Marie Madeleine Valentine Vionnet, née le 22 juin 1876 à Chilleurs-aux-Bois (Loiret) et morte le 2 mars 1975 à Paris, est une grande couturière française et une influence majeure de la mode du XXe siècle. Créatrice en 1912 de la Maison de couture Vionnet, elle est l'inventrice de la coupe en biais et du drapé ; elle crée des robes du soir qui moulent le corps et mettent en valeur ses formes.
Née le 22 juin 1876 à Chilleurs-aux-Bois, Madeleine Vionnet est la fille de Jean Baptiste Abel Vionnet — gendarme puis employé des Douanes — et de Marie Rosalie Henriette Gardembois. En 1881, elle s'installe avec son père nommé receveur d'octroi à Aubervilliers. En 1888, elle entre en apprentissage chez une voisine couturière, femme du garde champêtre. En 1889, elle est mise à l'atelier qui lui fait apprendre toutes les techniques de la couture. Elle monte à Paris en 1890, où elle entre comme apprentie chez le couturier Vincent, rue de la Paix. En 1894, elle épouse Émile Depoutot avec qui elle a une fille ; celle-ci meurt en 1896. Le couple ne résiste pas à ce deuil et divorce.
Alors que le XIXe siècle n'est pas terminé, elle se conduit en féministe avant la lettre en prenant la décision de quitter à la fois son travail, son mari et son pays. Sous prétexte d'apprendre l'anglais, elle traverse la Manche et se fait engager comme couturière dans un asile d'aliénés puis à Londres, chez une couturière de Dover Street, Kate Reily, qui habille les Britanniques de la bonne société en copiant des modèles venus de Paris. Là, Vionnet assimile non seulement la technique des grands tailleurs britanniques, notamment ceux de Savile Row, mais découvre aussi la façon dont les œuvres peuvent être copiées plus ou moins bien sans que personne ne s'en émeuve. En 1900, fascinée par Isadora Duncan et ses formes libres, elle explore l'art du drapé qu'elle maîtrisera si bien que, l'année suivante, elle est engagée comme première dans une des plus célèbres maisons du Paris de l'époque, celle des sœurs Callot. « Grâce aux sœurs Callot, dira-t-elle, j'ai pu faire des Rolls-Royce. Sans elles j'aurais fait des Ford ». Puis c'est au tour de Jacques Doucet de faire appel à elle. C'est chez lui qu'elle supprimera définitivement l'usage du corset dans toutes ses créations, ce qui fut une révolution dans la mode. C'est pourtant à Paul Poiret qu'on attribue cette innovation.
En 1912, devant l'immense succès que ses créations remportent chez Doucet, elle ouvre, au no 222 rue de Rivoli à Paris, sa propre maison où le tout Paris commence à se presser. Elle y invente notamment le manteau de ville. Deux ans plus tard, la Première Guerre mondiale la contraint à fermer sa maison, mais elle continue à travailler. Les modèles des années 1917 à 1919 sont parmi les plus audacieux qu'elles aient construits. De 1920 à 1930, elle donnera libre cours à sa passion des fleurs à travers des jupes corolles et surtout des amas de roses en bandeaux, en colliers, en guirlandes, toujours somptueusement parsemées sur des capes ou des cols. À la même époque, l'invention du biais et la façon dont Madeleine Vionnet en défendra la maternité devant les contrefacteurs restent inscrites à tout jamais dans la mémoire de la mode. Elles furent l'occasion d'un historique procès qu'elle gagna. À dater de ce jour, elle mettra au point un système de copyright qui fait encore référence. « Non seulement, dit-elle, j'appose sur chaque modèle sorti de chez moi ma griffe et un numéro de série mais aussi mon empreinte digitale. Je donne aussi le nom des personnes que j'autorise officiellement à copier mes œuvres à plusieurs exemplaires ». C'est ainsi qu'elle constituera une inestimable collection d'archives où chacun de ses modèles est photographié de face, de dos et de profil. Dans les années 1920, toute la presse spécialisée la porte aux nues. On voit ses modèles sur la duchesse Sforza, sur madame de Vilmorin, sur Liane de Pougy.
Dans le même temps, elle s'installe aux 50-52 avenue Montaigne à Paris et collabore à la décoration des Galeries Lafayette dont elle veut faire un temple de la mode. Plus que des robes, ses créations deviennent de véritables architectures à draper selon un rituel de gestes précis. Elle avait l'habitude de travailler sur un petit mannequin de bois peint sur lequel elle créait toutes ses toiles en modèles réduits. Elle gardera cette célèbre petite figurine dans sa chambre jusqu'à la fin de ses jours et s'en servira pour expliquer aux visiteurs curieux, les différentes étapes de son travail. De plus, cette petite statuette lui permettait de visualiser les formes et les rondeurs des femmes, pour leur proposer des vêtements qui épousaient leur forme, ce qui était une fois de plus révolutionnaire à une époque où les formes étaient sinon cachées, oubliées des autres créateurs. Bien que n'ayant pas le goût du luxe, elle aimera s'entourer des plus beaux objets de son temps. Sa maison de vacances, la Maison blanche, deviendra un véritable temple du bon goût et de la modernité avec des meubles de Pierre Chareau, de Jean-Michel Frank, de Francis Jourdain, de René Herbst et de Jean Dunand.
Elle prend sa retraite alors qu'elle est au sommet de sa gloire, le jour où commence la Seconde Guerre mondiale. Le 17 août 1939, elle écrit : « On attend actuellement le 24 ou le 27 août - Nuremberg - comme si des lèvres du Führer devait sortir la paix ou la guerre. Il en sortira d'autres mensonges ou folies, car, à mon avis, aucun cerveau humain n'est en ce moment assez puissant ni assez clair pour être à la hauteur du chaos actuel… ». En décembre 1940, la maison Vionnet est mise en liquidation à l'hôtel Drouot et le personnel licencié. Il restait à Madeleine Vionnet plus de trente années à vivre. Elle qui avait travaillé toute sa vie partagera désormais son temps entre la culture de son jardin, l'observation de la nature et l'écriture d'une correspondance qu'elle adresse à Marcelle Chaumont son ancienne première et à Liane de Pougy. Son seul lien avec la couture consistera à donner des cours à l'école de la rue Saint-Roch où se transmettent toujours les bases de sa technique de coupe et la riche tradition haute couture dont elle héritait, à des élèves d'origines internationales. Elle va confier l'ensemble des modèles qu'elle a conservés, ses albums de copyrights et huit cents toiles de patrons, à son ami François Boucher qui, dès 1952, veut créer à Paris le musée de la mode et du textile.
Au soir de sa vie elle écrira : « L'important c'est d'arriver à vivre et à travailler tel qu'on est, en pleine vérité, en somme à s'imposer, mais il faut qu'il y ait en soi de quoi le faire. Que de gens s'ignorent toute leur vie et courent après eux-mêmes… Il faut toujours se dépasser pour s'atteindre…. Toujours lutter au fond, c'est passionnant… c'est la force de résistance qui soutient le mieux. Elle seule dépend de vous. » C'est pour cette force de résistance et pour tout le reste que Madeleine Vionnet reste encore et toujours un exemple. Elle est enterrée, auprès d'officiers russes (père et oncle de son second époux Dimitri Netchvolodoff, un ancien officier de marine russe, qu’elle épouse en 1923), dans le cimetière de la commune de La Chassagne (Jura), village natal de son père. Des anciens de ses ateliers de plus de huit cents ouvriers naîtront les maisons de couture de Jacques Griffe, Marcelle Chaumont, Charles Montaigne, et Mad Carpentier. La Bibliothèque historique de la ville de Paris possède un fonds Madeleine Vionnet composé de carnets de ses collections de l'ouverture de sa maison jusqu'à sa fermeture. Ce fonds est arrivé à la bibliothèque par don, par le biais du fonds Thérèse Bonney.
Soucieuse du bien-être de ses employées, Madeleine Vionnet organise ses ateliers de couture en mettant des chaises pour les ouvrières à la place des tabourets, crée un réfectoire, une crèche et emploie un médecin et un dentiste à demeure. Elle va même leur offrir des vacances, bien avant la loi sur les congés payés.