Philby Kim
Harold Adrian Russel Philby (né le 1er janvier 1912 à Ambala (en), aux Indes britanniques, mort le 11 mai 1988 à Moscou, URSS), plus connu sous le nom de Kim Philby est un agent double britannique, membre des services secrets britanniques, le MI6, et espion à la solde du KGB, au profit duquel il trahissait le premier.
Philby était le fils de St. John Philby (1885-1960), un orientaliste, arabisant, diplomate et espion, qui fut le grand rival du colonel T. E. Lawrence, avant de devenir « l’inventeur » d’Ibn-Séoud, le fondateur de l'Arabie saoudite, puis son éminence grise. La personnalité hors du commun du père a peut-être profondément joué dans les choix de son fils « Kim ». Issu de la gentry cossue, il est élevé comme son père à la Westminster Public School. Il intègre par la suite l'université de Cambridge. Il entre en 1929 au Trinity College de Cambridge pour y étudier l’économie et l’histoire. Il y rencontre des étudiants qui formeront avec lui le Groupe de Cambridge ou Magnificent Five (Donald Maclean, Guy Burgess, Anthony Blunt et John Cairncross). Des intellectuels comme George Bernard Shaw ou George Orwell, à l'époque très favorables au communisme, ont eu une influence très forte sur toute cette génération. Trésorier de la Cambridge Socialist Society, il est remarqué en 1930 par l'un de ses professeurs, communiste, à Cambridge, Maurice Dobb. Celui-ci l'aiguille vers le GPU (services secrets soviétiques) pour lequel il accepte de travailler. En 1934, après ses études, il se lance dans un grand tour d'Europe, visitant tous les pays. Les finances familiales le lui permettent aisément. À Vienne, il rencontre Alice Roeder-Kohlman (née Friedmann), surnommée Litzi, qui travaille pour le Kominterm et ils se marient. Pour elle il accepte de transporter des fonds secrets à destination de cellules clandestines dans l'Allemagne hitlérienne et en Grande-Bretagne.
En 1934, il part pour l'Espagne en tant que correspondant pour le Times. Durant la guerre d'Espagne il écrit à la gloire de Franco, et devant Teruel (1937-1938) il est blessé par un éclat d'obus républicain ; tout ça lui vaut d'être décoré par le Caudillo. En 1935, il entre au British Foreign Office. En septembre 1939, peu après l'éclatement de la Seconde Guerre mondiale, Alice et lui divorcent. De septembre 1939 à juin 1940, pendant les neuf premiers mois de la guerre, il est correspondant du Times auprès du quartier général de l'armée britannique (British Expeditionary Force) en France à Arras. Après la débâcle française de juin 1940, il est recruté par le colonel Vivian Valentine et intègre la section contre-espionnage du MI6, le service de renseignement britannique, plus connu sous le nom d'Intelligence Service. En 1939, le général Walter Krivitzki, ancien chef de l'espionnage soviétique en Europe, a trahi l'URSS et rejoint Londres ; il donne ses dossiers au MI6. C'est ainsi qu'il livre le capitaine John Herbert King, du service du Chiffre du Foreign Office, qui est découvert et condamné à dix ans de prison. Krivitzki parle aussi d'un espion au sein du Foreign Office et qui travaillait à Paris : il s'agit de Donald McLean, mais l'information ne sera confirmée qu'en 1951. Pierre Faillant émet l'hypothèse que Philby a éventuellement pu « freiner les recherches » à l'époque, mais cela n’est pas assuré.
En un an et demi de bons et loyaux services, Philby est promu au service d'évaluation des Renseignements. À ce poste, il contribue à convaincre le gouvernement britannique de soutenir plutôt la résistance communiste yougoslave, que la résistance monarchiste : suite à ce revirement le roi Pierre II en exil à Londres appelle ses partisans de rejoindre Tito (ceux qui n'obtempèrent pas sont anéantis) et finalement les communistes yougoslaves restent seuls maîtres du pays. Pierre Faillant estime en outre qu'à cette époque, Philby a volontairement torpillé les négociations de paix avec Canaris. Selon Alexandra Viatteau Kim Philby était à Gibraltar le responsable de la sécurité du général polonais Władysław Sikorski, et c'est lui qui provoqua l'accident d'avion coûtant la vie au général. Il aurait ainsi obéi aux ordres de Staline désireux de se débarrasser d'un allié devenu gênant, car Sikorski refusait obstinément d'attribuer le massacre de Katyn aux nazis, selon la thèse officielle des Alliés. Aujourd'hui encore selon la thèse officielle le général Sikorski est mort dans un accident et rien ne peut prouver que c'était un attentat. En Pologne en revanche, la thèse rapportée par Alexandra Viatteau est quasi-officielle.
Au sein du MI6, la traque aux espions fait de plus en plus de victimes, Kim Philby sent le filet se resserrer autour de lui. Aussi, habilement, pour éviter les soupçons de philosoviétisme, il propose de lui-même à ses supérieurs de créer une section spéciale chargée de traquer les espions soviétiques en Grande-Bretagne. Pour Pierre Faillant, c'est son « coup de maître ». C'est ainsi qu'il est affecté à la tête de la toute nouvelle section IX, chargée de lutter contre les agents soviétiques. Ainsi, Philby peut être sûr de ne pas être démasqué. Constantin Volkof était consul soviétique à Ankara, et chef du service de renseignement pour le Proche et Moyen-Orient ; il propose aux Anglais de passer à l'ouest, et en échange du droit d'asile offre les noms de deux espions hauts-gradés ; Philby intercepte la demande, prévient Moscou : Volkof est rapatrié en URSS et disparaît.
En 1946, les Américains, les Britanniques et les Canadiens démantèlent tout un réseau d'espions soviétiques au lendemain de la défection d'Igor Gouzenko (le chiffreur des Services Secrets soviétiques au Canada et aux États-Unis). Gouzenko livre 108 documents et révèlent l'identité d'une quarantaine d'espions. Les documents livrés laissent penser qu'un haut-gradé du contre-espionnage britannique est peut-être un espion, et qu'il s'agirait peut-être bien de son chef, Kim Philby, mais l'affaire est étouffée, personne n'ose imaginer que cela puisse être vrai. Philby est affecté au poste de Premier Secrétaire à Washington en 1949 et y retrouve McLean et Burgess, alors diplomates. Les Américains les soupçonnent d’avoir transmis aux Soviétiques des informations confidentielles sur le programme nucléaire militaire et de leur avoir dénoncé les opérations de déstabilisation de l'Albanie, menées par la CIA et le MI6 (projet Valuable) entre 1949 et 1951.
Depuis Washington Philby a accès à des informations de premier plan. Grâce à lui, en septembre la Chine est informée que les États-Unis ne procéderont ni à un bombardement nucléaire ni à des bombardements massifs en cas d'intervention chinoise (même indirecte) dans le conflit, de même en novembre ils sont mis au courant d'une "limite" nord à ne pas franchir par McArthur. Suite à ces renseignements la Chine intervient en masse, et arrête la progression américaine en Corée. Entre 1950 et 1952, il organise avec les Américains des missions clandestines d'agents volontaires en Albanie et en Ukraine. En même temps il donne tous les détails à Moscou : 150 Russes et Américains sont fusillés dès leur arrivée en URSS, et 18 en Albanie. À partir de ce moment, le FBI alerte le MI5 quant à des fuites britanniques. En 1951, une enquête est menée, mais c'est à Philby lui-même qu'elle revient. Il sait que ses deux amis Burgess et Maclean sont découverts ; il les prévient à temps et ils s'envolent pour Moscou.
Les soupçons de la CIA commencent à se porter sur Philby lui-même. Quatre mois plus tard (1951), il démissionne de ses fonctions. En 1954, un diplomate soviétique passé à l'ouest, Vladimir Petrov, le dénonce. Sur ces accusations, le député Marcus Lipton soupçonne Philby. Il fait l’objet d’une enquête approfondie mais est blanchi par Harold Macmillan, Secrétaire au Foreign Office, devant les Communes en octobre 1955, bénéficiant de protections secrètes et élevées. Dénoncé publiquement par le député Marcus Lipton, Philby répond en lui faisant un procès en diffamation qu'il gagne (Lipton ne pouvant rien prouver). Selon la CIA, Philby aurait informé les Soviétiques que le stock de bombes atomiques était épuisé et que les Américains avaient du mal à en reconstruire, notamment à cause de la dispersion des équipes de scientifiques du Projet Manhattan. Cette information aurait incité Staline à provoquer deux crises majeures, le Blocus de Berlin (1948-1949) et la guerre de Corée (juin 1950). Au cours d’une conférence de presse célèbre, il dément avec beaucoup d'aplomb, « les rumeurs grotesques » de sa trahison. Cependant, les Américains confirment leurs accusations et Philby est, peut-être, protégé par l’Establishment britannique à cause de ses origines sociales, de la notoriété de son père, etc. John Bruce Lockhart le remplace à son poste et tente de renouer des relations de confiance entre les services spéciaux britanniques et américains.
Définitivement exclu du MI6, Philby s’installe à Beyrouth comme correspondant de L'Observer puis de The Economist. Il y couvre la crise de Suez en octobre-novembre 1956. Il y continue son rôle d'espion pour l'Intelligence Service, qui n'a cependant plus aucune illusion sur lui. Un agent britannique, venu de Londres, tente même d'obtenir une confession de lui, sans succès. Pendant deux ans il écrit des articles dénonçant les Soviétiques et leur avancée au Moyen-Orient, il reste même en contact avec le MI6, leur donnant des renseignements de temps à autre. La CIA envoie sur place un agent pour le surveiller, le correspondant du New-York Times, Sam Pope Brewer, mais rien de suspect n'est relevé. En 1957, Philby perd sa deuxième femme, Ellen Furse, restée en Grande-Bretagne et mère de 5 enfants. Il séduit alors la femme de celui qui est censé le surveiller : Eleanor Brewer. Il l'épouse en 1959 à Beyrouth. En novembre 1962, il est prévenu qu'il est découvert, et il s'enfuit alors pour l'URSS.
En novembre 1962, il passe définitivement en Union soviétique, probablement avec l'accord tacite du gouvernement britannique, pour éviter un procès à scandale. Neuf mois après Eleanor l'y retrouve ; en 1964, elle rentre aux États-Unis, et elle y meurt en 1968. En 1965, il devient le compagnon de la femme de Mc Lean, née Melinda Marling. Plus tard, il la quitte pour une Russe plus jeune, Rufina Poukhova, qu'il épouse en 1971. Jusqu’à sa mort, il fait l’objet de tous les honneurs de la part du régime soviétique (décoration, appartement de fonction, datcha), tout en restant la coqueluche des médias anglo-saxons. Il se justifie dans un livre, My Silent War (Ma guerre silencieuse), publié en 1968. Philby reste l'un des plus emblématiques transfuges de la Guerre froide : sa morgue toute britannique, son snobisme, les responsabilités qu’il exerça et les dégâts considérables qu’il provoqua le démarquaient des autres. Il ne sombra pas, à l'inverse de Donald Maclean et Guy Burgess eux aussi hébergés par l'URSS, dans un alcoolisme désespéré.
En 1986, sentant sa fin prochaine, Philby accepta une interview de la BBC au cours de laquelle il fit le bilan de sa vie : il prétend que son passage au marxisme est dû à l'influence de ses professeurs, et au danger de la montée du nazisme, sentiment partagé par Guy Burgess et par Donald Maclean. Il y précise qu'il n'y avait pas de cellules communistes organisées par le GPU à Cambridge dans les années 1930. Le journaliste lui montre que la fin de vie de Guy Burgess, qui a sombré dans l'alcoolisme et la dépression à Moscou à cause de leur déception sur la nature du régime soviétique, n'est pas vraiment un exemple. Philby répond, avec orgueil, qu'il assume ses choix jusqu'au bout. Mort d'une crise cardiaque, Kim Philby est enterré à Moscou, au cimetière de Kountsevo.