Breton André
André Breton pape, mage, héros du monde occidental, place forte, les substantifs ne manquent pas pour désigner André Breton, dont la personnalité fut le point de ralliement de
tous ceux qui, après l'une des plus grandes hécatombes de l'histoire, refusèrent de s'en tenir à l'idéologie humaniste. Créateur du mouvement surréaliste, dont il fut le théoricien et
l'animateur, Breton a cependant suivi une voie qui lui est propre. Il n'a pas été tout de suite possédé par le « démon de la littérature ». « Objet d'un appel diffus » dont il ignore la nature et
encore davantage le moyen d'y répondre, il entreprend à l'âge de dix-sept ans des études de médecine pour satisfaire les ambitions familiales, mais « la sollicitation est ailleurs ».
La même année, il noue des relations suivies avec Valéry. Il voue une grande admiration à Mallarmé, Huysmans, Baudelaire, Barrès : le jeune Breton a des goûts quasi classiques, et, si ce n'était cet « appel » qui le dérange et cet « ailleurs
» qui le préoccupe, on pourrait penser qu'il est sur le point de devenir un écrivain professionnel. Il en présente tous les symptômes : intérêt pour la littérature, amitiés littéraires, légère
inquiétude. Dès 1919, il fait paraître son premier recueil de poèmes, Mont de piété, nettement influencé par Mallarmé.
Pendant la guerre, Breton est mobilisé comme interne à l'hôpital de Nantes, où il fait la connaissance de Jacques Vaché (1916). Avec Vaché, « tout était bravé », et plus particulièrement l'art et
la littérature. À partir de cette rencontre déterminante, Breton procède à une remise en question radicale de ses jugements antérieurs. Il commencera par renoncer à ses études de médecine.
Pendant son séjour à Nantes, il fait plus ample connaissance avec l'œuvre de Rimbaud. Il est ensuite affecté au centre psychiatrique de Saint-Dizier. Il étudie les théories de Freud alors peu
connues, et plus particulièrement celles qui concernent le monde des rêves.
La guerre terminée, de retour à Paris, Breton va agir. Avec Soupault et Aragon, il fonde la revue Littérature
(1919). Ensemble, ils se livrent à des expériences (notamment de sommeil hypnotique avec Desnos) qui provoquent la découverte de l'écriture automatique, illustrée par les Champs magnétiques
(1920) dus à la collaboration de Breton et de Soupault. Dans le même temps, le groupe se trouve « une convergence de lignes » avec le mouvement dada. Mais, dès 1922, Breton rompt avec dada : «
Nous étions pour un renouvellement radical des moyens, pour la poursuite des mêmes buts, mais par des voies résolument différentes. » Cette scission oblige Breton et ses amis à préciser leurs
objectifs. Renforcé par la présence d'Éluard, de Crevel, le groupe multiplie les expériences (jeux, rêves éveillés), dont la pratique et la réflexion quotidienne aboutissent à la rédaction par
Breton du Manifeste du surréalisme (1924), qui proclame « la toute-puissance du rêve et le jeu désintéressé de la pensée ». En 1930 paraîtra un Second Manifeste du surréalisme, qui ne fait que
confirmer le premier. Tout au long d'articles réunis dans les Pas perdus (1924), Point du jour (1934), la Clé des champs (1953), Breton ne cessera d'affirmer cette profession de foi. Il
appliquera également ses méthodes à une étude sur la peinture dans le Surréalisme et la peinture (1928).
Mais, dans le même temps, le théoricien d'un nouvel art de vivre, intransigeant, lié à un art de ne plus penser et écrire selon les convenances traditionnelles, n'en demeure pas moins un poète
trop souvent méconnu. Dès la parution de Clair de terre (1923), puis avec l'Union libre (1931), le Revolver à cheveux blancs (1932), l'Air de l'eau (1934), Breton met en pratique les idées
exprimées dans le Manifeste. Il cherche à atteindre par la poésie ce « point de l'esprit d'où la vie et la mort, le réel et l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et
l'incommunicable, le haut et le bas cessent d'être perçus contradictoirement ». C'est ainsi que l'image poétique se forme, délivrée de tous les stéréotypes, sous le contrôle d'une raison
déraisonnable au regard de la logique, « la plus forte », étant « celle qui présente le degré d'arbitraire le plus élevé ». L'image n'est qu'un « tremplin » ; elle laisse toutes les possibilités
d'imaginer ce qu'elle représente- si toutefois elle « représente »-, n'ayant pour fonction que d'éclater, de provoquer l'« étincelle » jaillie du « rapprochement en quelque sorte fortuit de deux
termes » (« sur le pont la rosée à tête de chat se berçait »).
L'œuvre en prose de Breton présente un aspect beaucoup plus classique. Cependant, malgré l'instrument conventionnel de la langue, qu'il ne semble guère vouloir éprouver, Breton demeure à la
recherche de la vie réelle réconciliée avec le rêve. Nadja (1928) est l'exemple type de ces récits rapportant un épisode de sa vie, qui peut apparaître comme une fiction. Ce récit n'est que la
découverte des relations qui unissent Nadja et Breton. Au hasard de longues promenades dans les rues, chaque événement, dont ils sont tous les deux témoins, est poussé, à l'aide du pouvoir de
l'inconscient, au-delà des apparences, parachevant ainsi le donné incertain et fluctuant du réel. Ce qui pouvait passer pour le fait du hasard devient « objectif ». Nadja, qui est douée de
pouvoirs inhabituels, détient la vraie vie, mais elle est la preuve de l'impossibilité qu'il y a encore de concilier le rêve et la réalité : elle sera enfermée dans un asile d'aliénés. Pourtant,
le temps de leur rencontre, le rêve s'est réalisé, la vie a été rêvée : deux êtres exceptionnels ont su tirer du quotidien l'extraordinaire.
D'une façon plus expérimentale, mais toujours dans la même perspective, Breton, dans les Vases communicants (1932), poursuit cette exploration du domaine de l'inconscient. Il note une série de
rêves et essaie de trouver leurs corrélations avec des faits de la vie éveillée. Cette attention permanente au moindre événement de la vie diurne ou nocturne permet d'étayer l'existence, soutenue
ainsi par une trame permanente où chaque fait trouve sa signification et guide vers un « point suprême » une vie qui jusque-là se perdait dans la confusion. Cette « soif d'errer à la rencontre de
tout », cette recherche continue des relations qui unissent les objets et les individus les uns aux autres, les prémonitions, l'attention aux coïncidences, cet examen permanent des données du
réel pour tenter de l'éclaircir et d'atteindre à une « transparence totale de la réalité » se manifestent encore sous forme de récits dans l'Immaculée Conception (1930), l'Amour fou (1937),
Arcane 17 (1947).
Mais ce changement de la vie tel que l'entend Breton n'a pas de raison d'être sans la transformation du monde. Cette expérience individuelle doit pouvoir être faite par tous et tous doivent
trouver les conditions matérielles qui la rendraient réalisable. C'est pourquoi, dès 1925, Breton et ses amis se joignent au groupe d'intellectuels communistes de la revue Clarté. En 1927, il
adhère au parti communiste. Il s'efforce, la « révolution surréaliste » étant faite, de mettre « le surréalisme au service de la révolution ». Les communistes trouvent suspect ce concours, qu'ils
jugent idéaliste, et, après maintes tentatives de conciliation, la rupture est définitive en 1933. Cependant, jusqu'à sa mort, Breton ne cessera de prendre position sur les problèmes de l'heure
(guerres d'Espagne, d'Algérie, du Viêt Nam).
Breton travaille d'ailleurs sans relâche à étendre l'audience de l'activité surréaliste : il participe à des manifestations à Prague (1935), à Londres (1936), à Mexico (1938). En 1938 a lieu la
première exposition surréaliste à Paris. Mais lorsque éclate la Seconde Guerre mondiale, Breton s'exile aux États-Unis (l'Anthologie de l'humour noir est censurée par le gouvernement de Vichy),
où il travaille avec Marcel Duchamp à des expositions d'art surréaliste et à la nouvelle revue VVV.
Après la guerre se reconstitue à Paris un groupe très différent du premier courant surréaliste, mais qui reconnaît toujours un maître à penser en Breton qui signe des tracts, dirige des revues
(Néon, le Surréalisme même, la Brèche), dénonce les supercheries littéraires (Flagrant Délit, 1949), donne en 1952 des Entretiens à la Radiodiffusion française, au cours desquels il fait le point
sur toutes les controverses qu'il anima.
Malgré les attaques dont il fut l'objet, Breton n'a jamais failli à la ligne de conduite qu'il s'était tracée depuis sa rencontre avec Jacques Vaché. On a pu lui reprocher un autoritarisme quasi
dictatorial lorsqu'il excluait, selon son bon plaisir, usant du prestige qu'il avait auprès de ses amis, ceux du groupe qui s'étaient écartés de la « voie royale de l'inconscient ». Il ne faisait
qu'exercer à leur égard l'intransigeance qu'il exigeait de lui-même, refusant toutes les compromissions, les honneurs, ne réclamant qu'une fidélité sans faille à des principes fondamentaux qu'il
maintint avec une constance remarquable, faisant de sa vie et de son œuvre une ascèse, une purification.