Klemperer Victor
Victor Klemperer (né le 9 octobre 1881 à Gorzów Wielkopolski, mort le 11 février 1960 à Dresde) est un écrivain et philologue
allemand. Il figure dans l'encyclopédie Brockhaus des années 1920 avec ses frères Georg (de) et Felix, médecins renommés. Romaniste éminent, il est l'auteur d'une histoire de la littérature
française et de Lingua Tertii Imperii, décryptage de la novlangue nazie utilisée comme moyen de propagande. Le chef d'orchestre et compositeur Otto Klemperer (1885-1973) était son cousin. Victor
Klemperer était le huitième enfant d'un rabbin appartenant au judaïsme réformé et qui, en 1890, devint 2ème prédicateur de la communauté juive réformée de Berlin. Il étudie quatre ans au Collège
français de Berlin (1893-1897) mais le quitte avant le baccalauréat pour entrer en apprentissage dans le commerce.
En 1900, cependant, il reprend ses études au Gymnasium royal de Landsberg et passe l'Abitur en 1902. Il étudie la philosophie et la philologie des langues romanes et germaniques à Munich, Genève,
Paris et Berlin. En 1906 il épouse Eva Schlemmer, pianiste et musicologue et gagne sa vie comme écrivain. En 1912, il se convertit au protestantisme. Il réussit son doctorat en 1912, puis obtient
l'habilitation à enseigner en 1914. En 1914 et 1915, Victor Klemperer travaille comme lecteur à l'Université de Naples et s'engage ensuite comme soldat, d'abord dans l'artillerie, puis dans la
censure militaire. En 1920, il devient professeur de philologie romane à l'université technique de Dresde. Il est spécialiste de littérature française du XVIIIe siècle, publiant de 1925 à 1931 en
quatre volumes une Littérature française de Napoléon à nos jours.
Pendant le Troisième Reich, Victor Klemperer se voit interdire le droit d'exercer un métier intellectuel en raison de ses ascendances juives. En avril 1935, il est mis à la retraite anticipée en
tant que « non-Aryen ». Il écrit à propos de son éviction de l'université : « J'ai l'impression de me retrouver comme Ulysse face à Polyphème [qui lança à sa victime désignée]: "Toi, je te
dévorerai en dernier". » Son journal personnel, qu'il avait commencé avant 1933, devient alors un moyen intellectuel de survie. Il y note jour après jour toutes les manipulations des nazis sur la
langue allemande. Cette langue du Troisième Reich, Klemperer l'appelle Lingua Tertii Imperii, qu'il code pour plus de sûreté par les lettres LTI (voir plus bas). Il travaille aussi à son Histoire
de la littérature française au XVIIIe siècle, l'œuvre de sa vie, commencée bien avant la période nazie, et qui n'est publiée qu'en 1954 et 1960.
Pendant la période du national-socialisme, Klemperer vit à Dresde. Après avoir vendu la maison qu'ils avaient fait construire et qu'ils avaient habitée au début des années 1930 à
Dresde-Dölzschen, Victor Klemperer et son épouse, Eva, sont contraints d'habiter dans une « maison de Juifs » (Judenhaus). Le fait que Eva soit « aryenne » permet à son mari d'échapper à la
déportation en camp de concentration jusqu'au 13 février 1945. C'est en effet à cette date que les autorités décidèrent de déporter aussi les « couples mixtes », alors que le camp
d'Auschwitz-Birkenau était déjà aux mains des Alliés. Victor et Eva Klemperer ne durent leur survie qu'à l'attaque aérienne survenue le soir même, dans la nuit du 13 au 14 février 1945. Ils
décidèrent alors de profiter de la confusion qui s'ensuivit pour s'enfuir, dans une Allemagne en proie au chaos de la déroute.
Après une fuite de plusieurs mois à travers la Saxe et la Bavière, les Klemperer revinrent en juin 1945 à Dresde et finirent par retrouver leur maison à Dölzschen. Klemperer employa les mois
suivants, pendant lesquels son avenir professionnel restait incertain, à la rédaction de son livre LTI, qui parut en 1947. Émigrer dans les zones occidentales était hors de question pour lui, car
il aimait mieux passer le reste de sa vie avec les « rouges » plutôt qu'avec les anciens « bruns ». Après une courte réflexion, Eva et Victor adhérèrent au KPD et firent ainsi partie au sens le
plus large de l'élite politique de Dresde. De 1947 à 1960, Klemperer enseigna aux universités de Greifswald, Halle et Berlin. En 1950, il fut nommé député à la chambre du peuple est-allemande en
tant que représentant du Kulturbund, ainsi que membre titulaire de l'Académie des Sciences, et il essaya de donner à la langue française une place convenable en RDA.
Après la mort d'Eva Klemperer, le 8 juillet 1951, il se remaria en 1952 avec Hadwig Kirchner, une germaniste de quarante-cinq ans sa cadette, qui participa après sa mort à la publication de ses
notes quotidiennes. Victor Klemperer mourut en février 1960 à l'âge de 78 ans. Il repose au cimetière de Dresde- Dölzschen. L'allemand permet de créer des mots composés et les nazis ne se sont
pas privés de cette possibilité pour inventer des mots à même de servir leur propagande. Il y a donc eu une langue nazie. Ce sont les particularités de cette « novlangue » que Victor Klemperer a
consciencieusement notées pendant les années du nazisme, ce qui lui servait aussi à garder son esprit critique et à résister individuellement à l'emprise du régime hitlérien.
Par exemple, les nazis ont beaucoup utilisé le préfixe Volk-, le peuple (ex : Volkswagen), parce qu'ils voulaient donner l'impression qu'ils servaient le peuple. Ils ont aussi remis au goût du
jour certaines runes du Moyen Âge, c'est de là que vient le sigle en éclair des SS. Là, le but était de faire croire à toute la population que le nazisme n'était pas nouveau mais qu'il était issu
de l'Allemagne ancienne, qu'ils incarnaient la vraie Allemagne. Et que sur les décombres de la crise de 1929 le IIIe Reich durerait 1000 ans. Il souligne aussi l'importance chez les nazis du
vocabulaire organique pour décrire la société comme un ensemble vivant, tendance préférée volontairement à une pensée systémique. Klemperer souligne dans ses carnets toutes les possibilités
d'asservir une langue, et donc la pensée elle-même, à l'œuvre de manipulation des masses. Pourtant, les nazis ont récupéré la plupart de leurs traditions chez les fascistes italiens, par exemple
les grandes réunions publiques dans des stades, le salut avec la main tendue, les chemises brunes (noires en Italie), les bannières, le tribun qui éructe devant la foule…
Victor Klemperer a tenu un journal tout au long de sa vie. La partie qui couvre la période nazie a été publiée en Allemagne en 1995 avant d'être traduite en 2000 en français. Dans son Journal, il
mêle les détails de la vie quotidienne, les observations politiques et sociales, les réflexions sur la nature humaine et sur la nature de la langue, toutes deux perverties par le IIIe Reich.
Klemperer décrit les privations, les humiliations, l'asphyxie progressive de celui qui mène une existence de paria, les disparitions successives des amis. Il fait preuve d'une remarquable
lucidité sur son sort, sur le sort de millions de Juifs dans les camps et affirme sa volonté de témoigner pour l'histoire. Victor Klemperer est décoré en 1956 de l'ordre du mérite patriotique
(Vaterländischer Verdienstorden), section « Argent ».