Front populaire
Le Front populaire est une coalition de partis de gauche qui gouverna la France du 3 mai 1936 à avril 1938. Il réunissait les trois principaux partis de la gauche : la SFIO, le Parti radical et le Parti communiste (qui soutenait les deux premiers sans participer directement au gouvernement), mais également toute une nébuleuse d'autres mouvements de gauche et antifascistes. Le gouvernement Léon Blum, premier gouvernement de coalition issu de la nouvelle majorité, fut surtout le premier de la IIIe République dirigé par les socialistes. Il initia plusieurs réformes sociales importantes et constitue encore actuellement une des références incontournables de la mémoire et de l'histoire de la gauche française : les congés payés (15 jours), la réduction du temps de travail avec la semaine de quarante heures et l'établissement des conventions collectives. Il fut suivi de trois autres (deux dirigés par un radical, Camille Chautemps, et un dernier dirigé à nouveau par Léon Blum). L'assemblée élue lors des élections de mai 1936 demeurera en place jusqu'au début de la Seconde Guerre mondiale, malgré l'arrestation de 49 députés communistes en septembre 1939, et se séparera le 10 juillet 1940. Toutefois, la fin du Front populaire arriva en avril 1938 lorsque le radical Édouard Daladier succéda à la présidence du Conseil au socialiste Léon Blum, qui démissionna à la suite de son échec dans l'obtention de moyens lui permettant de mettre en place une politique de grandes réformes financières.
La montée de l’extrême droite
Fin 1933, l'affaire Stavisky, scandale financier auquel sont mêlés plusieurs hommes politiques, contribue à alimenter les campagnes de l'extrême droite contre le régime parlementaire. Des ligues plus ou moins fascisantes (Jeunesses patriotes, Solidarité française, Action française) et des organisations d'anciens combattants (Union nationale des combattants, Association républicaine des anciens combattants, Croix-de-Feu, cette dernière très ancrée à droite sans pour autant être assimilable à une ligue), instrumentalisées pour certaines par des élus de droite, désireux de retrouver le pouvoir que leur avait fait perdre la victoire du second Cartel des gauches en 1932, organisent le 6 février 1934 plusieurs manifestations à Paris contre la corruption et le gouvernement Daladier. Les ligueurs tentent l'assaut du Palais-Bourbon. Débordées, les forces de l'ordre ouvrent le feu, faisant une quinzaine de morts et plusieurs centaines de blessés.
Le rassemblement de la gauche
La prise de conscience d'un danger fasciste en France, après ces événements, et la crainte suscitée par les exemples italien et allemand favorisent le regroupement des partis et des associations de gauche dont l'union paraissait jusque-là irréalisable.
Les réticences du PCF
En effet, le parti communiste (PCF), fidèle aux directives de l'Internationale communiste, considère alors les socialistes de la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO) comme des « ennemis », selon les mots de Thorez en janvier 1934. À cet égard, une première tentative de regroupement, celle du « Front commun contre le fascisme », créé en 1933 par Gaston Bergery avec l'appui de Georges Monnet et de Jacques Doriot, a été désavouée par les principaux dirigeants de la gauche.
Les raisons du rapprochement PCF-SFIO
C'est la réaction spontanée des masses, réunie les 9 et 12 février 1934 dans une même protestation contre les émeutiers du 6 février, qui conduit finalement les responsables de la SFIO et du PCF à signer en juillet 1934 un pacte d'unité d'action contre le fascisme. Cette union à la base n’est pas la seule raison de l’accord de juillet : depuis juin, devant la menace que constitue l'Allemagne nazie, l'URSS recherche des alliances auprès des démocraties occidentales. Moscou demande alors aux partis communistes de faire alliance avec les bourgeoisies nationales contre le fascisme.
Le pacte d’unité d’action (27 juillet 1934)
En France, cette nouvelle ligne se traduit par le revirement du PCF qui se rapproche des socialistes et des radicaux. Le 23 juin 1934, il propose à la SFIO, d'abord réticente, un pacte d'unité d'action. Un meeting commun, organisé à Paris le 2 juillet, rassemble un public considérable, ce qui témoigne de la volonté unitaire des militants de gauche. Le 27 juillet, le pacte d’unité d’action est donc conclu entre les deux partis. Il met l'accent sur la lutte contre le fascisme et prévoit l'organisation de campagnes et de réunions communes.
Le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes
Après le choc du 6 février 1934, l'ethnologue Paul Rivet, membre de la SFIO, le physicien Paul Langevin, sympathisant communiste, et le philosophe Alain, proche des radicaux, avaient fondé le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes. Celui-ci remporte un succès retentissant aux élections municipales de mai 1935 : Paul Rivet, candidat unique de la gauche, est élu à Paris contre un candidat d'extrême droite, grâce au report de toutes les voix de gauche au second tour.
Le Rassemblement populaire (14 juillet 1935)
Le Comité Amsterdam-Pleyel (réunissant des intellectuels proches du PCF) lance alors l'idée d'une grande manifestation commune à Paris le 14 juillet 1935. La proposition est acceptée par une cinquantaine d'organisations, dont le parti communiste, la SFIO, le parti radical, la CGT (socialiste) et la CGTU (communiste), le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes, la Ligue des Droits de l'Homme, ainsi que des associations de jeunesse, de paysans, d'anciens combattants. Le 14 juillet, 500 000 manifestants enthousiastes défilent de la Bastille à la Nation, tandis que les délégués des organisations présentes prêtent le serment du Rassemblement populaire.
L’alliance électorale
Fort de son succès, le comité organisateur des manifestations du 14 juillet devient permanent et se transforme en Comité national du Rassemblement populaire. Son objectif est de chasser la droite au pouvoir en remportant les élections de mai 1936. À cette fin, il obtient un accord de désistement mutuel au second tour entre les candidats de gauche, et s'attache à élaborer un programme commun de gouvernement.
Un programme modéré
À la demande des radicaux, et avec le soutien des communistes, qui ne veulent pas compromettre l'union avec les classes moyennes, le programme électoral du Rassemblement populaire, publié le 12 janvier 1936, avance des revendications modérées. Au chapitre politique, il prévoit notamment la dissolution des ligues, le respect du droit syndical, la prolongation de la scolarité obligatoire, l'établissement de la sécurité collective dans le cadre de la Société des Nations. Au chapitre économique sont prévues des mesures en faveur des chômeurs, des agriculteurs, des petits commerçants, des retraités, ainsi que la réduction de la semaine de travail sans réduction de salaire. S'y ajoutent diverses réformes, dont celle de la Banque de France.
L’unité syndicale
Le Front populaire s'affirme d’autre part avec la réalisation, en mars 1936, de l'unité syndicale avec la réunification de la CGT et de la CGTU.
La victoire du Front populaire (mai 1936)
À la suite d’une campagne électorale inspirée par le slogan « le pain, la paix, la liberté », socialistes, radicaux et communistes remportent une nette victoire aux élections de mai 1936 (386 sièges, contre 222 à la droite), alors même que le déplacement de voix en faveur de la gauche, au premier tour, n’avait été que de 3 % par rapport aux élections de 1932 : la discipline de vote avait fait le reste au second tour. Pour la première fois dans son histoire, la France a un gouvernement socialiste. Le mécontentement social croissant, lié au développement de la crise économique mondiale et à l'échec de la politique déflationniste de Pierre Laval, président du Conseil de juin 1935 à janvier 1936, a contribué à cette victoire, aussitôt suivie, dans un climat d'allégresse et de fête populaire, d'un vaste mouvement de grèves spontanées avec occupations d'usines. On compte rapidement près de 3 millions de grévistes, tous les secteurs d'activité étant touchés, à l'exception des services publics.
Léon Blum constitue le 4 juin avec des ministres socialistes et radicaux un cabinet auquel les communistes, tenant à leur liberté de manœuvre, apportent leur soutien sans y participer. Trois femmes entrent au ministère, alors que les femmes ne sont ni éligibles ni même électrices.
Une vague de réformes sociales
Les accords Matignon, 7 juin 1936
Dès le 7 juin, pour répondre au mouvement de grèves, Léon Blum, organise une rencontre entre les représentants du patronat (CGPF) et de la CGT qui aboutit, sous l'arbitrage du gouvernement, à la signature des accords Matignon, préconisant la conclusion de conventions collectives du travail, le relèvement des salaires, la reconnaissance de la liberté syndicale, la mise en place de délégués ouvriers. Les communistes, toujours soucieux de leur alliance avec la bourgeoisie, appellent dès le 11 juin à reprendre le travail. Beaucoup d’ouvriers devaient néanmoins regretter que le mouvement n’ait pas abouti à une véritable refonte des rapports entre chefs d’entreprise et travailleurs, voire à une véritable socialisation de l’économie. Mais les accords Matignon étaient allés au-delà des propositions mesurées du programme du Front populaire.
Les autres réformes
Les accords sont complétés par des lois instituant deux semaines congés payés pour les salariés et la semaine de quarante heures (au lieu de 48) sans diminution de salaires, deux mesures qui devaient être considérées comme les grandes conquêtes emblématiques du Front populaire. S'y ajoutent le prolongement de la scolarité jusqu'à l'âge de 14 ans, la prise de contrôle par l'État de la Banque de France, des industries de guerre, notamment aéronautiques (avec regroupement dans le Sud-Ouest, hors de la portée de l’aviation allemande), puis des chemins de fer (création de la SNCF, en août 1937, sous le gouvernement Chautemps, successeur de Blum), et par l'instauration de l'Office national du blé, destiné à limiter l’effondrement des cours à la production.
La promotion culturelle
L'amélioration, réelle, de la condition sociale s'accompagne d'un souci nouveau de « l'organisation du travail et du loisir » (Blum) et de la culture ouvrière, considérée comme une source d'émancipation, souci qui se concrétise par la création d'un sous-secrétariat aux Sports et aux Loisirs, confié à Léo Lagrange (qui institue le billet de congé populaire), par la mise en place d'un organisme de tourisme populaire et le développement d'expériences éducatives et culturelles.
Les difficultés du cabinet Léon Blum
Mais le cabinet Blum se heurte à de graves difficultés économiques et financières et à l'opposition croissante du patronat, inquiet de la persistance des troubles sociaux.
Les problèmes économiques et financiers
Contrairement à l’attente du gouvernement, la reprise ne se manifeste pas. La production stagne, le chômage s’accroît et les prix se mettent à grimper de près de 30 %, en raison des augmentations de salaires et des charges sociales. Le déficit budgétaire devient considérable, ainsi que le déséquilibre de la balance extérieure : en l’absence de tout contrôle des changes, la fuite des capitaux à l’étranger s’accélère, tandis que les épargnants thésaurisent leur or. La dévaluation du franc de 30 % (septembre 1936), inévitable, mais réalisée à chaud, en pleine spéculation internationale, est un échec, qui apparaît de plus comme une atteinte à l’intangibilité du franc Poincaré établi en 1928.
Une opposition haineuse
Malgré la dissolution des ligues (depuis janvier 1936), l'agitation de l'extrême droite demeure très active (« complot » de la Cagoule, fomenté par l’ancien membre de l’Action française Eugène Deloncle pour instaurer un régime militaire, violentes campagnes de presse contre le ministre de l’Air Pierre Cot, suspecté de trahison au profit de l’URSS, et contre le ministre de l'Intérieur Roger Salengro [accusé injustement de désertion pendant la Première Guerre mondiale], qui se suicide, provocation des membres du parti social français [qui a succédé aux Croix-de-Feu] contre les militants de gauche). Les mouvements fascistes et l'antisémitisme prennent une grande extension. Pour les adversaires du gouvernement est venu le « temps de la haine ».
La question de la guerre d’Espagne
La cohésion du Front populaire est également menacée par les problèmes extérieurs, les communistes reprochant au gouvernement de ne pas intervenir contre Franco dans la guerre civile espagnole, tandis que la SFIO se montre beaucoup plus divisée sur l’intervention, que refusent notamment son secrétaire général Paul Faure, ainsi que certains syndicats proches du parti. De fait, sous la pression des radicaux français et des conservateurs britanniques, Léon Blum préconise la « non-intervention » et négocie dans ce sens, en août 1936, un pacte avec les principales puissances européennes alliées des deux camps. Cela ne l’empêche pas de fermer les yeux sur l’envoi de matériel soviétique via Bordeaux à destination des républicains espagnols en lutte contre Franco. En dépit de cette attitude prudente, la guerre d’Espagne allait diviser l’opinion française pendant trois ans, jusqu’à la victoire de Franco en 1939.
La pause
Dès février 1937, la nécessité d'une « pause » dans la réalisation des réformes est annoncée par Blum, qui doit donner la priorité au rétablissement du budget et de la balance des comptes, au moyen d’économies drastiques et d’augmentations d’impôts. Cette politique d’austérité ne fait qu’aggraver un climat social déjà pesant. Les grèves se succèdent, attisées par le parti communiste. Le 16 mars, de violents incidents à Clichy font 5 morts et 200 blessés. L’ouverture de l’Exposition universelle de Paris est perturbée par des arrêts de travail incessants.
La démission de Blum
Le 15 juin 1937, le président du Conseil se décide à demander au Parlement l’autorisation de prendre les mesures d’assainissement monétaire requises nécessaires par décrets-lois. S’il obtient gain de cause à la Chambre des députés, le projet est repoussé au Sénat, où le président de la commission des Finances Joseph Caillaux entraîne les radicaux dans l’opposition. Le 21 juin, Léon Blum remet sa démission.
Le gouvernement Chautemps (juin 1937-mars 1938)
Le Front populaire se disloque alors progressivement sous les deux ministères du radical Chautemps qui marquent un retour vers le centre, les radicaux retrouvant le contrôle du pouvoir, associés à quelques ministres socialistes.
La poursuite de la crise
Échaudé par l’expérience de son prédécesseur, Chautemps fait preuve de prudence dans la présentation de son programme, se contentant d’annoncer des économies et quelques augmentations d’impôt. Après quelques résultats initiaux, la situation se détériore à nouveau dès l’automne 1937. De nombreux secteurs industriels sont paralysés par des grèves avec occupations d’usines, stimulées par le parti communiste, et on assiste bientôt à une nouvelle poussée du chômage, à la reprise de l’inflation et à une évasion des capitaux.
La rupture du Front populaire (janvier 1938)
Devant cette situation, le président du Conseil invite en janvier 1938 les organisations ouvrières à reprendre le chemin de la légalité et à cesser les grèves sur le tas, ce qui a pour effet d’amener les communistes à suspendre leur soutien au gouvernement, et les socialistes, craignant de se couper des masses, à retirer leurs ministres du cabinet. C’est la rupture du Front populaire.
Le départ de Chautemps (mars 1938)
Après avoir fait successivement appel, en vain, à Georges Bonnet et à Léon Blum pour résoudre la crise, le président de la République Albert Lebrun se résout à recourir de nouveau à Chautemps. Celui-ci forme un cabinet constitué pour l’essentiel de radicaux, immédiatement en butte à l’hostilité des communistes comme des modérés. Moins de deux mois plus tard, Chautemps présente sa démission.
L’échec du second cabinet Blum (mars-avril 1938)
À l’appel de Lebrun, Blum réussi enfin à constituer un second ministère fort peu différent du premier dans ses composantes. Mais le retour au Front populaire ne put se faire, car l’histoire de cet éphémère cabinet ne fut que la réédition de la crise de juin 1937. Désireux de s’assurer les pleins pouvoirs financiers pour faire triompher une authentique politique économique et sociale de gauche, Blum obtient une fois de plus l’assentiment de la Chambre, avant de se heurter au veto du Sénat. Le 8 avril, il démissionne, après un exercice de 28 jours seulement.
Le cabinet Daladier et l’enterrement du Front populaire (avril-novembre 1938)
Édouard Daladier forme alors un cabinet radical, auquel les socialistes ont refusé cette fois-ci de participer, et qui, face aux menaces extérieures, réprime l'agitation sociale et les grèves, mais surtout remet en cause les conquêtes sociales du Front populaire. Le 12 novembre, le ministre des Finances Paul Reynaud présente un plan de redressement d’allure résolument libérale, qui prévoit de réduire les dépenses des services publics et d’autoriser des dérogations massives à la semaine de 40 heures, afin de « remettre la France au travail ». La CGT riposte en lançant un appel à la grève générale pour le 30 novembre. Son échec, dû au désarroi des travailleurs et à la répression gouvernementale, marque la fin du Front populaire.
Celui-ci disparaît donc sans avoir réalisé les objectifs qui avaient présidé à sa formation : la fin du fascisme intérieur et extérieur et la transformation des structures économiques et sociales du pays. La composition hétérogène du gouvernement et les orientations contradictoires de ses représentants ont, dès le départ, compromis son action, notamment dans le domaine économique. Le Front populaire, dont la mystique resta longtemps vivante, demeure pourtant une étape capitale de l’émancipation de la classe ouvrière, pour laquelle il reste lié à de grandes conquêtes enlevées de haute lutte, et qui constituèrent des acquis définitifs, qu’il s’agisse des conventions collectives, des 40 heures ou des congés payés.
- Léon Blum (président du Conseil)
- Édouard Daladier (vice-président du Conseil et ministre de la Défense nationale)
- Roger Salengro (ministre de l'Intérieur)
- Vincent Auriol (ministre des Finances)
- Albert Bedouce (ministre des Travaux publics)
- Jean-Baptiste Lebas (ministre du Travail)
- Jean Zay (ministre de l'Éducation nationale)
- Léo Lagrange (sous-secrétariat d’État aux sports et à l’organisation des loisirs)
- Camille Chautemps (ministre d'État radical-socialiste)
- Victor Basch (président de la Ligue des droits de l’homme)
- Marceau Pivert (chef de file de la gauche de la SFIO)
- Gabriel Péri (député communiste)
- Maurice Thorez (secrétaire général du Parti communiste français)