certain nombre de catholiques. Léon XIII, quant à lui, développa son sens de la pédagogie dans des encycliques clarifiant la position de ses prédécesseurs et ouvrant la voie à ses successeurs, sur des thèmes traditionnels comme sur des thèmes nouveaux (la démocratie chrétienne dans son encyclique Graves de communi re).
Léon XIII sut renouveler aussi la réception des encycliques dans un monde qui était traversé par les idéologies qui allaient s'affronter au XXe siècle. Il poursuivit inlassablement sa défense de la liberté de l'Église qui devait faire face aux nouveaux problèmes de la modernité : rupture entre le prolétariat et les classes aisées, mainmise du pouvoir politique sur l'enseignement dans différents pays d'Europe, laïcisation des consciences, et problème de la dissolution des congrégations en France (encyclique Nobilissima Gallorum Gens) et dans d'autres pays. On a pu considérer que ces encycliques - au nombre de quatre-vingt-six - étaient savantes et que peu de gens les lisaient jusqu'au bout, mais elles eurent une influence notable sur la participation des catholiques aux grands débats intellectuels et socio-politiques de leur époque (malgré le blocage politique en Italie depuis le Non expedit). Il sut aussi renouveler l'enseignement des séminaires et des universités pontificales, faire progresser les études bibliques et patristiques et ouvrir les archives du Vatican.
Cet aspect de son pontificat reste trop souvent méconnu mais n'en demeure pas moins fondamental, car il a donné une véritable impulsion aux études bibliques, afin que l'exégèse moderne soit en harmonie avec les découvertes scientifiques de son époque. Ce fut l'objet de l'encyclique Providentissimus Deus, publiée en 1893. Il clarifia la position de l'Église vis-à-vis de l'anglicanisme, accompagnant la poursuite d'un mouvement de conversion en Angleterre (le Mouvement d'Oxford qui était né au milieu du siècle), autour du cardinal Newman. Il jeta les bases d'un catholicisme plus structuré aux États-Unis, il traita de la question noire et de la fin de l'esclavagisme au Brésil dans son encyclique de 1888 In Plurimis. Ses encycliques furent reprises et citées par ses successeurs, de Pie X qui ne cessait de le citer, jusqu'à Jean-Paul II qui se référa à Rerum Novarum à de nombreuses reprises. Au début de son pontificat, Léon XIII fit envoyer une missive au ton conciliant à l'empereur Alexandre II dans laquelle il rappelait au bon souvenir du tzar l'existence de millions de ses sujets qui étaient de confession catholique et qui souhaitaient vivre en loyaux sujets de l'Empire. L'empereur répondit tout aussi courtoisement qu'il promettait que ses sujets catholiques disposeraient des mêmes droits que les autres.
Les relations entre Pie IX et la Russie avaient été exécrables à cause de la question polonaise et étaient rompues depuis 1870, aussi Léon XIII fit-il un premier pas en faisant publier, le 28 décembre 1878, une encyclique qui condamnait le socialisme, l'anarchisme et le nihilisme. Cela ne pouvait que plaire à Alexandre II (et à d'autres souverains européens), qui devait constamment se défendre contre des attentats visant sa personne ou celle de représentants du pouvoir impérial. À plusieurs reprises, Léon XIII fit lire des lettres en chaire, contre ces attentats. En réponse, des sièges épiscopaux reçurent enfin l'approbation impériale et furent pourvus.
Mais la question polonaise n'évoluait guère : Le Saint-Siège jugeait inacceptable l'usage du russe - langue administrative de l'Empire qui avait été récemment imposée en Pologne - dans l'enseignement et le catéchisme. Plus encore, des Ruthènes en majorité uniates avaient été obligés de se placer sous la juridiction canonique de l'Église orthodoxe. Lorsque Alexandre II fut assassiné, Léon XIII fit envoyer au couronnement, en 1881, du nouvel empereur de toutes les Russies Alexandre III un prélat de haut rang pour le représenter. Alexandre III lui en fut reconnaissant et demanda au pape d'exhorter les évêques de Pologne à ne pas apporter leur soutien aux mouvements patriotes polonais et à l'agitation politique.
Les relations s'améliorèrent encore lorsque Léon XIII usa de son influence pour rapprocher la Russie de la France. En effet, le pape voyait d'un mauvais œil la création de la Triple Alliance. Celle-ci réunissait une Italie gouvernée par un ministère de gauche anti-clérical, tenté par l'expérience voisine du Kulturkampf de Bismarck ; un empire austro-hongrois miné par les nationalismes et un nouvel empire allemand qui avait chassé les congrégations de son pays et promulgué des lois anti-catholiques. La France, affaiblie par sa défaite de 1870, avait un régime politique qui était considéré comme l'épouvantail d'une Europe monarchique ; mais la Russie avait besoin des capitaux français pour se développer et pour se défendre d'une Allemagne trop orgueilleuse à ses frontières ; tandis que la France souhaitait sortir de son isolement diplomatique et contrecarrer la puissance de la Triplice.
Après la mort d' Alexandre III, la question des uniates et de la langue en Pologne fut réglée. Un accord, en 1896, permit la fondation de nouveaux diocèses catholiques dans tout l'Empire. Nicolas II facilita le financement de la gestion du séminaire catholique de Saint-Pétersbourg, des églises catholiques furent construites dans les grandes villes commerçantes de Russie, tandis qu'en Pologne les derniers sièges épiscopaux vacants furent pourvus. Mais finalement Léon XIII, âgé et préoccupé par des questions plus urgentes, ne cueillit pas les fruits de sa politique. La nonciature de Saint-Pétersbourg ne rouvrit pas. Les relations avec le nouvel Empire allemand (proclamé à Versailles le 18 janvier 1871) étaient rompues depuis l'arrivée au pouvoir du chancelier Bismarck. Toute la diplomatie de Léon XIII sera tournée vers l'apaisement progressif du Kulturkampf.
Entre 1871 et 1887, le prince de Bismarck voulut renforcer autoritairement et unilatéralement la « solidarité » des composantes de l'Empire et ce, au détriment de l'Église (notamment en rabaissant le parti catholique du Zentrum). Ainsi toute critique de l'Empire (cela inclut non seulement la Prusse, mais aussi la Rhénanie prussienne à majorité catholique) était punie de prison. Il voulait en fait mater l'esprit d'autonomie des Lorrains récemment annexés et des Polonais de Prusse, de Posnanie et de Silésie, populations catholiques qui trouvaient en l'Église un refuge pour leurs activités patriotiques, et en même temps affaiblir l'identité catholique des pays rhénans, pas assez « prussiens » aux yeux du chancelier.
Ce furent les mêmes procédés qu'ailleurs, mais menés tambour battant : mariage civil obligatoire, dissolution de toutes les congrégations, contrôle sur la nomination et la formation du clergé, lois scolaires, etc. Nonobstant le « chancelier de fer » dut reculer et en 1882, Léon XIII réussit à rétablir les relations diplomatiques avec la Prusse. Le pape avait soutenu avec un certain succès les évêques dans leur appui aux actions sociales et à la formation de la part de laïcs d' associations d'entraide de travailleurs. Les évêques soutenaient aussi le parti Zentrum dont Bismarck avait besoin des voix.
Ainsi en 1887, les congrégations purent progressivement revenir et les lois les plus répressives de la précédente période du Kulturkampf ne furent plus appliquées. Cependant à l'extérieur, à partir du renouvellement de la Triplice en février 1887, puis avec l'abandon du traité de réassurance avec la Russie en 1890, le pape s'inquiéta du caractère offensif du dernier système bismarckien dirigé contre la France.