Camp de Choisel
Le camp de Choisel, parfois nommé camp de Châteaubriant, est un camp d'internement situé en France, dans la commune de Châteaubriant, en Loire-Atlantique (à l’époque « Loire-Inférieure »). Après avoir abrité des prisonniers de guerre en 1940, il est connu à partir de 1941 sous le nom de Centre de séjour surveillé de Choisel, dépendant du sous-préfet et mis sous la surveillance des gendarmes français. Il abrite alors des nomades, des détenus de droit commun et des détenus politiques dont la plupart étaient communistes. Les premières troupes allemandes arrivent à Châteaubriant le 17 juin 1940.
Le Camp de Châteaubriant ou Centre de séjour surveillé de Choisel interne des romanichels et des droits communs. Il dépend du sous-préfet et est surveillé par des gendarmes français. Les premières troupes allemandes arrivent à Châteaubriant le 17 juin 1940. Suite à une rafle de responsables en octobre 1940, réalisée par la police française, les militants sont incarcérés à Paris, puis à Clairvaux ou Fontevrault et sont transférés à Châteaubriant en mai 1941. Ils vont former la troisième partie du camp (à côté des Romanichels et des droits communs). Le 21 août 1941, une loi sur les otages décrète que tous les détenus du camp sont devenus otages. Le 23 octobre 1941, 27 otages dans le camp de Châteaubriant sont livrés aux nazis et fusillés, en représailles de l'assassinat du Feldkommandant de Nantes le 20 octobre 1941, le lieutenant-colonel allemand Karl Hotz. Ils seront fusillés à la carrière de la Sablière. Le plus jeune des 27 otages, Guy Môquet, avait 17 ans. Il sera fusillé avec Charles Michels, député communiste du 15e arrondissement de Paris, Jean-Pierre Timbaud, secrétaire de la fédération des métaux CGT de la région parisienne, deux trotskistes, Marc Bourhis et le maire de Concarneau Pierre Guéguin et bien d'autres.
- Du 1er au 11 mai 1942, le camp de Choisel est évacué :
- 1er mai : les "indésirables" hommes sont transférés au camp de Rouillé ;
- 4 mai : les Juifs étrangers sont transférés au camp de Pithiviers ;
- 7 mai : les détenus politiques hommes sont transférés au camp de Voves ;
- 9 mai : les détenus pour marché noir sont transférés au camp de Gaillon ;
11 mai : les détenues politiques et femmes « indésirables » sont transférées au camp d'Aincourt.
Le camp de Choisel au temps des « politiques »
Depuis avril-mai 1941, des « politiques » sont arrivés au Camp de Choisel sur la Route de Fercé. Encadrés de gendarmes français, des groupes de « terroristes » viennent des centres de détention de Nantes, du Croisic, mais aussi du Nord, du bagne de Clairvaux, de la centrale de Fontevrault ou d’ailleurs. Tous dirigeants syndicaux, communistes arrêtés depuis 1939 (au lendemain du pacte germano- soviétique) ou non communistes. Parmi eux : Guy Môquet, un jeune de 17 ans, arrêté fin 1940 pour avoir diffusé la presse clandestine en réaction à la presse d’Occupation. Fernand Grenier raconte : « en arrivant au camp de Choisel, notre impression est plutôt favorable : fini le gris, le terne, le sinistre climat des Centrales. Ici, les baraques de bois sont installées dans la prairie et, au-delà des réseaux de fils de fer barbelés, on voit le vert des arbres, on aperçoit les gens sur la route ». Victor Renelle a aussi un regard favorable au départ : « les murs sont remplacés par des barbelés ce qui, sous le rapport visuel, est bien préférable » - « Nous sommes mieux traités que dans nos geôles précédentes. Le principal à mon avis est d’être débarrassés de l’obsession des murs qui nous enserraient à Clairvaux. Depuis quelques jours, je trouve aux barbelés un aspect sympathique. Rassure-toi, c’est un sentiment passager » écrit-il à sa femme le 19 mai 1941. Le camp de Choisel c’est, en réalité, trois sections, trois camps, du moins de mars à juillet 1941 :
- Dans l’un vivent les « romanichels », avec des ribambelles d’enfants, dans l’oisiveté totale. Aucune hygiène et une nourriture très réduite.
- Dans une autre section : la pègre, proxénètes, filles publiques et trafiquants du marché noir. « Ils sont gras à lard, ne manquent de rien grâce aux colis de leurs « protégées ». Ils jouent aux cartes pour de l’argent, se disputent, crient ou font les paons, bien lustrés, bagues aux doigts, imbus de leur importance », se souvient Fernand Grenier. Pendant que ces messieurs et dames font ripaille, les enfants des nomades, à deux pas, n’ont ni lait ni soins.
- Dernière section, les « politiques », de loin les plus nombreux savent s’organiser. Le camp s’appellera plus tard : P1 « politiques n°1 ».
Un rapport du Sous-Préfet, en date du 27 février 1941, indique « qu’il y a 32 grands baraquements en bois recouverts de tôle ondulée, dont 3 sont inutilisables. Les installations de douches et d’étuvage sont dans les baraques 33 et 34.
- Les baraques 3 à 13 sont affectées aux nomades
- Les bâtiments de 14 à 19 inclus sont réservés aux indésirables (avorteuses, gens du milieu, expulsés)
- Les baraques numérotées de 20 à 31 inclus sont réservées aux communistes.
Le camp pourra contenir : 500 nomades, 400 indésirables, 800 communistes ». En mai 1941, le camp est dirigé par le Capitaine Louis Leclercq « un type qui était la plupart du temps saoul, mais on pouvait à la rigueur s’entendre assez bien avec lui. Je me rappelle très bien les paroles qu’il prononça lorsqu’il nous fit passer dans la partie du camp qui borde la route et qui s’appellera par la suite le camp P1 : "Vous n’êtes pas des gens comme les autres, on ne peut pas mélanger les torchons et les soviets" - Et aussi quelquefois : "Ecoutez-moi, vous n’êtes là que pour un certain moment, il est dans le domaine du possible que, dans un avenir prochain, ce soit moi qui sera dans les barbelés et que ça soit vous qui me gardiez" . C’est un homme que nous considérions comme un ivrogne invétéré » raconte M. Feullien (archives de Loire-Atlantique 27 J 11). En mai et juin 1941, un rapport de l’Administration, explique que « les Gaulistes (avec un seul L !) sont internés pour des périodes variant de 8 à 21 jours (...). La plupart hésitent à choisir : abandonner leur parti pour ne pas se mêler avec les communistes qui sont maintenant les alliés officiels de l’Angleterre, ou faire cause commune avec ces derniers. Il est à craindre que la collusion gauliste-communiste se réalise ».
Quant aux communistes, «la dominante est "communistes nous sommes, communistes nous resterons envers et contre tous". Il est indéniable qu’une mystique profonde existe, une foi inébranlable dans l’avenir du Parti seul capable de rétablir l’ordre (?) en France et de rétablir la situation mondiale. Inutile de souligner que le Maréchal Pétain est amèrement critiqué et que ses collaborateurs sont traînés dans la boue. En apparence, les internés sont patients et résignés, comme tous les martyrs (et ils estiment en être). Ils ne se font pas défaut de se représenter comme tels dans les lettres qu’ils adressent à leurs familles, et se tressent ainsi des couronnes pour l’heure qu’ils croient prochaine de leur libération » dit ce rapport de l’administration du camp de Choisel. Le chef de camp, le capitaine Leclercq, se plaint de la proximité de l’agglomération. « En général le camp fait partie des choses curieuses de la cité d’où promenades des touristes et des indigènes ; obligatoirement, et en cachette des factionnaires, visiteurs et internés échangent des paroles ». [A noter que le capitaine Leclercq s’engagera plus tard dans la LVF, Légion des Volontaires Français contre le Bolchevisme, qui combattit avec des uniformes allemands sur le front de l’Est].
Des femmes et un juge à Choisel
15-16 juillet 1941 : deux nouveaux convois arrivent à Choisel. Parmi eux, six femmes arrêtées pour participation à la Résistance. La direction du camp les installe avec les prostituées. Les « politiques » protestent et obtiennent que les nouvelles venues soient logées dans une demi-baraque du camp P1. Quelques semaines plus tard une arrivée fera sensation : celle du Président Paul Didier, le seul magistrat qui ait refusé de prêter serment à Pétain. Le 18 août 1941: de nouvelles arrivées portent le nombre d’internés à 390. femmes. Le 1er septembre 1941, les Nomades quittent le camp et le 5 septembre, 97 hommes venant de la prison de la Santé et 46 femmes sorties de la Prison de la Roquette, arrivent au Camp de Choisel. Ces dernières sont parquées dans le camp P2 (politiques n°2). Pierre Rigaud, détenu à Choisel dep uis le 13 juillet 1941, raconte : « Quand elles entrent dans la baraque, elles aperçoivent d’abord 48 grandes caisses de bois et sur chacune d’elles, un sac de couchage en gros papier. Entre les rangées de "lits", quatre tables grossières et huit bancs ». Mais sur les tables, dans de vieilles boites de conserve, les camarades du camp P1 ont mis des marguerites en guise de bouquet d’accueil.
La vie au camp de Choisel
« Nous sommes répartis dans les différentes baraques de bois et de tôles. J’y retrouve de nombreux camarades que je connais tant de la région nantaise que de la région parisienne. Déjà se manifeste une organisation clandestine intérieure que dirige Jean- Pierre Timbaud, petit, râblé, avec une épaisse chevelure, secrétaire des métallos, que je connais depuis mon accession à la commission exécutive fédérale de la métallurgie C.G.T.U. Dans la baraque où je suis affecté, se trouvent des cheminots, le marin Eugène Kerivel, et d’autres. Le responsable est un jeune Nantais secrétaire du métallo club chantenaysien : Clenet à qui Timbaud me présente comme adjoint. Le moral est bon. L’illusion persiste que le conflit sera de courte durée et qu’il se terminera par la victoire des Alliés. Hélas, que de drames surgiront d’ici la fin de la guerre.
Nous connaissons la faim et ensuite le froid car l’hiver est rude dans ces abris mal clos, bien légers et sans feu. La discipline ne pose pas de problèmes, elle est supportée par tous comme savent la supporter des hommes convaincus de la justesse de la cause qu’ils défendent. Ce camp de Choisel est situé à deux kilomètres du centre de la ville. Comme moyen de transport, nous fabriquons avec un essieu, de vieilles roues et du bois "emprunté" à la construction, une espèce de poussette. Un tube creux relie les deux brancards et camoufle, à la censure indiscrète, les papiers contenant les directives d'évasion ou les éléments d'un poste radio. Poste si utile pour capter les émissions de Londres, les nouvelles que les responsables communiquent verbalement à leur groupe. Les gendarmes, qui en ignorent l'existence, sont fortement intrigués par les petits drapeaux piqués sur les cartes à l'emplacement des fronts. Les nombreuses perquisitions pour découvrir nos sources d'informations restent infructueuses.
Nous sommes ensuite chargés de la construction d'une petite salle de douche accolée à l'infirmerie qui fonctionne avec deux infirmières de la Croix-Rouge locale et les quatre docteurs emprisonnés qui seront fusillés : Tenine et Pesque le 22 octobre 1941 à la Sablière, Jack et Babin le 15 décembre 1941 à la Blisière. Personne ne reste inactif. Nous organisons des cours d'administration municipale, d'éducation physique, de langues étrangères, d'électricité, etc. des matinées récréatives le dimanche. Des cuisiniers volontaires réalisent des prodiges pour préparer les repas avec les mauvaises denrées qui nous sont remises. Pour ces détenus dont, en général, elle n'ignore pas les idées politiques, la population de Châteaubriant éprouve de la sympathie et elle l'exprime d'une façon remarquable quand l'occasion se présente. Ainsi quand, pour un motif quelconque, l'un d'entre nous est conduit en ville, il est escorté, enchaîné, de deux gendarmes. Les protestations en ville sont tellement vives que le fameux Touya fait retirer les menottes. Quand le camarade pénètre dans une boutique, il obtient sans ticket ce qu'il désire »
La vie au camp de Choisel
« Nous sommes répartis dans les différentes baraques de bois et de tôles. J’y retrouve de nombreux camarades que je connais tant de la région nantaise que de la région parisienne. Déjà se manifeste une organisation clandestine intérieure que dirige Jean- Pierre Timbaud, petit, râblé, avec une épaisse chevelure, secrétaire des métallos, que je connais depuis mon accession à la commission exécutive fédérale de la métallurgie C.G.T.U. Dans la baraque où je suis affecté, se trouvent des cheminots, le marin Eugène Kerivel, et d’autres. Le responsable est un jeune Nantais secrétaire du métallo club chantenaysien : Clenet à qui Timbaud me présente comme adjoint. Le moral est bon. L’illusion persiste que le conflit sera de courte durée et qu’il se terminera par la victoire des Alliés. Hélas, que de drames surgiront d’ici la fin de la guerre. Nous connaissons la faim et ensuite le froid car l’hiver est rude dans ces abris mal clos, bien légers et sans feu. La discipline ne pose pas de problèmes, elle est supportée par tous comme savent la supporter des hommes convaincus de la justesse de la cause qu’ils défendent.
Ce camp de Choisel est situé à deux kilomètres du centre de la ville. Comme moyen de transport, nous fabriquons avec un essieu, de vieilles roues et du bois "emprunté" à la construction, une espèce de poussette. Un tube creux relie les deux brancards et camoufle, à la censure indiscrète, les papiers contenant les directives d'évasion ou les éléments d'un poste radio. Poste si utile pour capter les émissions de Londres, les nouvelles que les responsables communiquent verbalement à leur groupe. Les gendarmes, qui en ignorent l'existence, sont fortement intrigués par les petits drapeaux piqués sur les cartes à l'emplacement des fronts. Les nombreuses perquisitions pour découvrir nos sources d'informations restent infructueuses. Nous sommes ensuite chargés de la construction d'une petite salle de douche accolée à l'infirmerie qui fonctionne avec deux infirmières de la Croix-Rouge locale et les quatre docteurs emprisonnés qui seront fusillés : Tenine et Pesque le 22 octobre 1941 à la Sablière, Jack et Babin le 15 décembre 1941 à la Blisière. Personne ne reste inactif. Nous organisons des cours d'administration municipale, d'éducation physique, de langues étrangères, d'électricité, etc. des matinées récréatives le dimanche.
Des cuisiniers volontaires réalisent des prodiges pour préparer les repas avec les mauvaises denrées qui nous sont remises. Pour ces détenus dont, en général, elle n'ignore pas les idées politiques, la population de Châteaubriant éprouve de la sympathie et elle l'exprime d'une façon remarquable quand l'occasion se présente. Ainsi quand, pour un motif quelconque, l'un d'entre nous est conduit en ville, il est escorté, enchaîné, de deux gendarmes. Les protestations en ville sont tellement vives que le fameux Touya fait retirer les menottes. Quand le camarade pénètre dans une boutique, il obtient sans ticket ce qu'il désire ». (Lucien Touya, une sombre brute, est le responsable du camp, depuis qu’il a remplacé le capitaine Leclercq. Le poète Aragon dira plus tard que Touya, arrêté à la Libération, fut mis en résidence surveillée à Saintes, puis libéré, promu capitaine et décoré de la Légion d’Honneur !).
Des évasions humiliantes pour l’ennemi
Au début de leur « séjour », les internés de Châteaubriant bénéficient de certaines « libertés ». Ils s’organisent et imposent leur fonctionnement au chef du camp, le capitaine Leclercq qui souhaite « ne pas faire des internés de futurs martyrs pour la cause communiste » : un responsable par baraque, « université populaire », culture physique quotidienne, bibliothèque (que le chef de camp s’efforce "d’enrichir" d’œuvres du Maréchal Pétain), activités manuelles, théâtre, chants, danses, discours politiques, etc. Pour le ravitaillement, l’un des prisonniers sort tous les jours avec une voiturette pour ramener les provisions données par les commerçants ou les habitants de la ville, ou ramassées en fin de marché le mercredi. En effet, depuis le passage des 45 000 soldats prisonniers, les Castelbriantais savent se montrer généreux. Ils procurent des vêtements aux prisonniers, mais aussi des petites boussoles et des cartes routières assez sommaires (calendrier des postes).
Les internés ont le droit de recevoir du courrier. Les agents des PTT de Châteaubriant, quand ils viennent porter le courrier, laissent leur vélo bien visible, avec les sacoches ouvertes : un certain nombre de lettres sont ainsi expédiées en échappant à la censure de la direction du camp . Des visites sont possibles certains jours : huit visites autorisées toutes les 48 heures : une baraque du camp est même aménagée en « hôtel » pour les visiteurs. Mais parfois, les familles attendent en vain leur tour. M. Feuillien raconte : « J’avais un ami qui était boulanger et qui livrait le pain au camp de Choisel en compagnie de son commis. Ma future femme décide de remplacer le patron et de venir avec le commis livrer le pain. Mais le pain ne se livrait qu’au P2 alors je décide que pour un jour je serai menuisier car l’atelier est dans le P2. « Un de mes camarades demande l’autorisation de m’emmener pour un travail urgent. Et quand le pain arriva, ma fiancée laissa le commis et vint me rejoindre à la menuiserie dans un endroit où les gendarmes ne pouvaient nous voir. En repartant, ma fiancée avait avec elle de nombreuses lettres pour l’extérieur. Ce trafic dura quand même deux jours sans que les gendarmes n’y trouvent à redire » (archives de Loire- Atlantique 27 J 11)
Le Parti Communiste décide donc de profiter de ces facilités et organise des évasions à Châteaubriant, avec des complicités sur place comme les Castelbriantais Roger Puybouffat (dentiste), Jean Le Gouhir (cheminot) ou Jean Trovalet (boulanger à Treffieux). Le 18 juin 1941, Fernand Grenier (futur ministre de De Gaulle à Alger) s’évade, avec Henri Reynaud, en utilisant la voiturette du préposé à la cantine. Le lendemain, Roger Semat, Eugène Henaff et Léon Mauvais s’évadent aussi. Les autorités ne s’en aperçoivent pas tout de suite car les deux soirs, complices, les camarades de leur baraque de Choisel répondent « présent » à leur place. Ce n’est que le lendemain, jugeant que les évadés sont maintenant en sécurité, qu’ils signalent leur absence lors de l’appel du soir. Huit autres prisonniers du camp de Choisel réussiront aussi « la belle » mais c’est l’évasion des cinq communistes, tous cadres du Parti, qui provoque la colère des Allemands soupçonnant des complicités entre détenus et gardiens. Le 22 juin 1941, à 7 heures, un poste de radio appartenant à un Castelbriantais voisin du camp, diffuse une nouvelle, assez bruyamment pour que tout le camp l’entende : l’URSS est entrée en Guerre.
« Première réaction : stupeur. Deuxième réaction : joie délirante et, depuis, anxiété, en ce sens que les succès allemands parviennent seuls à la connaissance des internés. Une démarche énergique a été faite près du propriétaire de TSF trop bruyant » dit un rapport de l’Administration, cité dans « Etudes Tziganes ». (archives de Loire-Atlantique 1694 W 39). Selon ce même rapport : « malgré toutes les précautions prises, par une voie qui n’est pas encore située, des consignes arrivent aux internés de se tenir prêts pour le 10 juillet. Deux moyens sont employés : surcharger la besogne du personnel du camp pour détourner l’attention (...) ( tentative de guerre des nerfs) - passivité feinte, obéissance passive, trop grande soumission aux ordres pour endormir la surveillance ». Cette date du 10 juillet reste mystérieuse mais l’administration du camp sent qu’il se prépare quelque chose : « arrivée de mandats en masse (moyenne quotidienne 1800 francs contre moins de 600 avant) - évacuation de tout ce qui n’est pas strictement indispensable comme vêtements et objets divers, ordres donnés par lettres de retirer les dépôts en banque, etc ». On n’a jamais su ce qui était prévu pour le 10 juillet. Cette date est pourtant indiquée dans un message chiffré adressé à l’un des détenus. En réalité il ne s’est rien passé. Quelque chose a dû contrarier le projet.
La Baraque 19
L’évasion de communistes, l’entrée en guerre de l’URSS, la menace d’un complot, tout cela entraîne le renforcement des mesures de sécurité et de rétorsion : interdiction de stationner à moins de 3 m des barbelés, suppression des cigarettes et des outils utilisés pour fabriquer des objets en bois, lumières interdites après le coucher du soleil, confiscation des lampes de poche, appel en rang par trois, etc... [Fin juin 1941, le capitaine Leclercq sera remplacé par L. Touya. A la mi-septembre il s’engagera dans la légion des Volontaires Français contre le Bolchevisme et on le verra même parader sous l’uniforme allemand au début de l’année 1942 en ville.]. Le 23 septembre 1941, un réseau de barbelés est monté autour d’une baraque « la baraque n°19» où, par ordre des Allemands, mais sur une liste fournie par Chassagne, envoyé spécial de Pucheu, Ministre de l’Intérieur, 18 hommes seront parqués d’abord, et trois autres les rejoindront plus tard « pour une surveillance particulière ». Une réserve d’otages à Châteaubriant. Parmi ces hommes, d’anciens amis de Chassagne à qui celui-ci réserve un traitement particulièrement rigoureux.
Victor Renelle écrit à sa femme, sachant que sa lettre sera lue par la censure : « Les "intellectuels" ont été séparés de l’ensemble des prisonniers et isolés dans une baraque spéciale afin de leur procurer le calme nécessaire à leur état et à leurs travaux. J’ajoute que parmi les intellectuels, on a compté les élus, députés ou autres, de sorte qu’il est bien difficile d’interpréter cette mesure d’isolement. Bien entendu les quatre médecins ont fait partie de la fournée ». C’est l’automne, « la boue choisellienne règne sans discussion » - « Nous avons à peu près terminé l’aménagement de notre baraque, mais pendant la journée, nous n’avons pas très chaud, car un des grands côtés est exposé en plein aux vents d’ouest, et à la pluie, de sorte que les parois intérieures même sont humides de ce côté » écrit Victor Renelle.
Les hommes cependant gardent le moral. Et l’humour. « J’ai bien ri des réflexions que t’avaient suggérées ta visite au zoo. Elles sont bien plus actuelles depuis avant-hier, écrit-il le 25 septembre, deux jours après avoir emménagé dans la « baraque 19 » - « N’oublie pas que les bêtes du zoo peuvent réciproquement vous considérer comme un spectacle et que les prisonniers ne sont pas nécessairement ceux qui sont à l’intérieur de l’enclos. On peut être libre dans une prison. C’est difficile mais avec de la volonté on y parvient, à condition toutefois de ne pas accorder un sens trop physique au mot de liberté. Et, comme je ne suis pas en prison, mais simplement interné, tu vois que je suis "hénaurmément" - comme aurait dit Flaubert - libre »
Les "indésirables"
Ces détenus politiques, on les appelle « les indésirables ». D’après ce qu’expliquait F. Mace, lors d’une exposition au Château en octobre 2000, on donnait le nom de « indésirables » à une catégorie sociale « mise en place au cours de l’entre-deux guerres, dans une atmosphère de plus en plus xénophobe et raciste ». Immigrant, réfugié, « naturalisé » : « l’indésirable est celui qu’on soupçonne d’être étranger par ses coutumes, sa "race", sa religion ou ses origines. Avant même 1940, on qualifie aussi d’indésirable toute personne que l’on juge indigne d’appartenir à la communauté nationale ou qui se sépare d’elle-même de cette communauté : un communiste, à partir d’août 1939, entre dans cette catégorie ». L’indésirable c’est tout individu louche, aux activités inavouables : proxénète, avorteur, nomade, gangster, communiste. « L’internement au cours de l’hiver 1940-41, de toutes ces populations, ensemble, dans les mêmes camps, sous la même dénomination, contribue encore à renforcer l’amalgame dans l’esprit des "honnêtes gens" » dit encore F. MACE. Un document figurant aux archives de la sous-préfecture de Châteaubriant, daté du 30 octobre 1941, dresse un état nominatif des internés rayés des contrôles du « Centre de séjour surveillé pour indésirables ». Dans cette liste on trouve 32 noms. En face de 27 d’entre eux il est écrit : « radié définitivement. pris comme otage le 22.10.41 par autorité d’occupation ».
20 octobre 1941, à 8 h 00 du matin à Nantes, trois jeunes communistes, Spartaco Guisco, Gilbert Boudarias et Gilbert Bruslein, exécutent le Feldkommandant Hotz. La ville de Nantes est aussitôt bouclée par l’Occupant : interdiction de circuler entre 19 heures et 8 heures, interdiction de stationner, de se rassembler à plus de deux personnes; coupure du téléphone, surveillance des transports publics, arrestations multiples, etc... 20 octobre 1941, à Châteaubriant vers 10 h du matin, la Kommandantur ordonne la fourniture immédiate de l’état nominatif des internés politiques. Monsieur Poli, chef de cabinet du Sous-Préfet de Châteaubriant est chargé de porter au ministère de l’intérieur la liste des détenus et spécialement celle des « internés politiques qui ont été mutés dans la baraque 19 ». Le même jour à 11h50, le gouverneur militaire de la France occupée, Von Stulpnagel téléphone à Hitler pour lui proposer l’exécution de 100 otages de « tous les milieux hostiles » (Communistes, Gaullistes, Agents britanniques) et une nouvelle prise d’otages. A 14h05, Hitler fait connaître sa décision : exécution immédiate de 50 otages, puis de 50 autres, dans les quarante-huit heures, si les auteurs de l’attentat ne sont pas arrêtés. A 18h00, le ministre de l’intérieur Pierre Pucheu, présente à Von Stulpnagel les condoléances du Maréchal Pétain. Le 21 octobre 1941, le Docteur Reimers, conseiller militaire allemand à Bordeaux, est abattu de cinq balles. Les Allemands imaginent que les attentats de Nantes et Bordeaux forment un tout. Au Conseil des Ministres, Pierre Pucheu explique que « pour éviter de laisser fusiller 50 bons Français » il a sélectionné des Communistes à Châteaubriant.
Bons pour être exécutés
« Comment avez-vous pu mettre le doigt dans cet engrenage ? » lui rétorque un autre ministre, « comment avez-vous pu désigner vous-même les otages ? » Un document allemand confirme cette incroyable attitude d’un ministre français en écrivant : parmi les personnes qui avaient été internées par les autorités françaises au camp de Choisel « 16 avaient été dénommées expressément comme propres à être exécutées comme otages par le ministre français de l’Intérieur Pucheu, dans une correspondance en date du 22 octobre 1941, signée de son chef de cabinet et adressée au Militärbefehlshaber in Frankreich » (traduction d’un document sur la procédure des otages, RW 35 542 p.52, archives militaires allemandes de Fribourg. Cité par Claude Paillat). 21 octobre 1941 : un peloton de 90 soldats allemands est logé à l’école Aristide Briand. Toute la journée, les hommes chantent, boivent, astiquent leurs armes. Ils se préparent pour le lendemain. Personne ne sait encore ce qui se trame.
Nantes, 22 octobre 1941, les cercueils sont prêts dans les camions allemands. « Afin d’éviter toute manifestation, les corps seront déposés dans des cimetières des environs de la ville et la fosse sera seulement marquée d’un numéro. Nous autres, seuls, connaîtrons l’identité et l’emplacement des défunts» dit le Major Von Hasselbach. A la prison La Fayette à Nantes, 13 prisonniers sont choisis : parmi eux, cinq dirigeants des Anciens Combattants dont l’avocat socialiste Alexandre Fourny, originaire d’Issé. A la prison des Rochettes à Nantes, trois jeunes otages montent dans le camion de la Wehrmacht en chantant la Marseillaise. Ils seront exécutés à 17 heures, au champ de tir du Bèle. Cinq autres Nantais, enfermés au fort de Romainville, sont exécutés le même jour au Mont Valérien. A Châteaubriant, 27 otages sont spécialement choisis...
Pierre Durand raconte : « Le 22 octobre, il fait doux, le ciel est clair, le soleil brille. Chacun vaque à ses petites occupations, met de l'ordre dans ses affaires, l'esprit inquiet, obsédé par l'approche du drame. Vers 14 heures, trois camions allemands et une voiture se présentent à l'entrée du camp et pénètrent dans le camp annexe n°2 pour s'arrêter devant une baraque vide. Les S.S. sautent des camions et mettent une mitrailleuse en batterie. Nous sommes refoulés et enfermés dans nos baraques respectives dont les gendarmes armés gardent les issues. Par les carreaux des fenêtres, nous suivons les préparatifs du crime. L'officier allemand sort du poste de gendarmerie suivi du fameux Touya, sous-lieutenant de gendarmerie. Le visage de celui-ci ne porte aucune trace d'émotion. Le cortège, suivi d'un petit détachement de gendarmes, emprunte un passage devant les baraques du camp n°2 pour se présenter devant la baraque 19 où sont enfermés 21 camarades, baraque agencée depuis quelques semaines, bien avant la mort du commandant allemand, et entourée d'un réseau de barbelés.
Tout porte à croire que de longue date était prémédité l'assassinat des militants ouvriers et que les Allemands n'attendaient qu'un prétexte pour passer à l'exécution. » « Tous les prisonniers sont enfermés dans leurs baraques respectives avec un gendarme en faction à chaque porte » raconte Adrien Agnès, qui occupe la baraque 19. Sur les 21 détenus de cette baraque, 15 sont appelés et sortent à l’appel de leur nom. Les six derniers se regardent avec stupeur et étonnement de n’être pas appelés. Puis le sous-lieutenant Touya poursuit son appel dans d’autres baraques. En tout 27 détenus sont désignés et rassemblés dans la baraque 6 du camp P2. Les plus jeunes sont Guy Môquet (17 ans), Charles Delavacquerie (19 ans), Emile David (19 ans), Maximilien Bastard (21 ans) et Claude Lalet ( 21 ans). Le Sous-Préfet leur donne du papier à lettres et des crayons pour un dernier témoignage à leur famille et à leurs amis. Lettres de dignité, de foi en l’avenir, lettres d’hommes qui meurent pour la France, en toute conscience. Sur les murs en bois de la baraque, Jean Grandel écrit : « Nous vaincrons quand même ».
Peu après, l’abbé Moyon, curé de Saint-Jean-de-Béré, réquisitionné par le Sous- Préfet, entre dans la baraque 6 : « Mes amis, je ne viens pas ici faire violence à vos consciences » leur dit-il, très ému, « Je tiens à vous dire que je viens partager vos dernières heures, vous aider à faire le grand sacrifice qu’on exige de vous (...). Je suis près de vous le représentant des Castelbriantais. Je vous apporte le témoignage de leur profonde sympathie, de leur affectueux souvenir. Quant à moi, je peux vous dire que je suis votre ami, plus que cela, votre frère dans l’amour de la Patrie. Je suis à votre entière disposition pour recevoir vos lettres, vos commissions, vos dernières recommandations ». L’un des otages lui répond : « Monsieur le Curé, nous n’avons pas vos convictions religieuses, mais nous nous rejoignons dans l’amour de la patrie ... Vous avez eu vos martyrs au début de votre Eglise ; comme eux, nous aussi nous ferons du bien ». 14h30, un officier allemand demande au prêtre de sortir. Bouleversé, celui-ci se rend dans plusieurs familles de Châteaubriant. «Ils sont admirables, ces hommes, admirables» dit-il. Son émotion est rapidement partagée par tous ceux qui apprennent, avec la rapidité de l’éclair, le massacre qui se prépare. Le témoignage de l’abbé Moyon marquera profondément une opinion publique indignée de cette exécution.
1940
- En juin 1940, lors de la bataille de France, 45 000 prisonniers de guerre de l’armée française et quelques anglais sont internés à Châteaubriant et répartis en quatre camps, identifiés par les lettres A, B, C et S. Le plus important est le camp C situé sur le champ de courses de Choisel, au Nord de Châteaubriant sur la route de Fercé. Son directeur est un certain Leclerc, son adjoint est le sous-lieutenant Julien Touya, qui pour les allemands est le véritable directeur, avait précédemment détenu les antifascistes espagnols dans les camps des pyrénées-orientales.
1941
- 14 janvier : déportation des prisonniers de guerre du camp de Choisel pour l'Allemagne.
- mars : des nomades du département sont installés au camp de Choisel durant quelques semaines. Aucun service sanitaire. Les enfants y meurent nombreux, puis des trafiquants du marché noir, des souteneurs, des filles publiques.
- avril : les premiers prisonniers politique sont internés : ouvriers des arsenaux ou marins bretons. On veut les obliger à vivre avec les trafiquants. Ils refusent et obtiennent finalement deux baraques. Ce sera le camp p. 1 (politiques 1).
- mai : arrivée de 54 militants communistes de la région parisienne qui viennent de la centrale de Poissy et une centaine venus de la centrale de Clairvaux.
- 5 et 6 juin : Guy Môquet reçoit la visite de sa mère et de son petit frère.
- 18-19 juin : évasion de quatre dirigeants, membres avant-guerre du comité central du parti : Fernand Grenier et Henri Raynaud le 18, Léon Mauvais et Eugène Hénaff le 19. L'évasion entraîne un durcissement des conditions de détention.
- 7 juillet : départ de 339 nomades et 75 indésirables de droit commun, transférés au camp de la Forge à Moisdon-la-Rivière.
- juillet : arrivée des premières femmes et du juge Didier.
- 21 août : loi sur les otages : tous les détenus du camp sont devenus otages.
- 23 août : création des Sections spéciales qui jugeront avec effet rétro-actif.
- 1er septembre : départ des nomades du camp de Choisel.
- 16 septembre : arrivée de 87 hommes de la prison de la Santé et de 46 femmes de la prison de la Roquette, dont Paulette Capliez et Marguerite Fabre.
- 23 septembre : mise à l'écart de la « Baraque 19 » surnommé la baraque des intellectuels au Camp de Choisel.
- 13 octobre, venue de Pierre Chassagne, chef de cabinet du ministre de l'Intérieur Pierre Pucheu.
- 20 octobre : exécution du lieutenant-colonel Hotz à Nantes, par un commando de jeunes résistants communistes des Bataillons de la jeunesse (Spartaco Guisco, Gilbert Brustlein, Marcel Bourdarias), qui entraîna l'exécution de 27 otages du camp le 22 octobre.
- Article détaillé : Représailles après la mort de Karl Hotz.
- 15 décembre, 9 patriotes sont exécutés à l’étang de La Blisière, dans la forêt de Juigné-des-Moutiers :
- Adrien Agnes, 42 ans, agent technique à la Mairie de Stains.
- Louis Babin, 52 ans, médecin à Arpajon.
- Louis Baroux, 31 ans, instituteur à Longueau.
- Raoul Gosset, 44 ans, électricien à Aubervilliers.
- Fernand Jacq, 32 ans, médecin à Huelgoat.
- Maurice Pillet, 39 ans, Charpentier, secrétaire du syndicat CGT du bâtiment.
- René Perrouault, 45 ans, secrétaire du syndicat CGT des Industries Chimiques.
- Georges Thoretton, 25 ans, ouvrier à Gennevilliers.
- Georges Vigor, 37 ans, métallurgiste à Paris.
1942
- 7 mars : deux jeunes détenus de Choisel seront fusillés à Nantes.
- 23 avril : quatre autres jeunes détenus de Choisel, fusillés à Nantes.
- 29 avril : deux autres encore.
- 1er au 11 mai : le camp de Choisel est évacué de la façon suivante :
- 1er mai : les hommes « indésirables » sont transférés au camp de Rouillé ;
- 4 mai : les Juifs étrangers sont transférés au camp de Pithiviers ;
- 7 mai : les détenus politiques sont transférés au camp de Voves ;
- 9 mai : les détenus pour marché noir sont transférés au camp de Gaillon ;
- 11 mai : les détenues politiques et femmes « indésirables » sont transférées au camp d'Aincourt.
- 15 mai : le camp de Choisel ferme officiellement. À partir de cette date, l’armée allemande s'en sert de base logistique pour les troupes de passage, parmi lesquelles plusieurs groupes de nouvelles recrues arrivées en France pour parfaire leur formation militaire avant d'être envoyées sur le front de l’Est.
1944
- Le 5 août 1944, Châteaubriant est libéré. Le camp de Choisel est alors partiellement abandonné, mais bientôt les besoins de l’épuration entraînent sa réouverture provisoire le 21 septembre suivant. On y interne les collaborateurs les plus notoires avant de les transférer sur Rennes (Nantes et Angers restant sous le contrôle des Allemands durant cette période).
1945
- Le nombre de détenus diminue et la nouvelle municipalité castelbriantaise fait tout pour empêcher la pérennisation du camp. Dans les premiers jours de l’année 1946, Choisel passe sous le contrôle de l’administration pénitentiaire qui en fait une dépendance de la centrale de Fontevrault. Une centaine de détenus y séjournent parmi lesquels les anciens collaborateurs sont les plus nombreux. La pression de la municipalité, des propriétaires des terrains (dont le fermier chassé en 1940), aboutit à la fermeture définitive du camp à l’automne 1946. Ce sont les derniers prisonniers qui démolissent les baraques que l’administration pénitentiaire récupère, n’en laissant que deux ou trois à la municipalité.
Source : AJPN