Schumann Jacques dit Maurice
Du fait du mariage de son père, alsacien de confession israélite, artisan joaillier du Marais, avec une belge, fille d’un
docteur namurois, il possède quelques racines familiales dans le Nord. Pendant ses années passées au lycée Janson de Sailly, ce brillant élève, atteint dans sa chair et en pleine crise morale, se
convertit au catholicisme à la lecture des oeuvres de Bergson, de Simone Weil et au contact des dominicains. Après des études de lettres à la Sorbonne, Maurice Schumann, ayant échoué à l’oral
d’entrée à l’Ecole normale supérieure, à la suite de sa maladie, entre à l’agence Havas en 1932. Journaliste collaborant à Sept, puis à Temps Présent, La Vie intellectuelle, La Vie catholique et
à l’Aube, il milite dans la Jeune République de Marc Sangnier, puis participe aux Nouvelles équipes françaises de Francisque Gay en 1938.
Ayant déjà lu les ouvrages de Charles de Gaulle avant guerre, il entend à Niort l’appel du 18 juin 1940 et,
jeune capitaine engagé volontaire, y souscrit dès son retour, le 26 juin, à Londres, où il est en poste comme agent de liaison auprès du corps expéditionnaire britannique. Il se présente au
général muni d’une lettre de Daniel Rops sur l’enveloppe de laquelle il a écrit : « Nous ne sommes pas l’arrière-garde d’une armée qui s’en va, mais l’avant-garde d’une armée qui reviendra ».
De Gaulle lui demande aussitôt d’entrer à la BBC où il devient l’animateur de l’émission quotidienne « Les
Français parlent aux Français », de 1940 à 1944. Il obtient du Général l’autorisation de participer aux combats de la Libération et entre dans Paris avec la 2e Division blindée (DB) de Leclerc,
le 24 août 1944.
Connu comme « porte-parole de la France combattante », il est désigné comme député à l’Assemblée consultative provisoire le 8 novembre 1944, et choisit de siéger à la commission des affaires
étrangères, à celle du travail et des affaires sociales, et à celle d’Alsace et de Lorraine. Il prend part au débat sur la politique extérieure du Gouvernement, le 22 novembre 1944. Elu président
du nouveau Mouvement républicain populaire (MRP), à l’issue de son congrès national constitutif le 26 novembre suivant, Maurice Schumann incarne alors le « Parti de la Fidélité ».
Sur proposition de Jean Catrice, responsable du parti démocrate populaire (PDP) et résistant, il prend la tête de la liste MRP dans la deuxième circonscription du Nord, le 29 octobre 1945. Grâce
aux 186 557 voix, celle-ci obtient quatre sièges, devançant la liste socialiste d’Augustin Laurent, et celle emmenée par le communiste Arthur Ramette. A la première Assemblée nationale
constituante, il demeure membre de la commission des affaires étrangères et participe au débat sur la Constitution, en intervenant lors du discours d’Herriot sur la Constitution et en rappelant,
le 19 avril 1946, que « la démocratie, c’est le gouvernement de la majorité dans le respect de la minorité ». Le 13 novembre 1945, il dépose une proposition de loi tendant à déclarer que les
combattants du front, ceux qui ont lutté et souffert pour la Résistance, les armées de la Libération, le Général de Gaulle, ont bien mérité de la Patrie. Il intervient à sept reprises en séance publique, défendant notamment un
amendement à l’article 14 du projet de Constitution.
Il est réélu en juin 1946 avec 169 212 suffrages, ainsi que Jules Duquesne, ouvrier, Jean Catrice, industriel roubaisien. Toujours membre de la commission des affaires étrangères, il propose des
mesures en faveur des vieux travailleurs, en déposant deux propositions de loi. Il intervient à cinq reprises en séance, sur la sécurité sociale et l’école libre, notamment sur les manuels
scolaires utilisés par cette dernière institution.
En novembre 1946, sa liste demeure en tête avec 131 095 voix, mais celle d’Union des républicains et de rassemblement gaulliste obtient 94 657 voix et deux élus aux côtés des trois députés SFIO,
et des deux communistes. Lors de la création du parti gaulliste en 1947, il considère que « cela a été un déchirement atroce », mais qu’il n’a « pas été tenté un seul instant par le RPF ».
Intéressé par les questions liées au statut de la radiodiffusion française, il continue de faire des propositions à caractère social, comme l’allocation pour les vieux médaillés du travail, la
prise en compte comme enfants à charge de ceux qui sont morts pour la France. Il rappelle également le nécessaire équilibre budgétaire dans un contexte de crise et aborde la question du droit de
grève et de la liberté syndicale, le 18 février 1947. Membre de la commission des affaires étrangère (1946-1951), il est aussi désigné par les commissions de la presse, de la défense nationale et
des finances pour faire partie de la commission chargée d’étudier l’ensemble du problème des émissions de la radiodiffusion vers l’étranger.
Sous cette première législature de la Quatrième République, il dépose neuf propositions de loi et deux propositions de résolution et intervient à vint-sept reprises dans l’hémicycle. Il sait être
critique vis-à-vis des gouvernements des premières années de la Quatrième République : il dépose notamment deux demandes d’interpellation et un rappel au règlement. Le 4 janvier 1950, il défend
aussi un amendement sur le projet de codification de textes relatifs aux pouvoirs publics, en demandant de reprendre ce que le Conseil de la République a voté en matière de procédure de
commission d’enquête. Outre l’hommage à Gandhi, à l’annonce de sa mort le 30 janvier 1948, en politique étrangère, ses interventions portent sur les événements d’Indochine, les résultats de la
conférence de Moscou, le statut de l’Algérie, l’attitude face à l’Allemagne, la ratification du Pacte atlantique. Demeuré président du Mouvement républicain populaire (MRP) jusqu’en 1949, il
anime le groupe d’amitié France-Etats-Unis à l’Assemblée nationale et s’intéresse aux questions européennes. Dès 1946, il met en contact Robert Schuman et Konrad Adenauer et participe à
l’Assemblée européenne.
Il est réélu député du Nord, le 17 juin 1951, avec 85 009 voix, ainsi que ses deux colistiers, grâce à un apparentement avec les listes SFIO et Rassemblement des gauches républicaines (RGR). Il
entre au conseil municipal de Lille et y siège du 26 avril 1953 au 5 février 1955. Membre de la commission des affaires étrangères (1951 ; 1955), de la commission de coordination de l’énergie
atomique et des recherches nucléaires à partir du 10 mars 1955, il est choisi comme secrétaire d’Etat aux affaires étrangères dans le cabinet Pleven du 11 août 1951 au 20 janvier 1952, et vient
évoquer devant les députés la question de la Sarre. Il est à nouveau appelé à la même responsabilité par Edgar Faure jusqu’en mars 1952, puis par Antoine Pinay jusqu’en janvier 1953. Au
Palais-Bourbon, il présente à ses collègues le traité de paix avec le Japon en mars 1952 et le traité de l’Atlantique Nord en juin 1952. Dans le cabinet de René Mayer, du 10 janvier au 28 juin
1953, il est présent pour la défense du budget de son ministère. Toujours en fonction dans le ministère de Joseph Laniel, du 2 juillet 1953 au 19 juin 1954, il intervient en séance, le 20
novembre 1953, dans un grand débat sur la politique européenne où il évoque l’absence regrettable mais inévitable du Royaume-Uni, les pouvoirs de l’autorité supranationale à créer, le projet
d’armée européenne. Il préside la délégation française aux Nations-Unies en 1953. En tant que député, il continue de s’intéresser aux combattants de la France libre, à la liberté du commerce
charbonnier et aux retraites des agents des collectivités locales. Comme secrétaire d’Etat, il prend la parole à vingt-neuf occasions. Il dépose trois propositions de loi et deux propositions de
résolution et intervient à neuf reprises en séance, comme député.
Il est réélu député le 2 janvier 1956, avec 85 032 voix ainsi que Jules Duquesne, loin derrière les socialistes qui recueillent 160 044 voix et quatre élus. Il retrouve naturellement la
commission des affaires étrangères, dès le 31 janvier 1956 et en devient le président d’octobre 1957 à novembre 1958. Il appartient aussi à la commission des affaires économiques (1956-1958). Il
dépose quatre propositions de loi, une proposition de résolution et un rapport sur des thèmes aussi divers que les droits de succession entre sœurs célibataires ou veuves de guerre non remariées
(2 mars 1956), l’organisation des différents corps d’officiers de l’armée de l’air et du corps des équipages de la flotte (18 mai 1956), le régime fiscal des sociétés à responsabilités limitées
(17 juillet 1956), les mesures à prendre face au « coup de force » accompli sur le canal de Suez (2 août 1956) ou les pensions civiles et militaires (12 juin 1957). A vingt-deux reprises, il
intervient dans les débats de la dernière législature de la Quatrième République, à l’occasion de discussions marquantes : l’affaire de Suez où il s’en prend au néocolonialisme soviétique comme
rapporteur d’une proposition de résolution, sur le « drame algérien » et ses implications internationales et sur les questions de l’Afrique du Nord en général, où il précise que le MRP refuse de
choisir entre une politique exclusivement fondée sur la force et une politique d’abandon. Alors qu’il a déposé une demande d’interpellation sur la politique que le gouvernement compte suivre pour
aboutir à la constitution d’une communauté européenne de l’énergie nucléaire, le 26 juin 1956, il est rapporteur suppléant d’un projet de loi relatif à la représentation française à l’Assemblée
unique des communautés européennes, en mars 1958. Quelques jours plus tôt, il a déposé un ordre du jour sur l’approbation de la politique générale du gouvernement en Tunisie.
En 1958, le chef de file de la Fédération du Nord est un de ceux qui favorisent le plus ardemment l’approbation du retour du général de Gaulle. Il est réélu député le 30 novembre 1958 avec Jules Duquesne comme suppléant. 1962 est l’année d’une double
décision contradictoire en apparence : choisi en avril comme ministre délégué auprès du Premier Ministre chargé de l’aménagement du territoire, Maurice Schumann accepte, en mai, de démissionner
du gouvernement avec les autres ministres MRP mais refuse par contre de voter Non au référendum sur l’élection du président de la République au suffrage universel en octobre. Le mois suivant, il
parvient à obtenir l’investiture de la Fédération MRP du Nord pour les législatives. Il est à nouveau président de la Commission des affaires étrangères de 1962 à 1967. Réélu au premier tour
député du Nord le 5 mars 1967, il est nommé le 8 avril suivant ministre d’Etat chargé de la recherche scientifique, des questions atomiques et spatiales. La révolte de mai 68 est pour lui « sans
lendemain mais pas sans avenir ».
Dans le gouvernement de Couve de Murville qui suit les élections de juin, il reste ministre d’Etat, chargé des affaires sociales. Il met alors en application les accords de Grenelle et la réforme
des études médicales. Il prépare un texte sur la participation des salariés dans l’entreprise, le projet de loi est prêt quand le général de Gaulle se retire après l’échec du référendum d’avril 1969. Ayant soutenu Georges Pompidou contre Alain Poher dans la campagne présidentielle, il est nommé ministre des Affaires étrangères
dans le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas.
Battu aux législatives de 1973, il est élu sénateur du Nord en 1974, entre au RPR et devient vice-président de 1978 à 1983, siège neuf ans à la Commission des finances, six ans à celle des
affaires économiques. Marié, père de trois enfants, ce brillant orateur; doué d’une mémoire étonnante, est fait compagnon de la Libération dès 1945, puis officier de la Légion d’honneur. Reçu à
l’Académie française en 1974, il devient président de l’association des écrivains catholiques en 1979. Parmi ses ouvrages figurent des romans tels que Le rendez vous avec quelqu’un (1962), des
ouvrages d’histoire comme Un certain 18 juin (1980), des livres de philosophie comme La mort née de leur propre vie (1974) où il évoque Péguy, Simone Weil et Gandhi, et des ouvrages à caractère
politique comme Le vrai malaise des intellectuels de gauche (1957). Deux ouvrages lui sont chers : sous le pseudonyme André Sidobre, il écrit, en 1938, Le germanisme en marche préfacé par
François Mauriac et, en 1945, Honneur et patrie. La voix du couvre-feu avec une préface du général de Gaulle.
Au soir de sa vie, il évoque ses références : « Qu’aurais-je été si Alain ne m’avait appris à douter, Simone Weil à croire, Marc Sangnier à aimer et de Gaulle à combattre ? »