Mitterrand François

Publié le par Mémoires de Guerre

François Mitterrand, né le 26 octobre 1916 à Jarnac (Charente) et mort le 8 janvier 1996 à Paris, est un homme d'État français, président de la République du 21 mai 1981 au 17 mai 1995. Avocat de formation, évadé de guerre, agent contractuel sous le régime de Vichy puis résistant, il s'engage en politique après la Seconde Guerre mondiale au sein de l'Union démocratique et socialiste de la Résistance. Député de 1946 à 1958, puis sénateur de 1959 à 1962 et à nouveau député de 1962 à 1981, il est onze fois ministre sous la IVe République, notamment ministre des Anciens Combattants et des Victimes de guerre, ministre de la France d'Outre-mer, ministre de l'Intérieur et garde des Sceaux, ministre de la Justice. Défavorable au retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958, il passe plus de vingt ans dans l'opposition. Le faux attentat de l'Observatoire menace pour un temps son ascension politique. Après avoir fondé son propre parti, la Convention des institutions républicaines, il est désigné candidat de l'union de la gauche en vue de l'élection présidentielle de 1965, qu'il perd au second tour face au président sortant, Charles de Gaulle. Devenu premier secrétaire du Parti socialiste en 1971, il est à nouveau le candidat de l'union de la gauche à la présidentielle de 1974, lors de laquelle il est battu au second tour par Valéry Giscard d'Estaing.

Candidat du Parti socialiste à l'élection présidentielle de 1981, il est élu au second tour face à Valéry Giscard d'Estaing. Premier chef d'État issu de la gauche sous la Ve République, il fait notamment voter l'abolition de la peine de mort et un certain nombre de mesures sociales inspirées du programme commun, puis décide du « tournant de la rigueur ». Il se présente en Européen convaincu, maintient la France dans l'alliance atlantique ainsi que la « Françafrique ». Avec la « doctrine Mitterrand », il s'engage à ne pas extrader les anciens terroristes d'extrême gauche. Après la défaite de la gauche aux élections législatives de 1986, il nomme Jacques Chirac à la tête du gouvernement, inaugurant la première cohabitation. En 1988, il est réélu président de la République face à Jacques Chirac. Son second mandat est marqué par l'engagement militaire de la France dans la guerre du Golfe, par l'adoption du traité de Maastricht, par la deuxième cohabitation (avec Édouard Balladur), par le déclin de sa popularité, par des révélations sur son passé et son état de santé déclinant. Seul président à avoir effectué deux septennats complets, François Mitterrand détient le record de longévité à la présidence de la République française. Atteint d'un cancer de la prostate diagnostiqué dès 1981, il meurt quelques mois après son départ de l'Élysée. 

Mitterrand François
Familles et liaisons

Pendant la Seconde Guerre mondiale, François Mitterrand rencontre une jeune résistante bourguignonne, Danièle Gouze, et l'épouse le 28 octobre 1944. Avec elle (présidente, de 1986 à 2011, de la fondation France Libertés fondée en 1986), il a eu trois fils : Pascal, né le 10 juillet 1945 et mort à deux mois et vingt jours, le 30 septembre 1945 ; Jean-Christophe, né le 19 décembre 1946, qui a été conseiller aux affaires africaines du président Mitterrand ; Gilbert, né le 4 février 1949, maire de Libourne (Gironde) de 1989 à 2011 et député de la Gironde entre 1981 et 2002. D'une relation extra-conjugale avec Anne Pingeot, conservatrice de musée, François Mitterrand a eu une fille : Mazarine Pingeot, née le 18 décembre 1974, à Avignon, qu'il reconnaît le 25 janvier 1984 devant notaire. Après avoir obtenu son agrégation de philosophie, elle a commencé une carrière d'enseignante puis est devenue écrivaine et chroniqueuse de télévision. Par ailleurs, Hravn Forsne, un militant politique suédois né en 1988, affirme, dans un entretien publié dans un journal suédois le 8 août 2014, être le fils biologique de François Mitterrand. Sa mère, la journaliste suédoise Christina Forsne, avait évoqué, dans un livre paru en 1997, la liaison qu'elle aurait eue avec l'ancien chef de l'État français. À partir de 1988, François Mitterrand entretient une liaison avec une étudiante en droit et militante socialiste, qu'il reçoit de nombreuses fois à l'Élysée. 

Un jeune homme épris de littérature

François Mitterrand est issu d'une famille nombreuse de la moyenne bourgeoisie provinciale, modérément aisée, catholique, conservatrice et patriote mais non antisémite. Son père a été cadre d'une compagnie ferroviaire, puis, ayant créé une entreprise de vinaigre, devient président de la Fédération patronale des vinaigriers. Se pliant aux desseins de réussite sociale de son milieu – l'un de ses frères devient saint-cyrien, un autre polytechnicien –, François Mitterrand entame à Paris en 1934 des études de droit. Il fréquente aussi la faculté de lettres, puis l'école libre des Sciences politiques. Initié à la littérature dès son plus jeune âge, il étudie et lit énormément, participe à des conférences et des concours oratoires, écrit des articles. Logé chez les pères maristes, il milite au sein de la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC).

De droite « par tradition », il s'intéresse vivement à la politique et adhère au mouvement des jeunes créé au sein des Croix-de-Feu par le lieutenant-colonel de La Rocque. Dès 1936, il fait pendant un an ses premières armes de journaliste en devenant chroniqueur littéraire de l'Écho de Paris, clairement hostile au Front populaire. Son service militaire, qu'il effectue à Paris dans l'infanterie coloniale et qu'il termine avec le grade de sergent, fait naître chez lui des sentiments pour le moins mitigés à l'égard de l'armée. L'institution lui paraît sclérosée, la hiérarchie pesante et rigide, l'encadrement borné. C'est dans cet esprit qu'il part pour le front, en septembre 1939.

De Vichy à la Résistance

François Mitterrand subit la « drôle de guerre », puis la campagne de France comme une fatalité qu'il affronte avec détachement, mais avec la volonté de rester lui-même, alors que règnent les rumeurs et les comportements moutonniers. Sérieusement blessé devant Verdun, il est envoyé dans un camp de prisonniers en Allemagne. Sa période de captivité le conduit à prendre du recul par rapport à son héritage religieux et politique. Il fait l'expérience d'un brassage social nouveau pour lui, rencontre des hommes de gauche. En même temps, son aptitude pour l'écriture et pour la parole, qu'il continue d'entretenir, le confirme dans la certitude qu'il jouit d'un réel ascendant sur les hommes. Il s'évade du stalag une première fois, puis une deuxième. La troisième tentative, en décembre 1941, est la bonne. Il a 25 ans. Pétainiste, François Mitterrand entre dans l’administration de l’État français à Vichy. D’abord rédacteur à la Légion française des combattants, il est nommé en mai 1942 chef du service de l'Information du Commissariat aux prisonniers de guerre (mai 1942). Il en démissionne en janvier 1943 et s’engage dans la Résistance, tout en conservant un poste à la direction des centres d'entraide ; c'est à ce titre qu'il reçoit en 1943 la Francisque gallique, qu’il assurera par la suite avoir accepté pour faciliter et couvrir son action clandestine.

François Mitterrand participe à la création du Rassemblement national des prisonniers de guerre (RNPG), qui s'adresse aux prisonniers rapatriés et évadés. D'obédience giraudiste (→ Henri Giraud), le RNPG est en concurrence avec un mouvement homologue, mais gaulliste, animé par le propre neveu du Général. Pour clarifier la situation, François Mitterrand se rend à Londres, puis à Alger, où il rencontre de Gaulle, qui, sur la recommandation d'Henri Frenay, résistant de la première heure et fondateur du mouvement Combat, tranche finalement en sa faveur. Les deux mouvements sont fusionnés au sein du Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés (MNPGD), qui absorbe également un groupe relevant de la mouvance communiste. L'ensemble est dirigé par François Mitterrand, alias Morland, sous la tutelle du Conseil national de la Résistance (CNR). Morland, activement recherché par la Gestapo, échappe de justesse à plusieurs arrestations. C’est à cette période qu’il rencontre sa future femme, Danièle Gouze. À la libération de Paris, le 24 août 1944, les différents ministères sont confiés – au nom du Gouvernement provisoire, qui se trouve encore à Alger – à des secrétaires généraux issus de la Résistance intérieure. Tout naturellement, François Mitterrand est responsable du département des Prisonniers et Déportés, dont le ministre (le « commissaire national ») est Henri Frenay. Il n'a pas encore 28 ans.

Le ministre de la IVe République

Dès l'arrivée d'Henri Frenay et du Gouvernement provisoire début septembre à Paris, François Mitterrand quitte le département des Prisonniers et Déportés. Son ambition n'est pas de faire une carrière dans la haute fonction publique. La politique devient son nouveau champ de bataille.

Un cacique du système

Il tente d’abord de s'appuyer sur le MNPGD, objet des convoitises du parti communiste et en proie à de violents conflits internes entre les « politiques », eux-mêmes divisés, et les partisans d'une action de type syndicaliste et corporatiste. Sur le plan professionnel, il devient rédacteur en chef du magazine féminin Votre Beauté, qu'il espère transformer en revue littéraire. Les deux expériences ne sont guère satisfaisantes, et il décide d'affronter le suffrage universel. Après un premier échec aux législatives de juin 1946 (dans la 5e circonscription de la Seine), il est élu député de la Nièvre au mois de novembre suivant grâce au soutien d’une coalition allant du centre gauche à la droite, hostile au tripartisme alors dominant. À l'Assemblée, il s'apparente à l'Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR), dont le leader est René Pleven, compagnon de la première heure du général de Gaulle. Dès janvier 1947, à seulement 30 ans, François Mitterrand est nommé ministre des Anciens Combattants. Si la guerre l’a politiquement transformé et conduit à la gauche de la gauche, c’est au centre gauche qu’il mène sa carrière ministérielle sous une IVe République à l’instabilité gouvernementale chronique. Nommé dix fois ministre, il assume des responsabilités de plus en plus importantes : ministre de la France d'outre-mer (1950-1951), de l'Intérieur (1954-1955) et garde des Sceaux (1956-1957). Pour en savoir plus, voir les articles Union démocratique et socialiste de la Résistance (UDSR), IVe République.

L'homme de la Nièvre

Parallèlement, François Mitterrand est réélu sans interruption député de la Nièvre de 1946 à 1958. Élu au conseil général de la Nièvre dès 1949, il devient maire de Château-Chinon en 1959 – s'enracinant avec opiniâtreté dans un terroir auquel il a manifesté la même fidélité qu'à ses amis. C'est symboliquement dans sa mairie qu'il accueillera le résultat de l'élection présidentielle du 10 mai 1981. Battu aux législatives lors de la grande vague gaulliste de 1958, il est immédiatement élu sénateur de la Nièvre, en redevient député en 1962, puis est constamment réélu jusqu'en 1981 ; de même il retrouve la présidence du conseil général de la Nièvre de 1964 à 1981.

Le partisan de la décolonisation en Afrique noire

Poursuivant l’œuvre de René Pleven, François Mitterrand est l'artisan du ralliement à l'UDSR d'un certain nombre d'élus africains – notamment Félix Houphouët-Boigny, futur président de la Côte d'Ivoire – jusque-là apparentés au groupe communiste de l'Assemblée. Ministre de la France d'outre-mer (1950-1951), il est favorable à une émancipation progressive des colonies d’Afrique et d’Indochine. Il met fin aux graves incidents qui secouent la Côte d'Ivoire en négociant avec Félix Houphouët-Boigny, ce qui lui vaut de violentes critiques de la part de la droite coloniale. Les liens qu'il tisse, au Parlement et même au gouvernement, avec ceux qui deviendront les chefs des nouveaux États indépendants, expliquent sans doute pour partie le fait qu'il se réservera, devenu lui-même président de la République, la haute main sur la politique africaine de la France. Il est nettement moins libéral sur la question algérienne. Pour lui, comme pour Pierre Mendès France, dont il est le ministre de l'Intérieur lorsque l'insurrection éclate en 1954, l'indépendance est inconcevable. Tous deux se réfèrent au statut relativement progressiste de 1947, dont l'application a été jusque-là sabotée sous la pression des grands colons. Mais, à la différence de Pierre Mendès France, François Mitterrand restera membre du cabinet Guy Mollet jusqu'à sa chute (février 1956-juin 1957), en tant que garde des Sceaux, alors que la répression se radicalise, ternissant son image d’homme libéral et réformiste.

L'opposant à de Gaulle

François Mitterrand s'oppose d'emblée au général de Gaulle, à la manière dont celui-ci est revenu au pouvoir en 1958, sur fond d'insurrection à Alger, et au régime qu'il met en place dans le cadre de la Ve République. Il critique le caractère trop personnel du pouvoir présidentiel que lui attribue la Constitution de la Ve République, ce qu'il qualifie de « coup d'État permanent ». Le retour au pouvoir du général de Gaulle marque un tournant dans le parcours politique de François Mitterrand en le précipitant vers la gauche. Après l'échec du lancement médiatique de la candidature de « Monsieur X » (Gaston Defferre) à la présidentielle de 1965 et du projet de « grande fédération », c'est lui qui, seul candidat de la gauche, affronte de Gaulle et, à la surprise générale, lui impose un second tour. Battu, mais avec 45 % des voix, il prend la tête de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste (FGDS). Lors des événements de mai 1968, qui divisent l'opposition de gauche, il commet la maladresse d’annoncer au plus fort de la crise sa candidature à la présidence de la République, mal accueillie par l’opinion. Après le triomphe des gaullistes aux élections législatives de juin, il se montre réaliste et ne se présente pas à l'élection présidentielle de 1969, imposée par la démission du général de Gaulle, et à l’issue de laquelle la gauche n'est pas présente au second tour.

Le reconstructeur de la gauche

François Mitterrand va suivre dès lors une nouvelle stratégie, fondée sur l'unification de la gauche non communiste et son ancrage à gauche. Adhérant au nouveau parti socialiste, qui vient de succéder à la vieille SFIO déconsidérée, il en prend la tête au congrès d'Épinay (11 juin 1971) et lui donne un sang nouveau en accueillant toute une jeune génération de militants venue notamment des mouvements anticolonialistes. L'ancrage à gauche est assuré par la signature d'un programme commun de gouvernement (1972) avec le parti communiste français (PCF) et les radicaux de gauche (→ parti radical, qui prévoit d'amples nationalisations pour assurer le contrôle de l'État sur l'économie. Cette phase s'achève avec l'arrivée de Michel Rocard et de nombreux militants du parti socialiste unifié (PSU) et de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), à l’occasion de l’élection présidentielle de 1974, qui se solde par la très courte défaite du premier secrétaire du parti socialiste face à Valéry Giscard d'Estaing. François Mitterrand est un habile capitaine : il sait composer avec les courants qui divisent le parti socialiste – rançon de son élargissement –, s'attache de jeunes et brillants lieutenants capables de faire contrepoids aux vieux « caciques » de l'ex-SFIO, et parvient à rendre le seul parti communiste responsable de la rupture du programme commun, aux yeux de l'opinion (1977). Aux élections législatives de 1978, le PCF est devancé par le PS, dont la progression va culminer en 1981.

Le quatrième président de la Ve République (1981-1995)

Le président de l’alternance

Candidat pour la troisième fois, François Mitterrand est élu président de la République le 10 mai 1981, au second tour, avec 51,8 % des voix. S’il a bénéficié des suffrages d’une partie de la droite hostile à Valéry Giscard d’Estaing, il se présente comme l’élu du peuple de gauche. La nouvelle Assemblée consacre en juin le triomphe du parti socialiste (la « vague rose »), et le premier gouvernement de Pierre Mauroy voit le retour aux affaires de quatre ministres communistes, pour la première fois depuis 1947. Une série de mesures sociales (retraite à 60 ans) ou symboliques, comme l'abolition de la peine de mort, sont prises dès les premiers mois du septennat. S’il est le président de la gauche et de l’alternance, François Mitterrand, ancien grand adversaire de la Ve République, se coule non seulement dans le moule fabriqué par le général de Gaulle mais revient à une pratique symbolique du pouvoir suprême dans laquelle le fondateur de la Ve République excellait, mais que ses deux successeurs, chacun à sa manière, avaient quelque peu amoindrie. Aimant les symboles, il marque son investiture à la présidence par une cérémonie au Panthéon, au cours de laquelle il honore les grands noms associés aux valeurs de la gauche. Attaché au protocole, il se fait une haute idée de sa fonction, et veille à ce que ses prérogatives soient toujours respectées. En particulier, après la victoire de la droite aux élections législatives de 1986, et la nomination de Jacques Chirac à l'hôtel Matignon – qui crée une situation inédite de cohabitation –, il se place en garant des institutions et sait s’imposer dans les domaines pour lesquels il estime devoir jouer un rôle prééminent – les Affaires étrangères, en particulier la construction européenne et la politique africaine, ainsi que la Défense.

La continuité en politique étrangère

À dire vrai, la droite lui conteste d'autant moins ce rôle que François Mitterrand assume, dans les faits, l'héritage de ses prédécesseurs. L'Afrique noire francophone demeure le « pré carré » où prévalent les relations interpersonnelles, voire familiales avec la nomination de son fils Jean-Christophe à la cellule africaine de l'Élysée, et ce sera le gouvernement Balladur qui opérera la première rupture dans la tradition avec la dévaluation du franc CFA en janvier 1994. De même, en matière de défense, le nouveau président ne remet en question ni le dogme de la dissuasion nucléaire, ni le statut particulier de la France au sein de l'OTAN ni le principe de la conscription. Quant à l'implication de la France dans la guerre du Golfe, elle recueille l'assentiment d'un très large éventail du spectre politique. Voyant dans la construction européenne le gage d’une paix durable, François Mitterrand renforce l'axe franco-allemand et favorise plusieurs avancées : sur le plan institutionnel, avec la signature des accords de Schengen (1985), de l'Acte unique européen (1986), du traité de Maastricht (1992) ; et, d'un point de vue à la fois symbolique et économique, avec la construction du tunnel sous la Manche. Il se montre toutefois réticent lors de la réunification allemande qu'il admet sans enthousiasme, craignant une rupture de l'équilibre franco-allemand.

Un second septennat difficile

Cultivant un goût du secret remarquable, François Mitterrand sait utiliser le suspense comme une arme, et le prouve magistralement en 1988 quand il laisse planer le doute sur sa candidature à l'élection présidentielle, ce qui lui permet à la fois d'écarter son concurrent socialiste, Michel Rocard, et de déstabiliser le camp adverse. Le 8 mai 1988, François Mitterrand est réélu président de la République avec une confortable majorité devant Chirac (54,4 % des voix). Dans un contexte de persistance de la crise économique, ce second mandat est marqué par la multiplication des scandales politico-financiers et la seconde cohabitation à partir de 1993 (Édouard Balladur est alors chef du gouvernement).

Rongé par un cancer, décelé en 1981 mais caché à l’opinion publique jusqu’en 1992, François Mitterrand connaît une fin de septennat difficile, endeuillée par les suicides du Premier ministre Pierre Bérégovoy et d'un de ses conseillers. Il fait en outre l'objet de violentes polémiques à la suite des révélations du journaliste Pierre Péan sur son rôle comme fonctionnaire du gouvernement Pétain ainsi que de son amitié avec René Bousquet, haut fonctionnaire de Vichy inculpé de crime contre l'humanité pour sa responsabilité dans la rafle du Vél' d'Hiv de juillet 1942 (Une jeunesse française, François Mitterrand, 1934-1947, 1994). La même année, il laisse révéler au grand public l'existence de sa fille naturelle, Mazarine Pingeot.

Il remplit ses fonctions jusqu’au terme de son mandat, malgré les ravages de la maladie. Retiré de la vie publique, il se consacre à la rédaction de ses mémoires, avant de mourir à Paris le 8 janvier 1996. Homme de lettres autant qu'homme politique, François Mitterrand est l'auteur de plusieurs ouvrages, de l'essai politique à la chronique (Aux frontières de l'Union française, 1953 ; le Coup d'État permanent, 1964 ; Changer la vie, 1972 ; la Paille et le Grain, 1975 ; l'Abeille et l'Architecte, 1978 ; Ici et maintenant, 1980). Deux ouvrages seront publiés quelques semaines après sa mort : Mémoires interrompus et De l'Allemagne, de la France (1996).

Tout au long de son septennat, il a été l'initiateur d'une série de grands travaux de prestige qui contribuent à modifier le visage de Paris : la Pyramide du Louvre, la Grande Arche du quartier de la Défense, l’Opéra de la Bastille, la Cité des sciences et de l'industrie de la Villette, le ministère des Finances de Paris-Bercy et, enfin, la Bibliothèque nationale de France (BNF), qui porte son nom. Pour en savoir plus, voir les articles Pierre Bérégovoy, Bibliothèque nationale de France (BNF), collaboration, Édith Cresson, Lionel Jospin, Opéra de la Bastille, parc de la Villette, quartier de la Défense, rafle du Vél' d'Hiv.

Un président et un homme controversés

« Le destin exceptionnel d'un homme complexe » : la formule pourrait caractériser la vie et la personnalité de François Mitterrand, et laisse entendre combien il est difficile de cerner un homme si contrasté ainsi que son action politique. Et ce d’autant plus que l’homme est très secret, protégeant farouchement sa vie privée, passée et présente, éludant les questions, n'hésitant pas à laisser utiliser des moyens réprouvés, comme les écoutes téléphoniques. Le goût du secret est rarement dissociable de la méfiance : le président se méfie, par exemple des services de renseignements et de sécurité, qu'il double d'une cellule ad hoc à l'Élysée. Il ne se confie guère à ses collaborateurs, qu'il met souvent en concurrence, sans le leur dire, quant il s'agit d'étudier un dossier délicat… Les commentateurs se sont souvent interrogés sur sa sincérité politique, doutant parfois de ses sentiments socialistes. Même s'il n'a pas toujours choisi la « ligne droite », son itinéraire personnel le conduit indiscutablement de la droite à la gauche. Pour autant, s'il adhère au socialisme, c'est plus pour ses valeurs humanistes – le rejet de la peine de mort, par exemple, ou le droit à la culture – que pour ses dogmes.

Une fois à la tête de l'État, le redoutable chef de parti se pose avant tout en garant de la cohésion nationale, à tel point que certains de ses partisans trouveront parfois excessives certaines de ses concessions ou initiatives. C’est notamment le cas lorsqu’il retire le projet Savary de réforme de l’enseignement privé qui a jeté dans la rue un million de protestataires en 1984, désavouant son ministre de l’Education. De même, il fait voter une loi amnistiant les généraux putchistes de la guerre d'Algérie (1982), ou encore reprend à son compte la doctrine officielle de la République depuis 1944, selon laquelle le gouvernement de Vichy n'a constitué qu'une parenthèse dans l'histoire de France. Et, devant la polémique suscitée par la révélation de ses relations avec René Bousquet, il déclare qu'il est nécessaire de « mettre un terme à la guerre civile permanente entre Français », argument qu'avait déjà utilisé Georges Pompidou, une vingtaine d'années plus tôt, à propos de l'affaire Touvier. Pour certains, cette attitude relève surtout de son souci de maintenir son propre passé dans l'ombre. Pour d’autres, François Mitterrand, profondément marqué par la violence politique des années 1930, par le drame de l'Occupation et de l'épuration, par les affrontements liés à la guerre d'Algérie, répugne à raviver ces plaies encore douloureuses, au risque d'être accusé de sympathie à l'égard des « enfants perdus » de la République.

Le garde des Sceaux François Mitterand en 1956, pendant la guerre d'Algérie, avec le ministre résidant en Algérie Robert Lacoste

Le garde des Sceaux François Mitterand en 1956, pendant la guerre d'Algérie, avec le ministre résidant en Algérie Robert Lacoste

Principales affaires et controverses

Attentat de l'Observatoire

L'attentat de l'Observatoire est un attentat mené contre François Mitterrand en 1959. Dans les jours qui précèdent, Robert Pesquet approche François Mitterrand et l'informe qu'un attentat contre lui est en préparation, et donne conseil à celui qui est alors sénateur de se prémunir d'une attaque terroriste. Mitterrand revoit Pesquet plusieurs fois, jusqu'au jour qui doit être celui de l'attentat. Mitterrand échappe de peu à des coups de mitraillette. Peu de temps plus tard, Pesquet avoue dans les colonnes de Rivarol avoir organisé l'attentat, et soutient que Mitterrand l'aurait machiné avec lui afin de gagner en visibilité auprès de l'opinion publique. Mitterrand est traduit en justice une fois son immunité parlementaire levée. François Mitterrand est inculpé pour « outrage à magistrat », avant qu'une loi d'amnistie prise par le gouvernement Pompidou ne close les poursuites en 1966, empêchant un jugement d'avoir lieu. La responsabilité du futur président est aujourd'hui inconnue. L'historien Michel Winock soutient qu'il s'agissait d'un coup monté et que Mitterrand n'était pas un comploteur dans l'attentat.

Affaire des écoutes de l'Élysée

Entre 1983 et 1986, François Mitterrand fait écouter illégalement par la cellule antiterroriste de l'Élysée plusieurs dizaines de personnalités, notamment certaines bien informées sur sa vie privée. L'écrivain Jean-Edern Hallier, qui menaçait d'enlever sa fille Mazarine Pingeot, et le journaliste Edwy Plenel, qui avait révélé l'affaire du Rainbow Warrior, sont notamment placés sur écoute.

Affaire du Rainbow Warrior

L'affaire du Rainbow Warrior est une affaire liée au monde du renseignement. François Mitterrand demande au ministre de la Défense, Charles Hernu, de s'assurer que le Rainbow Warrior I, un bateau de l'association Greenpeace, n'empêche des essais nucléaires français dans l'océan Pacifique. La Direction générale de la sécurité extérieure fait exploser le navire dans la baie d'Auckland, tuant un photographe. La responsabilité de François Mitterrand est aujourd'hui floue quant à savoir si François Mitterrand aurait donné son « autorisation personnelle » à l'amiral Pierre Lacoste, pour mener une opération de neutralisation, sans que le détail ne lui soit donné.

Cancer caché

François Mitterrand apprend à la fin de l'année 1981 qu'il souffre d'un cancer de la prostate. Si la maladie se résorbe à partir de 1984, elle se réveille à nouveau en 1990. Ce cancer est gardé secret jusqu'à son opération chirurgicale en 1992, et la date réelle à laquelle il a appris l'existence de son cancer est révélée une dizaine de jours après sa mort en 1996 dans un livre de son ancien médecin, Claude Gubler, qui indique que le chef de l’État lui ordonnait de falsifier ses bulletins de santé.

Affaire Urba et financement du PS et des campagnes présidentielles

En 1990, la mort de deux ouvriers d'un chantier de construction révèle un système de financement occulte du Parti socialiste mis en place en 1973. Le système reposait sur la facturation de prestations fictives, en contrepartie d'attributions de marchés publics. L'argent était reversé au PS et à des personnalités politiques et aurait financé les deux campagnes présidentielles de François Mitterrand. L'ancien trésorier du parti, Henri Emmanuelli, sera notamment condamné en 1997.

Rapports avec l'extrême droite

Les relations entre François Mitterrand et l'extrême droite ont défrayé la chronique en particulier dans les années 1990, notamment avec la parution en 1994 du livre de Pierre Péan, Une jeunesse française, qui évoque la jeunesse du futur président durant les années 1930 et les années 1940, en revenant notamment sur sa relation avec René Bousquet. Avant lui, Franz-Olivier Giesbert, dans son livre François Mitterrand ou la tentation de l'histoire (1977) avait décrit, entre autres, le parcours de Mitterrand à l'époque de Vichy. Plusieurs observateurs ont analysé que Mitterrand favorisa (« institutionnalisa » selon Edwy Plenel) le Front national dans les années 1980, afin de contrer le RPR et d'empêcher ainsi la défaite de la gauche aux élections de 1986. Il utilisa le moyen de la proportionnelle intégrale, une des 110 propositions de son programme électoral, appliquée dès 1985, au lendemain des élections cantonales ratées pour la gauche. Ce calcul est même assumé, y compris par le PS, le chef de l'État ayant déclaré préférer quelques députés FN que le retour de la droite

Action lors du génocide au Rwanda

Articles connexes : Génocide des Tutsi au Rwanda, Rôle de la France dans le génocide des Tutsi au Rwanda, Commission Mucyo et Commission française d’historiens sur le rôle de la France au Rwanda. Le rôle du pouvoir français et notamment de François Mitterrand dans le génocide de 1994 a été longtemps controversé. Les archives liées à cet événement (documents émanant de conseillers de l’Élysée ou comptes rendus de réunion) ont été progressivement rendues accessibles aux chercheurs, notamment par l'action du chercheur François Graner, physicien et directeur de recherche au CNRS, qui lance une bataille judiciaire pour avoir accès à l’intégralité des documents. Le Conseil d’État lui accorde finalement ce droit d'accès en juin 2020. Pour François Graner, après analyses, des dirigeants français (et en particulier le président François Mitterrand) se sont rendus complices du génocide, même si la motivation qui les guidait n'était pas une intention génocidaire. Ils ont été informés de la situation, ont laissé faire des livraisons d'armes, ainsi que la constitution d'un gouvernement intérimaire dominé par des extrémistes hutus après la mort du président rwandais Juvénal Habyarimana. François Mitterrand considérait ce sujet comme étant dans son pré carré : aidé de son état-major particulier, il a pesé sur les actions de la France. Des ordres, dont la trace écrite a été retrouvée, ont également été donnés pour faciliter la fuite de responsables associés au génocide. Des zones d'ombre subsistent, telles que l'implication de la France ou de baroudeurs français dans l'assassinat du président Habyarimana.

La commission française d’historiens sur le rôle de la France au Rwanda, ou « commission Duclert », mise en place par Emmanuel Macron, remet son rapport final le 26 mars 2021. Les conclusions sont similaires à celles de François Graner, même si cette commission refuse le terme de complicité de génocide : « La France est-elle pour autant complice du génocide des Tutsi ? Si l’on entend par là une volonté de s’associer à l’entreprise génocidaire, rien dans les archives consultées ne vient le démontrer. La France s’est néanmoins longtemps investie au côté d’un régime qui encourageait des massacres racistes. Elle est demeurée aveugle face à la préparation d’un génocide par les éléments les plus radicaux de ce régime. Elle a adopté un schéma binaire opposant d’une part l’ami hutu, incarné par le président Habyarimana, et de l’autre l’ennemi qualifié d’“ougando-tutsi” pour désigner le FPR. Au moment du génocide, elle a tardé à rompre avec le gouvernement intérimaire qui le réalisait et a continué à placer la menace du FPR au sommet de ses préoccupations. Elle a réagi tardivement avec l’opération Turquoise, qui a permis de sauver de nombreuses vies, mais non celles de la très grande majorité des Tutsi du Rwanda, exterminés dès les premières semaines du génocide. La recherche établit donc un ensemble de responsabilités, lourdes et accablantes. »

Chronologie
  • 26 octobre 1916
    • Naissance à Jarnac
  • Septembre 1939
    • Il est mobilisé alors qu’il achève ses études à Paris. Trois fois cité, il est blessé et fait prisonnier.
  • Décembre 1941
    • Il parvient à s'évader lors de son transfert dans un camp de représailles. 
  • 1943
    • De retour en France, il entre dans la Résistance, où il fédère et dirige l'ensemble des mouvements de résistance des prisonniers de guerre.
  • Août 1944
    • Il participe à l'éphémère « gouvernement des secrétaires généraux » auquel le général de Gaulle confie la responsabilité du territoire national jusqu'à l'installation du gouvernement provisoire à Paris.
  • Novembre 1946
    • Député de la Nièvre
  • 1947-1948
    • Ministre des Anciens combattants et des Victimes de guerre
  • 1950-1951
    • Ministre de la France d'outre-mer
    • En tant que partisan résolu de la décolonisation, il met fin aux tensions qui menaçaient la cohésion de plusieurs territoires et noua, avec les leaders africains, des relations personnelles et durables. 
  • Juin-septembre 1953
    • Ministre d'État délégué au Conseil de l'Europe.
    • Il démissionne à la suite de la déposition du sultan du Maroc.
  • 1954-1955
  • 1956
    • Garde des sceaux dans le cabinet Guy Mollet.
    • C’est sa dernière fonction ministérielle ; il refuse par la suite celles qu'on lui offre dans les derniers cabinets de la IVe République, dont il désapprouve la politique algérienne.
  • 1958
    • François Mitterrand dénonce le « coup d'État » qui a porté le général de Gaulle au pouvoir et prend position contre les institutions de la Ve République. Il y perdit son siège de député, qu'il retrouve dès 1962 après un bref passage au Sénat.
  • 1959
    • Élu maire de Château-Chinon 
  • 1964
    • Président du conseil général de la Nièvre
  • 1965
    • Candidat unique de la gauche à l'élection présidentielle, il met le général de Gaulle en ballottage et recueille près de 45% des suffrages au second tour.
  • 1971
    • Rénovation du parti socialiste au congrès d'Epinay
  • 1974
  • 1981
    • Il remporte les élections présidentielles face au président sortant. 
  • 1988
    • Réélu Président de la République
    • Ses deux septennats sont marqués par un ensemble de mesures sociales, par l'extension et le renforcement des libertés locales et de la liberté d'expression, par la modernisation du code pénal, l'abolition de la peine de mort, par de « grands projets »: l'Arche de la Défense, le Grand Louvre, la Bibliothèque nationale qui porte son nom.
    • Il connaît deux périodes de cohabitation (1986-1988 et 1993-1995)
  • 25 juin 1992
    • Lois constitutionnelles qui valident l’intégration de la France à l’Union Européenne
  • 8 janvier 1996
    • Mort à Paris
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article