Wagner Richard
Compositeur et dramaturge allemand (Leipzig 1813-Venise 1883). Musicien mais aussi dramaturge, philosophe et metteur en scène, Richard Wagner fut sans rival dans l'Allemagne de son temps. Sous sa plume et sous sa direction, l'opéra devint une « œuvre d'art totale » censée élever son auteur au rang des dieux. Bayreuth fut – et demeure – le lieu de son apothéose.
Dernier de sept enfants, Richard Wagner naît dans une famille ayant le goût des activités artistiques : son père, Friedrich Wagner (1770-1813), au demeurant greffier de police, et sa mère, Johanna (1778-1848), font du théâtre, tout comme ses sœurs Rosalie (1803-1837) et Louise (1805-1871), tandis que son frère aîné, Albert (1799-1874), est chanteur et sa sœur Clara (1807-1875), la femme d'un chanteur. Un autre frère, Julius (1804-1862), est orfèvre et la quatrième fille, Ottilie (1811-1883), épouse le philologue Hermann Brockhaus (1806-1877), dont Nietzsche sera le disciple. Orphelin de père à l'âge de six mois, le jeune garçon est élevé par sa mère, aux côtés d'un beau-père (son vrai père ?), Ludwig Geyer (1778-1821), acteur mais aussi peintre et poète, et de son oncle Adolf Wagner (1774-1835), homme lettré qui exerce une forte influence sur sa formation intellectuelle. Ses études, cependant, sont décevantes. Passionné de poésie (Homère, Shakespeare), il se sent bientôt la vocation de musicien. En 1831, il trouve en Theodor Weinlig (1780-1842), maître de chapelle à Leipzig, le mentor selon ses vœux. Avec lui, il travaille l'harmonie et le contrepoint. Dès 1832, il compose sa Symphonie en ut majeur et, en 1833, son premier opéra, les Fées. Chef d'orchestre à Magdebourg (1834-1836), Wagner y épouse une jeune cantatrice, Minna Planer (1809-1866), avec laquelle il partage ses rêves de célébrité mais aussi ses difficultés financières, dues à l'échec de son deuxième opéra, la Défense d'aimer (1836, d'après Mesure pour mesure de Shakespeare). Le couple déménage pour Königsberg (1836), puis pour Riga (1836-1839), avant d'échouer à Paris, où est terminé Rienzi (1840) et composé le Vaisseau fantôme (1841).
En 1842, Wagner rentre à Dresde, où l'on monte Rienzi. Le succès qu'il obtient lui permet d'occuper le poste de maître de chapelle de la cour royale de Saxe (1843). Mais l'accueil mitigé fait au Vaisseau fantôme (1843) et l'insuccès de Tannhäuser (1845), nullement compensés par l'enthousiasme qu'il soulève en dirigeant l'exécution des symphonies de Beethoven, le plongent dans la frustration. C'est alors que Wagner affiche ses sympathies pour les révolutionnaires qui provoquent le soulèvement de Dresde en 1849. Contraint de fuir la répression, il trouve refuge en Suisse grâce à l'amitié indéfectible de Liszt. C'est ce dernier également qui dirigera, à Weimar, la création de Lohengrin (1850). Établi à Zurich, Wagner se consacre à la fois à des essais théoriques (dont l'Art et la Révolution, 1849 ; l'Œuvre d'art de l'avenir, id. ; Opéra et drame, 1851) et à la mise au point du projet qui donnera naissance à la Tétralogie (Der Ring des Nibelungen [l'Anneau du Nibelung]) ; il passe l'année 1852 à en écrire les poèmes. Il entreprend mais interrompt la partition musicale de l'œuvre pour s'occuper de Tristan et Isolde (achevé en 1859), transposition de la passion nouvelle que lui inspire Mathilde Wesendonck (1828-1902), poétesse et épouse du riche industriel qui est aussi son mécène. En lisant Schopenhauer, Wagner a trouvé à sa propre pensée des racines et des prolongements qu'il ne soupçonnait pas. Il envisage désormais la possibilité de bâtir un système. C'est à Paris qu'il revient, en 1859, pour tenter d'imposer son œuvre. Il réussit à faire jouer Tannhäuser à l'Opéra, en mars 1861, mais les représentations, trop houleuses, sont arrêtées au bout de trois jours. Ulcéré par la cabale du Paris de Napoléon III, et criblé de dettes, Wagner parcourt l'Europe et va jusqu'en Russie, multipliant les concerts pour faire connaître son répertoire, qui s'est enrichi des Maîtres chanteurs de Nuremberg (1861). Il se trouve à Stuttgart le 3 mai 1864, lorsqu'un envoyé du jeune roi Louis II de Bavière (monté sur le trône le 10 mars) l'invite à Munich pour y être comblé de faveurs.
À peine installé, Wagner fait venir Cosima (1837-1930), l'épouse du chef d'orchestre Hans von Bülow (1830-1894) – et la fille de Liszt –, dont il s'est épris. De leur liaison naît une fille prénommée Isolde (1865-1919). Tandis que Tristan et Isolde triomphe sur scène (1865), la cour de Bavière se déchaîne contre le compositeur, qu'elle rend responsable des égarements du roi. Reprenant le chemin de l'exil en Suisse, Wagner s'établit à Tribschen, près de Lucerne. Veuf depuis 1866, il y est rejoint par Cosima, qui demande le divorce afin de se remarier avec lui (1870), après lui avoir donné deux autres enfants, Eva (1867-1942) et Siegfried (1869-1930). Pièce orchestrale, l'Idylle de Siegfried (1870) portera témoignage de leur félicité. En 1871, Wagner choisit la petite ville de Bayreuth pour faire construire le théâtre dont il rêve et fonder un festival. Il pose la première pierre du Festspielhaus (« théâtre du Festival ») le 22 mai 1872, jour de son 59e anniversaire, et l'inaugure le 13 août 1876 en présence de l'empereur Guillaume Ier, mais non de Louis II de Bavière, qui n'a assisté qu'aux répétitions de la Tétralogie. Il y crée en 1876 le cycle complet de la Tétralogie (achevé depuis 1874), puis en 1882 Parsifal. Dans ce théâtre, la scène a été conçue pour être l'endroit magique où se produirait l'alchimie de tous les arts (poésie, musique, théâtre, danse), ainsi que des décors, costumes et jeux de lumières. Le spectacle doit éveiller des énergies psychiques qui sommeillent en chacun et susciter la communication effective de tous. Tel est l'idéal de l'« œuvre d'art totale » à laquelle Wagner aspire dans ses écrits théoriques.
Homme usé, Wagner meurt lors d'un séjour à Venise. Ramenées à Bayreuth, ses cendres reposent dans le jardin de sa villa (Wahnfried, « Paix des illusions »), où celles de Cosima seront aussi déposées en 1930. Obsédé toute sa vie par la fondation d'une école, Wagner s'élève au-dessus des conventions qui faisaient de l'opéra un simple divertissement. Il considère le théâtre lyrique comme le lieu d'une initiation sacrée, et la tragédie, comme un « jeu scénique solennel » par lequel l'artiste s'érige en guide spirituel de son peuple. C'est ce rôle qu'il s'attribue en composant des drames musicaux où le texte devient musique, la musique action et l'action théâtre. C'est pourquoi il est, de tous les auteurs d'opéras, le premier qui écrive lui-même ses livrets, et le premier qui caractérise ses personnages par l'emploi de certaines sonorités verbales. Wagner fait de l'harmonie l'élément central autour duquel se construit le drame, et du leitmotiv (« motif conducteur »), le thème qui en épouse les fluctuations, variant en fonction de son évolution. À l'orchestre, où les cuivres sont renforcés, il donne une ampleur sans précédent : pour la Tétralogie, 134 instruments, qui, dans la fosse de Bayreuth, sont superposés et non juxtaposés. Son influence s'étendra de Bruckner et Mahler à Debussy et Schoenberg.