Degas Edgar

Publié le par Mémoires de Guerre

Hilaire Germain Edgar de Gas, dit Edgar Degas, né le 19 juillet 1834 à Paris et mort le 27 septembre 1917 dans la même ville, est un artiste peintre, graveur, sculpteur, photographe, naturaliste et impressionniste français. Si Degas est un membre fondateur du groupe des impressionnistes, son œuvre est si variée par ses thèmes et sa pratique qu'il ne les rejoint pas dans leurs traits les plus connus. Sa situation d’exception n’échappe pas aux critiques d’alors, souvent déstabilisés par son avant-gardisme, qui fait, encore aujourd’hui, l’objet de nombreux débats auprès des historiens d’art. Edgar Degas était un aristocrate, fils d'Auguste de Gas, banquier, et de Célestine Musson, une créole américaine de La Nouvelle-Orléans. Son grand-père maternel, Germain Musson, d'origine française, est né à Port-au-Prince (Haïti) et s'est installé à La Nouvelle-Orléans en 1810. 

Degas Edgar
Origine du nom

Si le peintre est né sous le patronyme de De Gas, il n’a en réalité fait que reprendre le nom d’origine de sa famille en se faisant appeler Degas. En effet, son grand-père paternel, le banquier Hilaire de Gas, a séparé son nom en deux après avoir quitté la France pour le royaume de Naples au moment de la Révolution. Ce dernier demeure à Naples où il épouse une jeune femme de la noblesse napolitaine et achète en outre une maison de campagne à Capodimonte, la villa Paternò, qui accueille plusieurs fois le jeune Edgar Degas en vacances. Le père d'Edgar, Pierre-Auguste, s'était installé à Paris pour ouvrir une filiale de la banque paternelle. 

Enfance

Degas naît à Paris au no 8 rue Saint-Georges, le 19 juillet 1834, et grandit dans un milieu bourgeois cultivé. Il a deux frères et deux sœurs et jouit d’une enfance dorée rue Saint-Georges. Entre 1845 et 1853, il fait ses études au lycée Louis-le-Grand où il a pour professeur de dessin Léon Cogniet. Il y rencontre Henri Rouart, Paul Valpinçon et Ludovic Halévy qui seront ses amis intimes. En 1847, sa mère meurt à l'âge de trente-deux ans. 

Les années de formation

Après son baccalauréat en 1853, Edgar Degas s'inscrit à la faculté de droit, pour satisfaire les ambitions de son père, mais arrête ses études en 1855. Dès 1853, il commence à fréquenter le Cabinet des estampes de la Bibliothèque nationale. Dessinateur inlassable, il y copie des œuvres d'Albrecht Dürer, Andrea Mantegna, Paul Véronèse, Francisco de Goya, Rembrandt. Il passe ses journées au Louvre, où il est admis comme copiste le 7 avril 1853, fasciné par les peintres italiens, hollandais et français. Il s’inscrit dans l’atelier de Félix-Joseph Barrias, alors assez célèbre, puis étudie la peinture en 1855 avec Louis Lamothe, qui avait été un disciple d'Ingres et des frères Paul et Hippolyte Flandrin. De son côté, son père, amateur raffiné d’art et de musique, lui présente quelques-uns des plus grands collectionneurs de Paris, comme Lacaze, Marcille, et Valpinçon. À cette époque, en rupture avec son père qui s'oppose à sa vocation de peintre et à l'abandon de ses études de droit, Degas s'installe dans une mansarde non chauffée dans le Quartier latin. Il attribuait le début de ses problèmes oculaires, et plus tard de sa demi-cécité, au froid de l'hiver : « C'est dans cette mansarde que j'ai pris froid aux yeux ». Bien plus tard, en 1877, il écrivait à un ami : « Il m'arrive de voir passer devant mes yeux comme un léger nuage ». 

En 1855, il commence à suivre des cours à l’École des beaux-arts de Paris. La même année, il rend visite à Ingres pour lui présenter ses dessins. Cependant, préférant approcher directement l’art des grands maîtres classiques tels Luca Signorelli, Sandro Botticelli et Raphaël, il entreprend de 1856 à 1860 de nombreux voyages en Italie, d’abord dans sa famille à Naples, puis à Rome et Florence, où il se lie d’amitié avec le peintre Gustave Moreau sans doute en 1858. En 1859, de retour à Paris, Degas prend un atelier au no 13 rue de Laval. En 1862, il rencontre Édouard Manet au Louvre, et fait la connaissance d'autres jeunes peintres et écrivains au Café Guerbois à Montmartre : Monet, Ludovic-Napoléon Lepic, Pisarro, Bazille, Fantin-Latour ou même Zola. Là les artistes échangent des points de vue, des critiques et des théories sur ce que doit être l'art. Ses œuvres de jeunesse comptent quelques peintures d’inspiration néoclassique, mais surtout de nombreux portraits des membres de sa famille. En 1865, il expose au Salon Scène de guerre au Moyen Âge, ou encore le Portrait de Madame Camus en rouge en 1870. 

L'ami et écrivain Louis Edmond Duranty écrit à propos du jeune peintre copiant un Poussin au Louvre : « Artiste d'une rare intelligence, préoccupé d'idées, ce qui semblait étranger à la plupart de ses confrères, aussi profitant qu'il n'y avait pas de méthode de transition, dans son cerveau actif, toujours en ébullition, ils l'appelaient l'inventeur du clair-obscur social ». Toujours profondément marqué par le style d'Ingres, il visite la rétrospective organisée après le décès du maître en 1867. Il part en voyage avec Manet à Boulogne-sur-Mer et Bruxelles où il vend trois tableaux, dont un à un ministre du roi des Belges. Degas signe son premier contrat avec un marchand belge. Il passe l'été de 1869 à Étretat et Villers-sur-Mer où il exécute ses premiers pastels. Il s'enrôle dans l'infanterie lorsqu'éclate la guerre franco-prussienne de 1870 et, avec Manet, il est placé sous les ordres d'Ernest Meissonier. En 1871, Degas se rend à Londres où il expose et Paul Durand-Ruel lui achète trois œuvres en 1872. 

Une nouvelle esthétique

L'estampe japonaise, révélée depuis peu au monde occidental, l'enchante également et lui révèle de nouvelles possibilités (composition décentrée, raccourcis elliptiques, gros plans, contre-jours). Il s'essaie à la peinture d'histoire, qu'il voudrait rénover (Petites Filles spartiates provoquant des garçons, 1860 ; Scènes de guerre au Moyen Âge [ou les Malheurs de la ville d'Orléans], 1865). Il fait la connaissance du critique Louis Edmond Duranty et celle d'Édouard Manet, qui le qualifie de « grand esthéticien ». Il continue principalement à exécuter des portraits (une cinquantaine de 1865 à 1870), en plaçant ses modèles dans le « cadre de tous les jours » (Femme accoudée près d'un vase de fleurs, 1865).

Le mouvement et la vie

Au lendemain de la guerre de 1870, Degas exécute, en compagnie de Manet, quelques toiles à Boulogne, aux environs de Trouville et de Saint-Valery-sur-Somme. Mais c'est avec celle que l'on connaît sous le titre de Chevaux de course devant les tribunes (1869-1872) qu'il affirme avec le plus d'originalité sa conception du paysage peuplé de figures prises sur le vif. Doué d'une remarquable mémoire visuelle, il organise, à l'atelier, le meilleur des sensations qu'il a recueillies sur place, en s'aidant parfois de photographies. Il se sent aussi inspiré par les univers de la musique (Musiciens à l'orchestre, plusieurs versions) et de la danse (la Classe de danse, 1873-1876 ;le Foyer de la danse à l'Opéra, 1872 ; Répétition de ballet sur la scène, 1874).

Naturalisme et impressionnisme

Exceptionnellement, Degas pratique la peinture de genre, qui trahit une influence naturaliste  (l'Absinthe, 1876 ;Intérieur, dit aussi le Viol, vers 1868-1869 ; Repasseuse à contre-jour (vers 1874). En 1872-1873, il séjourne à La Nouvelle-Orléans, où deux de ses oncles font le commerce du coton. Il en rapporte les Portraits dans un bureau, qui manifestent son goût pour la modernité en art et son aptitude à poétiser les scènes de la vie courante. De retour à Paris, il joue un rôle actif dans la genèse et dans l'histoire du groupe impressionniste. Il participe aux expositions de 1874 à 1886 (sauf en 1882) et y présente notamment ses célèbres pastels consacrés à des nus féminins (série des « Femmes à leur toilette », commencée vers 1883). Au Salon des impressionnistes de 1881, il expose une de ses premières sculptures : la Danseuse de quatorze ans en cire.

Le « terrible Monsieur Degas »

Homme d'esprit, Degas a de ces traits qui lui valent d'être surnommé le « terrible Monsieur Degas » : ainsi, un jour où l'on lui demande s'il est fier que l'une de ses deux toiles de Danseuses à la barre ait atteint, lors d'une vente à l'hôtel Drouot, le prix le plus élevé jusque-là pour une peinture moderne, il répond : « À peu près comme le cheval qui vient de remporter le Grand Prix. » À propos des adversaires de l'impressionnisme, il dit : « Ils nous fusillent, mais ils fouillent nos poches » ou encore : « Ils volent de nos propres ailes ». Pour entendre ses bons mots, on fait cercle autour de lui au café de la Nouvelle-Athènes, qui avait succédé au café Guerbois, naguère point de ralliement des réalistes.

Les derniers chefs-d'œuvre

D'autres œuvres d'Edgar Degas renouvellent le rendu de l'espace par d'étonnantes audaces dans les cadrages et les jeux de lumière (Café-Concert des Ambassadeurs, 1876-1877). Le peintre travaille alors en toute sécurité matérielle. La galerie Durand-Ruel lui a ouvert un compte d'avances, qu'il rembourse en œuvres qu'il appelle des « articles »  (Miss Lola [dite aujourd'hui La La] au cirque Fernando, 1879 ; Chez la modiste, 1882 ; Repasseuses au travail, 1884). En 1893, Degas commence à se plaindre de sa vue. Il renonce peu à peu à la peinture à l'huile et se consacre à des techniques qui lui conviennent mieux : surtout fusains et pastels striés à la gouache (Après le bain, nombreuses versions).Il produit encore des chefs-d'œuvre :Danseuses à mi-corps , Danseuses bleues. Sur la fin de sa vie, il diversifie ses domaines d'expression artistique : sculpteur avec ses Danseuses (il est considéré par Auguste Renoir comme le premier de son temps) ; graveur à l'eau-forte (Portrait de Manet, Mary Cassatt au Louvre) et même poète.

L'affaire Dreyfus

Célèbre pour son caractère intransigeant, son humour ou son mordant, Degas est un peintre craint pour ses jugements. Par exemple il disait de Meissonier, peintre méticuleux en renom alors et de petite taille : "Il est le géant des nains ! ". L'affaire Dreyfus le brouille, en 1897, avec ses amis, en particulier son ami Ludovic Halévy (qu'il ne reverra que sur son lit de mort) et même toute la famille Halévy qu'il fréquentait, avec qui il ne renouera qu'après la réhabilitation du capitaine Dreyfus en 1908. Edgar Degas, Jean-Louis Forain, Jules Lemaître et Gustave Schlumberger manifestèrent une vive colère dans le salon couru de Geneviève Straus (anciennement Madame Georges Bizet) lorsque Joseph Reinach défendit l'innocence de Dreyfus. Comme le critique Jules Lemaître, le peintre Auguste Renoir, les poètes José-Maria de Heredia et Pierre Louÿs, le compositeur Vincent d'Indy, entre autres, Degas fut membre de la Ligue de la patrie française, ligue antidreyfusarde modérée. 

La rencontre avec Paul Valery

En 1896, le jeune écrivain et poète Paul Valéry rencontre Degas dans son atelier 37 rue Victor Massé, par l'intermédiaire de Henri Rouart. Une amitié durable naît entre les deux hommes que 50 ans séparent, Degas a 61 ans, Paul Valery 24 ans. De cette rencontre Paul Valéry écrit sa rencontre dans son livre "Degas, Danse, Dessin" publié en 1936 par Ambroise Vollard. 

Un collectionneur passionné

L'ampleur de l'œuvre de Degas a fait passer sous silence son activité de collectionneur. Si l'on ignore la date à laquelle Degas commence à collectionner, on sait que son père et son grand-père étaient eux aussi des collectionneurs passionnés. Le premier achat attesté date de 1873 et il s'agit des Champs labourés de Pissarro. Mais dans la deuxième moitié des années 1870, il n'y a plus de trace d'achat et il semble même vendre des pastels de Quentin de La Tour pour faire face aux difficultés financières familiales. Ses achats reprennent en 1881 une fois les difficultés surmontées. Les achats de Degas des années 1870-1880 sont principalement tournés vers les artistes participant à l'avant-garde de son époque notamment les futurs impressionnistes. Mais il s'intéresse aussi aux grands maîtres de la première moitié du XIXe siècle. En 1885, il acquiert une petite version d'Œdipe et le Sphinx d'Ingres variante réduite de celle du Louvre. Ce genre d'achat ne devait pas être unique pendant les années 1880 car, au moment de l'un de ses déménagements, en avril 1890, ses collections étaient suffisamment importantes pour que Degas annonce ironiquement sa nouvelle adresse ainsi : l' « Hôtel Ingres change de place et est transféré 23, rue Ballu ». 

Pendant les années 1890, Degas poursuit ses achats d'artistes modernes. Il va notamment acheter aux différentes ventes organisées par Paul Gauguin. En 1899, ses amis le consacrent « le Phénix des collectionneurs ». À partir de 1900 ses achats se ralentissent ; la vente Chennevières est l'occasion d'acquérir des œuvres de Théodore Caruelle d'Aligny, Théodore Géricault et Ingres. Sa dernière acquisition repérée est sans doute en 1903, La Poissarde, femme assise à sa fenêtre, qu'il se procura chez Durand-Ruel en souvenir de Paul-Émile Destouches chez lequel il est allé poser avec sa mère, rue du Bac, un portrait présent dans sa collection. Cette collection a pu être réunie tout d'abord parce que certaines œuvres sont des dons, d'Édouard Manet, Albert Bartholomé, Gustave Caillebotte, et même presque des legs. Sa collection englobe toute une part de la peinture française du XIXe siècle, son centre de gravité étant Ingres et Eugène Delacroix. 

Elle contient un nombre important de portraits. L'artiste le mieux représenté est Ingres avec vingt peintures, quatre-vingt huit dessins ; l'ensemble consacré à Delacroix comprend treize tableaux et cent-vingt-neuf dessins. Ce sont ces deux peintres et Honoré Daumier que Degas considérait comme les plus grands dessinateurs du XIXe siècle. Il conservait 1 800 lithographies de Daumier et 2 000 estampes de Paul Gavarni. Degas possédait aussi presque toutes les gravures de Manet. Il a également amassé des estampes japonaises, comme beaucoup d'artistes contemporains, de Kiyonaga, Sukenobu, Utamaro et Hokusai. Les paysages sont très peu représentés dans sa collection : sept Corot, un Sisley (La Fabrique pendant l'inondation) et trois Pissarro. Degas vit au milieu de ses tableaux, comme en témoignent les photographies anciennes. Ses copies et ses collections sont une sorte de musée imaginaire qui lui permet d'avoir tout ce qu'il aime et admire ; sa collection était composée à sa mort de cinq cents peintures et dessins et plus de cinq mille lithographies. 

Degas Edgar
Ingres, la tradition du dessin

L’influence d’Ingres fut certainement prépondérante dans sa jeunesse. À vingt et un ans, le jeune Degas obtient de rencontrer le vieux maître dans son atelier. La même année, il copie avec passion des œuvres présentées dans la rétrospective consacrée à Ingres. Peint à cette époque, le premier grand autoportrait de Degas fait clairement référence à celui d’Ingres datant de 1804. Le jeune artiste ne s’est cependant pas représenté en peintre mais en dessinateur, un porte-fusain à la main, se remémorant peut-être les conseils qu’Ingres venait de lui prodiguer : « Faites des lignes, beaucoup de lignes, et vous deviendrez un bon artiste. » Même à la fin de sa carrière, Degas n’abandonna pas l’approche académique qui consiste à mettre en place une composition à l’aide de dessins préparatoires, et notamment d’études d’après modèle vivant. De la même façon qu’il préparait ses tableaux d’histoire, il a souvent recours au dessin pour ses dernières scènes de la vie moderne. Il continue à appliquer les préceptes d’Ingres. Se souvenant des nus féminins d’Ingres comme La Baigneuse Valpinçon, il dessine ses femmes à leur toilette, en cernant d’un trait sombre et sensuel les contours de leur corps. 

Delacroix, la couleur et le mouvement

Degas admire les œuvres qu’Eugène Delacroix présente au Salon de 1859 et étudie sa peinture, entreprenant notamment une copie à l’huile de l’Entrée des Croisés à Constantinople. Désormais, Degas s’attache à réconcilier couleur et dessin, mouvement et structure, en réalisant la synthèse des diverses influences qu’il continue à recueillir. Dans sa dernière période, Degas fait en effet de plus en plus appel à des coloris éclatants et à des harmonies de couleurs complémentaires. En digne successeur de Delacroix, il libère sa palette de toutes contraintes pour peindre selon ses propres termes des « orgies de couleur ». En 1889, Degas voyage à Tanger sur les pas de son illustre prédécesseur. 

Une esthétique complexe

La plupart des ouvrages consacrés à Edgar Degas, lorsqu’ils désirent le classer dans l’histoire de l’art, le rattachent au grand mouvement de l’impressionnisme, formé en France dans le dernier tiers du XIXe siècle en réaction à la peinture académique de l’époque. Les artistes qui en font partie, tels Claude Monet, Paul Cézanne, Auguste Renoir, Alfred Sisley, Mary Cassatt, Berthe Morisot ou Camille Pissarro, las d’être régulièrement refusés aux Salons officiels, s’étaient constitués avec Degas en société anonyme afin de montrer leurs œuvres au public. On résume souvent l’art impressionniste aux effets de lumières en plein air. Ces caractéristiques ne sont toutefois pas applicables à Degas, même s’il est un des principaux membres fondateurs et animateurs des expositions impressionnistes. Il trouve sa place dans le mouvement par son invention technique, son activisme et par la liberté de peindre prônée par le groupe, que lui aurait souhaité nommer Les Intransigeants. Au plein air il préfère, et de loin, « ce que l’on ne voit plus que dans sa mémoire » et le travail en atelier. S'adressant à un peintre il dit : « À vous, il faut la vie naturelle, à moi la vie factice. ». 

La technique et les sujets de Degas

Pendant les vingt premières années de sa carrière, Degas expérimente tous les genres. Il a tout d’abord une prédilection pour les portraits. Dans ceux-ci, les accessoires prennent parfois tant d’importance que les œuvres sont à mi-chemin entre portrait et nature morte. Il apparaît très tôt capable de composer de grandes toiles ambitieuses comme La Famille Bellelli. Au début des années 1860, Degas aborde le genre des peintures historiques, en ayant recours de manière très personnelle à diverses sources d’inspirations. Il ne délaisse pas pour autant la peinture de genre, se passionnant très tôt pour les courses de chevaux, puis pour la danse, l’opéra, les cafés-concerts et la vie quotidienne. La danse est un sujet qui marquera la carrière de Degas. Il est en admiration devant ces danseuses qui rayonnent sur la scène. 

Elles sont comme des étoiles dont le regard ne peut se détacher. Il les montre en préparation, derrière la scène et lors de leur prestation. Degas se rend sur place pour représenter du mieux qu’il peut les moindres détails, c’est pour cette raison que ses tableaux débordent de vie. Pour ses scènes de la vie moderne, il a parfois recours à des effets lumineux expressifs et invente des mises en page très audacieuses. Le genre du paysage est certainement celui que Degas a le moins travaillé, même s’il a exécuté une série ponctuelle de paysages au pastel. Enfin, les premières tentatives de sculptures demeurent quant à elles marginales par rapport aux huiles sur toiles, avec lesquelles Degas met progressivement en place une « Nouvelle peinture » qui s’épanouira au cours de la décennie suivante. 

1874-1886 : le temps des expositions impressionnistes

En 1874, de retour à Paris après un voyage à La Nouvelle-Orléans, Degas commence à se faire connaître. Il était jusqu’alors relativement méconnu, malgré le rôle de chef de file qu’il occupait avec Manet parmi les artistes du café Guerbois. Dès la deuxième exposition, Degas est remarqué par les critiques, qui louent ou dénigrent le réalisme de son travail. La défense du « mouvement réaliste », pour reprendre sa propre expression, est d’ailleurs au cœur de sa démarche dans ces années-là. Il commence à explorer des thèmes nouveaux, comme les repasseuses, les modistes ou les femmes à leur toilette. Cultivant son goût des expérimentations techniques, il recherche des moyens picturaux inédits. 

Ainsi, en 1877, il présente une série de monotypes, parfois rehaussés de pastels, qui témoignent d’une économie de moyens et d’une liberté de facture très novatrices. Cette période est donc marquée par des innovations techniques qui vont de pair avec des innovations formelles : Degas multiplie les points de vue audacieux, en plongée ou en contre-plongée (Miss Lala au cirque Fernando, Londres, National Gallery), qui montre son intérêt pour la photographie. Jouissant de la spontanéité que lui permet le travail du pastel, il recherche des effets lumineux et colorés très originaux, s’attachant par exemple avec ses nus très réalistes de 1886 à traduire les vibrations de la lumière sur le corps des femmes. Il dit d’ailleurs à propos de ses nus : « Jusqu’à présent, le nu avait toujours été représenté dans des poses qui supposent un public. 

Mais mes femmes sont des gens simples… Je les montre sans coquetterie, à l’état de bêtes qui se nettoient. » C’est souvent pour de tels propos qu’il fut traité expéditivement de misogyne : c’est pourtant moins la volonté délibérée d’insulter la beauté des femmes que l’extrême souci d’une implacable véracité anatomique qui transparaît dans son approche, la sensualité de ses modèles étant souvent contrainte dans des attitudes à la limite du déséquilibre. À la fin de sa vie, il reconnaîtra : « J'ai peut-être trop souvent considéré la femme comme un animal ». Degas, même s'il a beaucoup discuté d'art avec Émile Zola, Manet et Albert Joseph Moore à La Nouvelle Athènes, ne se reconnait pas dans la conception de l'écrivain. Il reconnaissait comme influence les écrits de Pierre-Joseph Proudhon : La Justice, L'Art, et les Confessions qu'il trouvait « admirable ». 

1887-1912 : au-delà de l'impressionnisme

Pendant près de trente ans, déjà âgé, Degas ne cesse de renouveler son art. Travaillant de plus en plus par séries, il décline des thèmes familiers. Ne s’intéressant que de manière ponctuelle au paysage, il est toujours fasciné par les danseuses et de plus en plus par les femmes à leur toilette, qui se lavent, se coiffent ou sortent du bain. 

Scènes de la vie moderne

Parmi les scènes de genre que peint en série, Degas, les courses de chevaux avec les jockeys et les propriétaires occupent une place importante. Comme dans son tableau Le Champ de courses, ou jockeys amateurs près d'une voiture (Paris, musée d'Orsay), commandé par le baryton Faure en 1876 et livré en 1887, où Degas combine plein-air, paysage et portraits, le tout influencé par la photographie. 

Les lingères et les repasseuses

Ouvrières, lingeuses et repasseuses forment, avec la vie des grands boulevards, le prototype des parisiennes qui après le travail viennent se reposer au café-concert, à la terrasse. Émile Zola reconnaitra dans une lettre à Degas s'être inspiré des ouvrières, des blanchisseuses et repasseuses, dans sa série des Rougon-Macquart, en particulier pour son roman L'Assommoir (1877) : « J'ai tout bonnement décrit, en plus d'un endroit, dans mes pages quelques-uns de vos tableaux. » Pour peindre ces figures féminines, Degas privilégie les coloris vifs et intenses qu’il juxtapose sans craindre d’aboutir à des harmonies saturées (La Coiffure). 

Les danseuses de l'opéra

Les répétitions, les moments de repos en coulisse, la représentation sont des instants que privilégie Degas dans sa recherche du mouvement et de la couleur. Degas maîtrise les raccourcis elliptiques, la pratique des gros plans, le goût du regard ascendant ou plongeant, les oppositions heurtées, les variations sur le thème du contre-jour. Il invente un rôle dans la suggestion de l’espace à de splendides planchers éclaboussés de lumière, agence subtilement les rapports de reflets, les sources de lumière, attentif aux éclairages imprévus de la rampe qui jettent des taches colorées sur les visages. L’artiste ose couper, sectionner. Les gestes qu’il suggère par un dessin de plus en plus cursif ont une surprenante valeur expressive. 

Les musiciens de l'orchestre

Introduit à l'Opéra de Paris par son ami le bassoniste Désiré Dihau, Degas réalise, après le Portrait de Mlle Fiocre dans le ballet « La Source » (Brooklyn Museum, 1867-1868), ses premières approches du ballet au travers du portrait de groupe que représente L'Orchestre de l'Opéra (Musée d'Orsay, vers 1870) où les danseuses apparaissent tronquées sur la scène cependant qu'il représente au premier plan les musiciens de l'Orchestre auxquels se joignent dans les différents pupitres ses amis non musiciens. Suit une série de scènes de ballet montrant les musiciens dans la fosse et les premiers rangs de spectateurs : Musiciens à l'orchestre (musée Städel, 1872), Le Ballet de « Robert le Diable » (1871) (Metropolitan Museum of Art), Le Ballet de « Robert le Diable » (1876) (Victoria and Albert Museum) et Ballet à l'Opéra de Paris (Art Institute of Chicago, 1877), précédés par les portraits individuels des musiciens représentés dans le groupe : Portrait de Désiré Dihau (musée des beaux-arts de San Francisco, 1870), Le Violoncelliste Pilet (musée d'Orsay, 1868), le flûtiste Joseph-Henri Altès (Metropolitan Museum of Art, 1868), le guitariste Lorenzo Pagans et Auguste De Gas (musée d'Orsay, 1871-1872). Il réalise encore deux portraits de Marie Dihau la sœur de son ami, pianiste aux Concerts Colonne, Mademoiselle Marie Dihau (Metropolitan Museum of Art, 1867-1868) et Mademoiselle Dihau au piano (musée d'Orsay, 1869). En 1885, il devient « abonné des trois jours » à l’Opéra, ce qui lui permet d’avoir accès aux loges et aux coulisses. Jusqu’en 1892, il s'y rendra ainsi cent-soixante-dix-sept fois. 

Les scènes de maison close

Entre 1876 et 1885, Degas réalise une série de monotypes de scènes de maisons closes, où l'on distingue les prostituées attendant le client. Ses séries se situent dans le prolongement de la publication des romans de Huysmans Marthe, histoire d'une fille, ou d'Edmond Goncourt, La fille Élisa, mais plus largement dans la longue tradition des scènes de bordel en peinture. Publiés après la mort de l'artiste par Ambroise Vollard, ces monotypes auront une grande influence, en particulier sur Pablo Picasso qui leur consacrera une série de dessins à la fin de sa vie. 

La photographie

L'intérêt et la pratique de la photographie est au coeur de l'œuvre de Degas. Si on conserve ses photographies réalisées entre 1895-1986, essentiellement des portraits, il semble qu'il ait pratiqué la photographie avec le photographe et peintre Charles Tasset.

Écrits

Les mots d'esprits réels (ou rapportés) de Degas sont transcrits dans les nombreux ouvrages qui lui sont consacrés. Parmi les plus célèbres figurent ceux à propos du peintre mondain Helleu « C'est du Watteau à vapeur » ou du peintre Meissonnier « Il n'y a rien à dire, c'est même pas mauvais ! » Degas écrit des poèmes et des sonnets, en particulier consacrés aux danseuses, qu'il échoua à faire publier. Degas participe également à l'écriture de pièces de théâtre comme La Cigale de Meilhac et Halévy qui se moque des impressionnistes et de l'école de Barbizon. 

Les sculptures

À partir des années 1880, Degas va aussi poser la question d'une sculpture « impressionniste ». Réalisant des modèles en cire, ces sculptures frappèrent ses contemporains par le réalisme de leur mouvement. Sur les dizaines de modèles conservés de nos jours un seul fut présenté de son vivant, lors de l'exposition impressionniste de 1881 : La Petite Danseuse de quatorze ans. Cette sculpture (dont un tirage en bronze, daté entre 1921 et 1931, est conservé au musée d'Orsay) représente, en grande taille, une jeune danseuse de 14 ans. À l'origine en cire peinte, elle était agrémentée de cheveux, chaussons et robe de danse, illustrant ainsi, dans la sculpture, les recherches de Degas sur la réalité. Hormis "la petite danseuse de quatorze ans", les sculptures n'étaient toutefois pas destinées à être montrées mais permettaient à Degas de fixer le mouvement pour ensuite servir de modèles à ses peintures. Les thèmes traités en sculpture sont donc très proches des œuvres peintes, comme les séries de danseuses ou de nus féminins (Le Tub, 1880, bronze, Paris, musée d'Orsay). Les sculptures originales de Degas sont composées de matériels divers qui vont de tissus, de terre, de carton, d'aiguilles, fil de fer, de bouchons, de vieux pinceaux, etc., le tout mélangé et couvert de cire d'abeille. 

Des tirages posthumes discutés

À la mort de l'artiste, quelque 150 œuvres seront découvertes dans son atelier, 73 sont restaurées par le sculpteur Albert Bartholomé puis moulées afin de permettre les tirages en bronze par Adrien-Aurélien Hébrard, entre 1921 et 1931, aujourd’hui dispersés dans les collections françaises et étrangères. Conservées par Hébrard jusqu'au début des années 1950, elles ont ensuite été confiées à la galerie Knoedler et achetées en bloc par Paul Mellon en mai 1956. Cette année-là, quelques pièces ont été offertes par Mellon au musée du Louvre (aujourd’hui collection du musée d'Orsay), puis une autre cire au moment de l'inauguration du musée d'Orsay. L'essentiel de cette collection a été donné à la National Gallery of Art de Washington. On compte également une cire donnée au Virginia Museum of Fine art en 1993, et peut-être une ou deux autres, léguées à la mort de la veuve de Paul Mellon en 2014. 

Les sculptures de Degas comportaient des potences, des équerres et des systèmes pour les maintenir, comme on peut les voir sur les photographies réalisées par Gauthier après la mort de l'artiste dans l'atelier, et qui ont été enlevés par la suite, ce qui, avec les retouches préparatoires des moules pour la fonte à cire perdue, est une pratique courante pour l'édition en bronze. Cependant, certains tirages en bronze et plâtres posthumes d'après les sculptures de Degas engendrent un débat sur leur authenticité, en particulier depuis la découverte de 74 plâtres de travail dans le grenier de la fonderie Valsuani en 2001. 

Les dernières années

Degas se lie avec Suzanne Valadon qui pose pour lui. En 1903, Louise Havemeyer essaie d'acquérir la cire originale de La Petite Danseuse de quatorze ans, sans succès. À partir de 1905, le peintre se retranche de plus en plus dans son atelier, aigri par la cécité qui le gagne et l'incontinence prostatique. Il déambule en omnibus dans Paris suivant la prescription de son médecin qui lui a recommandé de marcher. En 1911, le Fogg Art Museum à Cambridge aux États-Unis lui consacre une rétrospective. En 1912, ruiné, il déménage au no 6 boulevard de Clichy dans un petit atelier-appartement que Suzanne Valadon, une des dernières modèles du peintre lui a trouvé sourd et démoralisé, il ne travaille presque plus. 

Il se met à errer dans Paris, quelquefois vêtu de haillons, marchant vers son ancienne adresse rue Victor-Massé, alors en démolition. En 1915, il refuse d'être filmé par Sacha Guitry, qui use d'un subterfuge pour le filmer marchant dans la rue dans Ceux de chez nous. La faillite de sa famille (mort de son père, problèmes financiers de son frère Achille), son caractère difficile, son esprit mordant, ses boutades féroces, son antisémitisme, ses positions souvent intransigeantes, la progression inexorable de ses troubles oculaires et sa surdité, ont pu contribuer à accentuer la misanthropie si souvent dénoncée de ce vieux célibataire. 

Âgé, il continue pourtant à s’intéresser à la création, recevant des artistes dans son atelier jusqu’à son déménagement boulevard de Clichy, en 1912. Pauvre et presque aveugle depuis quelques années, Degas meurt le 27 septembre 1917, à son domicile du 6 Boulevard de Clichy (18e), d’un anévrisme cérébral, âgé de 83 ans, entouré de ses collections. Il est inhumé dans le caveau familial au cimetière de Montmartre (quatrième division), accompagné par le représentant du ministre des Beaux-Arts, des peintres Henri Gervex, Léon Bonnat et Jean-Louis Forain en uniforme. Suivant les volontés de Degas, il n'y eut pas de discours : « Je ne veux pas de discours. Si ! Forain vous en ferez un, vous direz : il aimait le dessin ». Paul Valery note dans ses Cahiers que le peintre était « un chef d'œuvre de l'esprit humain ». L’année suivante, les œuvres accumulées dans son atelier et son importante collection sont dispersées aux enchères. 

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