Vetrov Vladimir

Publié le par Mémoires de Guerre

Vladimir Ippolitovitch Vetrov, né le 10 octobre 1932, est un lieutenant-colonel soviétique du KGB. Au début des années 1980, en pleine guerre froide, Vetrov décide de trahir et devient un agent de la direction de la Surveillance du territoire (DST) française qui lui donne le nom de code « Farewell ». Il a permis à la DST et aux services alliés de mieux connaître les méthodes et la structure du KGB dans le domaine de l'espionnage scientifique et technique. Vetrov est par la suite démasqué par le KGB, alors qu'il purgeait une peine de 12 ans de prison à Irkoutsk pour meurtre. Il est jugé, condamné à mort pour haute trahison et exécuté le 23 janvier 1985 dans la prison de Lefortovo à Moscou. 

Vetrov Vladimir
Espion soviétique

Vladimir Vetrov est né à Moscou dans une famille modeste (son père est contremaître, sa mère, illettrée, travaille comme femme de chambre). Élève brillant, il poursuit des études dans une école d'ingénieurs à Moscou et se spécialise en électronique. Après cinq ans de formation, il obtient un poste d'ingénieur dans une usine de machines à calculer. Présenté comme un étudiant doué, fréquentant assidûment les salles de sport et en outre père de famille attentionné, il se fait remarquer par les sergents recruteurs du KGB qui lui font suivre une longue formation dans la principale centrale d'espionnage soviétique. Il y apprend l'anglais, le français et les techniques d'espionnage.

En 1965, il est placé à l'ambassade de l'Union soviétique à Paris, attaché au développement du commerce soviétique avec la France. Il recrute des agents chargés de fournir à l'Union soviétique des informations techniques dont elle a besoin, prend contact avec des ingénieurs français afin d'obtenir contre rémunération des matériels de haute technologie interdits à l'exportation. Il se fait repérer assez rapidement par la DST, qui suit ses mouvements et prend contact avec lui de façon informelle, notamment par un de ses collaborateurs occasionnels, Jacques Prévost, haut cadre chez Thomson-CSF. Ce dernier lui rend un grand service à la fin de son séjour parisien lorsque Vetrov, éméché, détruit son véhicule de fonction dans un accident de voiture, ce qui peut lui valoir de très sérieux ennuis avec l'ambassade. Il s'adresse alors à son ami Prévost qui fait réparer à ses frais la voiture en urgence. Vetrov a désormais une dette de reconnaissance.

En 1970, au bout de cinq ans, le lieutenant-colonel Vetrov doit retourner à Moscou, où il reçoit un poste de couverture au ministère de l'Industrie radio en attendant une autre affectation à l'étranger. En 1974, il est envoyé au Canada où il est nommé ingénieur principal à la représentation commerciale soviétique à Montréal. En tant qu'officier de renseignement, il ressent la doctrine Brejnev, qui accentue le retard technologique de l'URSS et oblige la « patrie du socialisme » à voler des plans et des matériels aux capitalistes, comme une situation absurde et humiliante. Cette affectation se déroulera mal : en conflit avec son supérieur, et ayant peut-être fait l'objet d'une tentative de recrutement par les services canadiens, Vetrov est renvoyé à Moscou au bout de neuf mois à peine. 

Vetrov Vladimir
Taupe pour les renseignements français

Ce rappel anticipé semble mettre la carrière de Vetrov dans une impasse : il n'aura plus de promotion, ni d'affectation à l'étranger. Vetrov est nommé assistant au chef du 4e département (information et analyse) de la direction T (espionnage scientifique et technique) de la première direction générale du KGB. Il a accès à l'ensemble des sources que sont les informateurs occidentaux. Au printemps 1981, il se décide à contacter le contre-espionnage français, la DST, sachant que ce service est moins surveillé par le KGB que d'autres services étrangers. Il fait appel à son ami français Jacques Prévost, directeur des ventes de Thomson-CSF en URSS, pour proposer son aide en tant que « taupe » aux services de renseignement français et transmettre des documents classifiés. C'est alors que Marcel Chalet de la DST lui attribue un nom de code : « Farewell » (nom de code anglais choisi à dessein et permettant, en cas d'échec, d'attribuer l'histoire à un service de renseignement anglo-saxon).

Les documents fournis via Xavier Ameil, ingénieur de chez Thomson-CSF en poste à Moscou, puis à Patrick Ferrant, attaché militaire à Moscou, révèlent le fonctionnement du système soviétique et l'organisation de l'espionnage de l'Occident. C'est dans ce contexte qu'est identifié comme espion l'ingénieur Pierre Bourdiol, qui travaille chez Thomson-CSF et transmettait des renseignements à l'Union soviétique depuis dix ans. Étant donné les perspectives qu'offrait cette affaire, Marcel Chalet, directeur de la DST, s'engage en prenant les précautions pour éviter toute fuite. Avec la possibilité qu'une nouvelle équipe arrive au pouvoir prochainement, il était urgent de ne pas se presser et de voir comment les choses tourneraient. L'affaire est donc bien engagée lorsque François Mitterrand parvient au pouvoir après l'élection présidentielle française de 1981. 

D'après certaines sources, Valéry Giscard d'Estaing avait déjà été mis au courant dans les tous derniers jours de son mandat. Il n'aurait rien dit de l'affaire, d'après ses propres mémoires, et d'autres sources de la nouvelle équipe, lors de son entretien avec François Mitterrand le 21 mai 1981. Marcel Chalet aurait rapporté l'information à son ministre, Gaston Defferre, qui aurait recommandé de ne rien dire à Charles Hernu (« N'en parlez pas à Hernu. Il raconte tout à sa femme ! »). Il n'obtient pas d'entretien de l'Élysée avant la garden party de l'Élysée du 14-Juillet, où Marcel Chalet est reçu par François Mitterrand, en présence du ministre de l'Intérieur Gaston Defferre, du directeur de cabinet de ce dernier Maurice Grimaud et du secrétaire général de la Présidence de la République Pierre Bérégovoy. François Mitterrand se serait montré intéressé, et aurait recommandé de ne pas informer le SDECE

Pierre Mauroy, le Premier Ministre, n'aurait été informé de l'affaire qu'après son dénouement. Le général Jean Saulnier, chef d'état major particulier du Président, et le général Jeannou Lacaze, chef d'État-Major des armées, auraient eux été tenus au courant depuis l'entrevue du 14 juillet. Lors du sommet du G7 à Ottawa, du 17 au 20 juillet 1981, François Mitterrand aurait mis personnellement au courant Ronald Reagan de l'affaire, qui d'après certaines sources l'aurait déjà été depuis le début de l'opération. D'abord infructueusement (François Mitterrand, qui ne parle pas bien l'anglais, aurait dit « Farewell », à Ronald Reagan, qui en retour n'aurait pas compris pourquoi François Mitterrand lui disait « Au revoir »), puis avec succès grâce à des interprètes. Ce geste aurait rassuré les Américains, très inquiets de l’entrée de ministres communistes dans le gouvernement français. 

Au cours de l'été, ou avant selon certaines sources, une coopération aurait été mise en place et la DST aurait transmis aux Américains certaines informations sur le degré de l'infiltration par les différents services d'espionnage de l'Union soviétique (KGB, GRU). En collaboration avec la DST, la Central Intelligence Agency (CIA) fournit un appareil photo miniaturisé avec des pellicules très perfectionnées utilisées dans les satellites, transmis à Vetrov. Vetrov se mettant sur son bureau, coinçait les pages des documents avec ses coudes et les photographiait, chaque cassette comportant cent prises de vues. Les Américains auraient averti la DST que les pellicules ne pouvaient être développées que par la CIA, qui a un laboratoire dédié à cette machine, mais les services français, avec le concours de Kodak, auraient réussi à les développer seuls.

Selon Marcel Chalet, « Farewell » aurait fournit à la France entre 1981 et 1982, 2 997 pages de documents, en majeure partie frappés du cachet indiquant le niveau de classification maximal, ainsi que les méthodes d'espionnage industriel et scientifique par les Soviétiques. Vetrov aurait fournit également une liste de 250 agents de ligne X du KGB, c'est-à-dire les officiers de renseignement chargés de recueillir les renseignements scientifiques et techniques à travers le monde, et de 170 agents du KGB appartenant à d'autres directions du KGB et du GRU. En décembre 1981, Gus W. Weiss, l'un des adjoints de Richard V. Allen au sein du Conseil de sécurité nationale, persuade William Casey, le directeur de la CIA, de laisser filer de faux renseignements en matière de technologie aux espions soviétiques, plan machiavélique qu'approuve le président américain Ronald Reagan.

Ces informations, exploitées par la DST, permettent à la France de faire expulser 47 Soviétiques, principalement du corps diplomatique dont huit agents du KGB faisant partie de la liste remise par Vetrov) résidant en France le 5 avril 1983, peu après la nomination du préfet Yves Bonnet à la tête de la DST en remplacement de Marcel Chalet atteint par la limite d'âge. Sur ce total, 40 étaient investis de fonctions diplomatiques, dont 12 à l'UNESCO, deux exerçaient le métier de journaliste à l'agence Tass, et cinq officiaient dans différents organismes commerciaux. Parmi les noms, se seraient trouvés le « rézidiente », chef de station, du KGB à Paris avec ses cinq adjoints, « vice-rézidiente ». Sur instruction de François Mitterrand en date du 26 mars 1983, le directeur de cabinet du ministère des Affaires étrangères de Claude Cheysson, François Scheer, notifie le 28 mars 1983 Nikolaï Afanassievski, conseiller à l'ambassade d'URSS, lui-même officier sous couverture diplomatique du KGB connu de la DST, des expulsions à venir, fixées huit jours plus tard le 5 avril. 

Il lui montre une photocopie de la première page du rapport 1980 de la VPK, la Commission de l'industrie militaire, intitulé « Résultat de l'étude et de l'exploitation des informations spéciales recueillies en 1980 », exemplaire numéro 1 à destination de Iouri Andropov, qui lui a été fourni par la DST. D'après certaines sources, les Soviétiques auraient été en mesure d'identifier la source de la DST en déterminant qui avait été en possession de ce document19, alors que pour d'autres, l'élément présenté était volontairement trop mince pour remonter jusqu'à la taupe. Après protestations des Soviétiques, Francis Gutmann, secrétaire général du Quai d'Orsay et conseiller du ministre des Relations Extérieures Claude Cheysson et Pierre Mauroy, le Premier Ministre, reçoivent l'ambassadeur d'URSS Iouli Vorontsov pour lui confirmer les expulsions le 30 mars et le 1er avril.

Arrestation et exécution

Peu auparavant, Vetrov, qui serait devenu paranoïaque et aurait craint d'être démasqué, aurait tenté le 22 février 1982 d'assassiner sa maîtresse Ludmilla. À cette occasion, il aurait tué un milicien soviétique tentant de s'interposer. Arrêté, il aurait été condamné à 12 années de camp pour crime passionnel, sans que les autorités ne soient doutées de ses actes d'espionnage. Ce serait seulement un an plus tard que les enquêteurs du KGB l'aurait identifié comme le traître qu'ils recherchaient. Pour d'autres sources, cette arrestation aurait été une mise en scène et une manipulation des services soviétiques qui l'avaient déjà identifié, et qui essayeront d'attirer les services Français et Américains dans un piège. Il aurait été exécuté d'une balle dans la nuque dans un sous-sol de la prison de Lefortovo à Moscou en décembre 1984 ou janvier 1985 selon les sources. 

Publié dans Espions

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