Sobhraj Charles
Hatchand Bhaonani Gurumukh Charles Sobhraj, dit Charles Sobhraj, et surnommé « Le Serpent », né le 6 avril 1944 à Saïgon, est un tueur en série français qui, dans les années 1970, aurait tué 18 personnes, essentiellement des touristes qui parcouraient l'Asie. Il doit son surnom de « Serpent » au fait qu'il a réussi à manipuler ses victimes, à échapper longtemps à la police et à s'évader de plusieurs prisons. On le dit à la fois escroc, séducteur, détrousseur de touristes, roi de la cavale, expert en poisons et « meurtrier diabolique ».
Sobhraj est né d'une mère vietnamienne, Tran Loan Phung, et d'un père indien, Sobhraj Hatchard Bavani. Ses parents se séparent quand il a 3 ans. Alors que sa mère épouse un lieutenant français et s'installe avec lui à Marseille, où elle fonde une nouvelle famille, le jeune Charles reste avec son père au Vietnam. Malgré son jeune âge, celui-ci le laisse vagabonder dans les rues et ne s'en occupe pas. Quatre ans plus tard, sa mère, de retour à Saïgon, décide de le prendre à sa charge et le ramène en France. Sobhraj obtient la nationalité française à cette époque (auparavant il était apatride). Sa mère l'élève à la dure. Il devient délinquant. Il est alors placé dans un pensionnat. Au début des années 1960, il commence à commettre une série de vols et de larcins. À 19 ans, il est arrêté et écope de trois ans de prison pour divers vols. Libéré en 1967, il s'éprend d'une jeune Française, Chantal Compagnon, qu'il épouse quelque temps plus tard. Il essaie de rentrer dans le droit chemin et travaille un moment dans un restaurant. Comme il a un certain goût pour le luxe, le salaire ne lui convient bientôt plus et il retombe vite dans la délinquance. Le vol d'une voiture le ramène en prison en 1970.
Libéré en 1970, il recommence les vols mais craint de se faire arrêter de nouveau. Accompagné de sa femme, il quitte alors la France pour Bombay, en Inde, où il se met à la tête d'un réseau de vols de voitures. C'est également à cette époque qu'il commence à voler les touristes. Son modus operandi est toujours le même : d'abord, il se lie d'amitié avec ces derniers, puis les drogue et les vole. Ses victimes favorites sont les jeunes hippies qui courent alors les routes de l'Asie, à la recherche de drogues ou d'une nouvelle spiritualité. En 1971, il réussit un vol audacieux à la bijouterie de l'hôtel gouvernemental Ashoka à New Delhi. Aidé d'un complice, il s'introduit dans la chambre de la danseuse américaine Gloria Mandelik, qui loge juste au-dessus de la bijouterie, et tente de percer un trou dans le plancher. Voyant qu'il ne réussit pas son coup de cette façon, il oblige Mandelik, qu’il tenait prisonnière, à faire venir un commis de la bijouterie qu'il force à lui remettre les bijoux.
Les deux complices s'enfuient. À l'aéroport, voyant qu'ils vont être fouillés, ils prennent peur et se sauvent en laissant leurs bagages. Sobhraj est cependant capturé à Bombay et est condamné pour vols de bijoux. Il parvient à s'évader de prison en droguant un gardien. Il est rattrapé et ramené mais peut vite ressortir grâce à sa femme qui a trouvé assez d'argent pour payer la caution. Le couple quitte l'Inde et s'installe à Kaboul en Afghanistan où Sobhraj recommence à voler les touristes. En 1973, lui et sa femme se retrouvent en prison parce qu'ils n'ont pas payé la note d'un hôtel. Sa femme purge sa peine puis retourne en France pour se faire oublier, mais Sobhraj parvient de nouveau à s'évader. En 1974, il est arrêté en Grèce pour vol de bijoux. Il s'évade de la prison de Korydallós où il était incarcéré, puis retourne en Inde afin de se bâtir un nouveau réseau.
Les meurtres en bikini
Au printemps 1975, à Srinagar, Sobhraj rencontre la Québécoise Marie-Andrée Leclerc en vacances et la persuade de venir le rejoindre en Thaïlande l'été suivant. Celle-ci, amoureuse et subjuguée, consent à se faire complice dans les escroqueries qu'il perpétue. Sobhraj s'adjoint également un autre acolyte nommé Ajay Chowdhury. Né à Bombay et âgé de 21 ans, portant constamment un couteau à cran d'arrêt sur lui, Chowdhury sera plus tard décrit comme son tueur à gages. À partir de l'automne 1975, les crimes de Sobhraj et de son équipe prennent un tour beaucoup plus tragique. Le groupe emménage dans un appartement d'une maison nommée Kanith House, rue Saladaeng à Bangkok d'où ils partent à la recherche de touristes en quête de pierres précieuses. Sous différents pseudonymes (Alain Dubois, Alain Gauthier, Roland Liser, Jacques-Pierre Marchand ou Charles Surder, par exemple), Sobhraj se fait passer pour un vendeur de bijoux rares. Après avoir amadoué ses victimes, il les drogue en versant une substance quelconque dans leur breuvage et leur vole leur argent, leurs papiers et leur passeport lorsqu'ils sont sans connaissance.
Le 5 septembre, Sobhraj et Leclerc rencontrent deux Australiens, Russell et Vera Lapthorne, à Hua Hin, à plus de 100 km au sud de Bangkok. Ils les droguent et les dépouillent de leurs biens. Lorsqu'ils se réveillent, ceux-ci portent plainte mais l'enquête ne mène nulle part. À la fin septembre, le couple Sobhraj-Leclerc reçoit la visite d'un touriste français, Dominique Renelleau, qu'ils avaient rencontré peu auparavant à Chiang Mai, au nord de la Thaïlande. Il tombe malade aussitôt arrivé à Kanith House. Le couple déclare qu'il s'agit d'une dysenterie et le soigne tout en lui subtilisant son passeport. Il restera à Kanith House jusqu'en décembre. Au début d'octobre, deux autres touristes français, Jean-Jacques Philippe et Yannick Mésy, emménagent dans l'appartement dans les mêmes circonstances. Eux aussi tombent malades et Sobhraj leur emprunte également leurs passeports.
Le 17 octobre 1975, Sobhraj et Leclerc font la connaissance d'une jeune touriste américaine de 18 ans, Teresa Ann Knowlton, partie étudier le bouddhisme au Népal, et qui a décidé de faire une escale en Thaïlande. Quelques années plus tard, Sobhraj racontera ce qui s'est passé lors d'une interview avec le journaliste Richard Neville. Il a invité la jeune hippie dans une boîte de nuit sur la plage de Pattaya et a mis un sédatif nommé Mogadon dans son café. Avec sa complice, il l'a ensuite transportée sur la plage, l'a revêtue d'un bikini puis l'a étranglée. Il a invoqué comme raison qu'il n'aimait pas les drogués et qu'il était certain que sa victime était une vendeuse de drogues. Un pêcheur découvrit le cadavre au bord de l'eau le lendemain matin. Les autorités croient d'abord qu'elle s'est noyée et l'enterrent sans plus attendre. Ce n'est que plusieurs mois plus tard qu'elles déterrent le cadavre, l'autopsient et l'identifient. Il s'agit du premier meurtre connu de Sobhraj. D'autres ne tardent pas. En novembre, un jeune Turc, Vitali Hakim, lui achète pour 1 600 dollars de pierres précieuses. Sobhraj lui propose de partir avec lui dans une autre ville pour d'autres achats. Son cadavre est découvert le 29 novembre sur le bord de la route menant à Pattaya. L'autopsie démontrera que le corps a été brûlé alors qu'il était encore vivant.
Le 14 décembre, le corps de Stéphanie Anne-Marie Parry est retrouvé sur la plage de Pattaya. Elle était venue à Bangkok à la recherche de son ami Hakim. C'est à Kanith House qu'elle est vue vivante pour la dernière fois. Le 7 décembre, lors d'un voyage à Hong Kong, Sobhraj rencontre un couple néerlandais, Heinricus Bintanja et Cornelia Hemker, qui sont à la recherche de bijoux rares. Il les persuade de venir le retrouver à Bangkok. Le 11, ils arrivent à Kanith House. Le 16, leurs corps sont retrouvés dans un fossé sur le bord de la route. L'autopsie démontre qu'ils ont été battus avant d'être assassinés et brûlés. Le 18 décembre, Sobhraj, Leclerc et Chowdhury prennent la route du Népal en utilisant les passeports de Heinricus Bintanja, Cornelia Hemker et Vitali Hakim. À Katmandou, ils font la connaissance du Canadien Laurent Carrière et de son amie, l'Américaine Connie Jo Bronzich, à qui ils proposent de leur fournir des pierres précieuses. Carrière disparaît le 21 décembre et son amie le lendemain. Leurs corps sont retrouvés brûlés dans un champ aux environs de Katmandou quelque temps plus tard. Le 23 décembre, Sobhraj retourne en Thaïlande avec ses deux complices. Pour brouiller les pistes, il s'est servi du passeport de Laurent Carrière. Lorsqu'ils arrivent à Kanith House, ils s'aperçoivent que les trois touristes français qu'ils hébergeaient ont disparu. Pendant leur absence, ils avaient réussi à ouvrir le coffre-fort de Sobhraj et découvert 12 passeports volés, dont certains appartenaient à des personnes qu'ils savaient avoir été assassinées. Prenant peur, ils fuient.
La traque
Le 26 décembre, le trio est de retour à Katmandou. L'enquête sur l'affaire Carrière-Bronzich a débuté et les soupçons se sont très vite portés sur eux. Ils sont arrêtés et placés en résidence surveillée à l'hôtel où ils sont installés. La négligence des gardiens fait qu'ils réussissent à s'évader et ils parviennent plus tard à franchir la frontière indienne. La police népalaise croit alors avoir affaire à un certain Alain Gauthier. Au début janvier 1976, Sobhraj, Leclerc et Chowdhury arrivent à Bénarès où ils descendent dans un hôtel. Chowdhury partage sa chambre avec Allan Aren Jacobs, un touriste israélien de 35 ans. Le lendemain, après le départ du trio, Jacobs est retrouvé assassiné. On l'a délesté de son argent et de son passeport après l'avoir drogué à mort. Le 9 janvier, ils récidivent dans le sud de l'Inde, non loin de Goa, où ils droguent 6 touristes français. Lorsque ceux-ci se réveillent, 36 h plus tard, ils découvrent que leur argent, leurs passeports et leurs cartes de crédit ont disparu. Enfin, fin janvier, Sobhraj et Leclerc dépouillent un touriste américain à Hong Kong.
En février, le trio est de retour à Bangkok où ils réussissent à se trouver un nouveau complice, Jean Dhuisme, un Français originaire d'Orléans. Cependant, en Thaïlande, l'enquête sur les meurtres de l'automne 1975, que l'on a surnommés les « assassinats en bikini », a commencé à évoluer. Herman Knippenberg, secrétaire à l'ambassade des Pays-Bas, a commencé depuis quelques semaines à enquêter sur les disparitions de Heinricus Bintanja et de Cornelia Hemker. Après avoir interrogé certains témoins, il parvient à découvrir que Kanith House où habite un certain Alain Gauthier est le dernier lieu où a résidé le couple. Il parvient non sans mal à persuader la police thaïlandaise de perquisitionner l'appartement. Le 11 mars, les policiers font une rapide visite mais déclarent n'avoir rien trouvé de louche. Alertés, Sobhraj, Leclerc et Chowdhury quittent aussitôt le pays. Quelques jours plus tard, une perquisition plus approfondie permet de découvrir des passeports, des journaux intimes, des cartes de crédit et des livres ayant appartenu au couple néerlandais, à Vitali Hakim et à Teresa Knowlton.
Le trio parvient à franchir la frontière malaisienne. C'est là que Chowdhury disparaît. Plus personne ne le reverra jamais vivant et il est probable que seul Sobhraj sache ce qu'il est devenu. Après un court séjour en Malaisie, Sobhraj et Leclerc retournent en Inde où Jean Dhuisme vient bientôt les rejoindre. Le couple se tient tranquille pendant quelque temps. Au printemps, Sobhraj fait entrer deux femmes dans son équipe. Il s'agit de Mary Ellen Eater, une Australienne de 22 ans, et de Barbara Sheryl Smith, une Britannique de 26 ans. Sobhraj les persuade de se joindre à eux pour droguer les touristes, les voler et partager les bénéfices. Le 2 juillet, le touriste choisi est Luc Salomon, un Français. Il ne résiste pas à la drogue. Son cadavre est retrouvé dans sa chambre de l'hôtel Ranjit à Bombay. Le 5 juillet 1976, il est à l'hôtel Vickram de New Delhi18 où il fait la connaissance d'une vingtaine d’élèves ingénieurs de l’école nationale d'ingénieurs de Tarbes en voyage de fin d'études. Il se lie d'amitié avec eux et leur conseille de prendre des médicaments contre la dysenterie, qu'il leur distribue. La drogue agit trop rapidement et les touristes commencent à tomber les uns après les autres dans le hall de l'hôtel. Après une rapide enquête, Sobhraj, Leclerc, Eater, Smith et Dhuisme sont appréhendés.
Le procès et la prison
La police indienne s'aperçoit rapidement qu'elle a affaire à un escroc d'envergure internationale, d'autant plus que Eater et Smith avouent que le gang est impliqué dans le meurtre de Luc Salomon. En 1977, pendant que Sobhraj est en attente de son procès, le journaliste Richard Neville réussit à obtenir de lui une interview. Il lui avoue alors tous ses crimes avec un luxe de détails sordides. Quelques années plus tard, Neville écrira The Life and Crimes of Charles Sobhraj, dans lequel il décrit tout le parcours du tueur depuis ses débuts. Sobhraj transforme son procès en spectacle, renvoyant ses avocats, interpellant les témoins, puis commençant une grève de la faim. Il est condamné à 12 ans de prison, alors qu'il était passible de la peine de mort. Eater et Smith sont condamnées à deux ans de prison, alors que Dhuisme est innocenté faute de preuves. Sa principale complice, Marie-Andrée Leclerc, écope de six ans de prison. En 1983, très malade, elle est libérée et peut retourner chez elle au Québec. Elle meurt d'un cancer des ovaires en 1984. Dans la prison de Tihar à New Delhi, Sobhraj soudoie tous les gardiens et mène la belle vie (télévision, téléphone, repas choisis, vins de luxe). Devenu célèbre, il accorde des interviews où il se donne le beau rôle et parle avec décontraction de ses meurtres.
Cependant, il risque, à sa sortie de la prison indienne, d'être extradé vers la Thaïlande, où il encourt la peine de mort pour le meurtre d'une Américaine. Le 13 mars 1986, pendant sa dixième année de captivité, il organise une grande fête dans la prison indienne, et s'évade après avoir offert à ses gardiens des sucreries aux somnifères. Puis il se laisse rattraper trois semaines plus tard, à Goa. Ainsi, comme il l’avait prévu, il écope de dix années de prison supplémentaires, grâce à quoi la demande d'extradition de la Thaïlande expire, le mettant à l'abri d'être jugé et exécuté là-bas. Le 17 février 1997, après 21 années à Tihar, Sobhraj est libéré et retourne en France. Il s'installe dans le quartier chinois de Paris, engage Jacques Vergès, et négocie financièrement toutes ses interviews (5 000 euros) et photographies. On parle même d'un contrat de 15 millions de francs offert pour un film inspiré de sa vie. Les familles de victimes et le diplomate Knippenberg ne parviennent pas à le faire extrader. Mais, en septembre 2003, Sobhraj commet une erreur : il se rend au Népal, en tant qu'assistant producteur pour une société parisienne, dans le cadre d'un documentaire pour la télévision. Reconnu par un journaliste dans les rues de Katmandou, il est arrêté par les autorités locales, qui le soupçonnent du double meurtre en 1975 d'une Américaine et d'un Canadien. En août 2004, il est condamné à la prison à perpétuité (20 ans maximum au Népal) pour le meurtre de l'Américaine Connie Jo Bronzich.
En 2008, Sobhraj a annoncé ses fiançailles avec une femme népalaise, Nihita Biswas. L'authenticité de la relation du couple a été confirmée dans une lettre ouverte du chef d'orchestre américain David Woodard à The Himalayan Times. En 2010, il épouse en prison son interprète, la fille de son avocate, 20 ans, soit 44 ans plus jeune que lui. Un de ses geôliers confie en 2021 à Paris Match : « C’est une légende ; il n’y a pas de preuve de leur union ». Toutefois, elle lui donne de son sang en 2017 pour le sauver lors d'une opération à cœur ouvert. Il est toujours détenu au Népal ; en septembre 2014, il a été condamné pour un second meurtre, celui du touriste québécois Laurent Carrière. Pourquoi s'est-il rendu au Népal ? La question reste posée. Dans des interviews à Paris, pour lesquels il réclamait des milliers de dollars, il avait dit vouloir retrouver l'Asie et y fonder une école pour enfants indigents. Un quotidien de Katmandou a rapporté qu'il avait le projet de se lancer dans l'exportation de textile du Népal. D’après Richard Neville, auteur d'une biographie publiée en 1979, Sobhraj aurait dit : « Tant que je peux parler aux gens, je peux les manipuler ». En janvier 2021, Netflix et BBC One sortent une série s’inspirant des faits. Avec Tahar Rahim dans le rôle de Charles Sobhraj, Le Serpent retrace le parcours de l'escroc assassin et la traque dont il a fait l'objet. Le 21 décembre 2022, la plus haute juridiction du Népal, ordonne sa libération pour des raisons de santé.
Les « meurtres en bikini »
- Teresa Ann Knowlton, Bangkok (Thaïlande), 1975.
- Vitali Hakim, Bangkok (Thaïlande), 1975.
- Stéphanie Anne-Marie Parry, Bangkok (Thaïlande), 1975.
- Heinricus Bintanja, Bangkok (Thaïlande), 1975.
- Cornelia Hemker, Bangkok (Thaïlande), 1975.
Après la Thaïlande
- Laurent Carrière, Katmandou (Népal), 1975.
- Connie Jo Bronzich, Katmandou (Népal), 1975.
- Allan Aren Jacobs, Bénarès (Inde), 1976.
- Jean-Luc Salomon, Bombay (Inde), 1976.