Affaire Delphine Jubillar
L'affaire Delphine Jubillar est une affaire criminelle qui débute par la disparition dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020 d'une mère de famille habitant Cagnac-les-Mines dans le Tarn. D'après son mari, elle aurait quitté le domicile familial entre 23 h et 4 h du matin vêtue d'une doudoune blanche, n'emportant que son téléphone portable. L'instruction judiciaire sur cette affaire s'avère difficile, d'autant que le sensationnalisme le dispute aux enquêtes journalistiques de terrain parfois confrontées à la réalité.
Delphine Aussaguel épouse Jubillar est infirmière, elle travaille de nuit à la clinique Claude-Bernard d'Albi. Elle est âgée de 33 ans en décembre 2020 et est mariée depuis juillet 2013 à Cédric Jubillar, autoentrepreneur exerçant le métier de peintre-plaquiste. Ensemble, ils ont deux enfants, un garçon et une fille, âgés de 6 ans et 18 mois au moment de sa disparition. À l'été 2020, Delphine Jubillar fait part de son désir de divorcer. D'après son avocate, ce divorce paraissait s'effectuer d'un commun accord.
Le 16 décembre au matin, Cédric Jubillar appelle la gendarmerie pour signaler la disparition de sa femme. Vers 4 h du matin, il avait envoyé à une proche de Delphine un message : « Dis à Delphine de rentrer. » Son interlocutrice lui avait répondu : « Non, Delphine n’est pas avec moi. » Les premières recherches des gendarmes mobilisent de nombreux moyens (chiens, drone, hélicoptères) et personnels (50 gendarmes réservistes). Le mercredi 23 décembre, près d'un millier de personnes, dont Cédric Jubillar, ratissent le terrain accidenté de la commune afin de retrouver Delphine Jubillar. Quelques objets (téléphone, couteau, vêtements) sont découverts. Le même jour, une information judiciaire est ouverte pour enlèvement et séquestration et le dossier est confié à deux juges d'instruction du tribunal de Toulouse. Le lendemain, la maison du couple est fouillée par les enquêteurs. Elle l'est à nouveau, plus longuement, le 6 janvier 2021, notamment par des spécialistes de l'institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale.
Le téléphone de Delphine Jubillar disparaît avec elle. Il cesse d'émettre le matin du 16 décembre dans un rayon de 2 km autour de son domicile. Son téléphone borne pour la dernière fois à 22 h 55 (puis passera sur messagerie à 7 h 48) ; il déclenche alors un relais proche du domicile mais qui n’est pas le relais auquel il borne habituellement lorsque Delphine est chez elle. La lampe torche du téléphone de Delphine n’a jamais été allumée ce soir là, alors que la rue n’était pas éclairée, qu’il faisait nuit noire et qu’elle a disparu sans son véhicule. Pourtant, le 13 janvier 2021 un message vide est posté depuis son compte Facebook (dont elle est a priori la seule à détenir les codes). Trois hypothèses sont avancées : celui d'un bogue de l'application, un piratage ou encore un dysfonctionnement résultant des investigations des enquêteurs sur le matériel informatique de la disparue. L'hypothèse du piratage aurait été privilégiée par les gendarmes. Le 9 février le téléphone semble se réactiver à nouveau (plus précisément l'application Messenger) sans que là encore une explication unique puisse être avancée. Lors de la conférence de presse du 18 juin 2021, il est précisé par le procureur que ces réactivations seraient une conséquence technique des recherches informatiques des enquêteurs, ce qui leur a été confirmé par Samsung.
Delphine Jubillar correspondait sur les réseaux sociaux avec un homme. Entendu par les gendarmes, il est mis hors de cause. Cet homme, surnommé dans la presse « le confident de Montauban » affirme en juin 2021 que Delphine Jubillar et lui projetaient de s'installer ensemble et que la nuit de sa disparition peu avant 23 h, elle lui avait envoyé une photo d'elle « en tenue de nuit, douchée et prête à aller se coucher », tenue qui sera retrouvée lors de la première perquisition dans le bac à linge sale. Un autre homme, dont le comportement envers Delphine Jubillar est qualifié de « pressant » ou d'« insistant » par une témoin (ce que ne corrobore pas une autre témoin), est entendu par les enquêteurs. Il avait déjà été condamné le 2 novembre 2020 dans une affaire liée (accidentellement) à la voiture du couple Jubillar. Il nie toute implication et les gendarmes ne semblent pas disposer d'éléments le reliant à l'affaire.
Les voisins signalent la présence d'un camping-car garé à proximité du domicile de Delphine Jubillar dans les jours précédant sa disparition. Retrouvé et entendu par les enquêteurs, le propriétaire du véhicule est mis hors de cause. Le 5 octobre 2021, des gendarmes spécialistes en spéléologie ont été sollicités à Cagnac-Les-Mines afin de poursuivre les recherches de Delphine Jubillar. Les amies de la disparue continuent elles-mêmes à organiser des battues à la recherche d’indices. Ces recherches sont rendues difficiles par la topographie vallonnée et le passé minier de la région. Cependant, selon des habitants, la plupart des puits auraient été recensés et rebouchés depuis longtemps.
Au moins trois demandes de parties civiles sont déposées dans cette affaire : celle de Cédric Jubillar, celle des frères et de la sœur de Delphine et celle d'amies proches et cousines de la disparue. La justice rejette cette dernière demande, ce dont leur avocat fait appel.
Le 16 juin 2021, Cédric Jubillar, le mari de Delphine Jubillar, sa mère ainsi que son beau-père sont placés en garde à vue par les gendarmes. Le 18 juin 2021, Cédric Jubillar est mis en examen pour meurtre aggravé, les juges d'instruction ayant conclu que trop d'éléments pesaient contre lui. Il est placé sous mandat de dépôt. À la suite de cette mise en examen, le procureur de la République de Toulouse apporte quelques éléments durant une conférence de presse. Vers 23 h le 15 décembre 2020, les cris d’une femme, supposément de la victime, auraient été entendus par deux témoins (deux voisines du couple), corroborant le témoignage de l’aîné de la famille, âgé de 6 ans, qui évoque une violente dispute entre ses parents ce même soir. Les enquêteurs révèlent que la voiture de Delphine a été déplacée dans la nuit, puisque garée à l’inverse du sens dans lequel Delphine Jubillar était censée l’avoir laissée, et il y avait également de la condensation à l’intérieur du véhicule qui, selon un expert, indique une présence humaine[réf. nécessaire] récente (à l’arrivée des gendarmes les clés de la voiture se trouvent dans le sac à main de Delphine, dans la maison).
Les enquêteurs s’interrogent également à propos du comportement adopté par Cédric Jubillar quelques minutes après la découverte de la disparition (le podomètre de son téléphone indique qu’il n’effectue qu’une quarantaine de pas entre le moment où il dit s’être aperçu de l’absence de Delphine et l’arrivée des gendarmes (lors d’une rapide recherche dans et autour de la maison avec les gendarmes, il en effectue alors 380 ; il expliquera qu’il n’a pas voulu la chercher à l’extérieur pour ne pas déranger les voisins). Lorsque les gendarmes arrivent à 4 h 50 du matin, une lessive est en route contenant la couette avec laquelle dormait son épouse (il expliquera que les chiens l’ont salie avec de la boue), alors que l'état de l'habitation était négligé. Ils s’interrogent plus particulièrement sur son empressement à contacter la gendarmerie seulement une quinzaine de minutes après son réveil. Il tente de joindre sa femme 180 fois jusqu’à 10 h, le matin de sa disparition, puis le lendemain matin (17 décembre) 2 fois, puis plus aucun appel ne sera effectué.
Par ailleurs, les enquêteurs sont surpris par la rapidité du deuil réalisé par l’accusé, qui laisse imaginer que ce dernier connaît le sort qui a été réservé à Delphine Jubillar. Les discours incohérents et changeants de Cédric Jubillar amènent les enquêteurs à s’interroger sur la fiabilité de son discours concernant le déroulement de la soirée, qui semble se heurter aux éléments en leur possession. D'après le procureur de la République, Cédric Jubillar « pouvait se montrer brutal, grossier, agressif ». Le 22 juin 2021, le logement du couple est à nouveau perquisitionné en présence de Cédric Jubillar. Une clé USB ainsi que des cartes mémoire de téléphones sont alors trouvées. Les enfants du couple sont placés chez la sœur de Delphine. Vendredi 15 octobre 2021, soit dix mois après la disparition de Delphine Jubillar, son mari Cédric est entendu au palais de justice de Toulouse par les deux magistrates qui l’ont mis en examen pour meurtre en juin. L’audition dure quatre heures et Cédric Jubillar y clame son innocence d’après ses avocats. Une autre audition est programmée le 3 décembre. Les avocats dénoncent la vacuité du dossier et annoncent qu'ils vont déposer une nouvelle demande de mise en liberté. Le 22 novembre 2021, la cour d'Appel de Toulouse a refusé la nouvelle demande de remise en liberté de Cédric Jubillar.
Depuis l'ouverture de l'instruction mi-décembre 2020, la résonance de l'affaire Delphine Jubillar s'amplifie. À mesure que le mystère s'épaissit, les médias multiplient les publications exposant divers aspects du sujet. Le sensationnalisme le dispute aux enquêtes journalistiques de terrain. Comme pour les affaires Grégory et Dupont de Ligonnès, l'intérêt pour ce fait divers devient national. Sur le web, des internautes, toujours plus nombreux, se mobilisent pour mener l'enquête parallèlement aux journalistes et aux gendarmes. Dans plusieurs groupes Facebook, des détectives amateurs cherchent et diffusent des informations, émettent des hypothèses, échafaudent des théories, tentent d'élucider des zones d'ombre qu'ils croient déceler et désignent un coupable. Fin juin 2021, deux de ces groupes rassemblent respectivement 8 000 et 4 500 membres.
Très vite apparaissent, notamment sur les réseaux sociaux, des comparaisons avec l'affaire Daval. Dans cette affaire de meurtre sur conjoint, jugée à la cour d'assises de la Haute-Saône à Vesoul quelques semaines avant la disparition de Delphine Jubillar, le mari avait signalé la disparition de son épouse et participé aux recherches, avant d'avouer le meurtre. Ce parallèle est dénoncé par l'avocat de Cédric Jubillar ; le mari de la disparue, contrairement à Jonathan Daval, ne fait aucune déclaration aux journalistes.
Selon Michel Mary, journaliste au Nouveau Détective et expert en faits divers, l'engouement médiatique et populaire s'explique par l'accentuation au fil du temps du caractère énigmatique de l'affaire, les incohérences apparues dans les faits rapportés par les médias, l'identification possible d'une partie du grand public à la famille Jubillar et l'attention récente portée par la société française sur les crimes conjugaux1. Selon l'anthropologue Lucie Jouvet-Legrand de l'université de Franche-Comté, les affaires non élucidées sont autant d'occasions de créer du lien social via les moyens de communications numériques modernes. Le psychanalyste Patrick Avrane décrit les médias sociaux comme des « bistros élargis », où chacun peut élaborer le récit qui lui convient. Des avocats chargés du dossier et des membres de la famille Jubillar déplorent, dans les médias et sur le web, une influence néfaste des enquêteurs amateurs sur le déroulement de l'affaire et les personnes impliquées.
Bien que circonspects, les gendarmes qui mènent les investigations surveillent les informations circulant en ligne. Pour Michel Moatti, sociologue des médias, la médiation numérique ajoute l'interactivité au frisson que procure la lecture des faits divers rapportés par les diffuseurs de contenus d’actualité. Des internautes se prennent pour des contributeurs au développement de l'enquête35. Ils s'improvisent experts, journalistes et enquêteurs, et, en promouvant leurs propres analyses des faits, prétendent faire mieux que les professionnels. Mais leur activité numérique relève davantage du jeu de rôle, du Cluedo ou du jeu vidéo. Le sociologue dénonce un « parasitage » de l'expertise journalistique et policière véritable, susceptible de produire des fake news et des théories complotistes et de déboucher sur la mise en accusation publique de faux coupables.