Abe Shinzō

Publié le par Mémoires de Guerre

Shinzō Abe, né le 21 septembre 1954 à Nagato (préfecture de Yamaguchi), et mort assassiné le 8 juillet 2022 est un homme d'État japonais. Il est Premier ministre du Japon du 26 septembre 2006 au 26 septembre 2007 et du 26 décembre 2012 au 16 septembre 2020. Issu de l'une des plus influentes familles politiques du pays, il est cadre d'entreprise et conseiller politique de profession. Il succède à Jun'ichirō Koizumi, dont il est proche, comme Premier ministre en 2006 après avoir été élu à la présidence du Parti libéral-démocrate (PLD). Il est alors le plus jeune chef du gouvernement japonais depuis Fumimaro Konoe, en 1937. À la suite de la défaite de son parti aux élections sénatoriales de 2007 et en raison de problèmes de santé, il doit céder la tête du gouvernement à Yasuo Fukuda. En 2012, après cinq ans de retrait de la vie politique, il retrouve la présidence du PLD. Devenu chef de l'opposition parlementaire, il obtient du Premier ministre Yoshihiko Noda la convocation d'élections législatives en décembre 2012. À l'issue du scrutin, son parti l'emporte largement, ce qui lui permet de retrouver la fonction de Premier ministre.

Fort d'une réelle popularité et profitant d'une opposition disparate et affaiblie, il provoque en 2014 des élections législatives à l'issue desquelles il conserve, avec son allié Kōmeitō, la majorité des deux tiers à la chambre basse de la Diète du Japon. Son parti obtient à nouveau la majorité des deux tiers après les élections législatives anticipées de 2017. À la fin de l’année 2019, Shinzō Abe devient le Premier ministre à la longévité la plus importante de l'histoire du Japon. L'année suivante, alors que son autorité est relativement affaiblie par sa gestion de la pandémie de Covid-19 et par des affaires de corruption touchant son entourage, il annonce se retirer du pouvoir à cause d'un retour de sa maladie. Un de ses proches, Yoshihide Suga, lui succède le 14 septembre 2020. Le 8 juillet 2022, il est gravement blessé après avoir été la cible de tirs à Nara lors d'un discours dans le cadre de la campagne des élections du 10 juillet 2022 à la Chambre des conseillers, chambre haute du parlement du Japon. Shinzo Abe décède des suites de ces blessures vers 6 heures de l'après-midi (heure locale) à la suite de l’attaque parvenue lors de son discours à Nara, à l’âge de 67 ans. 

Abe Shinzō
Famille Abe

Les origines de Shinzō Abe remontent à trois importantes familles, influentes dans la préfecture de Yamaguchi depuis le XIXe siècle : les Abe, les Satō et les Kishi. Les Abe étaient une riche famille de brasseurs de saké et de soja. Les Satō et les Kishi, pour leur part, étaient deux importantes familles de l'ancien domaine de Chōshū, liées par des alliances matrimoniales et des adoptions réciproques : ainsi, Shusuke Kishi, arrière-grand-père maternel de Shinzō Abe, a épousé une fille de la famille Satō et a adopté leur nom. En échange, son fils aîné, grand-père de Shinzō Abe, né Nobusuke Satō, a à son tour été adopté par la famille Kishi qui n'avait plus d'héritier mâle. L'un de ses arrière-grands-pères est le général Ōshima Yoshimasa. Le grand-père maternel d’Abe est donc Nobusuke Kishi, Premier ministre du Japon de 1957 à 1960, qui fut par ailleurs emprisonné comme suspect de crime de guerre de classe A de 1945 à 1948, en tant qu'ancien haut fonctionnaire du Mandchoukouo, puis du ministère du Commerce et de l'Industrie dans le cabinet de guerre du général Hideki Tōjō. Emprisonné durant trois ans par les Américains, il fut finalement libéré sans assignation devant le Tribunal de Tokyo. 

Anticommuniste et pro-américain, il mène une politique visant à réinsérer son pays dans le concert des Nations et est l'artisan de la signature en 1960 du controversé traité de coopération mutuelle et de sécurité entre les États-Unis et le Japon, renégociation plus équilibrée entre les deux parties d'un précédent traité mutuel de sécurité passé en même temps que le traité de San Francisco en septembre 1951 qui mettait fin à l'occupation du Japon. Shinzō Abe présente son grand-père comme son modèle en politique, y voyant notamment la référence d'un de ses principaux objectifs : tourner la page de ce qu'il appelle la « société d'après-guerre » et redonner une fierté nationale au peuple japonais. Dans son livre intitulé Vers un magnifique pays, Abe a écrit : « Certains avaient l'habitude d'accuser mon grand-père d'être « suspect de crimes de guerre de classe A » et j'en ressentais une profonde répulsion. À cause de cette expérience, par opposition, il se peut que je me sois lié sentimentalement au « conservatisme » ».

Shinzō Abe est le petit-neveu d'un autre Premier ministre, Eisaku Satō, frère de Nobusuke Kishi. Son grand-père paternel, Kan Abe, a également été un homme politique, député indépendant à la Chambre des représentants de 1937 à 1946. Le père d’Abe est Shintarō Abe, gendre et héritier politique de Nobusuke Kishi devenu une figure politique importante et influente dans les années 1980, ancien ministre des Affaires étrangères et secrétaire général du Parti libéral-démocrate, le parti conservateur libéral au pouvoir sans discontinuer de sa création en 1955 jusqu'à 1993 et de 1994 à 2009. Le frère cadet de Shinzō Abe, Nobuo Kishi (né Abe mais adopté par son oncle maternel), est lui aussi un homme politique du PLD, élu à la Chambre des conseillers pour la préfecture de Yamaguchi depuis 2004. Dans son arbre généalogique se trouve également Yōsuke Matsuoka, ancien ministre des Affaires étrangères du Japon impérial (1940 – 1941) et qui fut à l'origine du Pacte tripartite signé le 27 septembre 1940. 

Éducation d'un héritier politique

Bien que né dans le bastion familial, Shinzō Abe est élevé dans la préfecture de Tokyo où sa famille s'est installée à partir de 1957 à la suite du lancement de la carrière politique de son père. Il est scolarisé dans le privé, au sein des établissements de la compagnie scolaire Seikei à Musashino. Il sort en 1977 diplômé en sciences politiques de la faculté de droit de l’université de Seikei d'un rang assez médiocre5. Il part ensuite à Los Angeles, en janvier 1978, poursuivre ses études en science politique à l’université de Californie du Sud. De retour au Japon en avril 1979, Abe travaille pour l'entreprise de construction métallique Kōbe Steel Ltd., qui ne peut « rien refuser à son père », et ce jusqu’en 1982. Il entre ensuite au service de son père en tant qu'assistant, d'abord au ministère des Affaires étrangères de 1982 à 1986, puis à la présidence du Conseil général du PLD de 1986 à 1987 et enfin au secrétariat général du PLD de 1987 à 1989. 

Parcours politique

Débuts

Après la mort de son père en 1991, Abe se présente à sa place dans l'ancien premier district de la préfecture de Yamaguchi en 1993 et, obtenant le plus de voix au vote unique non transférable avec une large avance (97 647 voix et 24,2 % des suffrages exprimés, il totalise 31 938 votes et près de 8 points de plus que le candidat élu en seconde place, le sortant et ancien ministre Yoshirō Hayashi, lui aussi un libéral-démocrate), il est alors élu pour la première fois à la Chambre des représentants. Au sein du PLD, il adhère à la faction qui était dirigée par son père et avant lui par Takeo Fukuda, désormais menée par Hiroshi Mitsuzuka, le Conseil pour la nouvelle politique (Seiwa Seisaku Kenkyūkai) ou Seiwakai, connu pour sa volonté de réformer le fonctionnement interne du parti pour le rendre plus démocratique et moins dépendant des luttes d'influence entre chefs de faction, pour sa recherche d'une déréglementation administrative et économique et pour son attachement à l'alliance nippo-américaine.

Aux élections législatives du 20 octobre 1996, les premières à se dérouler selon le système mixte mis en place par la réforme électorale de 1994, il est réélu au scrutin uninominal majoritaire à un tour dans le nouveau 4e district de la préfecture de Yamaguchi (à savoir les villes de Shimonoseki et Nagato à l'ouest), avec 93 459 votes et 54,3 % des suffrages face aux 34,7 % de Takaaki Koga du Shinshintō (principale force d'opposition de l'époque) et 11 % au candidat du PCJ. Il est par la suite plébiscité dans cette circonscription à chaque scrutin, avec 71,7 % des voix (121 835 suffrages) en 2000, 79,7 % (140 347) en 2003, 73,6 % (137 701) en 2005 et 64,3 % (121 365) en 2009. La première décennie de sa carrière politique est discrète, tout en commençant à apparaître progressivement comme un des représentants de la jeune garde du PLD et du camp réformateur, il devient dès cette époque un soutien de Jun'ichirō Koizumi auquel il apporte l'assistance d'une grande dynastie conservatrice. 

Il est l'un des piliers de la première campagne de ce dernier à la présidence du PLD du 22 septembre 1995, avec deux députés trentenaires eux aussi élus depuis peu : Hiroyuki Arai (37 ans, élu en 1993) et Nobuteru Ishihara (38 ans, élu en 1990). Koizumi est alors largement défait par Ryūtarō Hashimoto, en n'obtenant que 87 voix contre 30 à ce dernier. Plus tard, Abe est directeur du bureau de la jeunesse du parti de 1997 à 1999. Il fait partie du « Conseil des NAIS », à la fois groupe de réflexion et alliance politique formé par quatre jeunes parlementaires quadragénaires et réformateurs, sur le modèle du « trio YKK » créé en 1994 par Taku Yamasaki, Jun'ichirō Koizumi et Kōichi Katō. Comme pour ce dernier, le nom du « quatuor » reprend les initiales en rōmaji des noms de ses membres : Takumi Nemoto, Abe, Nobuteru Ishihara et Yasuhisa Shiozaki.

D'autre part, Shinzō Abe semble dans un premier temps, à travers ses premiers travaux parlementaires ou ses positions au sein du parti, être un membre secondaire de la « Tribu de la santé et des affaires sociales ». Ainsi, en 1999, il devient directeur de la division des Affaires sociales du PLD, ainsi que directeur (soit l'équivalent d'une fonction de vice-président) de la commission de la Santé et du Bien-être de la Chambre des représentants. Du 4 juillet 2000 au 22 septembre 2003, il est secrétaire général adjoint des Cabinets de Yoshirō Mori et Jun'ichirō Koizumi avant d’être nommé secrétaire général, et donc numéro deux du PLD par Koizumi le 21 septembre 2003. Ce poste va le faire passer alors de l'intérêt discret pour les affaires sociales et sanitaires à la place d'un spécialiste des questions de sécurité et de politique étrangère au sein de la majorité. 

Négociateur avec la Corée du Nord

En 2002, il sert de négociateur en chef au gouvernement japonais pour discuter avec la Corée du Nord du sort de cinq Japonais survivants enlevés sur les plages nippones sur ordre de Kim Il-sung. Il se forge alors une réputation de fermeté et est crédité des avancées importantes que connaît ce dossier à cette époque, ce qui le fait connaître du grand public et lui confère même une importante popularité. Ainsi, il prépare la visite à Pyongyang de Jun'ichirō Koizumi, la première d'un chef de gouvernement japonais en Corée du Nord, le 17 septembre 2002. À cette occasion, en échange de l'expression par le Premier ministre de « profonds regrets » pour l’attitude du Japon pendant l’occupation japonaise de la Corée, Kim Jong-il reconnaît officiellement, et s'excuse pour cela, l'enlèvement par la Corée du Nord de 13 citoyens japonais entre 1977 et 1983. Quelques mois plus tard, il obtient du régime nord-coréen le retour au Japon des cinq dernières victimes de ces enlèvements encore en vie selon Pyongyang, à condition qu'elles reviennent ensuite en Corée du Nord, le 15 octobre suivant, puis s'attire le soutien de l'opinion publique japonaise, avec Koizumi, en refusant cette dernière revendication de la Corée du Nord et en demandant désormais que ces rapatriés soient rejoints par leurs enfants nés après leurs enlèvements et restés en Corée du Nord. Abe dirigea également le Comité des parlementaires PLD contre l'éducation sexuelle « excessive ». 

Successeur de Koizumi

Secrétaire général du PLD

Fraîchement réélu pour un mandat de trois ans à la tête du PLD le 20 septembre 2003, Jun'ichirō Koizumi nomme Shinzō Abe (qui était son directeur de campagne lors de cette élection à la présidence du parti) au poste de secrétaire général, soit la deuxième position dans la hiérarchie du parti. C'est alors une surprise, étant donné la faible expérience politique d'Abe et sa jeunesse (seulement deux personnes avant lui furent nommées à cette fonction avant d'avoir atteint l'âge de 50 ans, Kakuei Tanaka en 1968 et Ichirō Ozawa en 1989, tous deux à 47 ans), mais cette décision est plutôt accueillie positivement par les observateurs politiques et les médias. En effet, Koizumi souhaite rajeunir la majorité en vue des élections législatives anticipées fixées au 9 novembre 2003, et Abe est alors considéré comme le maître de la stratégie électorale. Il permet également de jouer pleinement sur l'une des actions les plus populaires du gouvernement, celle sur les enlèvements en Corée du Nord (d'autant qu'une cellule spéciale sur la question des enlèvements est créée et présidée au sein du PLD par Abe le 4 octobre 2003). Le Nihon Keizai Shinbun qualifie d'ailleurs ce choix d'« idée brillante qui permet de mettre en valeur un aspect neuf ».

Après ces élections législatives, qui marquent une victoire de la coalition au pouvoir avec 275 sièges sur 480 (soit 4 de plus qu'en 2000, mais toutefois 12 de moins que dans la chambre sortante), dont 237 pour le PLD, il préside à l'absorption le 21 novembre 2003 par ce dernier du Nouveau Parti conservateur. Ce dernier, partisan d'une « révolution conservatrice » sur le modèle de l'action de Margaret Thatcher, de Ronald Reagan voire de George W. Bush, allié depuis sa création en 2002 avec les libéraux-démocrates, apporte ainsi ses 4 députés au parti, lui permettant de regagner à lui seul la majorité absolue. En tant que secrétaire général du PLD, il est surtout chargé d'opérer la réforme interne voulue par Koizumi, à la fois de l'organisation, afin de la rendre moins dépendante du jeu des factions, plus propice au renouvellement générationnel et plus transparente, et de la ligne politique. Ainsi, avant même les élections législatives de 2003, une règle interdisant de présenter à la proportionnelle des candidats âgés de plus de 73 ans est adoptée par les instances du mouvement. Plus tard, un comité de réforme, présidé par Abe, est mis en place et présente en janvier 2004 un plan qui prévoit la sélection de candidats au sein de la société civile pour les futures élections sur la base de primaires, de commissions d'investitures ou de sondages d'opinion qui pourraient être demandés par tout candidat potentiel dans une circonscription donnée. Ce plan envisage également de rendre transparent, via Internet, l'usage par les membres du parti des indemnités et subventions publiques, par le biais de cartes à puce distribuées à tous les militants. Si ce projet ne va pas donner de suite officielle, il va servir de base à la stratégie des « Assassins » (Shikaku), de jeunes personnalités, dont de nombreuses femmes, issues de la société civile et plus attachées à Koizumi et à ses réformes qu'à l'appareil partisan, qui va faire le succès de la majorité aux élections législatives de 2005.

Il s'attache également à faire réviser la plateforme fondamentale du parti, inchangée depuis 1995, en la confiant à un panel consultatif directement placé sous son autorité et confié au député Kaoru Yosano. Le résultat de cette réflexion est présenté en juin 2004, et comprend plusieurs projets de réforme particulièrement chers à Shinzō Abe : il prévoit ainsi d'ajouter parmi les priorités du parti la recherche d'« un consensus national pour l'établissement d'une nouvelle constitution » (sans pour autant se prononcer sur ce que celle-ci devrait contenir), l'appel à une réforme de la loi fondamentale de l'éducation et l'expression de sa résolution à lutter contre le terrorisme et le crime. Le parti met ensuite en place en décembre 2004 un comité chargé de rédiger un projet de Constitution, présidé par l'ancien Premier ministre, Yoshirō Mori, dirigeant, à l'époque, de la faction du Seiwakai. Cette nouvelle plateforme, ainsi que le projet constitutionnel, sont officiellement adoptés à l'occasion du 50e anniversaire de la formation le 22 novembre 2005.

Mais il doit surtout gérer la fronde de l'opposition à la Diète concernant la réforme des retraites préparée par le gouvernement, ainsi que le scandale touchant justement au même moment les retraites de plusieurs personnalités politiques de la majorité. Ceci, couplé à l'impopulaire participation du Japon à des missions de reconstruction dans la coalition militaire en Irak, rend pour la première fois depuis l'arrivée de Jun'ichirō Koizumi en 2001 le PLD impopulaire, et lui fait essuyer une assez importante défaite lors du renouvellement de la moitié de la Chambre des conseillers du 11 juillet 2004 (si le parti conserve la majorité au sein de la chambre haute grâce à ses alliés du Kōmeitō et à la bonne performance réalisée lors du précédent scrutin en 2001, il est alors devancé en voix et en siège par le Parti démocrate du Japon, principale force d'opposition). S'étant personnellement investi dans la campagne, en se fixant pour objectif de gagner 51 sièges pour finalement devoir ne se contenter que de 49, Shinzō Abe décide d'assumer la responsabilité de cet échec et annonce sa volonté de démissionner de son poste de secrétaire général du PLD. Jun'ichirō Koizumi la refuse pendant un temps, avant de finalement l'accepter le 27 septembre 2004. Il est remplacé par l'ancien ministre de l'Agriculture du premier gouvernement de Koizumi, Tsukomu Takebe, mais reste néanmoins au sein de la direction en tant que secrétaire général adjoint et président de l'Unité de promotion de la réforme. 

Secrétaire général du Cabinet

La 31 octobre 2005, lors de la constitution du troisième et dernier gouvernement de Jun'ichirō Koizumi, Shinzō Abe est nommé Secrétaire général du Cabinet, prenant la succession à ce poste de Hiroyuki Hosoda. Par ses fonctions, il est l'un des porte-paroles du gouvernement et doit gérer la coordination des différents services gouvernementaux. Après sa nomination perçue comme la promotion d'un fidèle, Abe devient l'un des favoris pour la succession de Koizumi au Kantei pour laquelle il déclare officiellement sa candidature le 1er septembre 2006. Le 20 septembre 2006, il est, sans surprise, largement élu président du Parti libéral-démocrate en recueillant 464 voix sur 703, soit 267 parlementaires et 187 délégués, loin devant les deux autres candidats, Tarō Asō (136 voix) et Sadakazu Tanigaki (102 voix). Le soutien des deux puissantes factions que sont le Seiwakai, proche de l'ancien Premier ministre Yoshirō Mori et à laquelle appartient Shinzō Abe, et du Heiseikai, faction de l'ancien Premier ministre Ryūtarō Hashimoto a été déterminant dans le choix des grands électeurs du PLD, tout comme ses convictions nationalistes proches des « faucons » en matière de politique étrangère ont pu favoriser sa désignation à la tête du parti au pouvoir. Six jours plus tard, Shinzō Abe est logiquement élu Premier ministre du Japon par 339 voix sur 475 à la Chambre des représentants ; il est en revanche élu à la Chambre des conseillers par une majorité bien plus rétrécie. Âgé de 52 ans, il devient le cinquante-septième chef du gouvernement nippon depuis 1885. 

Shinzo Abe est arrivé au pouvoir en 2012

Shinzo Abe est arrivé au pouvoir en 2012

Premier ministre du Japon

Premier mandat

Considéré comme le grand favori face à Sadakazu Tanigaki et Tarō Asō, il est élu le 20 septembre 2006 à la tête du PLD avec 464 voix sur 703. En conséquence, il succéde le 26 septembre à Jun'ichirō Koizumi au Kantei. Il devient le deuxième Premier ministre le plus jeune de l'histoire du pays après Fumimaro Konoe ainsi que l'un des plus nationalistes, bénéficiant d'une opinion publique très positive. Mais, moins d'un an plus tard, cette popularité s'est effondrée (moins de 30 % de la population japonaise soutient ses actions) et Abe annonce son intention de démissionner du poste de Premier ministre le 12 septembre 2007. Parmi les raisons de cette impopularité, Abe s'est entouré principalement de ministres issus de sa « coterie personnelle », cinq d'entre eux ont dû démissionner pour malversations et l'un s'est suicidé. Il a délaissé la question du dysfonctionnement du système des retraites qui menace des millions de Japonais pour privilégier d'autres points de son programme et est confronté à l'échec du PLD lors du renouvellement de la moitié de la Chambre des conseillers de juillet et à l'impossibilité de prolonger une loi antiterroriste qui autorisait la force navale japonaise à ravitailler les navires militaires des États-Unis opérant en Afghanistan. Abe quitte la présidence du Parti libéral-démocrate. Le lendemain de son annonce, Abe est admis dans un hôpital de Tokyo. Il démissionne le 25 septembre 2007. 

De la traversée du désert au retour politique

Après sa démission, ses principales préoccupations étaient sa santé et de rester vivant politiquement. Pour retrouver toute sa force, Abe tente des compléments alimentaires et même des randonnées. Mais ce sera Asacol, un nouveau médicament anti-inflammatoire, qui lui permettra de guérir de sa maladie. Abe recouvre sa santé juste à temps pour se battre pour sa carrière politique. Il décide alors de se représenter dans le district qu'il représentait depuis 1993 à Yamaguchi ; il est également déterminé à quitter la vie politique si jamais il échoue à se faire réélire dans son district. Abe avait déclaré dans un entretien pour Suenobu diffusé par BS Asahi qu'à l'époque, les gens considéraient sa carrière politique comme presque terminée. Pour Abe, il s'agit de repartir à zéro. Afin de s'assurer une large victoire à Yamaguchi en vue des élections à la chambre basse en 2009, il s'y rend pratiquement tous les weekends, passe ses matinées avec les personnes âgées, parle à des classes de l'école primaire ; il se rend également aux cérémonies d'inauguration et aux tournois de karaté. 

Tsuyoshi Hatamura, un conseiller de Abe, a expliqué que ce dernier voulait rencontrer les habitants du district et leur parler, et ce bien qu'il eût dans ce district une quasi-certitude d'être réélu du fait du prestige de sa famille. Finalement, il est réélu en 2009 avec 64 % des suffrages. Nobuo Kishi, son frère cadet, a expliqué que grâce à cette victoire écrasante, Abe a pu retrouver une forte volonté. Abe est animé du sentiment qu'il faut rapidement agir pour redresser le pays après la crise financière mondiale de 2007-2008 et ce d'autant plus que la Chine, puissance émergente, semble pouvoir constituer une sérieuse menace pour le Japon. Il décide de prendre plusieurs mesures pour retrouver son influence au sein du PLD : ainsi, il préside un groupe de conservateurs qui discutent des priorités que doit avoir le PLD avec notamment une nécessaire réforme de l'éducation, une diplomatie plus forte et une suppression des restrictions pacifistes pesant sur l'armée. Au sein de ce groupe nommé « Créer le Japon », Abe est considéré comme l'un de ceux qui sont réellement animés, au plus profond d'eux-mêmes, par une idéologie héritée de son grand-père Nobusuke Kishi

Ces réunions aident Abe à retrouver de son influence au sein du parti. En 2011 et en 2012, Shinzō Abe consulte des experts en politique économique comme Yōichi Takahashi, ancien fonctionnaire du ministère des Finances, ou encore Koichi Hamada, un professeur émérite d'économie à l'université Yale. Tous les deux sont persuadés que la Banque du Japon a trop longtemps été timide quant à l'utilisation des instruments de la politique monétaire afin de sortir le pays de la déflation. Abe devient un des principaux critiques de la politique de la banque nationale. Abe décide en 2012 de se représenter pour la présidence du PLD, ce qui implique que si le parti retrouve la majorité, il pourrait redevenir Premier ministre. Selon Eitarō Ogawa, qui a écrit Le Sort de la nation, un livre sur Shinzō Abe paru en juin 2013, plusieurs des proches de Abe étaient opposés au fait qu'il se présente pour la présidence du parti. Sa mère Yōko, notamment, s'y est opposée. Mais son épouse, Akie Abe, l'a soutenu et s'est fortement impliquée dans la campagne. Shinzō Abe déclare : « Si je suis incapable de faire du Japon un grand et robuste pays cette fois-ci, alors il n'y a pas de sens à la vie que j'ai vécue jusqu'à présent. » 

Retour sur le devant de la scène politique

Il est réélu président du PLD le 26 septembre 2012, prenant ainsi la tête du Shadow Cabinet du parti, alors que des élections législatives anticipées sont attendues d'ici à la fin de l'année. Comme l'avait fait Sadakazu Tanigaki, il fait voter son parti en faveur de certains textes de loi présentés par le PDJ le 16 novembre 2012 (dont une autorisant l'émission d'obligations nécessaire pour financer le budget 2012), obtenant en échange du Premier ministre la dissolution le jour même de la Chambre des représentants et la tenue d'élections anticipées le 16 décembre suivant. 

Favori des législatives de 2012

Il fait figure de favori dans les sondages, étant lui-même préféré régulièrement à Yoshihiko Noda mais aussi aux autres figures montantes de la campagne, telles l'ancien gouverneur de Tokyo Shintarō Ishihara, pour devenir le prochain Premier ministre, tandis que son parti reste en tête dans les enquêtes d'opinions. Néanmoins, son avance est loin, à chaque fois, d'être importante. Ainsi sa cote de soutien personnelle oscille entre 29 % dans un sondage du Yomiuri Shimbun mené du 23 au 25 novembre 2012 à 37 % dans une précédente enquête menée par le même quotidien les 16 et 17 novembre 2012, tandis que Yoshihiko Noda se situe dans ces deux sondages respectivement à 19 % et 31 % et que Ishihara arrive second avec 22 % pour l'enquête des 23 et 25 novembre. D'autres sondages, menés aux mêmes périodes par d'autres grands titres de la presse nationale, montrent des écarts encore plus serrés entre le Premier ministre en exercice et le chef de l'opposition qui a toutefois toujours l'avantage (33 contre 31 % pour l’Asahi Shimbun les 15 et 16 novembre 2012, 33,9 contre 30 % pour l'agence Kyodo News les 24 et 25 novembre 2012). Pour ce qui est des intentions de vote par parti, le PLD attire entre 18,7 % des personnes interrogés par Kyodo News les 24 et 25 novembre (contre 10,3 % à l'Association pour la restauration du Japon de Shintarō Ishihara et 8,4 % seulement au PDJ) et 25 % pour le Yomiuri Shimbun du 23 au 25 novembre 2012 (contre 14 % à l'ARJ et 10 % au PDJ, d'autres enquêtes montrent en revanche le parti majoritaire sortant en deuxième position). 

Programme politique

Il prend pour slogan « Remettre sur pied le Japon » (Nippon o torimodosu), et mène campagne essentiellement sur les questions de sécurité et de politique étrangère, qui restent ses principaux chevaux de bataille et le font une nouvelle fois présenter dans les médias nationaux ou internationaux comme un « faucon » : il place la relation nippo-américaine au centre de son projet de politique étrangère (promettant de réserver son premier déplacement officiel à l'étranger, si son parti obtenait la majorité, aux États-Unis), relance son objectif ancien de révision de la Constitution du Japon afin de reconnaître le statut d'« armée conventionnelle » aux Forces japonaises d'autodéfense, envisage d'augmenter le budget de la défense et prône une attitude ferme dans les conflits territoriaux opposant le Japon à ses voisins, surtout avec la République populaire de Chine sur les îles Senkaku. Après avoir inclus dans son programme, présenté au public le 21 novembre 2012, d'installer une présence permanente d'officiels gouvernementaux dans l'archipel36, il propose ensuite, lors d'un discours à Tokyo le 29 novembre 2012, d'utiliser d'anciens navires de la Force maritime d'autodéfense pour aider les garde-côtes japonais à « défendre » les îlots et empêcher toute venue de navires chinois dans leurs eaux territoriales.

Sur le plan économique, il place sa priorité dans la lutte contre la déflation (se réservant même la possibilité de revenir sur la hausse de la taxe sur la consommation, pourtant votée en 2012 avec l'aval du PLD, si la tendance n'est pas rapidement inversée en la matière). Son plan, présenté le 15 novembre 2012, repose essentiellement sur des mesures de politique monétaire et adopte à ce sujet un discours ferme à l'égard de la Banque du Japon, qu'il veut pousser à adopter un objectif chiffré d'inflation à 2 ou 3 %, à mener un assouplissement quantitatif illimité, à fixer des taux d'intérêt à court terme négatifs et à acheter directement au gouvernement central des obligations pour financer les travaux publics (le programme du PLD prévoyant également de dépenser 200 billions de yens dans des grands travaux en dix ans dans le but de rendre le pays mieux équipé face aux catastrophes naturelles). Si les marchés ont réagi favorablement immédiatement après ces annonces (les cours à la bourse de Tokyo ont augmenté et le yen a perdu de la valeur face au dollar américain), le Japan Times estime ces mesures « irréalistes » (pour l'objectif de 2 à 3 % d'inflation, ce terme est repris par le gouverneur de la Banque du Japon, Masaaki Shirakawa, ferme défenseur de l'indépendance de son institution et hostile à tout retour à une politique chiffrée) ou « dangereuses [...] pour la discipline budgétaire » (pour le projet d'obliger la Banque du Japon à acheter des bons de construction au gouvernement), et qu'elles « causeraient des effets collatéraux tels que des hausses des taux d'intérêt à long terme et une inflation qui ne serait pas accompagnée par des activités économiques stimulées. » 

L'économiste Izuru Kato, de l'institut Totan Research, déclare pour sa part, concernant des taux d'intérêt à court terme négatifs : « Je ne vois aucune chance pour que cela soit retenu. » Sur les autres thèmes principaux de la campagne, il se déclare favorable à une adhésion du Japon au processus de négociation de l'Accord de partenariat transpacifique (ou TPP pour Trans-Pacific Strategic Economic Partnership), un des chevaux de bataille de Yoshihiko Noda et du PDJ, mais en y incluant une discussion au cas par cas afin de maintenir des « sanctuaires » et donc des tarifs de protection pour certaines gammes de produits jugés sensibles (notamment agricoles). Sur le plan de l'énergie nucléaire et de son éventuelle sortie (demandée, d'après de nombreux sondages, par une majorité de Japonais marqués par la catastrophe de Fukushima), Shinzō Abe juge le but fixé par Yoshihiko Noda de « zéro nucléaire » d'ici aux années 2030 d'« extrêmement irresponsable » et affirme que le PLD, en cas de retour au pouvoir, « agira avec responsabilité pour relancer les opérations des réacteurs suspendus une fois leur sûreté établie. » De par l'histoire de sa famille, Abe est profondément lié au développement de l'énergie nucléaire au Japon, à son ancrage local et aux dépendances économiques qu'elle entraîne pour les communautés qui hébergent des centrales nucléaires. Abe prévoit toutefois de réduire progressivement la dépendance énergétique du Japon à l'égard du nucléaire sur le long terme au profit d'un investissement dans les énergies renouvelables. 

Obtention d'une large majorité

Le jour du scrutin, le 16 décembre 2012, le PDJ, devenu très impopulaire, subit une défaite sévère, retombant à seulement 57 sièges. Cela se traduit en contrepartie par une importante victoire en nombre de sièges du PLD, qui obtient à lui seul la majorité absolue pour atteindre les 294 élus. Le vote majoritaire explique tout particulièrement cette victoire, avec 237 des 300 circonscriptions gagnées. Par contre, à la proportionnelle, le parti n'obtient que deux sièges de plus qu'en 2009, soit 57 sur les 180 à pourvoir. Les 31 élus du Nouveau Kōmeitō (retrouvant 9 circonscriptions au vote majoritaire alors qu'il les avait toutes perdues en 2009, il n'obtient qu'un député de plus à la proportionnelle) permettent à la coalition de centre-droit, avec 325 représentants, de dépasser le seuil des 2/3 des membres de la chambre basse (soit 320 membres sur 480) nécessaires pour faire passer des textes même en cas d'avis contraire de la Chambre des conseillers, où il n'y a toujours pas de majorité. 

La forte abstention (avec 40,68 % d'électeurs ne s'étant pas déplacés pour voter, il s'agit du record depuis 1945), de dix points supérieure à celle de 2009, est analysée par les médias et analystes politiques comme le signe d'un vote sanction du PDJ sans espoir réel suscité néanmoins par les libéraux-démocrates. Takeshi Sasaki, professeur de sciences politiques à l'université Gakushūin, déclare, par exemple : « Les électeurs ne se sont pas porté sur un nouveau choix, mais voulaient punir le PDJ. » Il ajoute que la victoire du PLD « ne signifie pas que les électeurs portent les mesures défendues par le parti en haute considération. Si vous interprétez le résultat de cette manière, ce serait une erreur. » Les cadres de la nouvelle majorité, y compris Shinzō Abe, reconnaissent eux-mêmes cet état de fait au cours de la soirée électorale. Lors d'une apparition à la télévision, ce dernier a ainsi admis que les Japonais ne lui avait pas donné une approbation à « 100 % », mais qu'ils voulaient plutôt « mettre fin à trois années de chaos ». Il dit de plus que : « À moins de satisfaire les attentes des électeurs, leur soutien à notre égard disparaîtra. Avec ça en tête, nous devons garder un sens de tension [dans la gestion du gouvernement]. » 

Second mandat

Retour à la stabilité politique

Le 26 décembre 2012, Shinzō Abe, chef de la nouvelle majorité parlementaire, est élu Premier ministre par la Chambre des représentants, avec 328 voix sur 478 votants, contre 57 voix au nouveau président du PDJ, l'ancien ministre de l'Industrie, Banri Kaieda, et 54 voix à l'ancien gouverneur de Tokyo, Shintarō Ishihara. Il l'est également à la Chambre des conseillers, sans atteindre la majorité absolue, lors du second tour, avec 107 votes sur 238 contre 96 à Kaieda. De ce fait, Shinzō Abe est le second chef du gouvernement ayant retrouvé le titre de Premier ministre, après Shigeru Yoshida, durant l'après-guerre. Le jour même de son investiture par la Diète, Abe présente son nouveau gouvernement. Il accorde le poste de ministre des Finances à l'ancien Premier ministre Tarō Asō, en fonction de 2008 à 2009, qui avait tout comme les autres dirigeants de la planète à l'époque répondu à la crise des subprimes par un vaste plan de relance. Dans le but de mettre en œuvre des réformes et de prendre des mesures efficaces en vue d'enrayer la déflation chronique touchant l'économie japonaise, Asō, 72 ans, qui était Premier ministre lorsque le PLD a perdu les élections en 2009 face au PDJ, occupe les postes de vice-Premier ministre, de ministre des Finances et ministre des Services financiers. Plusieurs postes sont également accordés à d'anciens ministres du PLD.

Ainsi, Akira Amari, 63 ans, ancien ministre de l'Économie, du Commerce et de l'Industrie (METI), se voit attribuer le nouveau poste de ministre de la Revitalisation économique. Toshimitsu Motegi, 57 ans, ancien ministre des Services financiers, est nommé à la tête du METI. Yoshihide Suga, 64 ans, l'un des plus proches alliés de Abe et considéré comme un réformiste, obtient le poste de Secrétaire général du Cabinet et de porte-parole du gouvernement. Ce poste est important puisqu'il coordonne les politiques des différents ministères. Il fait aussi entrer au gouvernement ses adversaires lors des élections pour la présidence du parti, espérant ainsi s'assurer l'obéissance du PLD. Sadakazu Tanigaki est ainsi nommé ministre de la Justice. Nobuteru Ishihara est nommé ministre de l'Environnement et de la Gestion des crises nucléaires. Seules deux femmes font leur entrée au gouvernement : Masako Mori est nommée ministre d’État pour l'Autonomisation des femmes et l'Éducation des enfants, ministre d'État chargé de la lutte contre le Déclin démographique et ministre d’État chargé de l'Égalité des sexes et Tomomi Inada, ultraconservatrice proche d'Abe, est chargée de la Réforme administrative et de la stratégie du Cool Japan. Très rapidement, Abe encadre ses ministres ; il n'est pas question que ces derniers expriment une opinion différente de celle du Cabinet. Ils sont également dépêchés sur le terrain.

Parallèlement, Abe soigne son image pour s'assurer du soutien de la population. Contrairement à ses prédécesseurs, il n'hésite pas à utiliser ce que les nouvelles technologies peuvent apporter à la communication gouvernementale. Le 22 mars 2013, ses services ont mis en ligne une application pour smartphone, téléchargeable depuis le site du Kantei (la résidence des Premiers ministres). Elle offre un accès à la page Facebook du bureau du Premier ministre, des informations sur la politique mise en œuvre par ce dernier ainsi que ses activités. Abe utilise aussi son propre compte Facebook pour préciser ses choix, mettre en ligne des photos prises pendant ses déplacements ou adresser des messages directs. Il a également fait voter au Parlement une réforme autorisant l'usage des réseaux sociaux dès la campagne des élections sénatoriales de juillet 2013, et a mis fin aux briefings quotidiens en vigueur lors de son premier passage à la tête du gouvernement. Ces briefings avaient été mis en place par Jun'ichirō Koizumi, son charismatique prédécesseur, et n'avaient jamais été supprimés depuis. Désormais, Abe se réserve les annonces importantes et n'hésite pas à bousculer les habitudes. En janvier, il s'est ainsi invité au milieu d'une émission de débats diffusée dans le Kansai et il choisit ses passages à la télévision sans se soucier de respecter l'équilibre entre les grandes chaînes nationales. Il a aussi ouvert, et c'est une première dans l'histoire du pays, aux enfants les portes de la résidence du Premier ministre dans le quartier de Nagata à Tokyo. Faisant de l'économie sa priorité, Abe est à l'origine de ce que les économistes et investisseurs appellent les Abenomics. Il théorise un redressement du Japon au moyen de ce qu'il appelle les trois flèches : une dévaluation massive du yen pour obtenir un avantage compétitif vis-à-vis de ses voisins, une relance budgétaire et une stratégie de croissance à long terme.

Fort du succès de cette politique auprès des entreprises, des investisseurs et de la population japonaise en globalité, Shinzō Abe atteint des taux de popularité entre 63 % et 72 % tout au long de sa première année au pouvoir. Parallèlement, le PLD aussi accroît sa popularité. Cette forte popularité d'Abe permet d'assurer la fidélité des membres de son parti qui ne se sont pas déchirés dans des guerres de factions. Cette unité affichée derrière le Premier ministre conduit à une large victoire du PLD lors des élections à la chambre des conseillers du Japon de 2013. À la suite d'une campagne animée par les débats autour de la réforme de la Constitution japonaise, le PLD et son allié le Nouveau Kōmeitō remportent une majorité absolue de 135 sièges. Parallèlement, le PDJ enregistre ses pires résultats et tombe à 59 sièges. Shinzō Abe profite donc d'un retour à la stabilité politique au cours de cette première année à la tête du pays, une situation inédite depuis Jun'ichirō Koizumi, ce qui pousse les médias japonais à pronostiquer qu'Abe devrait rester au pouvoir au moins jusqu'en 2016, date des prochaines élections à la Chambre des représentants et à la Chambre des conseillers.

Par ailleurs, Shinzō Abe a, dès l'ouverture de la session extraordinaire de la Diète le 15 octobre tenté de mener des réformes afin de renforcer l'autorité du Premier ministre et de son gouvernement. En effet, le 6 novembre, son gouvernement a validé une réforme de l'administration publique visant à créer une nouvelle entité afin de gérer les nominations des hauts fonctionnaires. Cette entité sera directement sous l'autorité du bureau du Premier ministre. Le gouvernement souhaitait que la Diète adopte cette réforme avant la fin de la session extraordinaire afin de mettre en place la nouvelle entité dès le printemps 2014. Le gouvernement a également présenté au parlement un projet de loi, soumis à débat, qui vise à permettre aux membres du gouvernement et au Premier ministre d'assister moins de jours aux sessions de la Diète. En effet, le Japon est l'un des pays ou les membres du gouvernement doivent le plus se présenter au parlement. Par exemple, le Premier ministre a obligation d'assister aux sessions de la Diète pendant au minimum 120 jours par an contre une trentaine de jours au Royaume-Uni et 11 jours en Allemagne. Ce système est critiqué car il empêcherait les membres du gouvernement de se consacrer pleinement à leur travail puisqu'ils doivent assister aux débats parlementaires. Abe entend aussi profiter de cette réforme afin de se rendre plus souvent à l'étranger.

Le 9 novembre 2013, le Parlement a approuvé la nomination des 29 candidats choisis par le gouvernement à des postes de responsabilité au sein de 12 organismes publics, incluant la NHK. En effet, le parlement a approuvé la nomination au sein du comité de direction de la NHK (constitué de 12 sièges) de cinq personnes. L'écrivain Naoki Hyakuta (auteur notamment de Zero pour l'éternité, un manga sur les recherches d'un homme sur son grand-père kamikaze), Michiko Hasegawa, professeur à l'Université de Saitama, Katsuhiko Honda, conseiller pour Japan Tobacco, Naomasa Nakajima, directeur du lycée de Kayo sont des nouveaux nominés, tous proches de Shinzō Abe. Susumu Ishihara sera, lui, reconduit à son poste au sein du comité de direction. Les partis d'opposition ont accusé Abe de vouloir influencer l'élection du prochain président de la NHK. En effet, le président de la NHK est élu par les 12 membres du comité de direction. Finalement, le 20 décembre 2013, le comité de direction de la NHK a désigné Katsuto Momii président de la NHK. Celui-ci, ancien président de Nihon Unisys, est proche de chefs d'entreprises qui ont des liens étroits avec Shinzō Abe. De plus, Katsuto Momii a déclaré soutenir une réforme de la Constitution japonaise ainsi que la loi sur le secret d'État, portée par le gouvernement Abe. 

Premières batailles politiques

Shinzō Abe s'était engagé dans son programme électoral à mettre en place l'équivalent du Conseil de sécurité nationale (États-Unis) afin de renforcer notamment le rôle du Premier ministre et de son gouvernement dans la politique étrangère et militaire. Ce Conseil est aussi une réponse à la montée des tensions avec la Chine. En décembre, le parlement a voté en faveur de la création de ce Conseil. Mais en parallèle, Shinzō Abe, dans l'optique de lutter contre les fuites d'informations secrètes qui ont déjà eu lieu par le passé mais aussi pour lutter contre l'espionnage et afin de rassurer ses alliés quant à la sécurité des informations secrètes qui lui sont communiquées, a décidé de faire adopter une loi sur les secrets spéciaux (Tokutei himitsu hogo-hō). Cette loi sur les secrets spéciaux consiste en fait à la mise en place de sanctions d'une sévérité exceptionnelle pour la divulgation de « secrets spéciaux », dont la définition est laissée à la discrétion des ministères. Toute personne divulguant des secrets spéciaux risquera 10 ans de prison. Mais la législation ne définit pas clairement le champ des données à classifier. Les hauts fonctionnaires pourront le faire avec celles qu'ils jugent comme relevant de la défense, des affaires étrangères, de la lutte contre le terrorisme ou du renseignement intérieur.

Par rapport à cette loi, il y a eu vingt-deux heures de débats à la chambre basse et dix-sept heures à la chambre haute. Le 5 décembre, la session parlementaire était tellement agitée, notamment en raison de la ferme opposition de l'opposition, qu'elle a dû être reportée. Dans le même temps, des centaines de manifestants protestaient autour de la Diète contre un projet de loi qu'ils accusaient d'être liberticide et ressemblant à la loi de préservation de l'ordre public de 1925, législation ayant ouvert la voie à la répression des opposants à la montée du militarisme d'avant-guerre. D'après les sondages, 82 % des japonais seraient opposés à cette loi. Les médias et plusieurs célébrités japonaises se sont également mobilisées contre le projet de loi. D'ailleurs, Shigeru Ishiba, le secrétaire général du PLD, a fait scandale auprès de la population japonaise en accusant les opposants à cette réforme de commettre des « actes terroristes » en manifestant. Il s'est par la suite rétracté. Shinzō Abe a cherché à faire quelques concessions, notamment pour obtenir le soutien de certains partis de l'opposition comme l'Association pour la restauration du Japon. Le gouvernement a ainsi sous la pression de l'opposition concédé la création d'un organisme qui devra surveiller le processus de désignation, et qui serait selon Yoshihide Suga, porte-parole du gouvernement, complètement indépendant. Un autre organisme sera également créé afin de développer des normes pour désigner et déclassifier des secrets spéciaux. Il sera constitué d'experts. Un troisième organisme sera lui constitué de vice-ministres et veillera à ce que les entités gouvernementales désignent les informations secrètes de façon appropriée.

Cependant, malgré l'opposition de la population, le gouvernement a passé en force cette loi le 6 décembre 2013, refusant les demandes de l'opposition de poursuivre les discussions en 2014. La cote de popularité du Premier ministre a pour la première fois baissé de 10 % à 50 % d'opinions favorables. Mais Shinzō Abe, libéré de toutes élections avant 2016, ne craindrait pas selon un de ses conseillers d'aller à 0 % d'opinions favorables. Le 26 décembre 2013, date marquant la fin de sa première année au pouvoir, Shinzō Abe s'est rendu au sanctuaire Yasukuni à titre « privé ». Il s'agissait de la première visite d'un Premier ministre au Yasukuni depuis celle de Jun'ichirō Koizumi en 2006. Les sondages ont montré que 69 % des Japonais pensent qu'Abe aurait dû tenir compte des conséquences diplomatiques de sa visite au Yasukuni. En janvier, le taux de popularité de Shinzō Abe a cependant de nouveau augmenté, atteignant plus de 60 %, alors même que 45 % des Japonais soutiendraient la visite de Abe au Yasukuni et 47 % y seraient opposés. Parallèlement, Shinzō Abe a commencé l'année 2014 en annonçant dans ses vœux du Nouvel An sa volonté d'accélérer la révision de la Constitution japonaise. Le 24 janvier 2014, néanmoins, Shinzō Abe s'est concentré dans son discours d'ouverture sur les questions économiques. Les relations entre le PLD et le Nouveau Kōmeitō se sont dégradées depuis la visite de Shinzō Abe au Yasukuni. Et ce d'autant plus que le Kōmeitō soutient dans ses principes la Constitution pacifiste du Japon et a exprimé ses réticences quant aux réformes de la Constitution que souhaite mettre en place Shinzō Abe. Même concernant le droit d'autodéfense collective que Shinzō Abe souhaite accorder au Japon afin de permettre aux Forces japonaises d'autodéfense de venir en aide à un allié, le Kōmeitō reste plutôt réticent. Cette dissension croissante au sein de la coalition s'est retrouvée lors des élections municipales de Nago à Okinawa.

En effet, le 27 décembre 2013, Shinzō Abe et le gouverneur de la préfecture d'Okinawa, Hirokazu Nakaima, se sont mis secrètement d'accord pour que le gouvernement central augmente son aide à la préfecture en échange de quoi, la base militaire américaine de Futenma située à Ginowan sera déplacée à Nago, une autre ville à l'intérieur de la préfecture. Cet accord met ainsi fin à un bras de fer ayant duré près de ving ans en raison de la volonté des habitants d'Okinawa de voir la présence militaire américaine fortement réduite au sein de la préfecture. Ce dossier empoisonnait les relations entre les États-Unis et le Japon depuis des années. Cependant, les sondages ont révélé que 63 % des habitants d'Okinawa étaient opposés à la décision de Hirokazu Nakaima60. Le 19 janvier 2014, les habitants de Nago ont réélu le maire sortant Susumu Inamine qui s'est engagé à empêcher ce plan qui a satisfait Washington. Le PLD a reproché au Kōmeitō d'avoir refusé d'appeler ses électeurs à voter en faveur du candidat soutenu par le gouvernement. En conséquence, depuis le début de l'année 2014, Shinzō Abe a approché les dirigeants du parti de l'Association pour la restauration du Japon en rencontrant Shintarō Ishihara et Tōru Hashimoto. Il a également approché le dirigeant de Votre Parti (Japon), Yoshimi Watanabe. Bien qu'il puisse se passer de toute alliance avec des partis en raison de la majorité absolue obtenue par le PLD, Shinzō Abe préfère éviter d'être accusé de faire du forcing. Il a ainsi appelé ces deux partis à être des « partis d'opposition responsables » acceptant d'avoir de sérieuses discussions avec le parti de la majorité afin de mettre en place des réformes. Les deux partis y ont répondu favorablement. Ainsi, Yoshimi Watanabe a déclaré que « Si le Premier ministre est déterminé à se battre et si ses stratégies correspondent aux nôtres, je n'éviterai pas la coopération. » Yorihisa Natsuno, secrétaire général de l'Association pour la restauration du Japon a déclaré « Notre parti coopérera sur les fronts diplomatiques, sécuritaires et constitutionnels en tant que parti d'opposition responsable, mais nous aurons des débats approfondis concernant les questions de politique intérieure tout en précisant les points de litige. »

Le Parti démocrate du Japon (PDJ) a cependant rejeté toute coopération avec un gouvernement aux idéaux complètement différents de ceux promus par le parti. C'est ce qu'a expliqué le président du PDJ, Banri Kaieda, qui a conduit son parti plus à gauche que ce qu'il n'était. Parallèlement, le populaire Goshi Hosono, ancien secrétaire général du PDJ mais devenu très influent au sein du parti, tente de refonder l'opposition en cherchant à nouer des alliances, notamment avec un nouveau parti, le Yui no to, fondé par l'ancien secrétaire général de Votre parti, Kenji Eda, et composé notamment d'anciens membres de Votre parti. Depuis la visite de Shinzō Abe au sanctuaire Yasukuni le 26 décembre 2013, plusieurs de ses proches ont commencé à faire des déclarations mettant le gouvernement dans une position délicate tant au niveau national qu'international. Le 26 janvier 2014, le nouveau président de la NHK, Katsuto Momii, proche de Shinzō Abe, a fait scandale en minimisant le sujet des femmes de réconfort. Il a ainsi déclaré que « l'esclavagisme sexuel a eu lieu dans toutes les guerres. Peut-on dire que ça n'existait pas en Allemagne ou en France ? », ce qui a provoqué notamment la colère de la Corée du Sud et de la Chine. Quelques jours plus tard, un membre du conseil d'administration de la NHK, Naoki Hyakuta, lui aussi proche de Shinzō Abe, tenait lors d'un meeting électoral des propos négationnistes à propos du massacre de Nankin. Il a ainsi expliqué qu'« En 1938, Tchang Kaï-chek avait tenté d'alerter l'opinion mondiale sur le massacre de Nankin, mais les autres pays l'ignorèrent. Pourquoi? Parce qu'il n'a jamais eu lieu ! » Shinzō Abe a refusé de commenter ces déclarations et selon un proche collaborateur, elles ont rendu Abe furieux car elles auraient contribué à éclipser son agenda économique66. Début février, Seiichi Eto, un conseiller spécial de Shinzō Abe, a posté une vidéo sur YouTube dans laquelle il critique les États-Unis pour avoir exprimé leur « déception » face à la visite du Premier ministre au Yasukuni. La vidéo a été rapidement supprimée de Youtube. Le 19 février 2014, le Wall Street Journal a cité Etsuro Honda, un conseiller spécial du gouvernement pour l'économie. Il aurait déclaré que le Premier ministre devait se rendre au Yasukuni parce que la paix et la prospérité dont a profité le Japon après la Seconde Guerre mondiale sont dues aux sacrifices des kamikaze. Honda a porté plainte le lendemain contre le Wall Street Journal, l'accusant d'avoir déformé ses déclarations. Sentant que ces déclarations menaçaient l'avenir du gouvernement, et ce d'autant plus qu'Abe avait déjà perdu le pouvoir par le passé en raison des déclarations de ses proches, Yoshihide Suga est passé en mode "gestion de crise" en déclarant durant une réunion du gouvernement le 21 février : « Nous devons tous résoudre ce problème en étant conscients de l'urgence. » Suga a ainsi sermonné les conseillers de Abe ayant fait des déclarations problématiques dans la presse. Le 25 février, le ministre des Affaires étrangères Fumio Kishida a déclaré que les déclarations de l'extrême droite concernant la Seconde Guerre mondiale ne correspondent pas au point de vue du gouvernement.

C'est aussi sur un autre front qu'Abe doit se battre. Le gouverneur de Tokyo, Naoki Inose, a annoncé le 19 décembre 2013 sa démission sur fond d'un scandale financier à propos d'un prêt douteux datant de sa campagne électorale de 2012. Il est alors annoncé que les élections auront lieu le 9 février 2014. En janvier 2014, la campagne électorale commence. Shinzō Abe et le PLD ont décidé de soutenir le populaire Yōichi Masuzoe qui s'est déclaré en faveur d'une sortie progressive du nucléaire. Mais l'ancien Premier ministre Jun'ichirō Koizumi, qui milite contre le nucléaire, a convaincu l'ancien Premier ministre Morihiro Hosokawa, favorable à une sortie immédiate du nucléaire, de se présenter. Le candidat soutenu par Shinzō Abe, Yoichi Masuzoe, est malgré tout élu gouverneur de Tokyo à une écrasante majorité. En effet, 42,86 % des électeurs tokyoïtes ont voté pour Yoichi Masuzoe. Morihiro Hosokawa est même arrivé en troisième position avec 19,39 % des votes, derrière Kenji Utsunomiya qui a obtenu 19,93 % des votes. En avril 2014, après la hausse de 3 points de la TVA la faisant passer de 5 % à 8 %, Shinzō Abe s'est lancé dans la bataille de l'élection partielle dans la deuxième circonscription de Kagoshima. Le PLD a décidé de soutenir Masuo Kaneko, ancien président de l'assemblée préfectorale de Kagoshima. Les partis de l'opposition ont décidé de s'unir pour soutenir le candidat Akashi Uchikoshi. Cette élection était considérée comme un test pour l'administration Abe, étant la première élection à se dérouler après la hausse de la TVA. Mais le 27 avril, Masuo Kaneko a été élu à une écrasante majorité pour représenter la circonscription à la chambre basse de la Diète. Cette victoire a contribué à affaiblir encore plus l'opposition et à renforcer l'influence de Shinzō Abe au sein de sa propre majorité mais aussi au Parlement, afin de faire passer les réformes souhaitées.

En effet, le Nouveau Kōmeitō, partenaire du PLD dans la majorité est opposé à la volonté de Shinzō Abe de réformer l'interprétation officielle de l'article 9 de la constitution japonaise afin de permettre au Japon d'exercer un droit d'autodéfense collective, c'est-à-dire de pouvoir venir militairement en aide à un allié du Japon à l'étranger. Les Forces japonaises d'autodéfense auraient ainsi le droit d'intervenir à travers le monde tout en pouvant utiliser des armes à l'étranger. Le droit d'autodéfense collective divise aussi le PLD. Pour unir le PLD autour du principe d'autodéfense collective, Abe a décidé que ce droit s'exercerait uniquement dans la région Asie-Pacifique. Après les élections de Kagoshima, le PLD et le Nouveau Kōmeitō ont entamé des négociations pour maintenir l'unité de la majorité, bien que Shinzō Abe n'en ait pas réellement besoin en raison de la majorité absolue de son parti. Dans le même temps, le 9 mai 2014, le gouvernement de Shinzō Abe est devenu le gouvernement à avoir duré le plus longtemps depuis 1945 sans le moindre remaniement. Shinzō Abe et son gouvernement ont conservé un fort taux de popularité. Shinzō Abe, dont le mandat n'a été éclaboussé par aucun scandale, a annoncé un remaniement de son gouvernement après la session ordinaire de la Diète, vers la fin du mois de juin 2014. En février 2018, il fait reculer l'âge maximal de la retraite des fonctionnaires de 70 à 80 ans pour les seuls travailleurs volontaires. Il invoque le problème de financement des retraites, notamment dû à l'importante espérance de vie des Japonais (87 ans pour les femmes et 81 ans pour les hommes) et à un faible taux de natalité. Cette mesure intervient alors que 19 % des personnes âgées vivent sous le seuil de pauvreté – un record pour un pays industrialisé –, ce qui en contraint un certain nombre à travailler alors qu'ils sont à la retraite. 

Controverses

Un scandale sur une demande de complaisance envers la radiotélévision, les positions révisionnistes très controversées ainsi qu'une affaire de copinage pour des constructions, qui sont contraires à l'appel d'offre, sont des controverses qui affectent Abe. L'opposition à l'échelle nationale est faible mais triomphe aux élections locales telles que l'Assemblée métropolitaine de Tokyo. Le Premier ministre a néanmoins prévu de rester au pouvoir jusqu'en 2021, pour réformer en profondeur la constitution de 1947 et pour assister aux Jeux olympiques tokyoïtes dont il est l'un des pourvoyeurs. 

Troisième mandat

Le 20 novembre 2019, Shinzō Abe bat le record de longévité de Katsura Tarō pour un Premier ministre japonais en exercice avec 2 887 jours au pouvoir. Son quatrième gouvernement, constitué en juillet 2019, comprend plusieurs personnalités issues de l’organisation nationaliste Nippon Kaigi, « un puissant lobby d’extrême droite », selon L'Humanité, et « qui prône la révision des livres scolaires et de la Constitution pacifiste, mais également un retour au statut divin de l’empereur ». Parmi eux, Koichi Hagiuda, connu pour ses positions révisionnistes, est nommé à l’Éducation. Shinzō Abe propose de réviser la Constitution pacifiste de 1947, qui indique que le pays « renonce à jamais à la guerre ». En 2015, des manifestations avaient secoué le pays lors de l'adoption de lois sécuritaires permettant au Japon de déployer des forces armées sur des théâtres d'opération extérieurs. Le Premier ministre japonais semble compter sur l'aval du président américain Donald Trump, qui a déclaré souhaiter voir « la nation guerrière japonaise » consacrer plus de moyens à l'armée. Il doit faire face aux scandale Moritomo Gakuen : ce groupe, engagé dans la promotion d’un enseignement « réaffirmant le caractère impérial du Japon », a bénéficié en 2017, grâce à l'intervention de hauts fonctionnaires agissant peut-être sur ordre de Shinzō Abe, d’un rabais de 85 % pour l’acquisition d’un terrain public afin d’y construire une nouvelle école. Les dirigeants de Moritomo sont proches d’Akie Abe, l’épouse du Premier ministre, qui avait été nommée proviseure honoraire du futur établissement. 

Démission

Shinzō Abe annonce le 28 août 2020 sa démission prochaine pour raisons de santé : le Premier ministre souffre alors d'une aggravation de la colite ulcéreuse dont il est atteint depuis l'adolescence. Sa démission devient effective après la nomination de son successeur au sein du Parti libéral-démocrate qui intervient le 14 septembre 2020, en la personne de son ancien porte-parole Yoshihide Suga ; ce dernier prend ses fonctions de Premier ministre deux jours plus tard. Shinzō Abe demeure membre de la Chambre des représentants. 

Retrait de la vie politique et assassinat

Le 8 juillet 2022, alors qu’il donne un discours lors de la campagne des sénatoriales du 10 juillet dans la ville de Nara, Shinzō Abe est gravement blessé par un homme âgé de 41 ans, Tetsuya Yamagami, ancien membre de la Force maritime d'autodéfense japonaise, qui lui tire deux fois dans le dos avec un fusil de production artisanale. L’ancien Premier ministre s’effondre et, selon plusieurs témoins, se met à saigner abondamment au niveau du cou. Les secours sur place lui pratiquent immédiatement un massage cardiaque298. Abe est transporté à l’hôpital en urgence par hélicoptère quelques instants plus tard, dans un état critique, étant en arrêt cardiorespiratoire. Les médias rapportent qu’il ne donne plus « aucun signe vital » et le gouvernement déclare qu’il a été « abattu ». Son état de santé demeure incertain. Le tireur est immédiatement arrêté. Il aurait déclaré être « insatisfait par l'ancien premier ministre » et avoir eu « l'intention de le tuer ». En fin de journée, à 18h le 8 juillet 2022, la chaîne de télévision nationale NHK annonce la mort de Shinzo Abe, qui succombe à ses blessures à l’âge de 67 ans. 

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