Naquet Alfred
Naquet Alfred Joseph, représentant en 1871, député de 1876 à 1877, de 1878 à 1883, et sénateur, né à Carpentras(Vaucluse) le 6
octobre 1834, d'une famille israélite, fit ses études classiques à Aix, y fut reçu bachelier, et suivit les cours de la faculté de médecine de Montpellier. Mais Paris l'attirait. Il y vint de
bonne heure avec son ami M. Cazot, plus tard sénateur et ministre, et poursuivit la préparation du doctorat. Il eut alors des commencements difficiles. « C'était en août 1855, écrit un de ses
biographes ; un jeune homme, bizarrement vêtu, se promenait mélancoliquement à travers les rues de Lyon ; pantalon et gilet de velours noir usé, houppelande de velours déchirée, chapeau gris à
longs poils, en forme de tuyau de poêle, mais extrêmement bas, de longs cheveux incultes tombant au-dessous des épaules, un je ne sais quoi qui tenait à la fois du bohème et du petit vieux.
Tel était Alfred Naquet aux environs de la vingtième année, à une fin d'année scolaire parisienne, n'ayant pas de quoi continuer son voyage pour se rendre à Carpentras, et obligé de demeurer en
gage, dans une misérable auberge lyonnaise. Notre étudiant, amené trop tard à Lyon pour prendre le bateau de la concurrence, sur lequel il avait espéré descendre le Rhin jusqu'à Avignon pour la
modique somme de deux francs, dut attendre que l'ami Cazot lui eût envoyé vingt francs pour payer son hôtel. Moyennant treize francs il put prendre le bateau à vapeur et débarquer avec cinq sous
en poche à Avignon, où l'hôtelier, connu de M. Naquet père, l'hébergea jusqu'à l'arrivée des subsides paternels. Sur ce bateau se trouvait un montreur de singes. Naquet se mit à l'interroger sur
le prix de ses bêtes. La glace fut de suite rompue, et l'homme au singe lui dit avec un sentiment de profonde sympathie: « Oh! nous sommes donc confrères! monsieur est comme moi artiste, montreur
de bêtes. »
Reçu licencié ès sciences physiques en 1857, et docteur en médecine en 1859, il s'attacha surtout à l'étude de la chimie, écrivit une thèse remarquée sur l'Application de l'analyse chimique à la
toxicologie, concourut pour l'agrégation à la faculté de médecine avec un nouveau travail : De l'allotropie et de l'isométrie, qui jetait une vive lueur sur des questions obscures et
controversées ; mais une erreur dans l'épreuve pratique lui fit préférer M. Lutz. S'étant représenté en 1863, il remporta cette fois un succès complet ; sa thèse, Des sucres, était une attaque
directe contre certaines idées de Berthelot. M. Naquet fut nommé, à l'unanimité, agrégé à la faculté de médecine. Toutefois, en attendant son installation, il exerça à Palerme les fonctions de
professeur à l'Institut technique (1863-1865). Là, il écrivit ses Principes de chimie fondés sur les théories modernes, où il vulgarisait la théorie atomique de son maître Wurtz : l'ouvrage fut
traduit en anglais, en allemand et en russe. Admis, en 1866, à professer la chimie organique à la faculté médecine, il continua ses travaux et commença, en même temps, de s'occuper de politique
républicaine et révolutionnaire.
En 1867, avec M. Emile Acollas, alors professeur de droit, il organisa à Genève le Congrès de la paix. « Je propose au Congrès, s'écria-il, de ne pas se séparer sans un vote de flétrissure à la
mémoire de Napoléon Ier, le plus grand malfaiteur du siècle. » Impliqué peu après dans une affaire de conspiration et de société secrète, M. A. Naquet fut arrêté, avec quelques autres, et traduit
en police correctionnelle. Il fut défendu par Crémieux et condamné, ainsi que M. Acollas, à quinze mois de prison, cinq cents francs d'amende et cinq ans d'interdiction civique, ce qui le privait
de ses fonctions d'agrégé. Il utilisa sa détention en collaborant au Grand Dictionnaire universel, au Dictionnaire de chimie de Wurtz, au Moniteur scientifique, à la Tribune, journal de M.
Pelletan, auquel il fournissait un feuilleton scientifique, enfin en écrivant un livre qui fit grand bruit et valut à son auteur une nouvelle condamnation à quatre mois de prison: Religion,
propriété, famille. M. Naquet essayait d'y prouver que la forme sous laquelle s'était manifestée jusque là l'idée socialiste ne pouvait plus exister : « I1 lui faut, disait-il, une forme
nouvelle, scientifique, en harmonie avec les justes exigences de notre époque. ». S'étant réfugié en Espagne, il envoya de là des correspondances au Réveil et au Rappel, prit part à
l'insurrection de l'Andalousie, et ne revint en France qu'à la faveur d'une amnistie. Le 4 septembre 1870, il entra un des premiers, au Corps législatif, avec M. Lockroy.
Il suivit la délégation du gouvernement à Tours et à Bordeaux en qualité de secrétaire de la commission d'étude des moyens de défense : MM. de Pontlevoy, Deshorties, Bousquet, Descombes, Dormoy,
Marqfoy, officiers ou ingénieurs, la composaient avec lui. Candidat républicain radical, le 8 février 1871, dans le département de Vaucluse, M. A. Naquet fut élu représentant à l'Assemblée
nationale, le 5e et dernier, par 31,786 voix (63,738 votants, 85,059 inscrits). Il siégea à l'extrême-gauche ; mais la majorité invalida l'élection. Il se représenta au scrutin du 2 juillet
suivant, et fut confirmé dans son mandat par 31,933 voix (60,637 votants, 80,441 inscrits). Dans l'intervalle, il avait été désigné par le gouvernement communaliste parisien pour le poste de
doyen de la faculté de médecine de Paris; mais il ne l'occupa point, se trouvant alors à Avignon où il rédigeait la Démocratie du Midi. Il reprit sa place parmi les radicaux de l'Union
républicaine, et déposa, le 23 janvier 1872, de concert avec M. Millaud, une proposition de loi tendant à déclarer Napoléon III responsable de la guerre contre la Prusse, et à faire saisir et
vendre ses biens personnels pour le payement de l'indemnité de guerre. Il prit part aussi à la discussion de la loi sur les conseils généraux, répondit avec habileté aux attaques de la commission
des marchés (29 juillet 1872), soutint de sa parole et de son vote les projets de retour de l'Assemblée à Paris et de dissolution, combattit l'établissement du Sénat, se prononça pour le scrutin
de liste, pour l'impôt sur les revenus, pour le droit illimité d'association, pour le système du referendum et du mandat impératif ; et fit la guerre au gouvernement du 24 mai.
Il proposa une réorganisation de la faculté de médecine, qui fut rejetée, déposa (1875) une demande d'amnistie plénière, et vota l'amendement Wallon ainsi que l'ensemble des lois
constitutionnelles. Il ne tarda pas à se rallier à la campagne intransigeante que menèrent alors Louis Blanc et Madier de Montjau contre la politique dite opportuniste, qui venait de prévaloir.
Elu, le 5 mars 1876, au second tour de scrutin député d'Apt, par 7,318 voix (13,481 votants, 17,611 inscrits), contre 6,070 à M. Silvestre, conservateur-royaliste, M. A. Naquet siégea dans le
petit groupe de l'extrême-gauche, demanda à la Chambre une enquête sur les opérations du Crédit foncier, l'abrogation des lois sur la presse, et, pour la première fois, le rétablissement du
divorce (juin 1876); cette proposition fut alors rejetée par 254 voix contre 132. Il fonda un journal, la Révolution, qui ne dura que du 12 novembre au 13 décembre 1876, collabora aux Droits de
l'homme, et prononça à Nîmes, à Marseille et à Troyes, des discours intransigeants : «Nous aussi, s'écriait-il en faisant allusion à une parole de Gambetta, nous voulons la politique des
résultats : des résultats de 92 à thermidor!» Après l'acte du 16 mai 1877 dont il fut l'adversaire, il déclara dans une lettre au Radical de Marseille, que « l'union des 363 était l'unique moyen
de salut», et engagea la lutte, le 14 octobre 1877, contre son ancien adversaire, M. Silvestre, devenu candidat officiel : il n'obtint que 6,423 voix contre 7,306 à M. Silvestre élu.
Mais les opérations électorales d'Apt furent annulées par la majorité républicaine, et M. Alfred Naquet put se refaire réélire, le 7 avril 1878, par 8,669 voix sur 8.858 votants et 17,861
inscrits, Il vota d'abord, comme précédemment, avec l'extrême gauche, mais il évolua bientôt vers l'opportunisme, qu'il avait naguère si ardemment combattu, et se sépara des radicaux
intransigeants en plusieurs circonstances graves, vers la fin de la législature, notamment lors des débats auxquels donnèrent lieu les lois nouvelles sur la presse, le droit de réunion et le
droit d'association. Il montra plus de constance à l'égard du rétablissement du divorce ; sa motion, renouvelée au commencement de 1879, et repoussée par la commission d'initiative, fut prise en
considération par la Chambre le 26 mai 1879; mais, malgré l'appui du rapporteur, M. Léon Renault, le divorce fut encore repoussé le 8 février 1881, par 247 voix contre 216. Organisant la plus
active propagande sur cette question, M. Naquet multiplia les conférences dans les principales villes de France, et gagna à sa thèse un grand nombre de partisans. Réélu député, le 21 août 1881,
par 7,205 voix (7,413 votants, 17,017 inscrits), il dirigea quelque temps un journal opportun radica : l'Indépendant (11 janvier-15 juin 1882), et présenta pour la troisième fois sa proposition
de l'établissement du divorce.
Un rapport sommaire de la première commission d'initiative ayant conclu de nouveau à la prise en considération, le rapport définitif conclut à l'adoption, le 14 mars 1882, et, dans les séances
des 13, 15 et 17 mai, après une longue et intéressante discussion, la Chambre vota, par 336 voix contre 153, en deuxième lecture, et avec de faibles modifications, le projet du député de
Vaucluse. Afin de pouvoir contribuer personnellement au succès définitif de cette réforme devant la Chambre haute, M. A. Naquet sollicita des électeurs sénatoriaux de Vaucluse la succession de M.
Elzéar Pin, décédé. Elu sénateur, le 22 juillet 1883, par 107 voix (204 votants), contre 51 à M. Poujade, 25 à M. Armand, 14 à M. Devitte et 5 à M. Millet-Gonzague, il soutint de nouvelles luttes
pour le triomphe de la thèse dont il s'était fait le champion, eut à la défendre contre MM. Jules Simon et Allou, et obtint enfin, le 27 juillet 1884, le résultat qu'il sollicitait : le Sénat se
prononça pour l'ensemble de la loi, par 153 voix contre 116. En octobre suivant, M. Naquet déposa une proposition tendant à l'élection des sénateurs par le suffrage universel direct. Il revint à
la question du divorce en octobre 1886, pour demander que la séparation de corps qui, en vertu de la nouvelle loi, pouvait, après trois ans révolus, être convertie en divorce, le fût de droit ;
mais, par 127 voix contre 106, le Sénat repoussa cette obligation.
Il fut, en avril 1888, le seul des membres de la Chambre haute qui adhéra ouvertement au mouvement boulangiste, et se fit, a-t-on dit, le rédacteur des manifestes lus à la tribune ou publiés dans
les journaux par le général Boulanger ; cette attitude l'isola singulièrement au Sénat, et, lorsqu'à la séance du 20 décembre 1888, il voulut, par manière de défi, demander l'impression aux frais
du trésor du discours prononcé la veille par M. Challemel-Lacour ( Voy. ce nom), il souleva les plus vives protestations, et dut quitter la tribune et la salle des séances sans avoir pu se faire
entendre ; à partir de ce moment, il ne prit plus part aux débats ni aux votes de la Chambre haute. Il contribua à amener la Ligue des patriotes, dont il était membre, à servir les vues du
général Boulanger ; à ce titre, une demande en autorisation de poursuites fut portée contre lui au Sénat, au nom du gouvernement, le 11 mars 1889, et fut votée, le 14, sur un rapport de M.
Demôle, par 213 voix contre 58; comme les trois députés poursuivis en même temps que lui pour les mêmes motifs, il fut condamné à 100 francs d'amende, Outre les ouvrages déjà cités, on a de lui :
De l'atomicité (1868 : Divorce (1876) ; il a collaboré à la Philosophie positive, à l'Evenement, à la Révolution, etc.
Aux élections générales des 22 septembre et 6 octobre 1889, il se présente dans le Ve arrondissement de Paris où il est élu, au second tour, avec 4.830 voix contre 4.745 à Bourneville,
radical-socialiste, député sortant. Mais son élection ayant été invalidée le 16 décembre 1889, il doit revenir devant ses électeurs qui lui renouvellent leur confiance : le 16 février 1890, au
second tour de scrutin, il recueille 4.496 voix contre 3.698 à son concurrent de l'année précédente. Il donne alors sa démission de sénateur. Dans son action politique, il demeure fidèle au
boulangisme, même après la défaite de ce parti. La révision de la Constitution de 1875, qu'il juge détestable, reste pour lui l'objectif le plus urgent et, s'il désire des réformes dans tous les
domaines, il n'en repousse pas moins de toutes ses forces c le collectivisme qui de son vrai nom s'appelle le communisme ».
A la Chambre, il siège dans plusieurs commissions et dépose deux propositions de loi, l'une tendant à la participation des travailleurs aux bénéfices des sociétés industrielles et commerciales
par actions, l'autre visant à créer une assurance contre les accidents professionnels pouvant atteindre les ouvriers mineurs. Il intervient dans plusieurs débats concernant notamment : les
justices de paix, les caisses d'épargne, la réforme de la législation des patentes, le rétablissement de l'ordre à Paris à la suite des manifestations d'étudiants. A la consultation de 1893, il
se porte candidat à Carpentras, son pays natal, qu'il a déjà représenté au Parlement pendant dix-huit ans. Il se présente comme un ardent républicain, soucieux de reconstituer l'armée radicale et
progressiste. A ses adversaires qui lui reprochent son passé boulangiste, il répond avoir vu dans la popularité du général, lorsque l'extrême gauche le porta au pouvoir, le moyen de vaincre
l'impossibilité d'obtenir la révision constitutionnelle vers laquelle doivent tendre tous les efforts. Il est élu au second tour avec 4.686 voix contre 4.406 au député sortant, Béraud.
Au cours de cette législature, son activité parlementaire ne faiblit pas. Les nouvelles propositions dont il prend l'initiative sont d'une importance inégale ; elles ont pour objet :
l'assimilation des enfants naturels aux enfants légitimes au point de vue successoral, la délivrance de permis de chasse valables pendant 24 heures, la révision des lois constitutionnelles. A la
tribune, il aborde de nombreux sujets : droits de douane sur le blé et ses dérivés à l'importation, répression des menées anarchistes, mesures disciplinaires prises contre les fonctionnaires
investis d'un mandat électif, impôt direct sur le revenu et taxes assimilées, nécessité de réviser les lois constitutionnelles de 1875, nomination des sénateurs au suffrage universel... Il
intervient encore dans la discussion des deux interpellations relatives, l'une à la révocation d'un trésorier-payeur général et à la prédominance des juifs dans l'administration française,
l'autre aux dangers de l'infiltration incessante de la race juive.
En 1896, figurant parmi les parlementaires désignés par Arton comme ayant bénéficié des libéralités de la compagnie de Panama, Naquet quitte la France dès l'annonce des poursuites. De Londres, il
écrit que son état de santé ne lui permet pas de courir le risque et les rigueurs d'une détention préventive, mais il saura établir son innocence. Le 30 novembre 1897, la Cour d'assises de la
Seine acquitte les autres parlementaires poursuivis et, sur la foi des certificats médicaux qu'il a fournis, lui accorde un sursis d'un mois pour se présenter. Revenu à Paris dans les délais
fixés, il est à son tour acquitté le 30 mars 1898. A la suite de cet épisode malheureux, il décide de ne pas solliciter le renouvellement de son mandat de député lors des élections générales qui
ont lieu la même année. Retiré de la vie politique active, il donnera néanmoins son adhésion au parti socialiste en 1900. Ses idées, Naquet les a également défendues par la plume dans divers
ouvrages : Socialisme, Collectivisme et socialisme libéral (1890), Temps futur (1900), L'Humanité et la Patrie (1901), L'anarchisme et le collectivisme (1904). Homme politique, il était aussi
homme de science : docteur en médecine, agrégé de la Faculté de Paris, il est l'auteur d'études scientifiques importantes. Naquet est mort le 10 novembre 1916 à Paris. Il était âgé de 82 ans.