Continental-Films
Créée en 1940 par Joseph Goebbels et dirigée par Alfred Greven, elle produit une trentaine de longs-métrages entre 1941 et 1944, dont certains comme La Main du diable et Le Corbeau sont devenus des classiques français, avant de disparaître à la Libération. La Continental-Films est, à l'instar de la Tobis, une société de production cinématographique « de droit français à capitaux allemands » créée en septembre 1940 par Joseph Goebbels, grand ordonnateur et ministre de la Propagande du parti nazi alors au pouvoir en Allemagne depuis 1933. Pour Goebbels, l'objet de cette société est avant tout politique, afin de garder la mainmise sur la production cinématographique des pays occupés : « Notre politique en matière de cinéma doit être identique à celle des États-Unis envers l'Amérique du Nord et du Sud. Nous devons devenir le pouvoir cinématographique sur le Continent Européen. Dans la mesure où des films seront produits dans d'autres pays ils devront garder un caractère purement local. Nous avons pour but d'empêcher, autant que possible, la création de toute industrie nationale du Cinéma.».
La Continental possède des crédits sans commune mesure avec ceux des autres studios de l'époque de la Collaboration que facilite l'emploi d'une pellicule d'excellente qualité (neuve et ne provenant pas de récupération), de matériaux nécessaires aux décors et costumes qui étaient pratiquement impossibles à trouver ailleurs. Cette aisance relative n'empêche pas pour autant une économie de moyen grandissante, au gré des rationnements, des coupures d'électricité, des bombardements et du rapprochement du débarquement allié. Goebbels nomme à la tête de la Continental Alfred Greven, ancien militaire, francophile convaincu qui avait suivi des études en France et admirateur inconditionnel de la culture et du cinéma français. Mais l'ambition de Greven est certes de concurrencer le cinéma américain, mais aussi du point de vue artistique et de produire avant tout de bons films français, du point de vue de l'équipe technique, des acteurs ou même des sujets, quitte à s'affranchir des directives de Goebbels.
Ainsi, Continental-Films produira en 1943 Au Bonheur des Dames d'André Cayatte d'après le roman d'Émile Zola, auteur mis à l'index par les Nazis. Selon Bertrand Tavernier, certains films produits par la Continental n'aurait jamais pu voir le jour s'ils avaient été soumis à la censure de Vichy. Goebbels n'appréciait pas les libertés que s'accordait Greven avec ses directives. À la suite de la projection de La Symphonie fantastique de Christian-Jaque, il écrit dans son journal : « Je suis furieux que nos bureaux de Paris montrent aux Français comment représenter le nationalisme dans leurs films. J'ai donné des directives très claires pour que les Français ne produisent que des films légers, vides, et si possibles stupides. Je pense qu'ils s'en contenteront. Il n'est pas besoin de développer leur nationalisme » De nombreux résistants intègrent la Continental, comme l'assistant réalisateur Jean-Devaivre, pensant être plus protégés au sein même de l'organisation contre laquelle ils combattaient. Pour arriver à ses fins, Greven tente de rassembler les meilleurs éléments français. Rencontrant Jacques Prévert à Cannes, il tente de persuader celui-ci d'intégrer la Continental, et lui garantit une pleine liberté artistique. Prévert refuse, et commente ainsi ses intentions : « Hé non. D'ailleurs, vous avez déjà perdu ! [...] Parce que vous n'avez pas de Juif avec vous. Voyez Hollywood : On ne fait pas de cinéma sans eux ! »
Greven se met alors à la recherche de scénaristes juifs, et demande à Jean Aurenche de lui en présenter. Il finit par engager Henri Calef et Jean-Paul Le Chanois, juif, communiste et résistant. Greven n'était pas dupe de cette situation et va même jusqu'à la tolérer dans le but de pouvoir utiliser des talents rares ne coûtant presque rien et, de ce fait, forcément appréciés (sous condition expresse de ne pas voir leur patronymes figurer aux génériques ou de leur trouver des prête-noms). Selon des propos rapportés par le fantasque producteur Roger Richebé, Greven aurait déclaré, reprenant l'idée de Prévert : « pour le cinéma, les Juifs sont les plus forts [...] J'ai un juif chez moi, mais il ne sait pas que je le sais... » Si son catalogue atteint difficilement le chiffre de trente réalisations à la fin de la Seconde Guerre mondiale, elle n'en demeure pas moins un vivier de jeunes auteurs talentueux qui se sont vu propulser au premier plan plus tôt que prévu. Certes, si des places étaient devenues « libres » en raison de l'interdiction faite aux professionnels juifs, acteurs et scénaristes comme techniciens, les nouveaux metteurs en scène n'ont connu qu'une reconnaissance plus précoce et se seraient de toute manière imposés dans les années suivantes.
Parmi eux et outre Henri-Georges Clouzot, il convient de citer des noms comme ceux de Claude Autant-Lara, Jacques Becker, Robert Bresson, André Cayatte, Jean-Devaivre (alors assistant), Christian-Jaque, Georges Lacombe qui rejoignent d'autres réalisateurs déjà célébrés avant-guerre comme Marcel Carné ou Maurice Tourneur. Du côté des acteurs, on trouve des presque débutants comme Gérard Philipe ou François Périer mais aussi des artistes confirmés tels que Raimu, Michel Simon, Pierre Larquey, Suzy Delair, Danielle Darrieux et, avant d'émigrer provisoirement en Amérique du Sud, Louis Jouvet . Le dernier film produit par cette compagnie est les Caves du Majestic, une adaptation d'un roman de Georges Simenon avec Albert Préjean (dans le rôle du commissaire Maigret), Gabriello, Suzy Prim, Denise Grey pour les plus connus. Ce tournage est d'ailleurs évoqué dans le long-métrage de Bertrand Tavernier, Laissez-passer (2002).
La contribution la plus remarquable de cette compagnie au cinéma français est, sans conteste, la production du film le Corbeau de Clouzot. À la Libération, le Comité d'épuration du cinéma français inscrit cette œuvre sombre et pessimiste comme ses auteurs et acteurs sur une liste noire. Certains d'entre eux, à l'image de Pierre Fresnay (alors Président des acteurs) et Ginette Leclerc feront un long séjour en prison (six mois pour le premier, un an pour la seconde dont un passage à Drancy). Clouzot devra lui-même attendre trois ans pour sortir du purgatoire et tourner son fameux Quai des Orfèvres en 1947.