Ligne de démarcation
La ligne de démarcation (Demarkationslinie) est en France, pendant la Seconde Guerre mondiale, la limite entre la zone occupée par l'Armée allemande et la zone libre non occupée (appelée zone sud à partir de novembre 1942). Fixée par l’armistice du 22 juin 1940, elle est longue d'environ 1 200 km. Elle entre en vigueur le 25 juin 1940, après la signature de l'armistice entre l'Italie et la France du 24 juin. Si le Gouvernement français, siégeant alors à Vichy en zone libre, exerce sa souveraineté sur l'ensemble du territoire, dans les faits les conditions d'armistice donnent de larges pouvoirs aux autorités allemandes en zone occupée. Elles restreignent ainsi fortement le passage d'une zone à l'autre avec l'obligation de posséder un laissez-passer. La ligne de démarcation est supprimée le 1er mars 1943, trois mois après l'invasion de la zone sud par les troupes allemandes.
Armistice et création de la ligne de démarcation
Initialement, l'armistice prévoyait « l'occupation du territoire sans laisser au Gouvernement français un espace libre ». L'État-Major allemand, connaissant l'engagement interallié du 28 mars 1940 à ne pas conclure de paix séparée avec l'ennemi, n'avait pas envisagé une défaite aussi totale et rapide de la France, ni la partition du pays entre l'occupant et un Gouvernement français signataire d'un armistice. C'est le 22 juin 1940 que les généraux Keitel pour l'Allemagne nazie, et Huntziger pour la France signèrent l'armistice qui indiquait dans son article 2 le partage du territoire métropolitain.
« Art. 2. — Pour assurer les intérêts du Reich allemand, le territoire français situé au nord et à l’ouest de la ligne tracée sur la carte ci-annexée sera occupé par les troupes allemandes. Les territoires qui ne sont pas encore aux mains des troupes allemandes seront immédiatement occupés après la conclusion de la présente convention. »
Sur la carte jointe à la convention d'armistice, la ligne de démarcation apparaissait sous la forme d’un trait de couleur verte ce qui valut d'être aussi quelquefois appelée ligne verte (grüne Linie). C'est une réponse au traité de Versailles de 1919 sur lequel les territoires allemands à occuper par les Alliés de la Première Guerre mondiale étaient délimités par un trait vert. Toutefois l'article 3 qui indiquait : « Le Gouvernement allemand a l'intention de réduire au strict minimum l'occupation de la côte occidentale après la cessation des hostilités avec l'Angleterre », ne pouvait en aucun cas convenir à la délégation française. Cette convention fut la base d'une relation politique tendue entre les deux belligérants.
La délégation française à la commission de Wiesbaden indiqua que cette ligne de démarcation était une atteinte à la souveraineté territoriale, présentait un caractère arbitraire d'autant que le tracé était imprécis et les demandes de précision restaient vaines. Si le tracé semblait simple à l'échelle nationale, à l'échelle départementale et locale les incertitudes et les imprécisions étaient très nombreuses. Sur un total de 90 départements, l'Armée allemande en occupait 42 entièrement, 13 partiellement, tandis que 35 n’étaient pas occupés. Selon les sources, qui diffèrent, de 13 à 17 millions de Français vivaient en zone non occupée tandis que de 23 à 29 millions vivaient en zone occupée.
Sur près de 1 200 km, la ligne de démarcation traversait treize départements : Ain, Jura, Saône-et-Loire, Allier, Cher, Loir-et-Cher, Indre-et-Loire, Vienne, Charente, Dordogne, Gironde, Landes et Basses-Pyrénées (nommées Pyrénées-Atlantiques, depuis 1969). Le Gouvernement français ne connut le tracé précis de la ligne qu'à la fin de l'année 1941; en effet, l'occupant en modifiait régulièrement le tracé à l'échelon local.
Haute-Savoie
6 communes de Haute-Savoie furent incluses à la zone interdite (Arcine, Chevrier, Clarafond, Éloise, Vulbens, Saint-Germain. Le 24 août 1941, ces communes furent rattachées à la zone libre.
Ain
La ligne de démarcation débutait à la frontière suisse, au sud-ouest de Genève, suivant le cours du Rhône à son entrée en France en direction nord-ouest, puis elle remontait au nord, passant par Bellegarde-sur-Valserine, puis nord-est en suivant la Valserine. Au nord-est du département, elle isolait le pays de Gex (ligne de démarcation à l'ouest, frontière suisse à l'est) que les Allemands avaient déclaré zone interdite.
Jura
Peu après Mijoux, la ligne suivait alors la route nationale 5, longeant la frontière suisse sur quelques kilomètres jusqu'aux Rousses puis en suivant toujours cette route, prenait une direction nord-ouest (Morez, Saint-Laurent). Peu après Champagnole, la ligne continuait plein nord, puis bifurquait plein ouest passant entre Arbois (en zone occupée) et Poligny (en zone libre), avant de remonter plein nord. À hauteur de la route nationale 72, elle prenait de nouveau plein ouest, suivant le cours de la Loue, passant à quelques kilomètres au sud de Dole puis rejoignant la rivière Doubs dont elle suivait alors le cours vers le sud (Chaussin) puis vers l'ouest.
Saône-et-Loire
La ligne suivait le cours du Doubs qui après Navilly, prenait une direction sud-ouest. À Verdun-sur-le-Doubs, à la confluence des deux rivières, la ligne de démarcation suivait la Saône, toujours dans une direction sud-ouest jusqu'à Chalon-sur-Saône où la ligne continuait vers le sud-ouest, remontant le cours de la Corne jusqu'à Buxy. Elle prenait alors la direction de l'ouest avant de bifurquer vers le sud-est avant Montceau-les-Mines, suivant un tracé à l'est du canal du Centre et parallèlement à celui-ci (qui initialement marquait la ligne de démarcation) jusqu'au sud-est de Paray-le-Monial, qu'elle contournait par le sud remontant ensuite dans une direction ouest-nord-ouest vers Digoin.
Allier
La ligne traversait la partie nord-est du département. Elle y entrait par la commune de Chassenard, et se dirigeait sur un tracé rectiligne vers l'ouest, passant plusieurs kilomètres au sud de Dompierre-sur-Besbre et de la route reliant Moulins à Digoin. Elle traversait les communes de Molinet, Coulanges, Monétay-sur-Loire, Saligny, Saint-Pourçain-sur-Besbre, Thiel-sur-Acolin, Chapeau et Toulon-sur-Allier jusqu'à arriver sur la rivière Allier, à quelques kilomètres au sud de Moulins. La ligne bifurquait alors vers le nord, suivant le cours de la rivière, cours qui après Moulins (situé en zone occupée sauf le quartier de la Madeleine, rive gauche) prend une direction nord-ouest. Après Villeneuve-sur-Allier, la rivière marque la limite entre les départements de l'Allier et de la Nièvre. Le pont Régemortes au-dessus de l'Allier, à Moulins, était un point de passage notable car il se trouvait sur la route entre Paris et Vichy.
Cher
La ligne de démarcation traversait le département d'est en ouest. Elle suivait d'abord le cours de l'Allier qui marquait aussi la limite entre les départements du Cher et de la Nièvre ; puis elle bifurquait vers l'ouest-nord-ouest, quelques kilomètres avant la jonction entre l'Allier et la Loire (Bec d'Allier), à hauteur d'Apremont suivant alors une direction parallèle à la route nationale 76 (La Chapelle-Hugon, Germigny-l'Exempt, Croisy, Cornusse, Raymond, Jussy-Champagne, Vornay, Saint-Just). Elle contournait Bourges par le sud (Plaimpied-Givaudins, Trouy, Le Subdray, Morthomiers) puis à hauteur de Sainte-Thorette et Quincy suivait le cours de la rivière Cher, passant par Vierzon (Vierzon-ville, sur la rive nord, étant en zone occupée) et quittant le département à Thénioux.
Loir-et-Cher
La ligne traversait le sud du département d'ouest en est, suivant sur tout son parcours le cours du Cher (de Châtres-sur-Cher à Chissay-en-Touraine). La ville de Selles-sur-Cher se trouvait coupée en deux, la partie sur la rive droite (au nord) étant en zone occupée. La ligne de démarcation isolait à l'est et l'ouest deux étroites bandes du reste du département passée en zone occupée ; en effet sur sa partie centrale, la rivière marque la limite avec le département de l'Indre.
Indre-et-Loire
La ligne de démarcation traversait une partie de l'est du département, suivant le cours du Cher. Elle coupait ainsi en deux le château de Chenonceau bâti en travers de la rivière : l’entrée principale se trouvait en zone occupée, tandis qu'une partie du parc s'ouvrant au sud de la galerie était en zone libre. Peu après Chenonceaux, à Bléré, la ligne bifurquait dans une direction sud-sud-ouest, passant une douzaine de kilomètres à l'ouest de Loches, plus importante commune du département en zone libre. Elle traversait la commune de Ligueil (le bourg était en zone occupée), prenait une direction sud-ouest pour contourner le village du Grand Pressigny, puis une direction sud-est, traversant la rivière Creuse dans le sud du département, à Chambon.
Vienne
Après avoir franchi la rivière Creuse, la ligne entrait dans le département à La Roche-Posay, prenait une direction sud-sud-ouest, sans suivre ni route ni cours d'eau. Elle traversait la commune de Chauvigny (le bourg restant en zone libre), à une vingtaine de kilomètres à l'est de Poitiers. Après la commune de Fleuré (village en zone occupée), elle prenait une inflexion plus au sud, coupait la commune d'Usson-du-Poitou, traversait le Clain, croisait la route nationale 148 entre Charroux et Pressac, à la limite du département qu'elle quittait quelques kilomètres plus au sud, en franchissant le fleuve Charente.
Charente
La ligne de démarcation traversait le département sur une direction presque plein sud, sur 85 km, traversant 20 communes et laissant un petit tiers est de la Charente en zone libre. Elle débutait sur la commune de Pleuville, passait à l'est de Champagne-Mouton (village en zone occupée), à une vingtaine à l'ouest de Confolens, plus importante commune du département en zone libre. Elle continuait à l'ouest de Saint-Claud et Chasseneuil (villages en zone libre), à l'est de La Rochefoucauld (en zone occupée), marquait ensuite une légère inflexion vers l'ouest, passant alors à une quinzaine de kilomètres à l'est d'Angoulême, puis se redirigeait vers une direction sud-sud-est, quittant le département à Combiers.
Dordogne
La ligne traversait l'ouest du département, laissant une étroite bande en zone occupée. Sur un tracé sud-sud-ouest, la ligne débutait à La Rochebeaucourt, passait par Ribérac (laissant le bourg en zone libre), Échourgnac (village en zone occupée), Montpon (bourg en zone occupée), suivant jusque-là peu ou prou la route nationale 708 (route départementale 708 depuis 1972). Après Montpon, la ligne s'orientait plus au sud-ouest, quittant le département en franchissant la rivière Dordogne à Lamothe-Montravel.
Gironde
En franchissant la rivière Dordogne, la ligne de démarcation entrait en Gironde, y suivait une direction sud-ouest, passant à l'est de Castillon-sur-Dordogne. Elle bifurquait au sud en atteignant la route nationale 670 (route départementale 670 depuis 1972) qu'elle longeait jusqu'à Sauveterre-de-Guyenne. Elle reprenait alors une direction sud-ouest en suivant la route nationale 672 (route départementale 672 depuis 1972) jusqu'à la Garonne qu'elle franchissait à Langon. Elle longeait alors la route nationale 10, en direction du sud, passant par Bazas (qu'elle coupait en deux) puis Captieux. Elle quittait le département quelques kilomètres plus loin, au sud de cette commune. Langon, où la ligne de démarcation séparait le centre des faubourgs, était un important point de passage de la ligne de démarcation car carrefour routier et nœud ferroviaire.
Landes
La ligne longeait la route nationale 10, traversant l'est du département des Landes en direction du sud. À Roquefort, la route et la ligne prenaient une direction sud-est. À Mont-de-Marsan la ligne suivait alors la route nationale 133 (route départementale 933 depuis 1972), toujours en direction sud-est, passant par Saint-Sever et Hagetmau.
Basses-Pyrénées (actuelles Pyrénées-Atlantiques)
La ligne de démarcation coupait le département en deux, sur un axe sud-ouest/nord-est, en suivant presque exclusivement la route nationale 133 (route départementale 933 depuis 1972). Elle entrait dans le département en traversant la commune de Sault-de-Navailles, passait par Orthez. Elle allait ensuite sur quelques kilomètres prendre une direction ouest-nord-ouest en suivant la route nationale 117 (route départementale 817 depuis 1972) avant de suivre de nouveau la RN 133 et une direction sud-est. Elle passait alors par Salies-de-Béarn, Sauveterre, Saint-Palais, Mauléon et Saint-Jean-Pied-de-Port pour finalement rejoindre la frontière espagnole à Arnéguy.
Sur les cartes Michelin
La limite de la zone de démarcation au 4 juillet 1940 apparaissait cette année-là sur deux cartes Michelin au millionième, nos 98 et 99. Après guerre, fut rééditée une carte Michelin avec le tracé exact de la ligne.
Le but de la ligne de démarcation, selon un officier allemand, était de rendre docile le Gouvernement français : les trois quarts du blé et du charbon français sont produits en zone occupée, ainsi que presque tout l’acier, le textile, le sucre ; la zone libre était ainsi très dépendante de l’Allemagne. Il n'était possible de franchir la ligne de démarcation légalement qu'en obtenant très difficilement un Ausweis (carte d'identité) ou un Passierschein (laissez-passer) auprès des autorités d'occupation après maintes formalités. Parmi les ministres de Pétain, seuls Pierre Laval et Fernand de Brinon disposaient de laissez-passer permanents. À la suite de l'éviction de Laval, le 13 décembre 1940, les Allemands ferment temporairement la ligne de démarcation, interdisant aux fonctionnaires de la zone libre (hors agents des PTT et de la SNCF, utiles à la Wehrmacht) de se rendre en zone occupée. Les officiels de Vichy sont également concernés par cette mesure, c'est ainsi qu'Yves Bouthillier, ministre des Finances, est le premier à se voir refoulé en gare de Moulins, alors qu'il se rendait à Paris pour négocier la taxe d'occupation.
Le fonctionnement administratif de la France a dû être réorganisé. Par exemple, des gendarmeries bis ont été créées dans les parties non occupées des anciennes régions divisées. La désorganisation du pays fut amplifiée par d'autres lignes de démarcation :
- la zone du Nord-Est ; la ligne qui isole l'Alsace et le département de la Moselle annexés de facto le 18 octobre 1940, de la zone interdite.
- une zone de « peuplement allemand », où le retour des réfugiés est interdit, qui comprend une partie du Jura, de la Haute-Marne, de l'Aisne, de la Somme et la totalité du Doubs, Haute-Saône, Territoire de Belfort, Vosges, Meurthe-et-Moselle, Meuse et Ardennes ;
- la zone nord, sous administration militaire allemande de la Belgique comprenant le Nord et le Pas-de-Calais ;
- une bande de 50 km de large le long de la frontière italienne, délimitée par la « ligne violette », convertie en zone démilitarisée ;
- la zone côtière, interdite à partir d'avril 1941 avec la construction du mur de l'Atlantique, parcourait les départements baignés par la mer du Nord, la Manche et l'océan Atlantique.
Le 11 novembre 1942, face à la menace stratégique consécutive au débarquement allié en Afrique du Nord, les Allemands franchirent la ligne de démarcation et envahirent la zone libre. L’Italie, profitant de cette invasion, décida d’occuper la zone qu’elle convoitait, ce qui conduisit à l'extension de la zone d'occupation italienne. Cela entraîna, le 27 novembre 1942, le sabordage de la flotte française à Toulon et la dissolution de l'Armée de Vichy. La ligne fut supprimée le 1er mars 1943. Cependant, quatorze points de contrôle principaux subsistèrent sur l'ancien tracé de la ligne.