Savary Alain

Publié le par Roger Cousin

Alain Savary est né à Alger, d'un père breton, ingénieur des chemins de fer, et d'une mère corse. Sa famille s'installe à Tunis alors qu'il a deux ans, puis à Rabat, où il entre à l'école primaire. 

Savary Alain

Il arrive en France, alors qu'il a sept ans. A Paris, il suit des études au lycée Buffon, puis au collège privé Stanislas où il prépare le baccalauréat. Catholique pratiquant, l'étudiant Alain Savary fréquente assidûment l'institution sociale Notre Dame du Bon Conseil. Titulaire d'une licence en droit, il sort major de l'Ecole libre des sciences politiques (section diplomatique) en 1940. Il se destine à une carrière au Quai d'Orsay et travaille l'anglais dans cette perspective. Sans être engagé politiquement, le jeune homme est très tôt conscient de la dégradation de la situation politique internationale. En 1936, il effectue un voyage à Nuremberg où il assiste au rassemblement annuel du parti nazi (NSDAP) ; le caractère inéluctable du conflit à venir lui serait apparu lors de la remilitarisation de la Rhénanie.

Avant son service militaire, qu'il début le 15 octobre 1938, Alain Savary a préparé le concours du Commissariat de la Marine où il a été reçu premier. Nommé aspirant commissaire au début de la guerre, il est affecté à Boulogne, le 24 décembre suivant. En juin 1940, lors de l'effondrement de l'armée française devant la progression des blindés de Guderian, il est évacué vers l'Angleterre. Patriote ardent, le jeune officier est un des premiers à se mettre au service du général de Gaulle, à qui il demande de s'embarquer sur un bateau de guerre. Le 8 août, Alain Savary est affecté à l'Etat-major de l'amiral Muselier dont il devient aide de camp, responsable des questions relatives au Forces navales françaises libres (FNFL) et au Conseil de défense de l'Empire. Il est, par ailleurs, secrétaire du Conseil Supérieur de la Marine et secrétaire personnel de l'amiral Muselier. L'amiral écrit dans ses mémoires : "Savary était ma conscience et un de mes collaborateurs les plus précieux". Cette rencontre le marque profondément.

De mars à mai 1941, Alain Savary accompagne Thierry d'Argenlieu dans une mission en Amérique du Nord. Au Québec, au Canada, puis lors d'un « voyage d'information » à Washington, il se renseigne sur l'état de la France Libre outre-Atlantique. L'amiral Muselier le nomme enseigne de vaisseau de 1ère classe auxiliaire, à compter du 1er juillet 1941. Alain Savary rejoint ensuite les îles de Saint-Pierre-et-Miquelon où il participe avec l'amiral Muselier au renversement des autorités vichystes, le 24 décembre 1941. Il est nommé commissaire de la France Libre (gouverneur) à 23 ans. Plus tard, il expliquera que c'est à Saint-Pierre-et-Miquelon qu'il a été sensibilisé aux problèmes coloniaux : « J'ai eu à Saint-Pierre-et-Miquelon la responsabilité de populations qui, même peu nombreuses, posaient l'ensemble des questions sociales, démontrant à l'évidence les injustices de la bourgeoisie et du capitalisme et des formes d'oppression presque colonialistes ».

Mais le gouverneur veut reprendre du service actif. Il quitte Saint-Pierre en janvier 1943, et suit un entraînement accéléré dans les forces amphibies en Floride. Il prend ensuite la tête du 2ème escadron du premier régiment de fusiliers marins de la première division française libre et participe aux campagnes d'Afrique du Nord, d'Italie (Mont Cassin) et de France où il effectue la jonction de la première armée et de la 2ème DB. Il termine la campagne avec la croix de guerre et quatre citations. Nommé Compagnon de la Libération par le général de Gaulle, le jeune capitaine de corvette est appelé à siéger à l'Assemblée consultative provisoire à Paris comme représentant de l'ordre de la Libération. Le 6 novembre 1944, Alain Savary quitte son unité pour rejoindre immédiatement la séance d'ouverture de l'Assemblée, encore vêtu de son blouson et de ses souliers militaires. Il est nommé membre de la commission de la défense nationale de l'Assemblée le 17 novembre, puis des commissions de la justice et de l'épuration et des finances.

Selon Roger Barberot, un de ses compagnons, de Gaulle a ouvert à Alain Savary « la voie royale de la politique », en le nommant à l'Assemblée consultative et plus encore, en faisant de lui, ensuite, le plus jeune Commissaire de la République de France : « Les fées gaullistes s'étaient penchées avec insistance sur son berceau », disait-il. Nommé Commissaire de la République à Angers par le ministre de l'intérieur Adrien Tixier, Alain Savary succède à ce poste à Michel Debré, à vingt-sept ans. Il exerce cette fonction du 1er avril 1945 au 30 mars 1946. Il réduit pacifiquement la poche de Saint-Nazaire après la capitulation allemande du 8 mai 1945 et fait fermer les camps d'internement. Le 18 juillet suivant, il épouse Hélène Borgeaud, et se trouve ainsi apparenté à l'une des puissantes familles du grand colonat algérien, celle du sénateur Borgeaud dont elle est la nièce. Il est, durant deux années, secrétaire général du Commissariat général aux affaires allemandes et autrichiennes. Il quitte cette fonction pour celle de parlementaire.

Alain Savary, lié à Gilberte Brossolette, a choisi de rejoindre la SFIO en mars 1945 probablement. Il adhère à Angers, mais appartient à la section de Saint-Nazaire. Il est proche de la sensibilité blumiste. Lors de la formation de l'Assemblée de l'Union française, ce parti le choisit pour y siéger, de novembre 1947 à juin 1951. Le 17 juin 1951, Alain Savary est élu député de Saint-Pierre-et-Miquelon avec 1 306 suffrages sur 2 605 inscrits et 2 313 exprimés, battant assez nettement Dominique Laurelli, le député sortant qui obtient 932 voix, 105 allant à un troisième candidat Pierre Merli. Avec l'appui des représentants des îles, le sénateur Claireaux, du Conseil de la République, et le père Gervain, de l'Assemblée de l'Union française, il a fait une campagne très ouverte, invitant à former une « majorité durable débordant le cadre des anciennes querelles », dépassant « le cadre des partis politiques » pour la défense des intérêts économiques et sociaux du territoire. Sa campagne est axée sur les besoins locaux, principalement ceux de la pêche.

Alain Savary est membre de la commission de la marine marchande et des pêches (1951-1952) et de celle des territoires d'outre-mer (1951-1955), toutes deux essentielles pour les intérêts des habitants des îles. Il siège aussi à la commission du suffrage universel, des lois constitutionnelles, du règlement et des pétitions (1953-1955). Il appartient enfin à la commission de coordination pour l’examen des problèmes intéressant la Communauté européenne du charbon et de l’acier (1954-1955). Le groupe socialiste le désigne comme l’un de ses vice-présidents dès 1951. Actif parlementaire, Alain Savary dépose deux textes : une proposition de loi concernant les conditions d'éligibilité des Hauts-commissaires de la République, des Gouverneurs généraux et des Gouverneurs exerçant ou ayant exercé leurs fonctions dans un territoire ou un groupe de territoire d'Outre-mer ; une proposition de résolution relative au statut des administrateurs de la France d’Outre-mer. Avec Robert Verdier, Alain Savary est le spécialiste des questions relatives aux territoires d'Outre-mer et de l'Afrique du Nord dans le groupe socialiste. La première de ses vingt-deux interventions à l’Assemblée, le 19 novembre 1951, a lieu à l'occasion d'une demande d'interpellation sur les conversations avec le Gouvernement tunisien et, l'année suivante, il interpelle de nouveau les autorités sur l'assassinat du syndicaliste Ferhat Hached (9 et 16 décembre 1952).

Beaucoup plus jeune que la majorité des militants du groupe socialiste, passé, contrairement à ses confrères, par les grandes écoles et la France Libre, élu d'un lointain territoire, Alain Savary, venu du gaullisme avant de se rallier à la SFIO, est à la fois aux marges de son parti et un homme de ressource précieux pour sa formation politique, en raison de ses réseaux et de sa capacité d'autonomie. Il peut mener une action parlementaire et diplomatique combinée. Lors de la discussion du projet de loi relatif aux dépenses de fonctionnement des services civils, le 19 novembre 1952, il oppose une question préalable sans ambiguïté sur « la nécessité de négocier avec le Viet-Minh », estimant qu'il « faut négocier avec l'adversaire ». L'année suivante, il se rend en mission en Indochine au nom du gouvernement, recherchant des contacts directs avec les nationalistes et Hô-Chi-Minh dans des zones incontrôlées de la plaine des joncs.

La commission des territoires d'Outre-mer le nomme à la commission de coordination « pour l'examen des problèmes intéressant les Etats associés d'Indochine », le 10 juin 1954. Il interpelle ensuite régulièrement les gouvernements jusqu'à la conférence de Genève, s'opposant notamment à l'envoi du contingent. L'Afrique du Nord reste cependant son principal combat. Le 13 octobre 1953, il dénonce les initiatives des fonctionnaires locaux au Maroc, visant en fait le maréchal Juin qu'il interpelle de nouveau quelques jours plus tard, en pleine grève dans la fonction publique, dans un article du Populaire, intitulé « Le facteur et le maréchal ». Partisan affirmé de la décolonisation, il noue des liens personnels avec les leaders marocains et tunisiens, Balafrej et Bourguiba. Il se prononce pour l'autonomie interne. Mais il doit renoncer, par discipline de parti, à un poste ministériel que lui propose Pierre Mendès France. Il sert d'intermédiaire entre le gouvernement et le chef du Néo-Destour et dénonce les ennemis de l'entente franco-marocaine, après l'assassinat de M. Lemaigre-Dubreuil, le 21 juin 1955. En ce qui concerne l'Algérie, le 13 octobre 1955, à l'Assemblée, il dénonce la politique d'intégration et réclame des élections libres, la négociation d'un régime d'association ou un cadre fédéral.

Ses positions conduisent rapidement Alain Savary à s'opposer à la politique de la majorité socialiste, sans rompre pour autant avec Guy Mollet. Il est un des organisateurs de l'opposition à la ratification du traité instituant la Communauté européenne de défense (CED) dans le camp socialiste. Avec Robert Verdier, il co-rédige deux brochures intitulées « Contre le traité actuel de la CED », signées par une majorité des députés socialistes.

Réélu député le 2 janvier 1956, avec 1 135 suffrages, il conserve son siège avec neuf voix de majorité seulement. Son adversaire Laurenti obtient 1 126 voix. Il est, de nouveau, nommé à la commission du suffrage universel, des lois constitutionnelles, du règlement et des pétitions. Il y reste jusqu’en 1957. Il appartient également à la commission des territoires d'Outre-mer (1956-1957). Mais il n'y siège pas, en raison de sa nomination, le 1er février 1956, au secrétariat d’Etat aux affaires étrangères, chargé des affaires marocaines et tunisiennes, dans le cabinet Guy Mollet. Il négocie l'octroi de l'indépendance aux anciens protectorats, qui devient effective en mars. Mais, il échoue à faire aboutir « l'indépendance dans l'interdépendance », souhaitée par Edgar Faure un an plus tôt. La politique de Lacoste en Algérie est incompatible avec la politique d'ouverture qu'il mène dans les deux autres Etats du Maghreb. Savary, dont la position est de plus en plus fragile depuis la rupture des négociations en août et la démission du résident général au Maroc, dont il refuse de cautionner les velléités de politique répressive, démissionne à son tour de ses fonctions de secrétaire d'Etat. Il proteste ainsi contre le détournement de l'avion marocain transportant vers Tunis les cinq chefs du FLN, effectué le 22 octobre. A la demande de Guy Mollet, il retarde l'annonce officielle, qui est acceptée à l'issue du Conseil des ministres du 31 octobre suivant.

Le 26 décembre 1956, Alain Savary, qui a retrouvé son banc de député, est nommé membre de la commission des affaires étrangères. Il y siège jusqu’à la fin de la législature et se montre particulièrement actif dans le domaine de la construction européenne. A la demande de Guy Mollet et au nom de la commission, il est rapporteur du projet de loi autorisant le président de la République à ratifier le traité instituant la Communauté économique européenne (le traité de Rome), signé le 25 mars 1957, le traité sur la communauté européenne de l'énergie atomique et la convention relative à certaines institutions communes aux communautés européennes. Le 11 juillet 1957, il dépose une proposition de loi tendant à la création d’une sous-commission chargée de suivre et d’apprécier la politique économique, financière et sociale de la France, au regard de la Communauté économique européenne. Quelques mois plus tard, le 4 octobre 1957, il est désigné membre suppléant de la commission des finances. Il est enfin élu représentant de l'Assemblée unique des Communautés européennes (député européen), le 13 mars 1958. Depuis le 4 octobre 1957, il est membre suppléant de la commission des finances.

Tout en continuant à entretenir des rapports personnels avec le secrétaire général du parti socialiste, Alain Savary participe au combat des minoritaires opposés à la politique algérienne de Robert Lacoste dans les gouvernements Mollet, Bourgès-Maunoury et Gaillard. Il participe à la constitution du Comité socialiste d'études et d'action pour la paix en Algérie et signe tous les textes minoritaires présentés par Robert Verdier et Edouard Depreux.

Membre de la commission chargée d'étudier la situation en Algérie, au conseil national de la SFIO des 3 4 mai 1958, il espère faire évoluer les positions de la majorité du parti. Mais il est trop tard, car la révolte des « petits blancs » de l'Algérie et le soutien que lui apporte l'armée provoquent l'effondrement du régime en mai 1958. Alain Savary s'élève contre le soulèvement d'Alger et se montre partisan de la fermeté face aux émeutiers et à leurs complices. A l'Assemblée nationale, il dépose une proposition de résolution « tendant à inviter le gouvernement à examiner d'urgence le cas de tous les députés ayant quitté la métropole depuis le 13 mai 1958 ou qui, à Alger, par leur activité, contribuent à ébranler le régime républicain et l'unité de la Patrie ». Il déplore, le 26 mai, « l'ambiguïté regrettable des déclarations du général de Gaulle » et soutient que les événements d’Alger et ceux de Corse sont liés. Le 1er juin suivant, il vote contre l'investiture de l'ancien chef de la France Libre.

Au congrès de la SFIO d'Issy-les-Moulineaux, le 11 septembre 1958, Alain Savary annonce qu'il ne peut rester plus longtemps dans ce parti, accélérant ainsi la scission. Trois jours plus tard, il est secrétaire général adjoint du Parti socialiste autonome (PSA), et le demeure jusqu'en avril 1960. Ayant perdu son siège de député en 1958, Alain Savary intègre l'industrie privée, mais sans abandonner la politique. Il appartient au premier bureau national du Parti socialiste unifié (PSU) en avril 1960, mais s'éloigne de ce parti dès la fin de la guerre d'Algérie. Il fonde l'Union des clubs pour le renouveau de la gauche (UCRG), participe à la Fédération de la Gauche démocrate et socialiste (FGDS) en 1965-1968, puis est désigné comme premier secrétaire du Parti socialiste de 1969 à 1971.

Après avoir perdu la direction du parti au Congrès d'Epinay en juin 1971, il est élu député de Toulouse en mars 1973 et mars 1978, puis préside le Conseil régional de Midi-Pyrénées en 1978. Ministre de l'Education nationale dans les gouvernements Mauroy (1981-1984), peu soutenu par le Président de la République, il démissionne après les manifestations en faveur de l'enseignement privé en 1984, entraînant la chute du gouvernement. Officier de la Légion d'honneur, compagnon de la Libération, Alain Savary était décoré de la croix de guerre 1939-1945. Il disparaît le 17 février 1988, à la veille de la réélection de François Mitterrand à la présidence de la République.

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