Yvain Maurice

Publié le par Roger Cousin

Yvain MauriceNé à Paris le 12 février 1891 d'une famille d'origine juive, cet enfant chétif et malingre sera élevé à grands renforts d'huile de foie de morue et de fortifiants par un père trompettiste dans l'orchestre de l'Opéra-Comique, qui se chargea lui-même de son éducation au vu du caractère retors de sa progéniture à l'encontre des institutions. De cette enfance musicale, le vieil Yvain conservera deux grands souvenirs: les créations de la Louise de Gustave Charpentier; ainsi que celle du Pelléas et Melisande de Debussy. Dès la saison d'été 1905, (il a 14 ans), Maurice Yvain gagne ses premiers cachets en tant que pianiste accompagnateur au Casino d'Evian, où il se lie d'amitié avec le peintre Céria. A cette époque, il fait ses exercices pianistiques en lisant l'encyclopédie. Curieuse façon de délier les doigts. Moyen idéal de tromper l'austérité, l'aridité de ce travail d'étude.

C'est à cette époque que Yvain " s'essaye " à la comédie, en jouant dans un théâtre parisien un plaisant acte de Flers et Caillavet: 'Le Cœur a ses raisons'. Pianiste au Théâtre Mévisto (du nom du comédien, pas de celui de son frère chansonnier), il rencontre là " Willy " Gauthier-Villars (l'époux de Colette), Sacha Guitry, Tiarko Richepin. De ces deux derniers, il créé le tout premier ouvrage: 'Tell père, tell fils', opéra-bouffe en un acte.Refusé à l'entrée des classes de piano préparatoires du Conservatoire pour dilettantisme, il étudie en tant qu'élève particulier auprès des pianistes Diemer, Philipp et Reitlinger, et l'harmonie avec Armand Marsik, puis enfin au conservatoire dans la classe de Xavier Leroux avec Albert Wolf. Accompagnateur au " Porc-Epic ", cabaret de Pigalle, il est déniché par Gabriel Montoya pour faire revivre le cabaret " les Quat'-z'arts ", où il se lie avec Max Jacob, Picasso.

Louis Ganne (l'auteur des Saltimbanques) avait créé à Monte-Carlo un petit orchestre de virtuoses: dix-huit premiers prix du Conservatoire de Paris, condition sine qua non pour faire partie de l'orchestre. En 1911, Yvain auditionne avec la Mort d'Yseult du Tristan et Yseult de Wagner dans la réduction de Liszt. Engagement immédiat... Yvain sera le seul de la formation à ne pas avoir de prix de Conservatoire! C'est à Monaco qu'il rencontre Chaliapine et Raoul Gunsburg, alors incroyable directeur de l'opéra de Monte-Carlo. Été 1912, Yvain reste à Monte-Carlo où il accompagne la création d'un caf'conç d'été... C'est là que les gendarmes viennent le chercher pour l'incorporer de force dans le 42' régiment d'infanterie, il avait oublié de répondre à ses obligations militaires. Son service militaire devait durer 5 années. Lors d'un concert improvisé dans un café, il rencontre Maurice Chevalier, lui aussi conscrit. S'en suit une grande camaraderie qui ne se démentira pas. C'est Chevalier qui le poussera vers les rythmes américains et la chanson. Immédiatement, Yvain achète la revue Paris qui chante. Et c'est lors d'une marche vers Mulhouse que le soldat Yvain subit son premier bombardement.

Il est blessé à la cuisse à Nanteuil-le-Haudouin. Dès l'hiver 1914 se créent des troupes militaires récréatives composées d'amateurs et d'artistes de carrière mobilisés. Yvain retrouve un piano dans la cave d'une maison détruite par les bombardements. Après la bataille de Verdun, " téléphoniste volant " volontaire, il est gazé et fait prisonnier le 14 juillet 1918. Évadé du camps de Kassel, après être resté 7 mois " caché " dans un hôtel de la même ville, il rentre en France, où on l'affecte au service de censure de la correspondance des prisonniers... où il ne se présentera que pour toucher ses émoluments. Conscrit depuis 1912, il n'est rendu à la vie civile que le 19 septembre 1919. Il ingurgite en 15 jours des dizaines de titres à la mode du répertoire courant de l'orchestre de danse afin de retrouver du travail dans les boites de nuit. C'est ainsi qu'il fait la connaissance de Clément Doucet...

" Le victorieux Rag-time s'installait en maître. Le plus fameux reste l'Alexander rag-time band. Son auteur, Irving Berlin et ses émules, allaient bouleverser le monde. Leur innovation? Ils apportaient le rythme. Le rythme, élément essentiel de la musique. Notre vieux monde était essoufflé. En France, Debussy et Ravel avaient composé leurs grandes œuvres, Fauré et Florent Schmitt aussi; ne restaient que quelques succédanés s'attachant à leur formule. (…) La "syncope" devint le principal fondement de toute composition. (…) La force de pénétration de ce rythme irrésistible s'infiltra jusque dans la musique symphonique. " (Maurice Yvain, Ma Belle Opérette, La Table Ronde,1962). C'est fort de ce constat que Maurice Yvain devint compositeur. Dès cet instant, dans les pas de Christiné et rejoint par Moretti, Gabaroche, ou Rosenthal, Maurice Yvain prépare l'oreille du vieux continent à naturaliser la musique américaine.

" Pour ma part, au travers de ce rythme obsédant, de ce magma sonore qui me martelait le cerveau, j'essayais d'extraire un semblant de mélodie, avec un petit " je n'sais quoi " de chez nous, un peu de parfum de Paris. " (Maurice Yvain, Ma Belle Opérette, La Table Ronde,1962) Ses deux premiers " saucissons " furent créés par " le ténorino Vorelli, interprète glacé et statique ". Un troisième succès, Savez-vous danser le fox-trot? favorisa une rencontre avec Albert Willemetz, auteur du livret de Phi-phi et de nombreuses revues. La revue du Casino de Paris (dirigé par Léon Volterra) accueillit deux de leurs productions communes: Violet Song (La Chanson de la Violette) créée par Rose Amy; et Cach'ton piano créé par Dréan, écrite pour protester contre un impôt nouveau frappant l'instrument. C'est en 1920, lors de la saison d'hiver du Havre que Maurice Yvain fit ses adieux à la carrière de concertiste classique... de " pétrisseur d'ivoire "... Adieu Fantaisie de Shubert et Polonaise de Chopin.

Toujours en 1920, sur les conseils de Chevalier, Mistinguett accepta 'Mon Homme'. Pour la revue 'On peut monter!', Voltera commanda des airs additionnels... 'Billets doux', créé par Nina Myral fut de ceux-là, mais également le Trio des Épiciers, créé par la même Nina Myral, Maurice Chevalier et St-Granier. C'est intrigué par ce trio que Gustave Quinson, (le directeur du Palais-Royal, du Théâtre Daunou et des Bouffes-Parisiens entre autres) invita Yvain à déjeuner. A l'issu, Yvain joua de mémoire des œuvres inédites, et Quinson rédigea un contrat pour trois opérettes. Quelques jours plus tard, Yvain et Willemetz étaient convoqués au Palais-Royal, où Quinson leur remit le "livret" d'une comédie-musicale commit avec Yves Mirande. Quatre pages... une simple trame. Yvain part avec Willemetz et son épouse écrire au Cap-Ferrat.

" Leur chambre était située au dessus de la pièce où je composais. Au hasard de l'improvisation, lorsqu'un motif lui plaisait, Albert descendait aussitôt (...) nous avions mis dix jours pour écrire trois actes (...)" ainsi naquit 'Ta Bouche'. Parallèlement, deux chansons connurent le succès en 1921: 'J'en ai marre!' (créé par Mistinguett), dont le court extrait que nous entendons provient du disque Pathé à saphir n°4052, et 'Il faut tout prendre avec le sourire' par Chevalier. En 1922, Quinson réclama 'Là-Haut', avec un vrai livret cette fois. Créé par Maurice Chevalier, Dranem et Gabin père, la pièce fut un franc succès malgré les frictions Chevalier-Dranem, et Dranem-Yvain... En 1923, Dranem divorce de Trilby, artiste de Café-Concert... que Maurice Yvain épouse à son tour! Malgré l'inspiration américaine de la musique; le caractère vaudevillesque (et parfois un peu rabelaisien!) des livrets, la plupart de ces ouvrages ont presque immédiatement été traduits et créés dans les plus grandes capitales, y compris en Allemagne, en Hongrie et en Autriche. Ta Bouche a dépassé les 100 représentations à Broadway.

1925: Yvain écrit musique et lyrics de 'Un bon garçon', chef-d'œuvre de la production de cette époque, l'aboutissement d'un style qui réunit musique, théâtre et succès. Repris à Broadway en 1928 sous le titre Luckee Girl. Décoré de la Légion d'Honneur en 1931, Maurice Yvain était membre du Conseil Supérieur de la Radio, du prix Candide (devenu par la suite "Académie du Disque Français"), et plusieurs fois vice-président de la Commission de la Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques avant la Seconde Guerre Mondiale. En 1937, responsable de la saison d'opérette à la Comédie des Champs-Elysées, il y fait jouer pour la première fois 'La Poule Noire' de Manuel Rosenthal. 1945, il produit une petite œuvre amusante, 'Monseigneur'. Il fut interdit de radio pendant deux ans à la libération. Raison: on s'était servi de sa musique et il avait laissé se commettre une 'infamante exploitation'...

En 1947, lorsque le Conseil Supérieur de la Radio se dote de secteurs, il hérite de la présidence de la section variétés. Ambition: veiller aux textes des chansons enregistrées et ne pas laisser passer de disques jugés libidineux ou subversifs. Il est aussi président de la section Musique. Son travail: déceler les qualités d'une œuvre symphonique ou lyrique sur papier avant de la proposer à l 'enregistrement et à la diffusion.

1948, création de 'Chanson Gitane' écrit avec Louis Poterat. 1951, 'Blanche-Neige', ballet chorégraphié par Serge Lifar à l'Opéra de Paris. 1956, 'Le Corsaire Noir', opéra-comique créé à Marseille avec Maria Murano, Henri Legay et Xavier Depraz. Il meurt en 1965. Des écrits tardifs qui nous restent de lui, il se dégage une certaine jeunesse, une grande humilité. A travers ses souvenirs, c'est un homme au moral en acier qui apparaît, bon camarade, rieur... on constate cependant une amnésie partielle sur son rapport avec les femmes, car à l'instar de Sacha Guitry, il aura eu cinq épouses, dont son interprète la grande Gabrielle Ristori. Aucune information non-plus sur son lieu de résidence et son activité effective pendant la Deuxième Guerre Mondiale.

De ses ouvrages lyriques, une verve jaillissante canalisée par une maîtrise totale de l'écriture et la connaissance parfaite du théâtre. Parfois (comme dans La Dame en décolleté ou Gosse de riche) la volonté de raffinement stylistique n'a pas forcément atteint son public, mais fait de lui le moins " ringard " des compositeurs de l'entre-deux guerres. Il a conservé les formules de l'opérette traditionnelle héritées de Messager ou Offenbach (airs, duos, trios, quatuor, ensembles, chœurs...) en utilisant des livrets étonnamment modernes et divertissants, écrivant une musique neuve, fraîche et maîtrisée.

Honegger, qui ne ratait jamais une création de Maurice Yvain disait: " Un final de Yvain, c'est ficelé comme un final de Haydn! ". De ses chansons et danses, on peut dire que leurs racines "rag-time" ont fait le lit musical de la vague Noire de la fin des années 1920, le succès des jazz-band New-Orleans. Juste retour des choses, Sydney Bechet avait à son répertoire dans les années 1950 quelques succès de Maurice Yvain, dont Mon Homme. En 1961, sentant arriver les "yéyés", Maurice Yvain écrivait: " Compositeurs, mes frères, lasciate ogni speranza et faites du twist! "

Musique de chansons

Interprétées par Mistinguett

  • En douce (1920)
  • Mon homme (1920)
  • La Java (1922)
  • J'en ai marre (1922)
  • La Belote (1925)
  • Interprétées par Maurice Chevalier
  • Dites-moi ma mère, dites-moi (1927)
  • Interprétées par Georges Milton
  • Je t'emmène à la campagne (1928)
  • Pouet-Pouet (1929)
  • Interprétées par Dréan
  • Si tu ne veux pas payer d'impots (1920)


Liste chronologique des opérettes

  • 1922 : "Ta bouche" (Théâtre Daunou), livret d'Yves Mirande, lyrics d'Albert Willemetz (éditions Salabert).
  • 1923 : "Là-haut", (Théâtre des Bouffes Parisiens), livret d'Yves Mirande et Gustave Quinson, lyrics d'Albert Willemetz, (éditions Salabert).
  • 1924 : "La dame en décolleté" (Théâtre des Bouffes Parisiens), livret d'Yves Mirande et Lucien Boyer (éditions Salabert).
  • 1924 : "Gosse de riche" (Théâtre Daunou), livret de Jacques Bousquet et Henri Falk (éditions Salabert).
  • 1925 : "Pas sur la Bouche" (Théâtre de l'Apollo), livret d'André Barde (éditions Salabert).
  • 1925 : "Bouche à Bouche" (Théâtre de l'Appolo), livret d'André Barde (éditions Salabert).
  • 1926 : "Un bon garçon" (Théâtre des Nouveautés), livret d'André Barde, lyrics de Maurice Yvain (Editions Salabert).
  • 1928 : "Yes" (Théâtre des Capucines), livret de Pierre Soulaine et René Pujol (éditions Salabert).
  • 1929 : "Elle est à vous" (Théâtre des Nouveautés), livret d'André Barde (éditions Salabert).
  • 1929 : "Jean V", livret de Jacques Bousquet et Henri Falk
  • 1929 : "Kadubec" (Théâtre des Nouveautés), livret d'André Barde
  • 1930 : "Pépé" (Théâtre Daunou), livret d'André Barde
  • 1931 : "Un Deux Trois" (Moulin de la Chanson), livret et lyrics de René Bizet et Jean Barreyre.
  • 1932 : "Encore cinquante centimes" en collaboration avec Henri Christiné (Théâtre des Nouveautés), livret d'André Barde
  • 1933 : "Oh ! Papa" (Théâtre des Nouveautés), livret d'André Barde
  • 1934 : "La Belle Histoire" (Théâtre de la Madeleine), livret d'Henri-Georges Clouzot
  • 1934 : "Vacances" (théâtre des Nouveautés),livret d'Henri Duvernois et André Barde
  • 1935 : "Un coup de veine" (Théâtre de la Porte-Saint-Martin), livret d'André Mouëzy-Eon et Albert Willemetz.
  • 1935 : "Au soleil du Mexique" (Théâtre du Châtelet) en collaboration avec Robert Granville, livret d'André Mouëzy-Eon et Albert Willemetz.
  • 1942 : "Son excellence" (Théâtre des Variétés), livret de Louis Poterat et Daniel Margot
  • 1946 : "Monseigneur" (Théâtre Danou)
  • 1946 : "Chanson gitane" (Théâtre de la Gaîté-Lyrique), livret d'André Mouëzy-Eon, couplets de Louis Poterat (éditions Chappell)
  • 1958 : "Le corsaire noir"


Musique d'opérette, de comédie musicale télévisée, de théâtre et de cinéma

  • Là-Haut (1923) avec Maurice Chevalier dans le rôle principal
  • Pas sur la bouche
  • 1922 : Ta bouche livret d’Yves Mirande, lyrics Albert Willemetz, mise en scène Edmond Roze, Théâtre Daunou
  • 1924 : Gosse de riche, comédie musicale en trois actes, livret Jacques Bousquet et Henri Falk, Théâtre Daunou
  • 1929 : Jean V opérette de Jacques Bousquet et Henri Falk, Théâtre Daunou, février
  • 1930 : Pépé comédie en 3 actes d'André Barde, Théâtre Daunou, 25 octobre
  • La Belle marinière
  • Cœur de lilas
  • La Belle Équipe
  • La Fausse Maîtresse avec Danielle Darrieux
  • L'assassin habite au 21
  • Paris Béguin
  • Miroir
  • Octobre 1950 : La Revue de l'Empire d'Albert Willemetz, Ded Rysel, André Roussin, musique Paul Bonneau, Maurice Yvain, Francis Lopez, Henri Bourtayre, mise en scène Maurice Lehmann et Léon Deutsch, Théâtre de l'Empire
  • 1964 : Pierrots des Alouettes, comédie musicale télévisée d'Henri Spade
  • Chanson gitane

Publié dans Chanteurs-Chanteuses

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