Tuerie d'Auriol
La tuerie d'Auriol est l'assassinat de six personnes dans la nuit du 18 au 19 juillet 1981 à Auriol (Bouches-du-Rhône) dans la bastide familiale de Jacques Massié, chef de la section locale du service d'action civique (SAC) de Marseille. Ce dernier est soupçonné par son adjoint de vouloir les trahir en remettant à des mouvements de gauche les dossiers locaux du SAC. Cette tuerie survient dans un contexte d'extrême paranoïa anticommuniste. Jacques Massié, son épouse, son fils âgé de 7 ans, ses beaux-parents et son beau-frère sont tués tour à tour. Ce crime émeut la France et devient une affaire d'État. À la demande du président de la République François Mitterrand, le gouvernement dissout le SAC le 3 août 1982.
Le 23 avril 1984, lors du procès du sextuple meurtre d’Auriol (Bouches-du-Rhône) devant la cours d’assises d’Aix-en-Provence, trois des accusés : Finochietti, Collard et Maria (de gauche à droite)
Contexte
Jacques Massié, 41 ans, est un brigadier de police affecté à Marseille. Domicilié dans une vieille bastide provençale dans le lotissement de la Douronne à Auriol, il y vit avec son épouse Marie-Dominique, 34 ans et son fils Alexandre, 7 ans. Mais le policier est aussi connu pour être le chef de la section des Bouches-du-Rhône du Service d'action civique (SAC), réseau gaulliste créé par Jacques Foccart, pour lequel l'arrivée au pouvoir de la gauche en cette année 1981 alimente de grandes craintes, aggravées par de fortes rivalités internes. Jean-Joseph Maria, adjoint de M. Massié au service du SAC, soupçonne effectivement ce dernier de trahison et de diverses malversations (notamment de détourner les cotisations des membres du club de tir du SAC, ou de racketter les bars de Marseille et de Toulon au nom du SAC, ce qui lui permet de payer sa Ferrari rouge et sa bastide), et finit par en convaincre les autres membres d'exclure Massié. Par ailleurs, le brigadier qui a obtenu grâce à son réseau de connaissances une place à l'école des inspecteurs de police à Cannes-Écluse enchaîne les absences répétées. Maria craint que M. Massié ne finisse par remettre ses documents confidentiels aux mouvements gauchistes. Ces rumeurs vont conduire au massacre d'une famille entière.
Première tentative de meurtre
Samedi 25 avril 1981. Jacques Massié vient d'avoir un entretien avec son successeur à la tête du SAC local. Il circule à bord de son véhicule lorsqu'il est victime de plusieurs coups de feu tirés par deux inconnus à moto. Il ressort indemne de cette tentative de meurtre et prévient aussitôt ses collègues, en précisant qu'il soupçonne fortement son adjoint au SAC, Jean-Joseph Maria, 54 ans, gérant d'une entreprise de peintures, et l'un de ses fidèles, Lionel Collard, 31 ans, ancien parachutiste de la Légion étrangère devenu ouvrier à l'usine Chambourcy de Mazargues. Il remet également aux enquêteurs une liste comportant les noms et adresses des membres de l'organisation. Après cet échec, Maria et Collard recrutent une équipe et la chargent de procéder à une surveillance des allées et venues de Massié avec pour objectif de le kidnapper, récupérer les dossiers sensibles vraisemblablement stockés dans la bastide familiale et mettre un terme au problème Massié. Dans le même temps, Marie-Dominique Massié demande à l'école de son fils de redoubler de vigilance.
Assassinats
Le samedi 18 juillet 1981, Jacques Massié, son épouse Marie-Dominique, et leur jeune fils âgé de sept ans, Alexandre, sont présents à la bastide familiale située à la Douronne. Il reçoit également ses beaux-parents, Jules et Emmanuelle Jacquèmes, ainsi que son beau-frère, Georges Ferrarini, compagnon de sa sœur Marina. Vers 15 heures, Massié quitte la maison provençale en empruntant le véhicule de son beau-frère, par méfiance, et laisse de fait le sien garé en évidence. C'est le moment que choisit un commando de six malfaiteurs masqués et armés pour investir la maison, et constater l'absence de leur cible et surtout la présence de cinq témoins gênants. Ce commando, formé par Jean-Joseph Maria, Lionel Collard, Jean-Bruno Finochietti, un instituteur de 31 ans, et trois employés des postes encartés à la CGT : Didier Campana, Ange Poletti et Jean-François Massoni décide alors d'attendre le retour de Massié en retenant les otages ligotés au premier étage dans l'une des chambres. Trois heures passent, les malfaiteurs s'impatientent.
À l'étage, l'enfant et sa mère n'ont alors que peu de mal à reconnaître celui qui les garde, grimé par un simple masque de chirurgien : Jean-Bruno Finochietti, instituteur qui a donné auparavant des cours au jeune garçon. Révélation fatale, car à 18 heures, Collard décide qu'il faut exécuter tout le monde. Un à un, les membres de la famille Massié doivent redescendre les escaliers et sont étranglés à l'aide d'une cordelette ou tués avec des armes blanches. Consciente du massacre qui se joue, Marie-Dominique Massié implore Finochietti d'épargner son fils, en vain. Ce dernier, endormi, est transporté par Finochietti jusqu'à Ange Poletti, lequel lui porte plusieurs coups de tisonnier au crâne. Mais l'enfant peine à mourir. Ne supportant plus ses râles, Finochietti l'achève de plusieurs coups de couteaux. Les corps sont ensuite transportés dans une mine désaffectée, près de la commune des Mayons. Jacques Massié est finalement tué alors qu'il regagne son domicile vers 3 heures du matin, loin d'imaginer ce qui a pu arriver aux siens. Les malfaiteurs déclenchent un incendie pour maquiller les éléments de preuves et prennent la fuite, emportant les fameux dossiers sensibles.
Premières constatations
Dimanche 19 juillet 1981, le voisinage découvre une maison à demi-consumée par le feu, un intérieur dévasté et des traces de sang. Marina Massié, la sœur de Jacques Massié, arrive également à la bastide où un repas de famille est prévu et constate l'incendie. Marina se rend dans un premier temps à l'hôpital local puis elle décide de rapporter les faits à la gendarmerie. Sur place, les gendarmes comprennent vite qu'ils sont sur les lieux d'un crime : l'incendie a été déclenché avec des bougies placées sous les rideaux de l'escalier menant à l'étage, où sont découverts des masques de chirurgiens sur un lit, des liens, des ficelles et des vêtements tachés de sang. Les objets n'ayant pas brûlé sont placés sous scellés, et envoyés au laboratoire pour analyses. Les enquêteurs retrouvent le véhicule Mercedes des beaux-parents à 300 m de la bastide. Dans le coffre, un mocassin. Tout autour, des objets sont dispersés : une chevalière, une paire de lunettes, un briquet, etc. comme si quelqu'un avait perdu ces objets en tentant de fuir. La piste s'arrête à une énorme tache de sang sur un trottoir, à l'endroit même où Jacques Massié a été rattrapé et poignardé par Finochietti. Placée sous l'autorité de la juge d'instruction Françoise Llaurens-Gérin aux motifs d'enlèvements, séquestrations, homicides volontaires, l'enquête est confiée au service régional de la police judiciaire de Marseille.
Rapides arrestations et premiers aveux
Les premières auditions menées avec des témoins et proches des Massié dans la journée du 19 juillet orientent aussitôt l'enquête vers le milieu du SAC, et les noms de Maria, Collard et Finochietti déjà cités. Ces derniers sont aussitôt interpellés. Si le tandem Maria-Collard résiste bien aux questions et confrontations, le fragile instituteur craque et avoue au terme de quarante heures de garde à vue les crimes en prenant connaissance des résultats de l'avancée de l'enquête : au laboratoire, l'analyse d'une bouteille de boisson gazeuse va révéler la présence de ses empreintes digitales. Il avoue sa participation à six meurtres mais refuse de donner des noms et réalise un dessin qu'il baptise : Sur l'écran noir de mes nuits blanches. Les visages y sont noircis et l'instituteur désigne ses complices par des lettres de l'alphabet : A, B, C et D. Par la lettre Z, il désigne le commanditaire, et parle d'un ordre direct « venu d'en haut ». À partir des indications de Finochietti, le corps de Jacques Massié est découvert au col du petit Galibier dans le Var et exhumé dans la journée du 22 juillet. Le 30 juillet, Massoni désigne une ancienne mine à l'extérieur du village Les Mayons dans le Var, comme l'endroit où les corps des autres membres de la famille Massié sont dissimulés, plus de dix jours après le massacre.
Commission rogatoire
La juge d'instruction délivre une commission rogatoire aux enquêteurs et de nouvelles arrestations ont lieu dans le milieu du SAC marseillais mais également au bureau national. Dans le même temps, l'enquête sur la personnalité et le train de vie de Jacques Massié jette le trouble. À la tête du SAC local, il serait effectivement à l'origine de nombreuses malversations, non pas pour les caisses du mouvement, mais bien pour son seul bénéfice, ce qui a entraîné sa chute. Des moyens exceptionnels sont déployés. Les trois employés des postes tombent dans ce coup de filet et se montrent plus prolixes : ils reconnaissent leur participation à l'opération et dévoilent les zones d'ombre. Le 24 juillet, le secrétaire général du SAC, Pierre Debizet, et le trésorier, Gérard Daury, sont arrêtés et placés en détention provisoire. L'emploi du temps de Debizet laisse alors apparaître un voyage à Marseille dans la journée du 5 mai 1981 et une rencontre avec des membres locaux du SAC. Il aurait déclaré que la question du « problème Massié » devait « être réglée ». Finochietti, Campana, Poletti et Massoni plaident coupables. Maria et Collard restent sur leurs positions.
Les assises des Bouches-du-Rhône ont jugé, en mai 1985, Finochietti, Campana, Poletti, Massoni, qui ont plaidé coupable. Maria et Collard ont au contraire démenti toute participation. Jean-Joseph Maria, Lionel Collard et Ange Poletti ont été condamnés à la réclusion à perpétuité, Jean-Bruno Finochietti et Didier Campana à vingt ans de prison, et Jean-François Massoni à quinze ans. Tous ont, aujourd'hui, retrouvé la liberté. Pierre Debizet, secrétaire général du SAC, inculpé et renvoyé, dans un premier temps, devant les assises, a bénéficié, après cassation, d'un non-lieu rendu par la chambre d'accusation de Paris. Il est mort en mai 1996. Vingt-six ans après les faits, Marina Massié a croisé par hasard Jean-Bruno Finochietti dans la rue. Le journal La Provence les a réunis pour qu'ils puissent dialoguer. Finochietti apparaît rempli de remords, il dit vivre avec les dernières paroles de Jacques Massié en tête et ne pouvoir s'empêcher de penser à Alexandre lorsqu'il voit un enfant. Marina Massié ne pardonnera jamais à l'ancien instituteur mais elle se sent apaisée de voir cet homme répondre à ses questions avec sincérité et regrets sans jamais se dérober.
Dimension politique
Par le déchaînement de violence et par les implications politiques de ces assassinats, l'affaire a eu un grand retentissement dans la presse française au début des années 1980. Elle a généralement mis en lumière la persistance de diverses organisations paramilitaires extrémistes et la négligence bienveillante de l'appareil d'État à leur égard pendant deux décennies. L'affaire entraînera la dissolution du SAC par le président François Mitterrand le 3 août 1982. Une commission d'enquête parlementaire (uniquement composée de membres de la majorité de gauche, la droite ayant refusé d'y siéger) avait été constituée immédiatement après les faits mais décida de ne pas demander la dissolution du SAC. Cette question fut cependant abordée par le Parlement, qui vota la dissolution.
Point de vue de François Mitterrand
Dans ses mémoires de conseiller de François Mitterrand, Jacques Attali rapporte une conversation privée au cours de laquelle le président de la République lui confie avoir été touché par cet événement : « François Mitterrand : “Ces gens-là sont encore très puissants. Ils essaieront de déstabiliser le régime. Ce qui est arrivé à Salvador Allende peut m'arriver. Je le sais.” Il me confie, sans précisions, qu'il a reçu des menaces après le 10 mai. Un jour, lors d'un voyage en province, quelqu'un lui glissera dans la main un message pour lui prouver qu'on peut l'assassiner, le moment venu, sans difficulté. »