Manouchian Missak

Publié le par Mémoires de Guerre

Missak Manouchian ou Michel Manouchian, né le 1er septembre 1906 à Hısn-ı Mansur (Empire ottoman) et mort fusillé le 21 février 1944 à la forteresse du Mont-Valérien (France), est un ouvrier et poète arménien immigré en France, devenu un membre de premier plan de la Résistance intérieure française au sein des FTP-MOI de la région parisienne lors de la Seconde Guerre mondiale. Survivant du génocide arménien et formé au métier de menuisier, il se réfugie en 1925 en France, pays de « préférence » qu'adoptera son épouse Mélinée. Ouvrier tourneur, autodidacte, il s'engage à la suite de la crise du 6 février 1934 dans le mouvement antifasciste qu'anime le Parti communiste français. En juillet 1935, il devient cadre de l'Internationale communiste en accédant à la direction du journal Zangou, publié par la Section française du Comité de secours pour l'Arménie, puis de l'Union populaire franco-arménienne, relais de l'organisation Main-d'œuvre immigrée (MOI) de la CGTU auprès des ouvriers arméniens. Il n'entre dans la Résistance que lorsqu' Hitler rompt le pacte germano-soviétique en 1941. Il est versé en février 1943 dans les FTP-MOI de la région parisienne. Alors que les arrestations s'enchaînent, il est choisi en août 1943 pour en être commissaire militaire et est arrêté trois mois plus tard. Figure d'une résistance armée contraire à l'attentisme prôné par certains, il meurt, comme il l'écrit à son épouse, « en soldat régulier de l’Armée française de la Libération » avec vingt-deux de ses camarades. L'histoire de ces vingt-trois résistants est révélée dans Pages de gloire des 23, un livre publié en février 1951 aux Éditions sociales par l'association des anciens FTP, avec une préface de Justin Godart et une post-face de Charles Tillon occultée en raison des purges politiques des années 1950 à la direction du PCF

Manouchian Missak

Parcours

L'enfance d'un réfugié : de la Turquie au Liban (1906-1925)

Missak Manouchian ou Michel Manouchian, né le 1er septembre 1906 à Hısn-ı Mansur (Empire ottoman) est le quatrième et dernier enfant d'une famille de paysans arméniens catholiques de la ville ottomane d'Adıyaman, ancienne forteresse de la Commagène puis du comté d'Édesse. Il a neuf ans en 1915, au début du génocide arménien, quand son père, Kevork, est tué les armes à la main, alors que gendarmes turcs et auxiliaires de fortune mènent une féroce répression contre les nombreuses milices d'autodéfense qui se sont constituées pour protéger des massacres les quelque cinq mille Arméniens de la province installés là au moins depuis le XIe siècle et abandonnés aux Ortocides en 1150 par les croisés. La déportation des Arméniens d'Adiyaman a lieu à la mi juillet. Malade, sa mère, Vardouhi Kassian, meurt quelque temps après son mari, affaiblie par la famine qui sévit8. Lui-même et son frère Garabed sont sauvés par une famille kurde qui les recueille.

À la fin de la Première Guerre mondiale, il est pris en charge par la communauté arménienne et transféré avec son frère dans un orphelinat ouvert par la Sauvegarde du Proche orient, organisme humanitaire fondé par l'ambassadeur des États-Unis Henry Morgenthau, dans la région de Jounieh, au sud de Jbeïl9, dans ce Liban qui passe sous contrôle français en 1918 et y reste en vertu d'un mandat donné par la Société des Nations en 1920. C'est cet orphelinat qui sera renommé Tchernots Pouyn et dirigé à partir de 1928 par Maria Jacobsen, « auxiliaire féminin »n 6 de la filiale danoise de la Société des missions chrétiennes à l'étranger qui, en janvier 1922, supervise avec son assistante mennonite Nellie Miller-Mann l'accueil à Beyrouth des orphelins évacués d'Antep. Là, il est formé au métier de menuisier et est initié aux lettres arméniennes. Solitaire et rebelle à la sévère discipline de l'établissement, il rédige des textes satiriques dirigés contre un surveillant qui le font remarquer. Il se découvre un goût pour l'écriture. 

Immigré arménien en France (1925-1934)

En 1925, Missak et Karabet (ou Garabed) débarquent à Marseille, sans doute grâce à un réseau d'immigration clandestine. Missak exerce son métier de menuisier, notamment à La Seyne. Puis les deux frères décident d'aller à Paris. Karabet étant tombé malade, Missak se fait embaucher comme tourneur aux usines Citroën, afin de subvenir à leurs besoins. Karabet meurt cependant en 1927. Athlétique, il est choisi en 1929 pour modèle par son ami le peintre Krikor. Il pose également pour Carzou. Il s'introduit dans le milieu artistique, s'intéresse à la littérature et écrit des poèmes. Il rencontre le journaliste Aram Andonian, chroniqueur du génocide, à la librairie Nubar, que celui-ci dirige. Quand la Grande Dépression frappe, au début des années 1930, il perd son emploi. Il gagne alors sa vie grâce à des travaux irréguliers. Il fréquente les universités ouvrières de la CGT et se rend chaque matin à la bibliothèque Sainte-Geneviève. Avec un ami arménien, Kégham Atmadjian alias Séma (ou Semma), il s'inscrit à la Sorbonne en auditeur libre. Ils y suivent des cours de littérature, de philosophie, d'économie politique et d'histoire. Ensemble, ils fondent la revue Ջանք (Tchank, « effort ») en 1930-1931. Dans cette revue, ils publient des articles sur la littérature française et la littérature arménienne, des traductions en arménien de Baudelaire, Verlaine et Rimbaud. 

Le militant communiste au HOC (1934-1935)

En 1934, à la suite des événements du 6 février, Missak adhère au Parti communiste français ainsi qu'au HOC (Comité de secours pour l'Arménie, plus particulièrement sa section française), originellement HOK (Haï Oknoutian Komité), forme abrégée de Hayastani Oknoutian Komité où Hayastani correspond à « Arménie ». Le HOK est créé le 13 septembre 1921 par le gouvernement de la République soviétique d'Arménie pour collecter des ressources dans la diaspora, alors que l'Arménie subissait le blocus allié, en même temps que la Russie soviétique. Comme dans la plupart des pays occidentaux ayant une communauté arménienne, une antenne est ouverte en France vers 1925. En 1935, c'est à la fois la section française (désignée par un sigle composite franco-arménien) du HOK, l'organisation de masse du PCF en direction de la communauté arménienne en France et la section arménienne de la MOI (main-d'œuvre ouvrière immigrée), organisation fortement liée à l'Internationale communiste (le Komintern).

La principale personnalité du HOK ou HOC est le docteur Haïc Kaldjian. L'effectif du HOC s'élève à environ 7 000 personnes à l'époque du Front populaire, soit un des plus élevés de la MOI. Son siège se trouve rue Bourdaloue ; il est dirigé par un conseil central. Il est formé par les comités locaux (un par ville, sauf à Paris et à Marseille). Missak est membre du comité du Quartier latin et contribue rapidement au journal du HOC. En 1934-1935, époque de la montée du Front populaire, le HOC connaît un développement notable des effectifs et a besoin de nouveaux cadres ; lors du congrès de juillet 1935, Missak Manouchian est proposé par la direction pour le poste de « deuxième secrétaire » (Haïc Kaldjian étant le premier en tant que « secrétaire général ») et élu, devenant donc un permanent de l'organisation. Il devient aussi membre du conseil central, en même temps, entre autres, que Mélinée Assadourian, déléguée du comité de Belleville, qui est de plus engagée comme secrétaire (dactylographe) ; elle devient la compagne de Missak en 1937. 

Du journal Zangou à l'UPFA (1936-1939)

Une des responsabilités de Missak est d'être rédacteur en chef du journal du HOC, qui prend en 1935 le nom de Zangou, du nom d'une rivière qui arrose Erevan. Le rôle initial du journal du HOC était de contribuer au soutien à l'Arménie soviétique ; dans les années 1930, il diffuse des informations sur ce pays et sur l'URSS (Zangou relaie la propagande stalinienne concernant les procès de Moscou) et développe à propos de différents sujets le point de vue dit progressiste parmi l'immigration arménienne. Une rubrique importante est celle de la correspondance des travailleurs, dite « Rabcor », en réalité une sélection des nouvelles émanant des cellules d'entreprises. Il y a aussi des reportages et des articles culturels. À partir de juillet 1936, le journal agit pour la défense de la République espagnole ; Manouchian fait d'ailleurs partie du Comité d'aide aux Républicains espagnols. En même temps qu'a lieu le reflux du Front populaire, l'organisation connaît des difficultés qui amènent sa dissolution en 1937, puis la création d'une nouvelle structure, l’Union populaire franco-arménienne. Zangou cesse de paraître en 1937. À la fin de l'année 1937, Missak Manouchian est délégué au 9e congrès du PCF et dans l'ensemble conserve une activité militante importante jusqu'à l'été 1939. 

La guerre et la résistance (1939-1942)

« Me battant contre la mort, vivre étant le seul problème… » — M. Manouchian, « Le Miroir et moi ». Le 2 septembre 1939, Missak Manouchian est arrêté ainsi que Haïc Kaldjian alors que l'interdiction du Parti communiste et des organisations proches intervient seulement le 26 septembre, un mois après le pacte germano-soviétique. Manouchian peut cependant sortir de prison en octobre et est affecté comme engagé volontaire dans une unité stationnée dans le Morbihan. Après la défaite de l'armée française en juin, il reste sous le contrôle des autorités à l'usine Gnome et Rhône d'Arnage (Sarthe), qu'il quitte illégalement au début de 1941 pour revenir à Paris. Il est de nouveau arrêté peu après le 22 juin 1941, date de l'invasion de l'URSS par les Allemands, et incarcéré sous contrôle allemand au camp de Compiègne. Il est libéré au bout de quelques semaines, aucune charge n'étant retenue contre lui. Il habite avec son épouse, Mélinée, au 11 rue de Plaisance dans le 14e arrondissement de Paris de 1941 jusqu'au 16 novembre 1943, date de son arrestation.

À partir de 1941 puis en 1942, il entre dans le militantisme clandestin. Il existe peu d'informations de ses activités au sein de la MOI clandestine. Il devient responsable politique de la section arménienne au cours de l'année 1941, se trouvant donc sous l'autorité du « triangle » de direction de la MOI : Louis Gronowski, Simon Cukier, sous le contrôle de Jacques Duclos. Un élément intéressant réside dans la familiarité durant ces années des Manouchian avec Micha et Knar Aznavourian, sympathisants communistes, engagés dans la résistance dans une activité très importante, le « Travail allemand » (la démoralisation des soldats allemands et l'assistance à leur désertion ; le recrutement d'agents allemands pour le renseignement), comme en a témoigné Charles Aznavour, en particulier en 1985. 

FTP MOI (1943)

« Tu ne fais pas de mal, tu ne fais que tuer des tueurs. » — Michel Manouchian, février 1943. En février 1943, Manouchian est versé dans les FTP-MOI, groupe des Francs-tireurs et partisans - Main-d'œuvre immigrée de Paris : il s'agit de groupes armés constitués en avril 1942 sous la direction de Boris Holban, Juif originaire de Bessarabie. Le premier détachement où il est affecté comporte essentiellement des Juifs roumains et hongrois et quelques Arméniens. Le 17 mars, il participe à sa première action armée, à Levallois-Perret. Son indisciplinen 16 lui vaut un blâme et une mise à l'écart.  En juillet 1943, il devient commissaire technique des FTP-MOI de Paris ; en août, il est nommé commissaire militaire de la région parisienne, à la place de Boris Holban démis de ses fonctions pour raisons disciplinaires (il jugeait suicidaires les missions dans le contexte du moment) tandis que Joseph Epstein, responsable d'un autre groupe de FTP-MOI, est devenu responsable des Francs-tireurs et partisans pour l'ensemble de la région parisienne. 

Epstein est donc le supérieur hiérarchique de Manouchian, la direction politique étant exercée par l'un des cinq membres de la direction nationale de la MOI, Jacques Kaminski, qui a pour adjoint et délégué auprès des militaires Marino Mazetti. Manouchian lui-même a sous ses ordres trois détachements comprenant au total une cinquantaine de militants. Son premier rôle est de fixer à cette jeunesse affranchie, des cibles de hauts gradés, conférant à son action une valeur militaire et politique. On doit mettre à son actif l'exécution (par Marcel Rayman, Leo Kneler et Celestino Alfonso), le 28 septembre 1943, du général Julius Ritter, adjoint pour la France de Fritz Sauckel, responsable de la mobilisation de la main-d'œuvre (STO) dans l'Europe occupée par les nazis. Les groupes de Manouchian accomplissent près de trente opérations dans Paris du mois d'août à la mi-novembre 1943.

Instrument de la propagande vichyste (1944)

La Brigade spéciale no 2 des Renseignements généraux avait opéré deux coups de filet en mars et juillet 1943. À partir de là, elle put mener à bien une vaste filature qui aboutit au démantèlement complet des FTP-MOI parisiens à la mi-novembre avec 68 arrestations dont celles de Manouchian et de Joseph Epstein. Au matin du 16 novembre 1943, Manouchian est arrêté avec celui-ci en gare d'Évry Petit-Bourg, alors que, se sachant suivis depuis deux ou trois mois, ils discutent de l'opportunité de disperser le groupe. Son épouse, Mélinée, cachée par les Aznavourian, échappe à la police ; pas son second, Arménak Manoukian. Missak Manouchian, torturé, et vingt-trois de ses camarades sont livrés aux Allemands de la Geheime Feldpolizei (GFP) qui exploitent l'affaire à des fins de propagande. Le tribunal militaire allemand du Grand-Paris juge 24 des résistants arrêtés, dont Manouchian. Une parodie de procès est menée de façon expéditive le 19 février à l'hôtel Continental en présence des journalistes. Manouchian se tourne vers ses accusateurs et leur jette « Vous avez hérité la nationalité française, nous l'avons méritée ». La presse collaborationniste dénonce le « cynisme » d'accusés qui assument pleinement les attentats qu'ils ont commis. Dix des prévenus sont sélectionnés pour la composition de l'Affiche rouge, sur laquelle apparaît l'expression « l'armée du crime ». Le tribunal prononce vingt-trois condamnations à mort. Le 21 février 1944, les vingt-deux hommes du groupe des condamnés à mort sont fusillés au Mont-Valérien, en refusant d'avoir les yeux bandés, tandis qu'Olga Bancic est transférée en Allemagne et décapitée à la prison de Stuttgart le 10 mai 1944. 

Destin posthume

L'Affiche rouge

Dans la foulée de ces exécutions, la propagande allemande placarde 15 000 exemplaires de ces fameuses affiches rouges portant en médaillons noirs les visages de dix fusillés. Au centre, la photo de Manouchian, avec cette inscription : « Arménien, chef de bande, 56 attentats, 150 morts, 600 blessés ». Le placardage de l'Affiche rouge sur les murs de Paris, par l'ennemi, produit l'effet contraire à celui escompté : pour toute la Résistance, elle devient l'emblème du martyre. Elle transforme un obscur en héros. Les soutiens de sympathisants s'amplifient. « La vie n’est pas dans le temps, mais dans l’usage. » — M. Manouchian.

La dernière photographie

Des photos de l'exécution prises clandestinement par un officier allemand sont publiées par Serge Klarsfeld en décembre 2009.

Projet d'entrée de Missak Manouchian au Panthéon

Le 19 décembre 2021, le maire de Valence, Nicolas Daragon, et le président de l'association Unité Laïque, Jean-Pierre Sakoun, accompagnés par l'historien Denis Peschanski, conseiller scientifique du projet, et Katia Guiragossian, petite-nièce de Mélinée et Missak Manouchian, dépositaire de la mémoire familiale, lancent un Comité de soutien pour l’entrée de Missak Manouchian au Panthéon. Une tribune réunissant une dizaine de personnalités paraît dans Libération le 13 janvier 2022. Après de nombreux articles de presse et maintes interventions des porteurs du projet dans les médias, Europe 1 annonce le 23 mars 2022 qu'Emmanuel Macron envisage de faire entrer Missak Manouchian au Panthéon. Le journal Le Monde évoque une telle cérémonie début 2024, soit pour les 80 ans de la mort du résistant, anniversaire qui coïncide avec ceux du débarquement de Normandie et de Provence. Le 17 juin 2023, un proche du président de la République confirme à France Inter l'entrée au Panthéon de Missak Manouchian et de sa femme Mélinée Manouchian, prévu le 21 février 2024 pour les 80 ans de sa mort. 

Décoration

  • Médaille de la Résistance française à titre posthume (décret du 31 mars 1947)

Publications

  • Բանաստեղծություններ [« Banasteghtsutʻyunner, Poèmes »], Paris, Impr. B. Eléguian,‎ 1946, 95 p.
  • Իմ երգը [« Im yergě, Mon chant »], Erevan, Hayastani Petakan Hratarakchʻutʻyun,‎ 1956, 94 p.

Publié dans Résistants

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