Taylor Telford

Publié le par Roger Cousin

Telford Taylor (24 février 1908 - 23 mai 1998) était un avocat américain principalement connu pour son rôle dans le Conseil de Procureur lors des procès de Nuremberg après la Seconde Guerre mondiale, ainsi que pour son opposition au sénateur McCarthy dans les années 1950 et sa critique virulente de l'attitude américaine lors de la guerre du Vietnam dans les années 1970. Professeur de droit, auteur de nombreux ouvrages et ancien procureur au Tribunal de Nuremberg chargé de poursuivre les crimes de guerre, Telford Taylor est décédé le 23 mai 1998 à New York, à l’âge de 90 ans. 

Taylor Telford

Diplômé du Williams College et de la Harvard Law School, Telford Taylor a occupé un poste de juriste au sein de l’administration Roosevelt, puis a été membre du personnel du Sénat à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Au cours de ce conflit, envoyé en Europe comme officier de renseignement de l’Armée américaine, il a joué un rôle important, sur le plan diplomatique, dans l’action menée par les Alliés pour déchirer les systèmes allemands de codage des communications. À la fin de la guerre, Taylor a rejoint l’équipe des procureurs américains du Tribunal de Nuremberg. Il a d’abord été l’un des principaux adjoints de Robert Jackson, juge à la Cour suprême des États-Unis et procureur principal du Tribunal militaire international lors des procès des dirigeants allemands. Parallèlement, Taylor était aussi chef de la Division chargée de préparer les procès suivants ( Subsequent Proceedings Division ), au sein du Bureau du procureur principal américain.

Le Tribunal militaire international ayant conclu ses travaux le 1er octobre 1946 et le Juge Jackson ayant démissionné de ses fonctions le 17 octobre, Taylor a été promu au rang de général de brigade et nommé procureur principal pour les procès pour crimes de guerre intentés par la suite à des responsables importants, bien que moins haut placés, de l’Armée allemande et de l’administration civile. Taylor a conservé cette fonction tout au long de la période des procès de responsables allemands, qui s’est terminée le 14 avril 1949. Il a remis son rapport final au secrétaire de l’Armée le 15 août 1949, soit trois jours après la fin de la Conférence diplomatique qui a adopté les quatre Conventions de Genève de 1949 pour la protection des victimes de la guerre, aujourd’hui considérées comme l’un des fondements principaux du droit de la guerre.

Le Tribunal militaire international, et les quelques procès militaires qui ont précédé ses travaux, ou qui ont eu lieu en même temps, ont établi un précédent, celui de la responsabilité pénale individuelle dans les cas de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de crimes contre la paix. Néanmoins, c’est à l’action menée par le général Taylor et ses collaborateurs, ainsi que par les juges civils siégeant au sein des tribunaux militaires américains, que la discussion et l’élaboration d’un grand nombre de principes du droit de la guerre, tels que ceux de la nécessité militaire, des ordres supérieurs, de la responsabilité de la hiérarchie et de l’interdiction des représailles, ont donné corps aux principes énoncés lors des premiers procès [1 ] . Les douze procès intentés par la suite, en vertu de la Loi N° 10 du Conseil de Contrôle, à des responsables allemands — juristes et médecins, membres des SS ou de la police, industriels et financiers, maréchaux et généraux ou ministres du gouvernement — se sont terminés non seulement sur 161 condamnations (pour 199 accusés), mais aussi sur des jugements raisonnés qui se sont révélés d’une extrême utilité tout au long des années au cours desquelles ces principes ont continué à être discutés. [2 ]

Taylor a ensuite quitté l’armée et a repris la pratique du droit ainsi que l’enseignement à la Faculté de droit d e l’Université de Columbia et à la Benjamin Cardozo School of Law. Il a relaté son expérience militaire dans une trilogie d’ouvrages très appréciés, parus en anglais sous les titres de Sword and Swastika: Generals and Nazis in the Third Reich (1952), qui retrace l’histoire des Nazis et des généraux allemands jusqu’à l’automne 1939; The March of Conquest: the German Victories in Western Europe, 1940 (1958) et, enfin, The Breaking Wave: World War II in the Summer of 1940 (1967), encore considéré à ce jour comme l’une des meilleures analyses de la Bataille d’Angleterre. Taylor a ensuite publié, en 1979, Munich: The Price of Peace qui a reçu cette année là, aux États-Unis, le « National Book Critics Award » pour le meilleur ouvrage de littérature non romanesque, puis The Anato my of the Nuremberg Trials [3 ] (1992), analyse historique doublée d’un récit autobiographique qui constitue indubitablement le meilleur ouvrage jamais publié sur le Tribunal de Nuremberg et les procès des principaux accusés.

La guerre du Viet Nam, source de tant de contestation et de tant de dissensions aux États-Unis, a inspiré au Professeur Taylor Nuremberg and Vietnam: an American Tragedy (1971), livre dans lequel, en peu de pages mais avec des mots percutants, l’auteur critique un grand nombre, mais non la totalité, des aspects des opérations militaires américaines lors de ce conflit. Il critique également — à juste titre — les informations erronées données par le juge militaire au sujet de la responsabilité de la hiérarchie, lors du procès du commandant de companie de l’armée américaine impliqué dans le massacre, le 16 mars 1968, de centaines de civils à My Lai. Ces informations erronées ont débouché sur l’acquittement de l’accusé.

J’ai eu le grand plaisir, à plus d’une dizaine d’occasions, de prendre place aux côtés du Professeur Taylor lors de conférences prononcées devant des officiers de l’armée américaine, dans différentes écoles militaires. Entre nous, les points de divergence étaient bien moins nombreux que les points sur lesquels nos opinions concordaient et nos rares désaccords n’étaient jamais réellement importants. J’avais, pour Taylor, un très grand respect et je m’incline devant l’expérience et les connaissances immenses de ce gentleman .

Certes, Taylor n’avait pas toujours raison. Par exemple, lors de la deuxième série de procès de Nuremberg, il a tenté de faire admettre que la condamnation, en décembre 1945, du général Tomoyuki Yamashita par un tribunal militaire américain siégeant aux Philippines appuyait la thèse en faveur de la stricte responsabilité des commandants pour les crimes commis par leurs subordonnés ; l’argument de Taylor a été rejeté par les tribunaux [4 ] . Lors de la dernière conférence à laquelle nous avons participé ensemble, en 1992, Taylor a laissé entendre que la nécessité militaire pourrait autoriser l’exécution de prisonniers de guerre capturés par une patrouille ennemie opérant très à l’intérieur des lignes ennemies. Or, un tel acte constituerait à la fois une violation de l’article 13 et une infraction grave au sens de l’article 130 de la IIIe Convention de Genève. Néanmoins, Taylor a consacré, avec talent, tant d’années de sa vie au service de la nation et il avait un tel respect du droit de la guerre que nous ne saurions lui tenir rigueur de deux impairs, qui n’ont provoqué aucune souffrance et qui, comparés à l’inestimable contribution apportée par Taylor, paraissent bien peu de chose.

Notes:  

1. Voir Trials of war criminals before the Nuremberg Military Tribunals under Control Council Law No. 10, 15 volumes, 1946-1951.

2. Outre son rapport officiel et les cas officiels, voir T. Taylor, « Nuremberg Trials — War Crimes and International Law », International Conciliation , No. 450, avril 1949, pp. 241 à 371.

3. Publié en français en 1995 (Éditions du Seuil) sous le titre « Telford Taylor, Procureur à Nuremberg ».

4. Voir, par exemple, États-Unis contre von Leeb (The « High Command Case »), op. cit. note 1, vol. XI, 1948, pp. 510-511 et 544.

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