Camp d'Auschwitz 1
La création du camp souche Auschwitz I est décidée par les SS en février 1940 : c'est d'abord un camp de concentration et de travail forcé. Il est implanté sur le site d'une ancienne caserne de l'armée polonaise, dont les bâtiments délabrés sont entourés d'un vaste terrain qui fut destiné au dressage des chevaux. Il se situe au milieu d'une région de la Pologne annexée par le Reich en 1939.
Les premiers prisonniers sont des opposants politiques polonais, socialistes ou communistes pour la plupart. Une première vague, au nombre de 720, arrive en juin 1940. Le camp est prévu pour ceux que le régime nazi estime dangereux : suspects de résistance, hommes politiques, intellectuels, des Allemands condamnés par les tribunaux, des prisonniers politiques, ainsi que ceux que les nazis appellent des « éléments asociaux » : Tziganes, prostituées, homosexuels, handicapés, Témoins de Jéhovah, Juifs. En 1940, le camp renferme de 13 000 à 16 000 détenus, pour 300 gardiens SS. Le nombre de prisonniers atteint environ 20 000 en 1942. Durant les vingt premiers mois, plus de la moitié des 23 000 prisonniers polonais meurent à la suite des traitements inhumains et des tortures infligés par les gardiens SS.
Auschwitz se trouve au milieu d'une région polonaise riche en matières premières : eau (au bord de la rivière Sola, zones marécageuses à proximité), chaux, et charbon (à 30 km du camp se trouvent des gisements parmi les plus riches d'Europe). Ces ressources sont nécessaires pour la production d'essence synthétique et de caoutchouc synthétique ; elles sont essentielles pour soutenir l'effort de guerre allemand. C'est pourquoi les nazis chargent le groupe chimique IG Farben d'assurer l'exploitation du site. Le Reichsführer-SS Himmler comprend l'importance du projet et envisage de passer d'une population carcérale de 10 000 à 100 000 lors de sa visite en mars 1941. Himmler veut faire d'Auschwitz un camp modèle de colonisation à l'Est, avec une Kommandantur et un quartier général monumental du parti nazi ; ce dernier aurait eu des appartements privés de grand luxe ; ce gigantesque projet aurait été financé par la manne générée par la revente des matières premières à IG Farben, mais il n'a pas été appliqué en raison du déroulement de la guerre déclenchée en juin 1941 quand Adolf Hitler donne l'ordre d'attaquer l'Union soviétique. Le commandant SS Rudolf Höss est chargé de la construction du camp et de son entretien. Höss n'aura pas toujours le matériel nécessaire à la construction, c'est pourquoi il se verra obligé d'en voler.
À partir de l'agression contre l'URSS, on redirige des prisonniers de guerre soviétiques vers Auschwitz, ce qui modifie les plans initiaux de Himmler (lire supra). La brutalité des gardiens SS augmente particulièrement à l'arrivée de ces captifs: ils sont les plus mal traités de tous les détenus. En été 1941, environ 10 000 prisonniers de guerre soviétiques sont envoyés à Auschwitz pour réaménager le camp ; en été 1942, ils ne sont plus qu'une centaine qui servent alors de cobayes pour l'expérimentation de chambres à gaz. Les exécuteurs de ces basses œuvres sont désignés parmi la "main-d'œuvre" du camp. À mesure où les troupes allemandes pénètrent en URSS, on assiste aux assassinats massifs de toutes les populations juives. On y fusille hommes, femmes, enfants, du bébé au vieillard dans les régions traversées, mais en août 1941 des officiers de la Wehrmacht se plaignent de cette tâche barbare et déshumanisante ; les Allemands pour une raison de coût refusent d'envoyer sur le front les bonbonnes de monoxyde de carbone nécessaire aux gazages ; c'est pourquoi en septembre 1941 le médecin SS Albert Widmann (qui a déjà participé au gazage des handicapés au monoxyde de carbone) teste une méthode à base d'explosifs, mais c'est encore pire ; Wideman pense alors utiliser les gaz d'échappement des camions dans lesquels les prisonniers seront entassés. Cette méthode est testée sur des prisonniers de guerre soviétiques.
Höss a tenu à reprendre la devise du camp de concentration de Dachau, Arbeit macht frei — « Le travail rend libre » —, qu'il fait inscrire en lettres capitales au-dessus du portail d'entrée. Les détenus montent volontairement à l'envers la lettre « B » du mot Arbeit. Chaque jour, lorsque les prisonniers franchissent le portail du camp pour aller travailler, c'est au rythme d'une marche jouée par l'orchestre des femmes détenues, et il en est de même à chaque arrivée de convois de déportés. Pour surveiller ceux-ci, les SS utilisent des Kapos, principalement recrutés parmi les prisonniers allemands de droit commun les plus violents. Les détenus sont catégorisés par symboles de formes et de couleurs bien définies, cousus sur leur combinaison de bagnard : prisonnier politique, Juif, homosexuel, etc. Les détenus sont également identifiés par un numéro tatoué sur le bras. Les prisonniers travaillent pendant six, voire sept jours par semaine. Le dimanche est en principe réservé à la « toilette personnelle » mais l'absence d'hygiène, la malnutrition et les mauvais traitements provoquent rapidement de nombreux décès.
Auschwitz est d'abord un camp de travail où les détenus sont des hommes adultes. Les prisonniers valides doivent travailler, ceux qui sont malades ou blessés ne sont pas ou peu soignés et meurent d'épuisement. Plusieurs sont envoyés à un poteau d'exécution pour y être fusillés. À la fin de leur journée de travail, des individus considérés comme récalcitrants ou paresseux sont plus qu'entassés pour la nuit, dans des geôles "cubiques" de moins d'un mètre cinquante de côtés. Des exécutions sont aussi le fait des médecins du service d'euthanasie du Reich : ceux qui sont chargés de tuer les handicapés mentaux et physiques. 575 prisonniers seront transférés dans des chambres à gaz en Allemagne pour y être éliminés.
Lorsque Hitler décide l'extermination systématique des Juifs à grande échelle, Rudolf Höss, alors responsable du camp, expérimente divers modes d'exécution. Le nombre de déportés augmente rapidement et il est chargé de « préparer à Auschwitz une installation destinée à l'extermination en masse ». Son approche du problème est technique et pragmatique. Les exécutions sont jusqu'ici menées à l'arme à feu, les déportés fusillés au bord de fosses communes qu'ils ont eux-mêmes creusées. D'autres prisonniers recouvrent les corps de chaux. Cette méthode est décrite par lui, lors de son interrogatoire après sa capture, comme peu efficace, lente, et coûteuse en munitions. Prenant modèle sur les Camps d'extermination nazis de Treblinka, il fait construire deux petites chambres à l'extérieur du camp, où les déportés sont asphyxiés par les gaz d'échappement d'un camion. Höss raconte que cette opération prenait du temps, que les SS chargés de l'opération l'abrégeaient souvent, et qu'un nombre non négligeable des gazés reprenaient conscience alors que leurs bourreaux les enterraient.
C'est en observant les précautions importantes que nécessite l'emploi d'un pesticide utilisé pour nettoyer les baraquements que l'idée vient à l'assistant de Höss, Karl Fritzsch, d'employer le Zyklon B. Il l'utilise d'abord dans le block 11 sur des prisonniers soviétiques. Höss satisfait de la méthode de Fritzsch décide de la généraliser. Le Zyklon B était un pesticide, actif au simple contact de l'air ambiant, connu et utilisé couramment dans l'armée allemande. Le camp d'Auschwitz en possédait donc de grandes quantités en stock. Pour nettoyer un baraquement de la vermine qui l'infestait, il fallait en faire sortir tous les prisonniers, fermer hermétiquement toutes les ouvertures et répandre les cristaux de ce pesticide sur le sol. Après environ une demi-heure, un soldat pénétrait dans le baraquement, muni de gants et d'un masque à gaz, pour ouvrir et ventiler la pièce.
Testé en septembre 1941 sur des prisonniers de guerre soviétiques, le produit se révèle mortel même en très petite quantité. Les SS ajoutent des ventilateurs pour accélérer la propagation du gaz délétère au début du processus de gazage. Les corps des premières victimes tombées au sol recouvrant souvent les cristaux de Zyklon B (qui réagissent à l'air), ils décident de déverser le produit par des lucarnes percées près du plafond de la chambre mortelle... Les SS aménagèrent alors dans le camp souche un bâtiment comprenant une chambre à gaz et un four crématoire attenant comprenant quatre foyers. Cette installation fut mise en service en 1941 avant d'être transformée, après la "mise en service" d'Auschwitz II, en bunker de protection en cas d'attaque aérienne et en de dépôt de munitions. C'est pour cette raison que le bâtiment n'a pas été détruit par les nazis. Le four crématoire actuellement visible y a été reconstruit après la guerre à partir du matériel original récupéré sur place. Sur les ordres de Heinrich Himmler, le Block 24 fut transformé en bordel pour récompenser les détenus méritants.