Pierre Laval (1883 - 1945) Du socialisme à la collaboration

Publié le par Herodote par André Larané

Né à Châteldon (Puy-de-Dôme) le 28 juin 1883, dans la famille d'un modeste cafetier, Pierre Laval est un homme de contradictions.

Pétain, l'amiral Darlan et Laval devant l'hôtel Majestic si-ge du gouvernement de Vichy

Pétain, l'amiral Darlan et Laval devant l'hôtel Majestic si-ge du gouvernement de Vichy

Autodidacte aux manières frustes, il acquiert une immense fortune grâce à son cabinet d'avocat. Réformé pendant la Grande Guerre, il se fait ensuite le champion du pacifisme ; entré dans la politique à l'extrême-gauche, il devient pour finir, aux côtés du maréchal Pétain, le principal acteur de la collaboration avec l'occupant pendant la Seconde Guerre mondiale.

Socialiste et pacifiste

Avocat après des études d'autodidacte, Pierre Laval brille néanmoins dans les rangs de l'extrême-gauche révolutionnaire avant d'être élu en 1914 député socialiste d'Aubervilliers. Proche des humbles et habile manoeuvrier, il devient maire de cette cité ouvrière des environs de Paris et le restera presque sans discontinuer jusqu'à sa chute.

Réformé pendant la Grande Guerre, il ne cesse de militer en faveur d'une paix de compromis. Après le conflit, il quitte la SFIO (le parti socialiste de l'époque) et se fait réélire sous l'étiquette de socialiste indépendant en 1924, lors des élections qui voient la victoire du Cartel des Gauches.

Habile manoeuvrier, il est plusieurs fois ministre, notamment ministre de la Justice dans le gouvernement de gauche de Briand, en 1926, et ministre du Travail dans celui de Tardieu en 1930. À ce poste, il promulgue la loi sur les assurances sociales, à l'origine de la Sécurité Sociale.

Manoeuvrier avant tout

Président du Conseil une première fois du 27 janvier 1931 au 16 février 1932, sous la présidence de Gaston Doumergue, Pierre Laval est le premier chef du gouvernement français depuis la Grande Guerre à se rendre en république allemande, où il reçoit un accueil enthousiaste.

Mais c'est lui, aussi, qui s'oppose au projet d'union douanière entre l'Autriche et l'Allemagne, destiné à sauver l'industrie autrichienne. Le veto du gouvernement français débouche le 11 mai 1931 sur la faillite retentissante de la Kreditanstalt Bank, principale banque autrichienne, et l'irruption à grand fracas en Europe de la crise économique issue du krach de Wall Street, à un moment où celle-ci semblait en voie de résorption.

Sous la présidence d'Albert Lebrun, Laval occupe différents ministères dont celui des Affaires étrangères, qu'il prend suite à l'assassinat de Louis Barthou et conserve jusqu'en mai 1935. En cette qualité, soucieux de protéger la France contre la menace allemande, il négocie une alliance avec l'Italie de Mussolini ainsi qu'avec l'URSS de Staline. Mais l'invasion de l'Éthiopie par l'Italie signe son échec.

Réinstallé à la présidence du Conseil de juin 1935 à janvier 1936, Pierre Laval tente de remédier à la crise économique par une politique de «déflation» ; autrement dit une baisse autoritaire des salaires. Catastrophe ! Il s'ensuit une chute de la production industrielle de l'ordre de 30%, plus de 500.000 chômeurs secourus... et une victoire électorale du Front populaire en mai 1936.

De retour dans l'ombre pendant près de quatre ans, Laval, pacifiste invétéré, est l'un des très rares parlementaires à s'opposer à la déclaration de guerre à l'Allemagne en septembre 1939. La défaite de l'année suivante semble lui donner raison et lui vaut d'entrer dans le gouvernement du maréchal Pétain deux jours plus tard comme ministre d'État dès le 23 juin 1940.

Il se dépense sans compter pour obtenir des parlementaires réunis à Vichy qu'ils votent les pleins pouvoirs constitutionnels au vieux Maréchal le 10 juillet 1940. Ce succès lui vaut deux jours plus tard la vice-présidence du Conseil. Il devient de facto la cheville ouvrière du gouvernement.

La collaboration par calcul

Intimement convaincu de l'inéluctable victoire de l'Allemagne, Laval prend le parti d'en atténuer le prix pour la France et s'engage ce faisant dans une collaboration de plus en plus équivoque avec l'occupant.

Mais Pétain, qui souffre de son arrogance, le renvoie brutalement le 13 décembre 1940. Il le fait même arrêter mais l'ambassadeur allemand à Paris Otto Abetz, qui l'a en estime, obtient sa libération.

Laval, écarté du pouvoir, reste néanmoins présent dans la sphère publique. Le 27 août 1941, il assiste dans une caserne de Versailles à la remise du drapeau au premier contingent de la Légion des Volontaires Français (LVF), qui a reçu mission de se battre sur le front de l'Est contre les Soviétiques, au côté des Allemands.

Tout d'un coup, plusieurs coups de feu claquent. Pierre Laval et Marcel Déat sont touchés. L'auteur des coups de feu, un légionnaire, est arrêté. Comme un officier allemand dit à Laval qu'on s'apprête à le fusiller, celui-ci répond : «Je vous en supplie, ne faites pas ça. Ce serait une grave erreur». Le légionnaire sera jugé, condamné à mort et grâcié sur les instances de l'ancien vice-président du Conseil.

L'attentat vaut à Laval une moindre impopularité dans l'opinion française et un regain d'estime de la part des Allemands.

Ceux-ci, las des tergiversations du gouvernement de Vichy, imposent au maréchal Pétain de le rappeler le 17 avril 1942 avec des pouvoirs quasiment illimités. Il veut de la sorte obtenir un soutien sans équivoque de l'administration française. La Collaboration se confond désormais avec Pierre Laval.

Le nouvel homme fort de Vichy assume tout à la fois la direction du gouvernement et les ministères de l'Information, des Affaires étrangères et de l'Intérieur. S'arrogeant la réalité du pouvoir, dans les limites très étroites accordées par les Allemands, il relègue pour de bon le maréchal Pétain au rôle de «potiche» et met au placard l'ancien ministre de l'Intérieur Pierre Pucheu et les autres ambitieux de la banque Worms (le «Groupe» ou la «Synarchie»).

Le 22 juin 1942 (un an après l'invasion de l'URSS), Pierre Laval tient un discours radiodiffusé dans lequel il célèbre l'Allemagne, «rempart contre le bolchevisme». Il a cette formule qui révulse l'opinion : «Je souhaite la victoire de l'Allemagne, parce que, sans elle, le bolchevisme, demain, s'installerait partout».

Fuite en avant

L'occupation de la «zone libre» par la Wehrmacht le 11 novembre 1942, en violation des accords d'armistice, réduit considérablement les marges de manoeuvre du gouvernement de Vichy.

Dès lors, Laval va pratiquer un double jeu déshonorant en devançant les désirs de l'occupant allemand pour tenter de lui arracher des concessions, par exemple sur la libération des prisonniers de guerre. Il institue d'abord la «relève», autrement dit l'envoi de travailleurs volontaires en Allemagne en contrepartie de la libération de prisonniers. Puis, comme celle-ci ne suffit pas aux besoins de l'Allemagne, il institue le16 février 1943 le Service du Travail Obligatoire (STO). C'est pour beaucoup de jeunes gens un motif supplémentaire de rejoindre les maquis de la Résistance.

Contraint à une «collaboration» de moins en moins nuancée avec l'occupant allemand, Laval fait entrer dans son gouvernement, le 30 décembre 1943, Joseph Darnand. Le chef de la Milice, groupe paramilitaire pronazi, haï de la population, devient secrétaire général au Maintien de l'ordre en remplacement de René Bousquet. Le 16 mars 1944, c'est au tour de Marcel Déat. Cet intellectuel socialiste et pacifiste, auteur d'un article retentissant en 1939 (Mourir pour Dantzig?), converti à l'idéologie nazie, devient ministre du Travail et de la Solidarité nationale...

À l'arrivée des troupes alliées, Laval est évacué par les Allemands vers la forteresse de Sigmaringen. Il réussit à gagner l'Espagne de Franco mais ce dernier le livre aux nouvelles autorités françaises. Haï de tous, il est condamné à mort au terme d'un procès bâclé. Malgré des demandes de grâce adressées au général de Gaulle par des personnalités aussi diverses que Léon Blum et François Mauriac, il est fusillé le 15 octobre 1945, sur un sentier le long de la prison de Fresnes.

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