Hemon Roparz
Roparz Hemon, à l'état-civil Louis Paul Némo, né le 18 novembre 1900 à Brest et mort le 29 juin 1978, était un linguiste,
romancier, journaliste et poète breton de langue bretonne, militant nationaliste, impliqué dans la collaboration, et de citoyenneté irlandaise sur la fin de sa vie. Il est né à Brest, deuxième
des six enfants d’une famille de fonctionnaires : son père est ingénieur mécanicien de la Marine nationale et sa mère, Julie Foricher, était institutrice. Il est en contact avec la langue
bretonne populaire grâce à sa grand-mère maternelle et aux employées de maison. Après le baccalauréat, il part en classe scientifique au lycée Saint-Louis de Paris, mais finit par opter pour
l’étude de l’anglais, tout en suivant les cours de langue celtique (de breton, essentiellement) de la Sorbonne. Il part à l’université de Leeds et obtient l’agrégation d’anglais avant d'être
nommé enseignant à Brest.
Agrégé d'anglais, il se consacre à partir de 1923 et jusqu'à sa mort à la défense de la langue bretonne et au combat pour lui donner une littérature qu'il rêvait à l'égal des autres littératures
internationales. Possédant une culture certaine, Roparz Hemon s'intéressa très tôt aux problèmes des minorités nationales en Europe et dans le monde, subissant même l’influence de Tagore et de
Gandhin dès les années 1920. Il le fait à la fois en linguiste (il écrivit nombre d’articles et d’études sur le breton), et en écrivain. À ses débuts il maîtrisait très mal la langue bretonne,
calquant inconsciemment son expression sur le français ou l'anglais, mais il a entrainé dans son sillage de véritables écrivains bretonnants qui eux connaissaient la langue bretonne de naissance,
essentiellement Jakez Riou, Yves Le Drézen (Youenn Drezen) et Jakez Kerrien.
Plus grammairien que linguiste, Hemon ne s'est mis à étudier la langue ancienne et la grammaire historique qu'après la Seconde Guerre mondiale, lorsqu'il se met à travailler à son Dictionnaire
historique et à sa Grammaire historique. Il crée la revue Gwalarn en 1925, en collaboration avec Olivier Mordrel. Ce n’est d'abord que le supplément littéraire de Breiz Atao, journal qui compte
alors moins de 200 abonnés. Rapidement, la revue devient indépendanten. La revue mère, Breiz Atao, bénéficie au cours des années 1920 et 1930, de financement des services secrets allemands
(d’abord, sous la République de Weimar, grâce à des fonctionnaires appartenant à des associations nationales-socialistes, puis par l’Allemagne nazie).
Dans Gwalarn, Roparz Hemon refuse les influences du breton populaire, voulant créer une nouvelle langue bretonne avec de nouveaux mots pour les concepts modernes, et une grammaire standardisée.
D’après Ronan Calvez, dès cette époque, les écrits de Roparz Hemon propageraient une idéologie totalitaire, exaltant la pureté de la race, la conscience d’appartenir à une avant-garde, et la
volonté de créer un homme nouveau. Néanmoins, parmi les donateurs de Gwalarn, l'un des plus réguliers et des plus importants est Leo Perutz, écrivain juif autrichien (puis israélien), interdit en
Allemagnen. Dans ses études ou comptes-rendus des langues de moindre diffusion ou minorisées, il donne comme exemple à suivre le combat mené par les Danois et les Tchèques pour contrer la
germanisation de ces pays. Roparz Hemon a constaté que les Bretons passaient au français pour trois raisons :
- c'était le seul vecteur de promotion sociale (toute autre langue que le français étant écartée par le système centralisateur de l'administration),
- c'était le moyen de communiquer avec les Français,
- le français était imposé par l’école, le service militaire, et l’administration, où toute utilisation de la langue bretonne était bannie.
Roparz Hemon était un homme de l’écrit. Strict, il n’acceptait pas de dérive par rapport à l’orthographe instituée par « l'Entente des Écrivains » de 1908 (et qui se retrouvait dans les travaux
de François Vallée), et il renâcla à adopter l'orthographe unifiée du breton de 1941 (ce n’est qu’après guerre qu'il se résolut à l’adopter). Pourtant, Gwalarn éditait des livres en graphie
vannetaise, comme Prinsezig en Deur à l’usage des enfants, en 1928. Son projet est dirigé vers l’élite de la population : Roparz Hemon n’a étudié que la langue écrite. Cependant, conscient des
faiblesses de cette attitude, il a compilé un recueil d’expressions populaires (réédité par Hor Yezh). Il s'agissait alors d'une véritable révolution car jusqu'ici le breton n'était guère utilisé
que pour l'impression d'ouvrages religieux (Buez ar Zent, etc.).
Par ailleurs, il compose de nombreux ouvrages en brezhoneg eeun (breton simplifié, dont le vocabulaire est réduit à des mots parmi les plus courants) pour faciliter l'accès à la langue écrite.
Tout le long de sa vie, Roparz Hemon a été un fervent partisan de l’espéranto, seul moyen selon lui de se passer des « langues impériales » ; et l’espéranto ayant toujours été, selon lui,
combattu par les régimes totalitaires. Dès 1928, il édite une revue en espéranto, Nord-Okcidento, et réalise une petite grammaire de l’espéranto en 1928, et un petit dictionnaire espéranto-breton
en 1930. Roparz Hemon n’était pas indifférent aux gens qui parlaient le breton populaire, bien au contraire. C’est auprès des employées de maison de ses parents qu’il reçut les rudiments du
breton. Peu après la création de Gwalarn, il crée Kannadig Gwalarn, pour tout public, au breton plus simple et « comme on le parle à la campagne ». Mais ce qui l’intéresse au premier chef, c’est
l’éducation du peuple par sa propre langue, comme l’avait fait N.F.S. Grundtvig au Danemark avec ses « académies populaires », avec « des œuvres de qualité ». Toucher le peuple, et spécialement
les enfants, est également le but de sa fondation/collection Brezoneg ar vugale, qui distribue des livres en breton aux enfants.
Dans cet esprit, le brezhoneg eeun est un outil puissant d'apprentissage de la langue. C'est également lui qui s’intéresse en premier à l’étude de la prononciation du breton. Mobilisé, il est
affecté au centre des interprètes de l'armée à Auxi-le-Château (Somme). Il est blessé par un lance-flamme près de Crécy-en-Ponthieu le 23 mai 1940. Il est fait prisonnier le 24 mai 1940 et
conduit à l'hôpital de Saint-Ricquier (Pas-de-Calais) puis à celui de Berck-Plage. Il est ensuite interné dans le camp de prisonniers de guerre d'Alexisdorf puis dans un camp près de Berlin, dans
un secteur où les Allemands rassemblent certains prisonniers bretons, ayant alors pour projet de favoriser les minorités afin de saper l'État français, projet abandonné après l’entrevue de
Montoire.
Il est libéré dans le cadre de ce projet fin août 1940 et rentre à Brest. Il reprend alors la publication de la revue Gwalarn. Dès novembre, il proclame la collaboration « occasion unique de se
libérer du joug français » et s’engage dans la collaboration avec l'occupant. Le lundi de Pâques 1941, son appartement (12, place de la Tour d'Auvergne) est détruit par un bombardement aérien.
Hemon part alors s’installer à Guingamp (7, rue des Salles). Le 1er juillet 1941, il s’installe à Rennes où il est speaker sur Radio Rennes Bretagne, dont il devient plus tard directeur des
programmes. Il y travaille sous l’autorité et le contrôle idéologique des Allemands et anime les premières émissions en breton à la radio, ce qui n'avait pas été possible précédemment du fait de
la politique linguistique française. Il dirige l'hebdomadaire Arvor, qui paraît à partir de 1941. Dans ce journal, il est
l'auteur de plusieurs déclarations antisémites.
En octobre 1941, il est associé avec d'autres intellectuels par le celtisant allemand Leo Weisgerber à la création à Rennes de l'Institut celtique de Bretagne. Hemon en devient le directeur. Cet
Institut semble être inspiré par le Deutsche Forschungsgemeinschaft (pendant allemand du CNRS français). Il collabore aussi politiquement avec l’occupant, participant à la constitution du dossier
contre le préfet Ripert. Selon Olier Mordrel et Yann Fouéré, il aurait également été membre du « Kuzul Meur », comité secret qui regroupait divers partis ou associations nationalistes, dont le
Parti national breton. Lors de la débâcle des troupes allemandes, il fuit dans un de leurs camions, ainsi que d'autres nationalistes, en août 1944. Kristian Hamon cite le témoignage inédit de
l'épouse d'un membre du Bezen Perrot présente dans le convoi avec Roparz Hemon lors de sa fuite en Allemagne et le rôle moins passif qu'on ne le pensait de cet intellectuel aux côtés de nazis. En
janvier 1945, il fait encore l’objet d’un rapport élogieux du professeur Weisgerber, qui souligne son engagement germanophile, en vue de lui décerner le Prix Ossian.
À la Libération, on lui reproche des écrits antifrançais et antisémites, publiés pendant la guerre, et ses prises de position nationalistes, parfois anti-françaises, d'avant-guerre. Il avait
cependant dès 1931 pris ses distances avec quelques-uns de ses écrits publiés entre 1923 et 1929. Arrêté, il est poursuivi pour « atteinte à la sûreté extérieure de l'État ». Le réquisitoire
définitif précise que Roparz Hemon a déclaré : « Je me déclare, me tenant sur le terrain strictement culturel qui est le nôtre, partisan d'une collaboration loyale avec les peuples qui façonnent
sous mes yeux l'Europe Nouvelle » lors d'une réunion publique de l'Institut celtique au théâtre municipal de Rennes. Après un an de détention préventive, son procès s'ouvre le 15 mars 1946 à
Rennes. Ayant axé sa défense sur l'idée qu'il était un savant qui n'avait eu aucune activité politique sérieuse, donc de réelle influence, sous l'occupation18 et bénéficié de la mobilisation de «
milliers de Celtes d'outre-Manche » en sa faveur19,n 5, il obtient la relaxe pour l'un des chefs d'accusation, celui de trahison, mais est condamné le 31 mai 1946 à une peine d'indignité
nationale de dix ans20,21. Le crime d'indignité nationale consiste à avoir « postérieurement au 16 juin 1940, soit sciemment apporté en France ou à l'étranger une aide directe ou indirecte à
l'Allemagne ou à ses alliés, soit porté atteinte à l'unité de la nation ou à la liberté des Français, ou à l'égalité entre ceux-ci » (ordonnance du 26 décembre 1944).
Le 3 juin 1946 le commissaire du gouvernement près la Cour de Justice rapporte au procureur général près la cour d'appel de Rennes : « Accusé d'atteinte à la sûreté extérieure de l'État, il a été
acquitté de ce chef et seulement déclaré en état d'indignité nationale pour une durée de 10 ans. Cette décision me semble justifiée, les débats n'ayant pas révélé que l'activité de Louis Némo,
qui me paraissait cependant devoir être évoquée en une audience publique, s'était exercée dans un sens anti-français. » Il perd, par voie de conséquence, son statut d’enseignant de la fonction
publique. Après avoir vivoté à Paris quelque temps, il part pour l'Irlande en juillet 1947. Il s'installe à Dublin où il enseigne le breton à l’Institute for Advanced Studies (équivalent de
l'École pratique des hautes études pour le Celtique). Il continue d'écrire dans tous les genres (poésie, théâtre, romans, grammaire, dictionnaires, essais, livres pour la jeunesse, etc). Il
rédige depuis l'exil la revue Ar Bed keltiek et collabore à la revue littéraire Al Liamm (dirigée par Ronan Huon) qui a pris le relais de Gwalarn. Il publie aux éditions Al Liamm un grand nombre
de livres touchant tous les domaines.
Vers la fin de sa vie, pour de nombreux militants culturels bretons, Roparz Hemon apparaît comme le chef de file incontesté, considéré comme le véritable pape de la langue bretonne, tant le
respect, l'admiration à son égard reste grande. Olier Mordrel, dans son manifeste Pour une nouvelle politique linguistique (La Bretagne réelle) dépeint Hemon comme ayant « des avis sous forme
d'ukases dont le simple examen était considéré par des dévôts adeptes comme frisant le sacrilège ». En 1950, il écrit : « (…) il se produisit un miracle : pendant quatre ans, de 1940 à 1944, un
vent de liberté passa sur la Bretagne ; chaque vrai Breton put travailler presque sans tracas, et la vie de l'esprit fleurit. Pendant ces quatre années-là les Bretons conscients apprirent qu'ils
étaient capables de s’occuper de leur pays seuls, une leçon qu'ils ne sont pas prêts d'oublier. ».
Roparz Hemon meurt à Dublin le 29 juin 1978. Son corps est rapatrié à Brest où il est enterré le 10 juillet 1978. Son influence demeure grande sur nombre d'écrivains, qui comme Per-Jakez Helias,
conservent une admiration certaine pour le bilan intellectuel de Gwalarn. Hommages récents et controverses sur son attitude pendant la guerre. Les institutions culturelles bretonnantes lui ont
rendu plusieurs hommages, reconnaissant son énorme travail en faveur de la langue bretonne. Le journal Bretagne des livres, organe de l'Institut culturel de Bretagne, a publié plusieurs articles
laudateurs à son sujet. Son attitude pendant la guerre a longtemps été minimisée, voire oubliée, comme cela a été le cas pour beaucoup de collaborationnistes français (là encore jusqu'à une
époque relativement récente, où l'exigence de mémoire a entrainé bon nombre d'actions contre des collaborateurs français hauts placés : anciens préfets, etc.). Ceci jusqu'aux révélations du
Canard enchaîné entre autres :
- En 1998, la section du MRAP d'Ille-et-Vilaine, sollicitée par Françoise Morvan, a protesté contre l'hommage rendu à Hemon par l'Institut culturel de Bretagne, rappelant ses activités sous l'Occupation.
- Le premier collège Diwan, créé en 1988 au Relecq-Kerhuon, avait reçu son nom. Il fut débaptisé douze ans après, à la suite d'une campagne de protestations émanant de certains milieux de gauche.
- Le premier Dictionnaire breton de An Here, subventionné par l’Institut culturel de Bretagne, lui était dédié.
- En 2005, l’enseigne « Roparz Hemon » avec sa photographie, qui était fixée sur la façade du Centre culturel breton, place de Verdun à Guingamp dans les Côtes d'Armor, était enlevée.