Queuille Henri Antoine
Queuille Henri Antoine né le 31 mars 1884 à Neuvic-d’Ussel (Corrèze). Décédé le 15 juin 1970 à Paris (VIème).
Député de la Corrèze de 1914 à 1935 et de 1946 à 1958. Sénateur de la Corrèze de 1935 à 1945. Sous-secrétaire à l’agriculture du 20 janvier 1920 au 16 janvier 1921. Ministre de l’agriculture du 14 juin au 1924 au 17 avril 1925, du 19 juillet au 11 novembre 1926, du 21 février au 2 mars 1930, du 18 décembre 1932 au 8 novembre 1934 et du 10 avril 1938 au 20 mars 1940. Ministre de la santé publique du 13 décembre 1930 au 27 janvier 1931. Ministre des PTT du 3 juin au 18 décembre 1932. Ministre de la santé publique et de l’éducation physique du 8 novembre 1934 au 1er juin 1935. Ministre des travaux publics du 22 juin 1937 au 13 mars 1938. Ministre du ravitaillement du 21 mars au 16 juin 1940. Président du Conseil du 11 septembre1948 au 28 octobre1949, du 2 au 12 juillet 1950 et du 10 mars au 11 août 1951. Dès la Belle Epoque, Henri Queuille, médecin de son état, s’est construit un fief radical dans sa Corrèze natale : maire, conseiller général, député (1914) puis sénateur (1935). Après un comportement exemplaire pendant la Grande Guerre, il est nommé, à trente cinq ans, secrétaire d’Etat à l’agriculture, inaugurant avec ce poste technique une longue série de participations ministérielles de 1920 à 1940.
C’est donc un politique chevronné qui choisit l’abstention lors du vote des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain le 10 juillet. Réfugié à Londres, il se voit confier par De Gaulle, en avril 1943, un Commissariat d’Etat et la vice-présidence du Comité français de libération nationale. Délégué à l’Assemblée consultative provisoire, il tente sans succès sa chance aux élections du 21 octobre 1945 en Corrèze: la liste radicale socialiste qu’il conduit ne recueille que 18 211 suffrages, bien loin derrière la liste communiste (52 057 suffrages), la liste SFIO (32 420 suffrages) et la liste MRP (29 072 suffrages). Il est incontestablement victime du discrédit dont souffrent, de façon générale, les anciens élus de la Troisième République et, en particulier, les élus radicaux qui prônent seuls le maintien des lois de 1875 alors que l’opinion française manifeste, dans sa grande majorité, son désir de changement. Absent de la scène publique pour cause de maladie, plutôt réservé sur la Constitution de la Quatrième République qu’il considère comme un « monstre », Henri Queuille sollicite pourtant, à nouveau, les suffrages de ses concitoyens corréziens le 10 novembre 1946 : sa liste de Rassemblement des gauches républicaines totalise 26.082 suffrages captant une partie de l’électorat socialiste.
Il peut siéger à nouveau sur les bancs de l’Assemblée nationale aux côtés des trois autres élus de la Corrèze : deux députés du PCF et un député du MRP (Edmond Michelet), dont les formations connaissent un succès national croissant depuis 1945. D’abord vice-président du groupe radical socialiste à l’Assemblée, Henri Queuille en devient président le 29 janvier 1947 lorsque Edouard Herriot, dont il est proche, est porté à la présidence de l’hémicycle. Il est même, pendant un certain temps, président de l’intergroupe du Rassemblement des gauches. Il est nommé membre de la commission de l’Intérieur et de celle de la Reconstruction et des dommages de guerre. Ardent défenseur de l’ordre républicain, il se mobilise face aux grandes grèves qui éclatent dans les usines Renault en avril 1947 pour se propager dans les principales régions ouvrières françaises, activées par le départ des ministres communistes du gouvernement Ramadier le 5 mai 1947.
Il dépose, le 10 juin, une proposition de loi tendant à réglementer l’exercice du droit de grève dans les services dont le fonctionnement ininterrompu est indispensable à la vie de la nation. Ce radical modéré retrouve très rapidement le chemin des cabinets : le 26 juillet 1948, il devient ministre d’Etat et ne cesse plus alors d’avoir des responsabilités gouvernementales, d’abord comme titulaire de portefeuilles puis comme président du Conseil et vice-président du Conseil (de septembre 1948 au 12 juillet 1950 puis à nouveau de mars 1951 à juillet 1951). C’est en qualité de chef de gouvernement et de ministre de l’Intérieur qu’il élabore la loi sur les apparentements, votée le 7 mai 1951, qui réforme le mode d’élection des députés en combinant la représentation proportionnelle avec une prime à la majorité. Autorisant des apparentements entre les différentes listes en présence, la loi Queuille permet à la liste ou aux listes apparentées recueillant la majorité des suffrages absolue de se voir attribuer la totalité des sièges à pourvoir.
L’objectif est de servir les intérêts des radicaux, des modérés, de la SFIO et du MRP, bref de toutes les forces qui soutiennent la Quatrième, en isolant les communistes et en contraignant les gaullistes à intégrer le jeu parlementaire sous peine de disparaître. Dans sa profession de foi, il défend le bilan de son gouvernement mais il joue aussi beaucoup sur la dramatisation du scrutin dénonçant les deux périls, « l’entreprise de pouvoir personnel et la dictature d’un parti au service de l’étranger », qui menacent la République. Le 6 décembre 1955, dans une interview à Paris-Presse, Henri Queuille résume le choix qui s’offrait au peuple français : « le communisme, la république autoritaire et le régime parlementaire ». Le promoteur de la réforme en est aussi l’un des grands bénéficiaires dans sa propre circonscription. La liste de Défense républicaine, sur laquelle il figure, est le fruit d’un accord entre le Parti républicain radical et radical socialiste, la SFIO, le Mouvement Républicain Populaire et le Rassemblement des Gauches Républicaines. Réunissant les anciens rivaux contre les ennemis communistes et gaullistes, la liste de Défense républicaine devance de 25 voix la liste communiste d’Union républicaine résistante et antifasciste pour l’indépendance nationale.
Ses 40,4% des suffrages exprimés sont obtenus dans un contexte de polarisation marqué par une abstention en très fort recul. La liste gaulliste est condamnée à faire de la figuration : le RPF, avec seulement 19641 voix soit 14,6%, perd le député sortant Edmond Michelet. Quant à la liste du Centre national des indépendants conduite par l’avocat Jacques Bourdelle, elle totalise 3,9% des suffrages. La Corrèze s’est choisie comme représentants, outre Henri Queuille, un socialiste et deux communistes. A l’issue du scrutin et hors de toute crise, Henri Queuille remet la démission de son gouvernement mais il se retrouve à nouveau dans l’hémicycle sur les bancs du gouvernement au titre de ministre d’Etat puis de vice-président du Conseil (mars 1952-juin 1954). Simple député à partir de l’été 1954, il fait entendre sa voix lors du débat budgétaire pour l’exercice 1955 en déposant un amendement imposant les arsenaux et les usines mécaniques de l’Etat à la contribution de la patente. Outre son intérêt pour les collectivités locales et notamment communales, il manifeste un souci constant pour toutes les questions agricoles, dont il est depuis trente cinq ans un spécialiste reconnu.
Il se préoccupe de l’amélioration des conditions de vie des agriculteurs en prenant une part active aux discussions portant sur l’extension des prestations familiales agricoles et plus généralement au financement de la sécurité sociale agricole. En janvier 1956, la liste du parti républicain radical et radical socialiste d’Henri Queuille est apparentée à la liste SFIO et à la liste d’union républicaine sociale indépendante et paysanne du Parti républicain pour le redressement économique et social. Hostile à la dissolution de l’Assemblée nationale et plus généralement à Edgar Faure dont il dénonce le mépris à l’égard du Souverain parlementaire, Henri Queuille se pose en défenseur de la tradition républicaine. Le texte de sa profession de foi rend compte de son fort mécontentement contre les méthodes du gouvernement qui « n’a rien fait auprès des commissions et des rapporteurs pour préparer une réforme électorale. Il n’existait d’ailleurs aucun motif impérieux de raccourcir le mandat parlementaire. Il y en avait encore moins pour dissoudre l’Assemblée nationale après un vote sur une question de procédure et d’aggraver ainsi la confusion des esprits». Avec presque 37% des suffrages exprimés, le Parti communiste conserve la tête et ses deux élus. La liste radicale arrive en seconde position loin derrière, avec seulement 19% des voix (26 957 pour Henri Queuille), celle de la SFIO engrange 17% et celle de l’union républicaine sociale indépendante et paysanne, 11%. La participation reste forte avec seulement 17,9% d’abstentions (pour 17,1% en 1951).
Le total des suffrages remportés par l’apparentement des trois listes radicale, socialiste et d’union républicaine sociale indépendante et paysanne s’élève à 63 862 voix. Il lui en aurait fallu 67 660 pour atteindre la majorité ; néanmoins Henri Queuille est réélu ainsi que le député sortant socialiste. Mais la troisième législature marque le début d’un retrait : le « docteur tant mieux », comme certains l’avaient baptisé, n’occupe plus de responsabilités gouvernementales et il se sent de moins en moins au diapason avec son propre parti. Il n’a pas d’affinités particulières avec Pierre Mendès France qui entreprend la rénovation du Parti radical de 1955 à 1957. C’est la raison pour laquelle il quitte ce dernier pour rejoindre, au côté d’André Morice, le Parti radical démocratique dont il est élu président au congrès d’Asnières en avril 1957. Dès 1958, néanmoins, il réintègre le camp des Valoisiens qui le portent à la présidence d’honneur du parti en juin 1959. A l’Assemblée, il est membre de la commission de l’éducation nationale et de celle des moyens de communications et du tourisme mais il prend une part peu importante aux débats.
Il intervient en novembre 1957 pour prôner le rétablissement des équilibres économique et financier, la lutte contre l’inflation et la mobilisation contre la crise intérieure et extérieure qui menace la France. Face au péril que l’instabilité gouvernementale et politique fait courir au pays, ses dernières interventions notables en février 1958 concernent la révision constitutionnelle et notamment la question de la dissolution dont il craint l’utilisation abusive. Même s’il a, en tant que président du Conseil, défendu les prérogatives de l’exécutif, il s’est toujours montré fidèle à la République parlementaire estimant que le dialogue entre les deux pôles du pouvoir devait être permanent. Ses conceptions, bien différentes de celles de De Gaulle, n’empêchent pas qu’il vote l’investiture du général en juin 1958, mais elles expliquent, sans doute, outre une certaine lassitude, sa décision de ne plus briguer de mandat national à partir de 1958.