Lehideux François
François Lehideux, né le 30 janvier 1904 à Paris et mort le 21 juin 1998 dans la même ville, est un industriel et homme politique français.
Jeunesse
François Lehideux est le troisième fils de Jacques Lehideux, banquier et administrateur de sociétés. Son père est associé depuis 1902 de la Banque Lehideux et Cie, fondée en 1842 par le grand-père de Jacques et dirigée par le frère de ce-dernier, Roger Lehideux, oncle de François, président de l'Union syndicale des banquiers de Paris et de la province et vice-président de la Confédération générale du patronat français. Elle est alors « la principale banque catholique de Paris ». Sa mère est Suzanne Simon-Lorière, issue d'une famille possédant les Ets Marinoni, qui fabriquent des pièces d'imprimerie et dont Jacques Lehideux est administrateur en 1919 puis président en 1923. Fils d'un père « profondément catholique », François Lehideux est élève dans l’enseignement privé, au collège Sainte-Marie-de-Monceau.
Il entre en 1921 à l'École libre des sciences politiques et en sort diplômé en 1924. Il suit aussi parallèlement des études de lettres et de droit. Il fait partie de 1922 à 1924 des « Équipes sociales », fondées en 1920 et animées par Robert Garric afin de constituer une élite sociale chargée de former la population ouvrière. Il rencontre, « au rythme d’une soirée tous les dix jours, un groupe de jeunes ouvriers et employés qui appartenaient à un foyer géré par (l'Œuvre de l'hospitalité de nuit), dont (son) père était administrateur ». Après son service militaire en 1924-25 comme aspirant dans la cavalerie, il est stagiaire dans le monde de la banque (à la Guarantree Trust à Paris, au Crédit lyonnais) avant de rejoindre la banque familiale. Il séjourne aux Etats-Unis en 1926-27, où il travaille pour la banque Irving Trust ainsi qu'aux usines Ford à Détroit durant 3 semaines, par curiosité, puis en URSS en 1928.
Entrée chez Renault
Le 7 mai 1929, il épouse Françoise Renault, fille de Fernand Renault et nièce de l'industriel de l'automobile Louis. En juin 1930, il entre chez Renault comme adjoint du responsable de l'organisation de la livraison des voitures. Louis Renault lui confie progressivement davantage de responsabilités. Il devient administrateur délégué en 1934. Il fonde après 1936 « des groupements PPF, PSF, des syndicats chrétiens, et d'autres syndicats encore » au sein des usines Renault, pour faire pièce à la CGT, même s'il a fini par laisser « s'éteindre l'activité dangereuse et combative de ces groupes », selon les mots de Louis Renault. Lehideux aurait été spécialement chargé de la lutte anti syndicale et anti communiste. En novembre 1938, avec le préfet de police Langeron, il fit évacuer violemment les grévistes chez Renault au motif de "rébellion". Favorable à un « lock-out », il ne réembauche pas des syndicalistes trop politisés, afin de « soustraire les ouvriers à l'action des meneurs ». Il fréquente des industriels comme Auguste Detœuf, des banquiers comme Jacques Barnaud de la Banque Worms, aspirant alors à un « renouvellement des élites, et notamment à la promotion des technocrates », selon les thèses du mouvement du Redressement français issu de la droite française des années 1930.
De son parcours chez Renault, Laurent Dingli dresse cependant ce bilan peu flatteur: « [François Lehideux] n’était pas entré à Billancourt en 1930 à la demande de son oncle par alliance, comme il l’affirma sa vie durant, mais sur ses propres instances. Il ne fut pas davantage le patron social et réformateur qu’il prétendit être. Bien au contraire, il se signala par une gestion souvent brouillonne, parfois calamiteuse sur le plan industriel et particulièrement agressive sur les plans politique et social, son passage à l’usine se traduisant non seulement par un militantisme très actif en faveur des mouvements de droite et d’extrême droite mais aussi par une judiciarisation des conflits sociaux. A aucun moment, Renault ne le supplia de devenir son dauphin et d’être le mentor de son fils unique, Jean-Louis. Bien au contraire, il ne fit que restreindre ses prérogatives jusqu’à les limiter aux questions financières. Lehideux ne quitta pas davantage Renault de son propre chef en raison d’un différent sur la fabrication de chars pour les Allemands, en juillet-août 1940, fable qui devait lui conférer une auréole de vichysto-résistant ; en réalité, il fut chassé « comme un malpropre » de l’usine (...).
Dès le 22 juillet 1940, avant même de rentrer à Paris, Louis Renault demanda à François Lehideux de quitter ses fonctions au sein de l’entreprise. Cette décision, ignorée pendant près de 75 ans, explique la contre-offensive que lança François Lehideux dès juillet 1940 pour discréditer l’action de Louis Renault, opportunément accusé de vouloir céder aux exigences des Allemands et de revenir sur les acquis sociaux de 1936 : le fait qu’un patron de combat comme François Lehideux s’érige ainsi en défenseur du défunt Front populaire ne manque pas de sel » Evincé par son oncle par alliance qui lui reproche de prendre des décisions dans son dos sans lui rendre compte de ce qu'il cherche à mettre en place et de vouloir asseoir son pouvoir sur l'entreprise, François Lehideux va de fait réussir à faire condamner Louis Renault par l'opprobre public après une campagne de discrédit qu'il organise par vengeance. Louis Renault fut arrêté, emprisonné après la guerre et vit tout son patrimoine industriel confisqué par l'Etat ; condamné pour actes de collaboration, il mourut peu de temps après.
Seconde Guerre mondiale : Vichy jusqu'en 1942
En 1939, il est officier dans un régiment d'automitrailleuses, puis travaille dans l'équipe du ministre de l'Armement, Raoul Dautry, qui fait en sorte qu'il remplace Louis Renault lequel en retour l'oblige à quitter Renault à l'été 1940 ; leur rupture est officialisée en décembre. A la suite de quoi, Lehideux lance une campagne de discrédit contre Louis Renault. Après la signature de l'armistice en 1940, le maréchal Pétain nomme François Lehideux Commissaire à la lutte contre le chômage en octobre, délégué à l'Équipement national en février 1941, puis secrétaire d'État à la Production industrielle, dans le gouvernement de l'amiral François Darlan du 18 juillet 1941, succédant ainsi à Pierre Pucheu. Il conçoit avec Jacques Benoist-Méchin, Paul Marion, Pierre Pucheu et Jacques Barnaud un vaste plan remis à Otto Abetz dans les premiers jours d'avril 1941, visant à instaurer un Ordre Nouveau en France. Il s'agit selon Lehideux de tenir compte du fait que le rôle que la France tiendrait dans une Europe nazie est assigné par sa position géographique : « Carrefour naturel entre le Nord et le Sud de l'Europe, comme entre l'Europe et l'Amérique, elle est la grande voie de transit entre les pays centraux de la Méditerranée, entre l'Allemagne de l'Ouest et l'Océan.
Ce trafic doit s'effectuer suivant les deux axes principaux : Cherbourg-Bâle ; Marseille-Hambourg. Ce réseau d'autostrades devra être complété par de larges voies d'eau, reliant le Rhin à la Méditerranée, le Rhin à l'Atlantique et l'Atlantique à la Méditerranée ». François Lehideux voulait intégrer la France à l'Europe de l'Ordre Nouveau par un effort gigantesque de grands travaux et de construction routière, de reconstruction de cités sinistrées, rééquipement des ports, infrastructures pour les routes aériennes internationales, aménagement des banlieues ouvrières. Avec Pierre Pucheu et Jean Bichelonne, il est l’un des membres du groupe de technocrates du gouvernement Darlan, partisans d’une rationalisation de l’économie française. Avec eux et Jacques Barnaud, d'aucuns l'ont accusé d'être un « synarque », membre de la supposée synarchie. La délégation générale à l'Économie nationale que Lehideux a fondée et dirigée a préparé un plan strictement administratif.
L'historien américain Richard F. Kuisel, spécialiste de la France d'avant et d'après la Deuxième Guerre Mondiale, souligne que le plan décennal prévu était « empreint d’intentions sociales, culturelles, et même morales », à la différence du plan Monnet : « L’impulsion moderniste allait de pair avec la glorification de la famille, de la solidarité sociale, de l’élite, des vertus paysannes, de l’éthique spartiate et de la forme physique », mais qui répond en fait à une vision pétainiste de la société et aux valeurs promulguées par les dirigeants du Troisième Reich nazi. En outre, il « faisait la part belle au marché libre et à l’initiative privée » et ses initiateurs apparaissent comme « des néo-libéraux modérés, soucieux d’éviter à la fois l’extrême dirigisme ainsi que le libéralisme de la IIIe République ». Ces vues sont en phase avec les thèses du mouvement du Redressement français développées par une partie de l'extrême-droite française, dont il était proche. Il est décoré de la Francisque. Il quitte le gouvernement au retour de Pierre Laval, le 18 avril 1942, et redevient jusqu’en 1944 directeur du Comité d'organisation de l'automobile (COA), poste qu'il avait occupé à partir d'août 1940, où il est partisan d'une collaboration économique et industrielle avec l'occupant allemand.
Arrêté à la Libération, libéré en 1946, acquitté en 1949
À la Libération, Lehideux est arrêté, le 28 août 1944, inculpé deux jours plus tard d’intelligence avec l’ennemi, emprisonné à la prison de la Santé, puis à Fresnes, le 16 septembre. Mais il est mis en liberté provisoire le 19 juillet 1946 et bénéficie d'un non-lieu de la Haute Cour de justice en février 1949, pour insuffisance de charges et faits de résistance : il avait en effet protégé des membres de l'Organisation civile et militaire (OCM).
Retour dans l'industrie
Après la guerre, François Lehideux travaille à la société Ford France, dont il est membre du conseil d'administration, puis président-directeur général de 1950 à 1953, où il est chargé de redresser les comptes et sans doute contenir les revendications du personnel. Mais il a des velléités d'indépendance vis-à-vis du siège de Ford. Il fait notamment développer en secret sans en avertir les dirigeants de la firme deux coupés de luxe à moteur V8 dessinés par Stabilimenti Farina et fabriqués chez Facel Métallon : la Ford Comète et la Ford Monte Carlo. Leur positionnement est à l'opposé du cahier des charges fixé par Dearborn. Henry Ford II marquera son appréciation pour la ligne des voitures, qui inspirera les futures premières Facel Vega de Jean Daninos, qu'il découvrira lors d'un voyage en France. Mais il concevra une rancune tenace envers Lehideux d'avoir manigancé dans son dos le lancement de ces voitures qui, sous-motorisées et peu fiables, seront d'ailleurs un échec commercial.
A la suite de quoi Henry Ford II préparera rapidement l'éviction de Lehideux, qui aura précipité la fin des activités de Ford France, puisque les usines seront revendues à Henri Pigozzi qui venait de fonder Simca. Après son échec chez Ford, Lehideux devint président-directeur général des Forges et ateliers de Commentry-Oissel — Georges Villiers, président du CNPF, en est l'un des administrateurs — jusqu’à la fin des années 1960. Il préside de 1959 à 1961 la société Pétro-Fougad et est administrateur de l’entreprise de bâtiments et travaux publics THEG (Travaux hydrauliques et entreprise générale), entreprises toutes deux liées à Commentry-Oissel. Il est aussi administrateur de la société de cimenterie Poliet & Chausson, du motoriste ABG, puis des établissements Tunzini, intégrés à Saint-Gobain en 1965. Ses activités débordent les frontières françaises : il tente en 1957 de se lancer dans l’exploitation du pétrole en Espagne, où il devient vice-président de la société « Autopistas españolas ».
Liaisons politiques après 1958
Lehideux semble organiser des « déjeuners » à Paris. Georges Pompidou cite ainsi un « déjeuner Lehideux » auquel il participe en janvier 1952. C’est par Pompidou qu’il a pu rencontrer au moins à quatre reprises le général de Gaulle dans ses locaux de la rue de Solferino entre 1955 et 1958, pendant la « traversée du désert » du général. Il signe en mai 1958 un appel de personnalités d'horizons divers (le général Zeller, Gabriel Marcel, Gilbert Grandval, Louis Massignon, Stanislas Fumet) appelant à un « gouvernement de salut public » dirigé par le général de Gaulle pour « rétablir entre les Alliés les relations de confiance actuellement compromises », rétablir l'autorité de l'État, rebâtir l'unité nationale, réaliser une réforme des institutions et « faire en sorte que la justice sociale devienne une réalité ». Mais de 1959 à 1961, il n’est nommé que membre du Conseil économique et social alors présidé par Émile Rochee, peut-être grâce à Michel Debré qu’il connaît selon ses dires.
Activités associatives après-guerre
Lehideux est l'un des premiers membres du mouvement civique transnational « Fraternité mondiale », fondé à Paris en juin 1950 lors d'un congrès international, pour combattre notamment l'antisémitisme en Europe — alors qu'il a, comme ministre, contresigné plusieurs textes de loi antisémites du régime de Vichy ; il est désigné avec le syndicaliste Gaston Tessier l'un des deux Français membres du comité provisoire du mouvement à la fin du congrès, puis il est l'un de ses « parrains » jusqu'en 1954-1955. Il est membre de la section française de la Ligue européenne de coopération économique (LECE ou ELEC), en 1952-1953.
Il préside deux think tanks :
- Il est vice-président du Comité européen pour le progrès économique et social (CEPES) et président-fondateur en 1952 de son groupe français; il occupe cette fonction jusqu'en 1958-1959, puis est remplacé par Jean-Édouard Senn mais reste membre du conseil d'administration jusqu'en 1966 ;
- Il est vice-président en 1959 du Centre d'études politiques et civiques (CEPEC) puis son président dans les années 1970.
Dernières années et défense de la mémoire du Maréchal
Il préside ensuite l'association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain (AMDP) à partir de 1984 et est l'objet de poursuites avec Maître Jacques Isorni à la suite de la parution dans Le Monde du 13 juillet 1984 d'un encart publicitaire intitulé : « Français, vous avez la mémoire courte » : après avoir été condamné en première instance, condamnation confirmée par la cour d'appel de Paris, et la Cour de cassation, il s'adresse à la Cour européenne des droits de l'homme, qui estime, dans un arrêt rendu le 23 septembre 1998, que condamner une personne ayant présenté sous un jour favorable les actions du maréchal Pétain constitue une violation du droit à la liberté d'expression, tel que défini par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme. La Convention européenne condamne ainsi la France à verser à Messieurs Lehideux et Isorni la somme de 100 000 francs. Sa nièce Martine Lehideux, proche du Front national et de Jean-Marie Le Pen, est membre du Parti de la France, et son neveu Bernard Lehideux est membre du bureau exécutif national du Modem.