Manouchian Mélinée
Mélinée Manouchian, née en 1913 à Constantinople (Empire ottoman) et morte le 6 décembre 1989 à Paris (France), est une immigrée résistante d'origine arménienne, devenue française à la Libération. Veuve du héros de l'Affiche rouge Missak Manouchian, elle en est la première et principale biographe.
Exil en Grèce (1913-1925)
Mélinée Soukémian naît dans une famille de fonctionnaires de l'Empire ottoman. Son père a un rang relativement élevé, directeur dans l'administration des Postes. Elle a deux ou trois ans quand ses parents sont tués, victimes de l'Aghed, l'extermination de plus d'un million d'Arméniens. Orpheline, elle est recueillie avec sa sœur aînée, Armène, par une mission protestante de Smyrne, en territoire hellénique. Au terme de la guerre gréco-turque, elle est déportée en 1922 vers Thessalonique au cours d'un épisode de la « Grande Catastrophe d'Asie mineure », l'épuration ethnique de la ville. Accueillie comme réfugiée par le Royaume de Grèce, qui est sous protectorat anglo-français, elle est placée dans un orphelinat de Corinthe. Elle y est élevée, entre autres, par Victoria Chahinian, future mère de l'écrivain Armand Maloumian. Elle ne se souviendra pas y avoir vécu un seul jour sans avoir été tenaillée par la faim.
Apatride en France (1926-1933)
À la fin de l'année 1926, le Comité américain du Secours arménien et syrien envoie, parmi d'autres, Armène et Mélinée Soukémian poursuivre leur scolarité en France, à Marseille, où auront débarqué quelque cent mille réfugiés arméniens. Mélinée a treize ans. À la suite d'une erreur d'enregistrement au départ d'Athènes, l'état civil leur attribue définitivement le nom d'Assadourian. Leur nouvelle école, sise 35 avenue de la Capelette, accueille deux cents autres orphelines. Elle est animée par des institutrices formées à l'École normale de Constantinople, qui se constituent le 22 décembre 1927 en une Association des dames arméniennes amies des écoles Tebrotzassère (ADAAET). Les « Dames de Tebrotzassère » les initient à la langue et la civilisation arméniennes. En 1929, Mélinée est envoyée au Raincy, où l'école Tebrotzassère est transferée. Elle obtient son certificat d'études avec mention.
À sa sortie de l'école, elle suit une formation de secrétaire comptable et de sténo-dactylographie, tandis que sa sœur devient couturière. Diplômée, Mélinée s'installe à Paris même dans une chambre sous louée au quatrième étage du 8 de la rue de Louvois. Le bailleur, Seropé Papazian, qui habite l'appartement d'en face, se trouve être le fils du grand-oncle paternel et l'ex tuteur d'une certaine Knar Baghdassarian, épouse de Mamigon Aznavourian et mère de Shahnourh Aznavourian, qui deviendra Charles Aznavour. Mélinée Assadourian est étroitement associée à la vie familiale des Aznavourian. C'est elle qui, en 1935, accompagnera les enfants, Aïda et le petit frère de celle-ci, quand ils participeront, et remporteront, leur premier radio-crochet. En 1933, devenue majeure, Mélinée Assadourian relève de l'Office des réfugiés arméniens.
Engagement communiste (1934-1938)
A la suite de l'émeute du 6 février 1934, les défilés fascistes dans Paris, ici en avril 1934, mobilisent la Jeunesse communiste. La menace du fascisme en France, après l'arrivée au pouvoir de Mussolini en 1922 en Italie et de Hitler en 1933 en Allemagne, paraît imminente. Mélinée Assadourian, jeune femme de vingt deux ans, rencontre une première fois Michel Manouchian, son aîné de six ans, en 1934 lors de la fête annuelle de la Section française du Comité de secours pour l'Arménie (HOC), qui est une émanation de la République socialiste soviétique d'Arménie au sein du Komintern. Bien qu'apatrides, leur adhésion commune à la civilisation française et à l'idéal qu'elle porte est profonde, dépassant la seule reconnaissance. La menace des fascismes, dans les suites de la crise du 6 février 1934, les pousse à s'engager. Ils prennent leur adhésion au Parti communiste français. En juillet 1935, Mélinée Assadourian entre comme déléguée de la section de Belleville au Conseil central du HOC, en même temps que Michel Manouchian, délégué du quartier latin promu secrétaire général adjoint. Elle assure le secrétariat administratif de l'organisation, dont la revue, Zangou, est désormais dirigée par Michel Manouchian. Ils participent aux manifestations et aux grèves du Front populaire, qui apportent un espoir de droit, vite déçu, pour les travailleurs immigrés et les sans-papiers. Ils se marient le 22 février 1936, munis du « certificat de coutume en vue de mariage » exigé des apatrides.
Ce n'est qu'en 1937 qu'ils peuvent offrir un logement à leur ménage, 79 rue des Plantes, à la lisière sud du XIVe arrondissement, près de la Porte de Châtillon sur la ceinture des Maréchaux. À la fin de l'année, les purges staliniennes provoquent la dissolution du HOC, à Paris comme à Erevan. Les Manouchian fondent, dans les mêmes locaux du 12 rue Saulnier, l'Union populaire franco-arménienne mais leur action militante est réorientée vers l'international. Le couple est proche d'Arpen Tavitian, alias Armenak Manoukian, qui est trotskyste, et d'André Marty, conseiller municipal du XIIIe arrondissement, qui est envoyé par le Komintern de 1936 à 1939 comme inspecteur général des Brigades internationales. L'engagement dans celles-ci ayant été refusé à Michel, à cause du manque de cadres, les Manouchian se mobilisent ensemble pour la défense de la République espagnole et participent à la récolte de fonds auprès des associations arméniennes de France. Un million de francs est remis au Comité d'aide aux Républicains espagnols, faible réponse du Komintern au Comité international pour la non-intervention. Zangou livre des analyses sur la guerre d'Espagne, publie des lettres de brigadistes, lance des appels à l'engagement volontaire.
Guerre et clandestinité (1939-1941)
La veille du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, le 2 septembre 1939, Missak Manouchian, apatride, est incarcéré à cause de ses sympathies connues pour l'Union soviétique, laquelle est considérée comme une nation ennemie depuis qu'elle a signé, une semaine plus tôt, le pacte germano-soviétique. Mélinée Manouchian n'a pas droit au masque à gaz distribué en mairie aux seuls Français. Le 26 septembre 1939, par un décret pris par le ministre de l'intérieur Albert Sarraut, le gouvernement radical-socialiste d'Édouard Daladier interdit tout organisme affilié au Parti communiste français, accusé de trahison, dont l'Union populaire franco-arménienne. Pour échapper à sa prison, Missak Manouchian signe un acte d'engagement volontaire contraire aux directives du Parti. Le 7 octobre, il est à son domicile pour faire ses adieux avant de partir pour la base militaire de Colpo, où, adepte régulier de la culture physique, il sera chargé de l’entraînement physique des recrues.
Les jours suivants, Mélinée Manouchian s'empresse au siège de l'UPFA, 12 rue Saulnier, de brûler toutes les archives. Elles pourraient livrer des noms et des adresses. Un décret-loi pris par le même Sarraut un an plus tôt, le 12 novembre 1938, permet en effet à la police, qui dispose d'un fichier élaboré à l'occasion des manifestations de 1936, d'arrêter à discrétion tout « étranger indésirable » qui ne parviendrait pas à justifier de son statut de réfugié. Une loi du 18 novembre 1939, que Léon Blum dénonce comme contre-productive, autorise l'incarcération immédiate dans les camps d'internement ouvert en 1938 des communistes Français. Effectivement, ils entrent dans la clandestinité, Mélinée Manouchian comme les autres. Embauchée dans une usine où la main d'œuvre masculine fait défaut, elle ne retrouve son mari qu'en janvier 1941, au terme de dix sept mois de séparation, après qu'il s'est absenté du poste auquel il a été affecté au sein d'une usine d'armement d'Arnage. C'est pour le voir repartir, pour Rouen, chacun dans son usine. La rupture du pacte germano-soviétique, le 22 juin 1941, change tout. Missak Manouchian rejoint aussitôt sa femme à Paris, ce qu'il lui vaut d'être arrêté par le S.D. avec quelques autres communistes, suspects d'intelligence avec l'URSS, nouvel ennemi de l'Occupant, .
Mélinée échappe par hasard à la rafle. Elle se précipite à la gare du Bourget, qui est la plus proche du camp de Drancy. Arrivée trop tard, elle a juste le temps d'entendre La Marseillaise chantée par les camarades que le train emmène au camp de Royallieu, près de Compiègne. Ils font partie des premiers sept mille prisonniers du « Frontstalag 122 », principalement des Russes blancs. Aussitôt le père Klépinine et mère Marie Skobtsova, animateurs d'une paroisse orthodoxe de Paris proches d'une « Union du retour à la patrie » qu'ils ignorent être en réalité une antenne du Guépéou, organisent avec quelques amis un « Comité d’aide aux détenus de Compiègne », qui confectionne des colis et apporte par correspondance un secours moral. Ce n'est que quelques semaines après l'arrestation que Mélinée apprend que son mari porte le matricule 351. Avec Misha Aznavourian, elle se rend à bicyclette porter une grande valise de victuailles et de vêtements au camp de Royallieu, qui est gardé par la SiPo. Elle se présente seule à l'entrée, Misha Aznavourian l'attendant dans un café. L'officier de poste est stupéfait par l'audace de cette première « Française » ainsi tentée de rendre visite à un détenu et fait remettre la valise. Refoulée toutefois à l'entrée, elle n'hésite pas à essuyer les tirs des miradors le temps d'échanger depuis les barbelés quelques cris avec le matricule 351 agitant le chandail jaune que sa femme lui avait tricoté.
Travail allemand (1942)
Michel Manouchian est libéré à la fin de décembre 1941. Soucieux à la suite de cet épisode de renforcer leur clandestinité, le couple Manouchian réuni déménage pour un appartement qu'il a trouvé au quatrième et avant-dernier étage du 11 rue de Plaisance, au milieu du même XIVe arrondissement. Treize mois durant, les Manouchian s'impliquent, initialement sous la direction générale d'Arthur London, jusqu'à l'arrestation de celui-ci le 12 août 1942, puis sous celles de Simon Cukier et Franz Marek, dans les actions de propagande dites « Travail allemand » menées par les différentes sections de la Main-d'œuvre immigrée, qui est une branche du syndicat CGTU. Le « TA » consiste principalement à faciliter la désertion, voire l'entrée en résistance de soldats de la Wehrmacht. Ce sont souvent des non-Allemands enrôlés de force, des soldats des unités Vlassoff, parfois arméniens, ou des Allemands anti-hitlériens. C'est ainsi que des matelots de la Kriegsmarine proches du KPD fournissent quelques armes à la MOI dès 1942, tel Hans Heisel, membre du CALPO qui, le 27 septembre 1943 lors d'un de ses rendez vous au bois de Boulogne avec son contact féminin, prendra le risque de se défaire de son pistolet de service, par lequel Julius Ritter, sur ordre de Missak Manouchian, sera tué le lendemain.
Mobilisé dans cette forme de résistance, le syndicat MOI prend directement ses ordres du Komintern, ce que ses affiliés ignorent. Le rôle de Mélinée Manouchian est de dactylographier des tracts et porter des messages secrets, les femmes paraissant par a priori moins suspectes lors de déplacements. Les réunions se tiennent dans son appartement. Une filière d'évasion est mise en place. Les candidats à la désertion de la Légion arménienne, guidés par Diran Vosguiritchian, finissent par savoir que lors d'une permission à Paris ils trouveront un point de ralliement dans le restaurant Chez Raffi, 8 rue de Maubeuge, où, le soir, le maître d'hôtel Misha Aznouvourian chante. À six cent mètres de là, l'appartement des Aznavourian, 22 rue de Navarin, sert de sas. Les déserteurs y entrent en feldgrau et en sortent en civil. Les opérations se font avec la complicité tacite des concierges de la rue. Celle du 22 rue de Navarin est l'épouse d'un agent de police. Les tampons qu'il faut apposer sur les faux papiers sont fabriqués par Charles Aznavourian.
« Terroriste » FTP MOI (1943)
« Missak et moi étions deux orphelins du génocide. Nous n’étions pas poursuivis par les nazis. Nous aurions pu rester cachés, mais nous ne pouvions pas rester insensibles à tous ces meurtres, à toutes ces déportations de Juifs par les Allemands, car je voyais la main de ces mêmes Allemands qui encadraient l’armée turque lors du génocide arménien. » — Mélinée Manouchian. En février 1943, Mélinée Manouchian suit son conjoint passant, à contrecœur, à la résistance armée. Celle-ci a commencé presque deux ans plus tôt à Strasbourg par l'attentat du 8 mai 1941 organisé par Marcel Weinum et ses jeunes camarades de la Main noire, un groupe isolé, mais c'est l'attentat du Colonel Fabien, perpétré le 21 août suivant, qui en marque l'unification, en théorie du moins, par le Parti communiste clandestin dans le mouvement des FTP que dirige Charles Tillon indépendamment du Front national. Placé sous le commandement du colonel Gilles et nommé commissaire militaire des quatre unités et trois commandos de la MOI, Manouche, comme l'appelle ses camarades, et ses guérilleros relèvent en réalité, ce jusqu'en mai 1943, date à laquelle le Front national tente une reprise en main, directement du Komintern, dont le correspondant à Paris est Jacques Duclos.
Le rôle de Mélinée Manouchian y est celui habituellement confié aux femmes, qui passent plus facilement incognito à cause d'un préjugé qu'a l'Occupant sur leurs capacités guerrières. Au sein du groupe de transport d’armes et d’agents de liaison, elle est chargée de repérer les mouvements des futures cibles d'attentats, de noter les réactions du public et de rédiger les comptes rendus. Sont mis à contribution jusqu'à ses neveux, à qui il arrivera de transporter des explosifs cachés dans des sacs à dos sous des légumes, ainsi que son amie Knar Aznavourian, la mère de Charles Aznavour, chargée de véhiculer sur les lieux d'attentats les armes cachées dans un landau et de les évacuer de même. Tous se savent en sursis. Dès mars 1943, cent quarante FTP MOI ont déjà été arrêtés par la BS 2, dont Henri Krasucki. Le 15 novembre, fuyant une rafle, Mélinée est interpellée dans le métro, son sac rempli des armes que vient de lui remettre Olga Bancic à une table de café. Le policier, auquel elle répond qu'elle transporte des pistolets, la laisse repartir sans procéder à une vérification en lui disant de ne pas plaisanter avec ces choses-là. Le soir, au domicile conjugal, elle conjure son mari de ne pas se rendre à son rendez-vous du lendemain. Michel Manouchian se sait suivi mais, dans l'impossibilité de prévenir les jeunes qu'il a à ses ordres, les adresses des uns et des autres lui étant restés cachées, il ne se voit pas les laisser courir seuls au sacrifice.
Condamnée à mort (1944)
Après l'arrestation de Michel, le matin du 16 novembre 1943, Mélinée, ne le voyant pas revenir, abandonne comme convenu leur appartement avant la nuit. Le lendemain à la première heure, en sortant du métro Quatre septembre, elle trouve Knar Aznavourian, la mère de Charles venue la prévenir. Sa cache, 8 rue de Louvois, a été perquisitionnée en même temps que son appartement, 11 rue de Plaisance, peu après qu'elle en soit partie. Elle se réfugie chez les Aznavourian, 22 rue de Navarin. C'est ce qui lui permet d'échapper à la rafle du 3 décembre. Le sort de son mari la plonge dans une nervosité insurmontable46. Par des amis travaillant à la Préfecture de police, elle est informée que son signalement est diffusé dans les commissariats. Elle se fait teindre en brune. Elle sait qu'elle sera condamnée à mort si elle est capturée. Elle n'hésite cependant pas à prendre le risque de récupérer dans différentes caches, 8 rue Louvois chez Seropé Papazian ou chez elle, où la Brigade spéciale a ce même 3 décembre saisi de nombreux documents, mais aussi chez sa sœur 19 rue au Maire et ailleurs, les comptes rendus qu'elle a rédigés. Ils serviront l'histoire. La nouvelle de l'exécution de son mari, intervenue le 21 février 1944, est cachée pendant plusieurs semaines à Mélinée. La déréliction passée, celle-ci reprend sa place au sein de la Main-d'œuvre immigrée, dirigée par Otto Niebergall depuis qu'Arthur London a été arrêté, et son activité de « TA ».
En mai 1944, elle est missionnée trois jours à Thouars, dans le Poitou, pour organiser le réseau local. Elle voyage cachée par un cheminot dans la vigie de la locomotive. C'est elle qui traduit en arménien les bulletins de liaison que Diran Vosguiritchian est chargé de transmettre aux « malgré nous » de la Légion arménienne enrôlés dans la Wehrmacht qui, sous les ordres des commandants Alexandre Kazarian et Stépan Yaghdjian, des capitaines Bartogh Pétrossian et Léon Titanian, ont commencé à rejoindre les FTP dès le 5 juillet 1944. Officiellement rassemblés le 22 août 1944 par Staline en 1er Régiment soviétique de partisans en France, ces mille deux cents soldats participent à la libération de Mende, Nîmes, Arles et Marseille. Le 3 octobre, elle est reçue avec le capitaine Bartogh Pétrossian, héros du maquis des Cévennes, et ses homologues au siège du PCF, où Marcel Cachin, membre du bureau politique, s'était, sous la pression de la Gestapo, publiquement opposé à l'action violente des FTP MOI. La Libération lui est l'occasion de retrouver le commissaire politique qui a refusé d'exfiltrer son mari et ses hommes alors que tous savaient qu'ils étaient déjà dans les mailles de la police, Boris Holban. Elle se rend à sa rencontre avec deux amis arméniens armés dans la caserne parisienne où il est cantonné. Boris Holban plaide qu'il n'a fait qu'obéir à des ordres venus d'en haut et échappe à sa propre exécution.
Secrétaire de la JAF (1945-1947)
La guerre finie, le Front national arménien, branche du Front national que dirige Vahé Atamian à laquelle succédera le 18 juin 1949 l'Union culturelle française des Arméniens de France, milite pour l'obtention de papiers au sein du Centre d'action et de défense des immigrés, CADI, que préside l'ancien secrétaire de la branche MOI de la CGTU, Édouard Kowalski. Dans cette mouvance, Mélinée Manouchian travaille comme secrétaire de la Jeunesse arménienne de France, JAF, association fondée le 14 juillet 1945 pour organiser des échanges culturels et promouvoir la civilisation arménienne auprès des jeunes de la diaspora. Le 7 juillet 1946, elle assiste au cimetière parisien d'Ivry à l'inauguration par le CADI d'un monument à la gloire des fusillés de l'Affiche rouge. Elle fait partie des quelque cent mille immigrés naturalisés français au titre de résistant ou de résident installé depuis 1939, en vertu d'un décret du 30 juin 1946 obtenu au terme d'âpres négociations politiques, si âpres qu'elles conduiront en novembre 1948 à la dissolution du CADI pour menace à « la sûreté intérieure ou extérieure de l’État ». Elle fait paraître un recueil des « Poèmes » écrits en arménien par feu son mari. La Voix, journal de la JAF, publiera chaque année un texte mémoriel accompagné d'une biographie de Missak Manouchian.
À Erevan (1948-1962)
En 1947, Mélinée Manouchian saisit l'offre faite par l'Union soviétique à d'ex-ressortissants de rejoindre une de ses républiques° 20 et répond à l'appel au repeuplement de l'Arménie, le ներգաղթ (Nerkaght). Trois mille cinq cents Arméniens de France, telle la famille Maloumian, embarquent en septembre 1947 sur le Rassïa (Russie) et deux mille cinq cents en décembre sur le Pobiéda (Victoire). Suivant l'exemple de Vahé Atamian, Mélinée Manouchian part refaire sa vie à Erevan, où un emploi d'enseignante de français lui est assuré. Elle est logée dans un modeste une pièce du centre d'Erevan et travaille à l'Institut de littérature de l'Académie des sciences. Désabusée par les procès de Prague, revenue du stalinisme, elle envoie des messages codés à ses amis les Aznavourian, dont le fils Charles, pour les dissuader de rejoindre la RSS d'Arménie. Ils avaient déjà déposé une demande de passeports soviétiques. Elle rédige toutefois un livre, publié en 1954, sur Missak, le premier qui lui soit consacré, et fait paraître en 1956 un second recueil des poèmes de son mari. Un cancer lui vaut une gastrectomie, dont elle se remet mal. Il lui faut attendre l'avènement de Khrouchtchev et la déstalinisation pour obtenir au début des années 19605 de pouvoir se faire soigner à Paris. À la faveur de la Détente, elle est rapatriée en même temps que la presque totalité de ceux qui sont partis en 1947 et leurs descendants dans le cadre d'accords que la France a commencé de négocier dès 1956 avec une république d'Arménie au bord de la famine.
Témoin oublié (1963-1982)
À son retour à Paris, Mélinée Manouchian entreprend les démarches pour obtenir une pension de veuve de guerre. Vingt ans de retard lui sont versés mais elle ne bénéficie pas de la majoration due aux veuves d'officiers, Michel Manouchian, en dépit de sa fonction de commandant de plusieurs unités, n'ayant été reconnu qu'au grade d'« interné » à l'Armée française de la Libération. Elle demeure une inconnue en dépit du succès de la chanson de Léo Ferré, L'Affiche rouge, succès confidentiel en effet, l'œuvre étant bannie des antennes. En 1965, elle est consultée par Armand Gatti, scénariste d'un film devant raconter l'histoire de L'Affiche rouge. Le film ne se fera que dix ans plus tard, sur un scénario différent. En 1973, le poète Rouben Mélik, directeur de collection aux éditions EFR, se charge de faire paraître en France son ouvrage. Celui-ci sera réédité plusieurs fois au cours des années 1970. Le 21 juillet 1975, le foyer de travailleurs migrants « Groupe Manouchian » est inauguré au Blanc-Mesnil en présence de Mélinée Manouchian. En 1976 sort le film L'Affiche rouge. Elle y est incarnée par l'actrice Malka Ribowska. Le film veut mettre en scène une similitude du combat terroriste des jeunes résistants de la MOI face aux nazis et de ceux, contemporains, qui combattent les dictatures de Pinochet au Chili, de Franco au Pays basque. Le 6 avril de la même année, elle est de la fondation de l'Amicale des anciens résistants français d'origine arménienne, dont le principal objet est de défendre la mémoire des résistants arméniens.
Mise en cause du Parti (1983-1989)
En 1983, Mélinée Manouchian participe avec Serge Mosco Boucault et Charles Mitzflicker à la réalisation du film Des terroristes à la retraite, dans lequel la responsabilité de dirigeants du PCF de l'époque dans la destruction du groupe Manouchian est évoquée. Elle y incrimine Boris Holban, chef des FTP-MOI qui reconnaît avoir dû sacrifier une part de ses troupes, et l'accuse d'avoir refusé, en le menaçant d'être inculpé de désertion, d'exfiltrer vers la province, comme d'autres l'avaient été, son mari, qui se savait filé. La censure levée, le film sort en 1985. C'est alors que l'historien Philippe Robrieux reproche à la vieille dame de diffuser un témoignage subjectif. S'ouvre une « affaire Manouchian » opposant les historiens. Les uns dénoncent l'élimination sous prétexte de trotskisme de résistants étrangers parce qu'ils étaient étrangers, « cosmopolites », comme cela s'est fait en 1952 durant les procès de Prague. Les autres nient un tel machiavélisme et renvoient à un unique traître, Joseph Davidovitch, ainsi qu'au principal responsable, la Collaboration. La querelle met en évidence le silence dans lequel les archives ont été laissées.
Le 31 décembre 1986, le président de la République François Mitterrand, sur son quota personnel, nomme, par décret, Mélinée Manouchian chevalier de la Légion d'Honneur. Le 20 mai 1989, au Père Lachaise, Georges Marchais, secrétaire du PCF, donne le bras à Mélinée Manouchian entourée de la direction du parti, pour inaugurer au coin du mur des fédérés le monument commémorant les FTP-MOI. Elle est enterrée le 13 décembre 1989 au cimetière parisien d'Ivry, 39e division, non loin du carré militaire où gisent les dépouilles de son mari et maints autres compagnons de la MOI combattante. Henri Krasucki, secrétaire général de la CGT, s'est déplacé pour saluer la mémoire de sa camarade de combat, malgré la désapprobation de Paul Laurent et de l'ensemble de la direction du PCF. Son cercueil ne sera réuni à celui de son époux qu'en 1994 sous la stèle blanche des militaires morts pour la France dressée pour celui-ci en 1973. Le 18 juin 2023, Emmanuel Macron annonce sa panthéonisation prochaine aux côtés de son mari Missak Manouchian.
- Manouchian, Paris, Les Éditeurs français réunis, 1974, 204 p.
- rééd. France Loisirs, Paris, 1977, 204 p.
- rééd. postf. Frank Cassenti° 23, EFR, Paris, 1977, 222 p. (ISBN 2-201-01444-2)