Voyage au bout de la nuit

Publié le par Louis-Ferdinand Céline

Louis-Ferdinand Céline ne croit pas en l'homme. Il semble être submergé par une rage terrible devant tant de veulerie, de bassesses, de stupidité. Dans sa postface à la première édition du Voyage au bout de la nuit illustré par Tardi, "Céline a dit la vérité du siècle : ce qui est là est là, irréfutable, débile, monstrueux, rarement dansant ou vivable". Le voici, démasquant les officiers, la bouche en cul-de-poule, organisant le massacre du bout de leurs gants blancs, les gens bien-comme-il-faut organisant la misère, le paumé exploitant plus paumé encore. Sous sa plume, surgit la comédie grotesque d'une société pipée, grande tricheuse et mauvaise copine. De quoi réfléchir pour ne pas en rester là.
 

Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline

Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline

Fiche Technique

  • Titre : Voyage au bout de la nuit
  • Auteur : Louis-Ferdinand Céline
  • EAN13 : 9782070360284
  • Date de parution : 09/04/2001
  • Editeur : Editions Gallimard
Extrait du livre

" Mais voilà-ty pas que juste devant le café où nous étions attablés un régiment se met à passer, et avec le colonel par-devant sur son cheval, et même qu'il avait l'air bien gentil et richement gaillard, le colonel! Moi, je ne fis qu'un bond d'enthousiasme. "J' vais voir si c'est ainsi! que je crie à Arthur, et me voici parti à m'engager, et au pas de course encore. - T'es rien c. Ferdinand!" qu'il me crie, lui Arthur en retour, vexé sans aucun doute par l'effet de mon héroïsme sur tout le monde qui nous regardait. Ça m'a un peu froissé qu'il prenne la chose ainsi, mais ça m'a pas arrêté. J'étais au pas. "J'y suis, j'y reste!" que je me dis. "On verra bien, eh navet ! " que j'ai même encore eu le temps de lui crier avant qu'on tourne la rue avec le régiment derrière le colonel et sa musique. Ça s'est fait exactement ainsi. Alors on a marché longtemps. Y en avait plus qu'il y en avait encore des rues, et puis dedans des civils et leurs femmes qui nous poussaient des encouragements, et qui lançaient des fleurs, des terrasses, devant les gares, des pleines églises.

Il y en avait des patriotes! Et puis il s'est mis à y en avoir moins des patriotes. La pluie est tombée, et puis encore de moins en moins et puis plus du tout d'encouragements, plus un seul, sur la route." " Figurez-vous qu'elle était debout leur ville, absolument droite. New York c'est une ville debout. On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles encore, et des ports et des fameux même. Mais chez nous, n'est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s'allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-là l'Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, là, pas baisante du tout, raide à faire peur. On en a donc rigolé comme des cornichons. Ça fait drôle forcément, une ville bâtie en raideur.

Mais on n'en pouvait rigoler nous, du spectacle qu'à partir du cou, à cause du froid qui venait du large pendant ce temps-là à travers une grosse brume grise et rose, et rapide et piquante à l'assaut de nos pantalons et des crevasses de cette muraille, les rues de la ville, où les nuages s'engouffraient aussi à la charge du vent. Notre galère tenait son mince sillon juste au ras des jetées, là où venait finir une eau caca, toute barbotante d'une kyrielle de petits bachots et remorqueurs avides et cornards. Pour un miteux, il n'est jamais bien commode de débarquer nulle part mais pour un galérien c'est encore bien pire, surtout que les gens d'Amérique n'aiment pas du tout les galériens qui viennent d'Europe. "C'est tous des anarchistes" qu'ils disent. Ils ne veulent recevoir chez eux en somme que les curieux qui leur apportent du pognon, parce que tous les argents d'Europe, c'est des fils à Dollar." 

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