Clemenceau Georges

Publié le par Mémoires de Guerre

Georges Clemenceau né le 28 septembre 1841 à Mouilleron-en-Pareds (Vendée) et mort le 24 novembre 1929 à Paris, est un homme d'État français, président du Conseil de 1906 à 1909 puis de 1917 à 1920. Fils de médecin et médecin lui-même, il est maire du 18e arrondissement de Paris puis président du conseil municipal de Paris au début de la Troisième République. Il est député entre 1871 et 1893, siégeant en tant que républicain radical. Il défend l'amnistie pour les communards et milite en faveur de la restitution de l'Alsace-Moselle. Anticlérical, il prône la séparation des Églises et de l'État et s'oppose à la colonisation, faisant tomber le gouvernement Jules Ferry sur cette question. Fondateur du journal La Justice, il travaille ensuite à L'Aurore et prend une part active dans la défense du capitaine Dreyfus. En 1902, il est élu sénateur dans le Var, mandat qu'il occupe jusqu'en 1920, bien qu'il ait précédemment critiqué l'institution du Sénat, tout comme la présidence de la République. Nommé ministre de l'Intérieur en mars 1906, surnommé « le Tigre » et se désignant lui-même comme le « premier flic de France », il réprime durement les grèves — ce qui l'éloigne des socialistes — et met un terme à la querelle des inventaires.

À la fin de l'année 1906, il devient président du Conseil, fonction qu'il occupe pendant près de trois ans et qu'il cumule avec celle de ministre de l'Intérieur. En 1913, il fonde le journal L'Homme libre, qu'il rebaptise L'Homme enchaîné après avoir essuyé la censure ; fervent opposant à l'Empire allemand, il se montre en effet critique envers l'action des gouvernements français en place lors de la Première Guerre mondiale. En novembre 1917, il est de nouveau nommé président du Conseil et forme un gouvernement consacré à la poursuite de la guerre. Partisan farouche d'une victoire totale sur l'Empire allemand, il poursuit la guerre et se voit attribuer le surnom de « Père la Victoire » à l'issue du conflit. Il négocie ensuite à la Conférence de la paix de Paris, où il affiche une forte hostilité envers l'Allemagne. Par la suite, en 1919, il fait promulguer la loi des huit heures et remporte les élections législatives à la tête du Bloc national, une coalition rassemblant la droite et le centre. Bien que très populaire dans l'opinion publique, il refuse de se présenter à l'élection présidentielle de janvier 1920 après avoir été mis en minorité lors du vote préparatoire du groupe républicain à l'Assemblée nationale. Il quitte alors la tête du gouvernement et se retire de la vie politique. 

Clemenceau Georges
Origines et formation

Nom

À l'état civil, son nom est « Georges Benjamin Clémenceau », avec un accent aigu sur le premier « e ». Lors de sa naissance et dans sa jeunesse, l'écriture de son nom de famille est variable, avec ou sans accent, ce qui était courant pour les noms propres dont l'orthographe n'était pas stabilisée jusqu'à la seconde moitié du XIXe siècle. D'après l'historien Jean-Baptiste Duroselle, c'est Georges Clémenceau lui-même qui a imposé en mars 1884, dans les colonnes de son journal La Justice, l'écriture « Clemenceau », sans qu'il puisse donner une explication précise à cette attention soudainement portée à l'orthographe de son nom.

Famille

Né le 28 septembre 1841 au 19, rue de la Chapelle (rebaptisée depuis rue Georges-Clemenceau), dans la maison de ses grands-parents maternels à Mouilleron-en-Pareds, petite bourgade vendéenne, Clemenceau affirme plus tard « C'est au caractère vendéen que je dois le meilleur de mes qualités. Le courage, l'obstination têtue, la combativité ». Il est le deuxième des six enfants de Benjamin Clémenceau, établi comme médecin à Nantes, mais vivant surtout de ses fermages, et de Sophie Eucharie Emma Gautereau (1817-1903). Sa famille paternelle, qui appartient à la bourgeoisie vendéenne, habite le manoir du Colombier, dans la commune de Mouchamps. Au début du XIXe siècle, elle hérite par mariage du domaine de « l'Aubraie » de Féole, dans la commune de La Réorthe, en Vendée, région de tradition royaliste et catholique. Son arrière-grand-père, Pierre-Paul Clemenceau (1749-1825), est médecin des Armées de l'Ouest pendant la guerre de Vendée, puis sous-préfet de Montaigu et député du Corps législatif en 1805, au début du Premier Empire. Il organisa dans son logis du Colombier à Mouchamps — acquis par un ancêtre vers 1702 — un des foyers du groupe républicain, nommé « les Bleus de Montaigu ».

Son père, Benjamin (1810-1897) est médecin ; c'est un républicain engagé, progressiste, farouchement athée, qui a une grande influence sur Georges, le second de ses six enfants, en lui transmettant les idéaux révolutionnaires et la haine de toute monarchie. Benjamin Clemenceau qui avait notamment participé aux Trois Glorieuses de 1830 accueillit l’avènement de la Seconde République comme une délivrance mais doit cependant déchanter à la suite de l'opération Rubicon et de la mise en place du Second Empire. Surveillé pour ses activités politiques, le père de Clemenceau fera plusieurs passages en prison mais continuera de défendre et d'inculquer à ses fils et filles les valeurs républicaines. Cette influence paternelle laisse une empreinte indélébile sur le Tigre qui nourrit tout au long de sa vie une grande admiration pour la Révolution française et ses idéaux. Pour reprendre les mots de Michel Winock « Georges fut élevé sous les portraits des hommes de la Révolution française. » 

De par ses convictions philosophiques et politiques, Clemenceau s'est ainsi affirmé comme un véritable héritier des « Bleus », dans la traditionnelle partition tripartite du comportement politique des Français. Depuis la Révolution française, le comportement politique des Français serait en effet divisé en trois familles héritées des grands courants philosophiques et politiques ayant émané pendant et après la Révolution française à savoir les « Bleus », les « Blancs » et les « Rouges ». Dans cette partition politique, les « Bleus » sont les libéraux et républicains considérés comme les héritiers des révolutionnaires français, notamment jacobins, plaçant la liberté, le progrès et la liberté de conscience au cœur de leur programme politique. Les « Blancs » sont les conservateurs considérés comme les descendants historiques de ceux qui ont soutenu la Monarchie et l'Église lors de la Révolution française et se distinguant par l'importance qu'ils attachent à l'ordre et la patrie. 

Enfin, les « Rouges » sont considérés comme les partisans de la Révolution, de l'égalitarisme, véritables héritiers des Communards de 1871 et qui furent historiquement en faveur de la collectivisation des moyens de production. Toutefois, ces trois familles politiques ne doivent pas être perçues comme des blocs monolithiques en premier lieu parce qu'elles sont avant tout des idéaux-types au sens de Max Weber (et donc n'existent pas réellement dans la réalité telles quelles), en second lieu parce que certains idéaux et valeurs sont communs à deux familles. Par exemple, la défense de la patrie est une valeur revendiquée à la fois par les « Bleus » et les « Blancs » (ce qui expliquera le patriotisme farouche de Clemenceau et l'appui d'un bon nombre de députés de droite pouvant être considérés comme des « Blancs », pendant la Première Guerre mondiale). Sa famille est longtemps proche d'une autre grande famille de républicains progressistes, celle de Marcellin Berthelot. La petite nièce de Clemenceau, Annette Clemenceau, épousera le petit-fils de Marcellin Berthelot, Richard Langlois-Berthelot. Benjamin Clemenceau a participé aux Trois Glorieuses de 1830 et, lors de la Révolution de 1848, il a créé une « Commission démocratique nantaise ». 

Détenu une brève période à Nantes au lendemain du coup d'État du 2 décembre 1851, il est arrêté après l'attentat d'Orsini de 1858 et soumis, sans procès, à la transportation vers l'Algérie en vertu de la loi de sûreté générale. Il est toutefois libéré avant d'embarquer à Marseille, grâce à l'indignation de Nantes et à l'intervention d'un groupe de notables, notamment de son collègue Pierre Honoré Aubinais, médecin nantais et bonapartiste de gauche, qui aurait été proche de Jérôme Bonaparte, et mis quelque temps en résidence forcée à Nantes. Outre ce fond républicain, marqué par le buste de Robespierre sur la cheminée, son père lui enseigne la chasse, l'équitation et l'escrime : en 1890, Clemenceau est le nègre de son ami James Fillis pour ses Principes de dressage et d'équitation. Benjamin Clemenceau fut à ses heures peintre : portrait en buste de son fils enfant, et sculpteur : profil de son fils et double profil de lui et de sa sœur Emma, l'un et l'autre en plâtre, en 1848, année où il planta dans la propriété familiale du Colombier à Mouchamps (85), avec son jeune fils, un cèdre de l'Atlas, son « arbre de la Liberté », qui surplombe sa tombe, et, depuis novembre 1929, celle de son fils. Sa mère, Sophie Gautreau (1817 - Hyères, 20 avril 1903), qui lui enseigne le latin (il connaît également le grec), est issue d'une famille de cultivateurs devenus de petits bourgeois, de religion protestante. 

Études et séjour américain

Georges Clemenceau est élève du lycée de Nantes à partir de la classe de 5e en 1852-53. Son professeur de lettres de 5e est Louis Vallez, le père de Jules Vallès. Il effectue une scolarité convenable, obtenant chaque année (sauf en 4e) quelques accessits, et seulement trois prix (récitation classique en 5e, histoire naturelle en rhétorique, version latine en logique). Lors de la remise de ce dernier prix, en 1858, l'année de l'arrestation de son père, il est ovationné par les assistants. À partir de 1883, Clemenceau est un membre-fondateur actif de l'Association des anciens élèves du lycée de Nantes (section parisienne), où il rencontre Boulanger, son condisciple en 1852-1853, mais beaucoup plus âgé (élève de classe préparatoire à Saint-Cyr). Son nom sera donné au lycée dès 1919. Il obtient le baccalauréat ès lettres en 1858. Il s'inscrit ensuite à l'école de médecine de Nantes. Après trois années pendant lesquelles il se révèle un étudiant médiocre et dissipé, passant notamment en conseil de discipline, il part en 1861 poursuivre ses études à Paris, où il s'inscrit également en droit.

Il fréquente des cercles artistiques et républicains dans le Quartier latin où il fait connaissance de Claude Monet en 1863. Avec plusieurs camarades (Germain Casse, Jules Méline, Ferdinand Taule, Pierre Denis, Louis Andrieux), il fonde un hebdomadaire, Le Travail, dont le premier numéro paraît le 22 décembre 1861. Zola se joint au groupe afin de soutenir le journal contre la censure. Clemenceau y publie des piques à l'encontre de l'écrivain Edmond About, rallié au régime. La publication prend fin au bout de huit numéros9 : la plupart des membres ont en effet été arrêtés après un appel à manifester place de la Bastille afin de commémorer la Révolution du 24 février 1848. Le 23 février 1862, Clemenceau est envoyé pour 73 jours à la prison Mazas. « Quand on a l'honneur d'être vivant, on s'exprime ! ». Libéré, il rend visite à son ami Ferdinand Taule, détenu à Sainte-Pélagie9, où il rencontre Auguste Blanqui, alias « l'Enfermé », avec qui il se lie d'amitié et de complicité, ainsi qu'Auguste Scheurer-Kestner, personnage central de la défense de Dreyfus. En 1896, il honore Blanqui en parlant de « cette vie de désintéressement total […] [qui] ne découragera que les lâches du grand combat pour la justice et pour la vérité ».

Durant ses années d’études, Clemenceau participe à la création de plusieurs autres revues et écrit de nombreux articles avec son ami Albert Regnard. Après avoir effectué des stages à l'hôpital psychiatrique de Bicêtre, puis à La Pitié, il obtient le doctorat en médecine le 13 mai 1865 avec une thèse intitulée De la génération des éléments anatomiques, sous la direction de Charles Robin, un matérialiste ami d'Auguste Comte. Sa thèse reprend les idées de Robin, qui est un adversaire du catholique bonapartiste Pasteur. Elle est ensuite publiée chez Jean-Baptiste Baillière en échange de la traduction par Clemenceau d’Auguste Comte and Positivism de J. S. Mill. Plus tard, lorsque Pasteur sera devenu célèbre, Clemenceau reconnaitra de bonne grâce son erreur. À la suite d'un dépit amoureux avec Hortense Kestner, la belle-sœur de son ami Auguste Scheurer-Kestner, le 25 juillet 1865, il s’embarque, d'abord pour l'Angleterre, où son père le présente à Mill et Spencer, puis pour les États-Unis, qui sortent à peine de la guerre de Sécession. Il trouve un poste d’enseignant dans un collège pour jeunes filles à Stamford (Connecticut) où il donne des cours de français et d’équitation. Il devient également correspondant du journal Le Temps.

Clemenceau s’éprend alors d’une de ses élèves, Mary Plummer (1848-1922), qu’il épouse civilement le 20 juin 18699 et avec qui il a ensuite trois enfants : Madeleine (née le 2 juin 1870), Thérèze Juliette (née le 18 juin 1872) et Michel William Benjamin (né le 24 novembre 1873). Sa femme ayant une liaison avec son jeune secrétaire précepteur des enfants, il fait constater l'adultère et l'envoie brutalement quinze jours dans la prison Saint-Lazare pour adultère (alors qu'il a eu lui-même de nombreuses liaisons féminines) et pendant cette incarcération demande le divorce qu'il obtient en 1891, avant de la renvoyer brutalement aux États-Unis avec un billet de troisième classe, ayant obtenu qu'elle perde la garde de ses enfants et la nationalité française. Revenue vivre en France, mais restée perturbée psychologiquement par ces évènements conjugaux, l'ex-Madame Georges Clemenceau meurt seule, le 13 septembre 1922, dans son appartement parisien du 208, rue de la Convention. Clemenceau l'annonce ainsi à son frère Albert : « Ton ex-belle-sœur a fini de souffrir. Aucun de ses enfants n'était là. Un rideau à tirer. » (lettre du 27 septembre 1922 dans sa Correspondance 1858-1929, p. 639). De ce séjour américain, il tire un bilinguisme franco-anglais rare à l'époque et une familiarité avec les cercles anglo-saxons. 

Lloyd George, Orlando; Georges Clemenceau et Woodrow Wilson : les signataires du Traité de Versailles

Lloyd George, Orlando; Georges Clemenceau et Woodrow Wilson : les signataires du Traité de Versailles

Débuts dans le camp républicain

Effondrement de l'Empire

Le 26 juin 1869, il est de retour en France avec sa femme. Son voyage aux États-Unis lui aura fait découvrir la démocratie américaine — il admire la procédure d'impeachment — et lui laisse un goût durable pour la philosophie et la littérature anglo-saxonne. Dès que la guerre franco-prussienne éclate, il quitte sa femme et son nouveau-né, Madeleine, pour se rendre à Paris, où il arrive début août 1870. À la suite de la défaite de Sedan, le 2 septembre 1870, il prend une part active, avec ses amis Arthur Ranc et Edmond Adam, à la « journée du Quatre Septembre » au cours de laquelle est proclamée la République. Formé le jour même, le gouvernement de la Défense nationale nomme Étienne Arago maire de Paris, qui lui-même nomme des maires provisoires dans les différents arrondissements. Arago cherchant des républicains sûrs nomme Clemenceau, – introduit auprès d'Arago par son père – à la tête de la mairie du XVIIIe arrondissement. Il rencontre alors l'anarchiste Louise Michel, institutrice du quartier, et permet à Blanqui de devenir commandant du 169e bataillon de la garde nationale de Paris, alors que le siège de Paris commence le 19 septembre 1870. Fin octobre, les Parisiens se révoltent en apprenant la reddition à Metz du maréchal Bazaine et l'envoi par le gouvernement provisoire conservateur d'Adolphe Thiers à Versailles, pour négocier l'armistice avec Bismarck

Pour le républicain farouchement antimonarchiste qu'est Clemenceau, c'est une provocation : il fait placarder des affiches annonçant son refus d'une telle « trahison ». Le jour même, la Garde nationale des quartiers populaires organise un soulèvement afin de prendre l'Hôtel de Ville. La Garde nationale des quartiers bourgeois, emmenée par Jules Ferry, s'y oppose et empêche le coup de force. Cet épisode va faire de Clemenceau et Ferry des rivaux acharnés. Désavoués pour leur complicité avec les révolutionnaires, Arago démissionne, suivi de Clemenceau. Le gouvernement obtient la confiance des Parisiens par le plébiscite du 3 novembre, et organise des élections municipales le 5 novembre. Clemenceau est élu dans le 18e arrondissement. Il est cependant destitué le 22 janvier 1871, jour d'une manifestation à l'Hôtel de Ville, pour avoir demandé, avec d'autres maires d'arrondissement réunis par Jules Favre, la démission du général Trochu. L'armistice, refusé par Clemenceau et le peuple parisien, est signé six jours plus tard. Le 8 février, ayant refusé l'offre de Gambetta de devenir préfet du Rhône, il est élu député de la Seine (en 27e position) au sein de la nouvelle Assemblée nationale. Il figure alors sur les listes électorales de l'Union républicaine, s'opposant à la paix léonine avec Bismarck, aux côtés de Victor Hugo, Garibaldi, Gambetta, Courbet, Louis Blanc, etc.. 

De la Commune au conseil municipal de Paris

Début mars 1871, Clemenceau est à Paris. Le 1er mars 1871, il appelle ses concitoyens à s'abstenir de toute violence lors de l'entrée des Prussiens dans la ville. Lors du soulèvement du 18 mars 1871, accompagné du capitaine Mayer et Sabourdy, il tente de sauver de la foule les généraux Thomas et Lecomte. Le soir, le Comité central de la garde nationale a pris le pouvoir à Paris, et décide l'organisation d'élections municipales. Deux jours plus tard, à l'Assemblée réunie à Versailles, Clemenceau dépose, avec 18 députés républicains, un projet de loi afin d'organiser l'élection d'un conseil municipal de 80 membres à Paris, « qui aura le titre et exercera les fonctions de maire de Paris ». Il navigue ainsi entre le gouvernement de Thiers et la Commune de Paris, tentant de concilier les camps ennemis, ce qui lui attire l'inimitié des deux parties. Les communards, à qui il reproche d'être sortis de la légalité, le font ainsi démissionner de sa fonction de maire le 22 mars, le remplaçant par un délégué du Comité central. Ce dernier organise des élections municipales le 26 mars 1871, au cours desquelles Clemenceau n'obtient que 752 voix sur 17 443 votants.

Minoritaire, il démissionne de son poste de conseiller municipal et de député la veille de la proclamation de la Commune, et fonde avec d'anciens maires la Ligue d'union républicaine des droits de Paris, qui tente de négocier avec les deux camps. Il quitte Paris le 10 mai 1871 afin de rejoindre le congrès des municipalités à Bordeaux, interdit par le gouvernement Thiers. Devant cet échec, il tente de revenir à Paris, mais ne peut entrer dans la ville, soumise à l'attaque sanglante du gouvernement Thiers. Soupçonné de connivence avec la Commune, il se rend clandestinement en Vendée, puis à Belfort et Strasbourg annexé, avant de retourner à Paris le 15 juin 1871. Battu aux élections complémentaires du 2 juillet 1871, il se fait élire conseiller municipal de Paris le 30 juillet 1871, à Clignancourt. En 1872, il se bat en duel avec Poussargues, ce qui lui vaut 15 jours avec sursis et 25 francs d'amende. Il est réélu lors des élections municipales de novembre 1874. Le 29 novembre 1875, il est élu président du conseil municipal de Paris par 39 voix sur 54 suffrages. Il déclare : « Le caractère dominant de notre politique municipale […] c'est d'être profondément imbue de l'esprit laïque, c'est-à-dire que, conformément aux traditions de la Révolution française, nous voudrions séparer le domaine de la Loi, à qui tous doivent obéissance, du domaine du Dogme, qui n'est accepté que par une fraction seulement des citoyens. »

Député radical de la Seine puis du Var

Son élection, le 20 février 1876, comme député de Paris à la Chambre des députés marque son émergence sur la scène nationale. Il est élu dans le 18e arrondissement dès le premier tour avec 15 000 voix contre 3 700 pour son rival. Refusant alors aussi bien les institutions de la présidence de la République et du Sénat que le cumul des mandats, il démissionne de son poste de président du conseil municipal le 24 avril 1876. Clemenceau s'impose par son verbe comme le chef incontesté des républicains radicaux (qui ne sont pas encore constitués en parti) et de l’opposition d’extrême gauche aux Opportunistes, emmenés par Gambetta. L'écrivain Julien Gracq parle a posteriori de son « agressivité pure, gratuite, incongrue », de cette « personnalité aux arêtes tranchantes comme un rasoir ». Il lutte alors pour l'amnistie des « Communards », la révision des lois constitutionnelles de 1875 rédigées par les républicains opportunistes et les orléanistes, la laïcité et, 30 ans avant la loi de 1905, la séparation de l’Église et de l’État. 

Lutte pour l'amnistie

Dès son discours du 16 mai 1876 à la Chambre, il se fait remarquer par son éloquence, qu'il met au service de l'amnistie. Raspail, Lockroy et lui, ainsi que Victor Hugo au Sénat, s'unissent dans ce combat, mais ils sont minoritaires face aux opportunistes, qui, derrière Gambetta et Jules Méline, soutiennent une amnistie partielle. Ils relancent le combat pour l'amnistie trois ans plus tard. Au gouvernement Waddington qui veut exclure de celle-ci ceux qui « se déclarent les ennemis de la société », Clemenceau rétorque, suscitant les rires de la Chambre : « À quel signe, à quel critérium, on reconnaît un ennemi de la société : M. le duc de Broglie est un ennemi de la société aux yeux de M. Baudry d'Asson, et moi je tiens M. Baudry d'Asson pour un ennemi de la société. Nous sommes ainsi 36 millions d'ennemis de la société qui sommes condamnés à vivre dans la même société (Nouveaux rires). »

Le projet est cependant rejeté. Il soutient alors, avec quelques amis, et incognito, la candidature à la députation de Blanqui, détenu à la maison centrale de Clairvaux. Celui-ci est élu le 20 avril 1879 ; sa situation d'inéligibilité permet à Clemenceau de relancer la bataille pour l'amnistie. En 1880, la démission du maréchal Mac-Mahon, ultime épisode de la crise du 16 mai 1877 (où il est l'un des signataires du manifeste des 363), son remplacement par Jules Grévy, et le résultat des élections sénatoriales permettent finalement à Clemenceau d'arriver à ses fins : l'amnistie pleine et entière est votée. 

Rupture avec Gambetta et discours de Marseille

Après que les républicains se sont scindés entre radicaux et « opportunistes », Clemenceau attaque férocement ces derniers pour leur timidité et leur pragmatisme. Il contribue ainsi à la démission du ministre de l'Intérieur Marcère en mars 1879, provoquée par un scandale de police : à cette occasion, qui signe la rupture avec Gambetta, Clemenceau réclame l'épuration des cadres de police hérités du Second Empire. Son discours de Marseille du 28 octobre 1880, qui reprend le programme de Belleville de Gambetta (1869), blâme ainsi l'opportunisme qui vise à « ajourner » les réformes dans le cadre de la « République victorieuse des monarchistes ». Il y réclame la séparation des Églises et de l'État, la confiscation des biens des congrégations, la suppression du Sénat, l'élection des magistrats, l'autonomie municipale, l'impôt sur le revenu, la limitation de la durée légale de la journée de travail, la retraite des vieux travailleurs, la responsabilité des patrons en cas d'accident, le rétablissement du divorce et la reconnaissance du droit syndical, ainsi que l'interdiction du travail pour les enfants en dessous de 14 ans, la liquidation des grandes compagnies de chemin de fer, des canaux et des mines.

À l'occasion d'une interpellation du jeune socialiste Alexandre Avez, il critique cependant le « collectivisme » et la socialisation des moyens de production. Lors de ce discours, prononcé le 11 avril 1880 au cirque Fernando à Paris, il rétorque à Avez : « il y a aussi des jésuites rouges ». Le quotidien centriste Le Temps remarque : « Quelque avancé que l'on soit, on se trouve toujours être le réactionnaire de quelqu'un. » Bien que siégeant toujours à l'extrême gauche, il incarne ainsi une voie médiane entre le socialisme émergeant et l'opportunisme. Lors des débats sur la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, il tente de s'opposer à l'institution d'un délit d'outrage au président de la République, qu'il considère comme une forme de censure. De même, il se moque en février 1881 du délit de diffamation. Il tente également d'autoriser les assemblées non permanentes lors des débats sur la liberté de réunion, alors que le projet de loi maintient l'interdiction sur les clubs politiques. Concernant les lois Jules Ferry, il s'oppose radicalement à une loi sur l'éducation obligatoire qui n'inclurait pas le caractère laïque de l'éducation publique, considérant l'éducation obligatoire dans des écoles religieuses comme contraire à la liberté de conscience.

Durant ce mandat, il a ainsi voté pour les poursuites judiciaires contre les responsables du 16 mai (Mac Mahon, etc.) ; pour la révision des lois constitutionnelles de 1875 proposée par la commission Barodet ; pour l'élection des magistrats ; pour la séparation des Églises et de l'État ; pour l'amnistie des Communards ; pour l'instruction laïque ; pour le service militaire réduit à 3 ans ; pour la fin de l'exemption du service militaire pour les séminaristes ; pour la diminution du traitement des cardinaux, archevêques et évêques ; pour la suppression de l'ambassade au Vatican ; pour le rétablissement du divorce ; pour la liberté d'association et la liberté de réunion ; contre l'interdiction des clubs ; pour la liberté de la presse ; pour la loi visant à protéger les employés des chemins de fer contre les grandes compagnies ; pour la journée de 10 heures maximum ; pour la reconnaissance des syndicats ; pour le scrutin de liste ; pour les poursuites contre le préfet de police Andrieux. Pour asseoir davantage son influence, il fonde avec le jeune Stephen Pichon un journal, La Justice, qui paraît pour la première fois le 13 janvier 1880. Le rédacteur en chef en est Camille Pelletan. Malgré un tirage relativement faible et un échec économique durable, le quotidien bénéficie d'une certaine audience dans les milieux politiques. 

Débats avec Jules Ferry sur le colonialisme

Réélu aux législatives de 1881, à la fois dans les deux circonscriptions du 18e arrondissement où il s'est présenté et à Arles, où les républicains locaux lui ont demandé de se présenter, Clemenceau acquiert pour sa férocité le surnom de « Tigre », un animal qu'il disait ne pas aimer (« Tout en mâchoire et peu de cervelle. Cela ne me ressemble pas »), et une réputation de « tombeur de ministères » grâce notamment à ses talents d'orateur redouté pour son ironie et sa férocité verbale. Intransigeant face aux opportunistes, il fait en effet tomber plusieurs ministères successifs, avec l'appoint de voix de droite. « Je n'ai pourtant jamais démoli qu'un seul ministère, dit-il pour sa défense, puisque c'était toujours le même. » Lors du discours de Salerne en 1893, il déclare : « Ce qu’on ne dit pas c’est que les modérés ont, à travers tout, sous des noms divers, maintenu les mêmes hommes et la même politique d’atermoiement. Ce qu’on ne dit pas, c’est que, rencontrant un cabinet radical, les modérés ne se sont pas fait faute de s’unir à la droite pour le renverser. Ainsi se retourne contre eux un de leurs principaux griefs contre nous. »

Dès novembre 1881, il attaque le cabinet Ferry à propos de l'expédition tunisienne qui a abouti à l'instauration d'un protectorat (traité du Bardo), considérant qu'elle ne résulte que de l'action d'hommes « qui veulent faire des affaires et gagner de l'argent à la Bourse ! » Il dépose une motion proposant une enquête sur les causes de l'expédition, la droite déposant une motion rivale accusant le gouvernement « d'avoir trompé les Chambres et le pays ». Incapable de faire voter l'ordre du jour, Ferry démissionne et laisse la place au gouvernement Gambetta. Deux mois plus tard, en janvier 1882, l'action de Clemenceau en faveur de la révision intégrale de la Constitution contribue à la démission du ministère Gambetta, remplacé par le cabinet Freycinet. En incitant les députés à refuser le vote d’un budget pour une intervention militaire sur le canal de Suez, ce qui est fait le 29 juillet 1882, il pousse également Freycinet à la démission. En février 1883, Jules Ferry forme son deuxième cabinet, appuyé sur une coalition centriste (Union républicaine et Gauche républicaine). Clemenceau et les radicaux se sont déjà opposés à Ferry lorsqu'il était au ministère de l'Instruction publique (1879-80 et 1882), l'accusant de timidité dans la mise en œuvre des réformes républicaines.

Le mouvement ouvrier et socialiste commence à s'organiser, contestant le radicalisme « vieille école » de Clemenceau : en 1882, Jules Guesde fonde le Parti ouvrier français, tandis que les anarchistes se manifestent, pas seulement par la « propagande par le fait », dénoncée dès 1887 par Kropotkine, mais surtout avec la mise en place des Bourses du travail. Lors des débats sur l'autorisation des syndicats (loi Waldeck-Rousseau votée en mars 1884), Clemenceau rétorque à Ferry, en janvier 1884 : « C'est l'État qui doit intervenir directement pour résoudre le problème de la misère, sous peine de voir la guerre sociale éclater au premier jour. » Durant l'été 1884, alors qu'on débat de la révision constitutionnelle, Clemenceau prône l'abolition du Sénat et la suppression de la présidence de la République53. Il échoue, la loi du 9 décembre 1884 se limitant à une simple réforme du Sénat. La même année, il se rend avec une délégation radicale à Marseille lors de l'épidémie de choléra, faisant la connaissance de l'équipe du journal Le Petit Var. Son combat contre Jules Ferry aboutit le 30 mars 1885 à la démission de ce dernier sur l'affaire du Tonkin. La Chambre, en particulier la droite et l'extrême gauche, refuse de voter une rallonge de 200 millions de francs pour les troupes françaises au Tonkin attaquées par l’armée chinoise. Le 9 juin 1885, le second traité de Tien-Tsin confirme cependant l'occupation française. Le succès initial de la colonisation française dans les décennies suivantes pousse nombre d'historiens et membres du « parti colonial » à critiquer Clemenceau pour son « aveuglement ». La décolonisation n'est à l'ordre du jour que 70 ans plus tard.

Le débat avec Ferry rebondit le mois qui suit sous le cabinet Brisson, alors que Ferry défend l'expédition de Madagascar. De nouveau, Clemenceau s'oppose farouchement à la colonisation, refusant tout impérialisme au nom du respect envers les autres peuples et civilisations56 ; il s'oppose par ailleurs à une « politique aventuriste » et du « fait accompli », faite au profit d'une camarilla d'hommes d'affaires, le célèbre « parti colonial » ; il défend enfin la nécessité de préparer la France face à l'Allemagne. Le 28 juillet 1885, Ferry invoque à la Chambre le « devoir » qu'ont les « races supérieures » de « civiliser les races inférieures », s'appuyant sur un type de discours alors à la mode, ainsi que la nécessité de trouver des débouchés commerciaux et de ne pas laisser le champ libre aux autres puissances européennes. Clemenceau lui répond vigoureusement : « Les races supérieures ont sur les races inférieures un droit qu'elles exercent et ce droit, par une transformation particulière, est en même temps un devoir de civilisation. Voilà, en propres termes, la thèse de M. Ferry et l'on voit le gouvernement français exerçant son droit sur les races inférieures en allant guerroyer contre elles et les convertissant de force aux bienfaits de la civilisation. Races supérieures ! Races inférieures ! C'est bientôt dit. Pour ma part, j'en rabats singulièrement depuis que j'ai vu des savants allemands démontrer scientifiquement que la France devait être vaincue dans la guerre franco-allemande, parce que le Français est d'une race inférieure à l'Allemand. Depuis ce temps, je l'avoue, j'y regarde à deux fois avant de me retourner vers un homme et vers une civilisation et de prononcer : homme ou civilisation inférieure !

Race inférieure, les Hindous ! Avec cette grande civilisation raffinée qui se perd dans la nuit des temps ! Avec cette grande religion bouddhiste qui a quitté l'Inde pour la Chine, avec cette grande efflorescence d'art dont nous voyons encore aujourd'hui les magnifiques vestiges ! Race inférieure, les Chinois ! Avec cette civilisation dont les origines sont inconnues et qui paraît avoir été poussée tout d'abord jusqu'à ses extrêmes limites. Inférieur Confucius ! Je ne veux pas juger au fond la thèse qui a été apportée ici et qui n'est autre chose que la proclamation de la puissance de la force sur le Droit. L’histoire de France depuis la Révolution est une vivante protestation contre cette inique prétention. C'est le génie même de la race française que d'avoir généralisé la théorie du droit et de la justice, d'avoir compris que le problème de la civilisation était d'éliminer la violence des rapports des hommes entre eux dans une même société et de tendre à éliminer la violence, pour un avenir que nous ne connaissons pas, des rapports des nations entre elles. Vous nous dites : « Voyez, lorsque les Européens se sont trouvés en contact avec des nations que vous appelez barbares – et que je trouve très civilisées -, n’y a-t-il pas eu un grand développement de moralité, de vertu sociale ? » En êtes-vous sûr ? Regardez l'histoire de la conquête de ces peuples que vous dites barbares et vous y verrez la violence, tous les crimes déchaînés, l'oppression, le sang coulant à flots, le faible opprimé, tyrannisé par le vainqueur ! Voilà l'histoire de votre civilisation ! Prenez-la où vous voudrez et quand vous voudrez, et vous verrez combien de crimes atroces, effroyables ont été commis au nom de la justice et de la civilisation. Je ne dis rien des vices que l'Européen apporte avec lui : de l'alcool, de l'opium qu'il répand, qu'il impose s'il lui plaît. Et c'est un pareil système que vous essayez de justifier en France dans la patrie des droits de l'homme ?

[...] Je ne comprends pas que nous n'ayons pas été unanimes ici à nous lever d'un seul bond pour protester violemment contre vos paroles. Non, il n'y a pas de droit des nations dites supérieures contre les nations inférieures. Il y a la lutte pour la vie qui est une nécessité fatale, qu'à mesure que nous nous élevons dans la civilisation nous devons contenir dans les limites de la justice et du droit. Mais n'essayons pas de revêtir la violence du nom hypocrite de civilisation. Ne parlons pas de droit, de devoir. La conquête que vous préconisez, c'est l'abus pur et simple de la force que donne la civilisation scientifique sur les civilisations rudimentaires pour s'approprier l'homme, le torturer, en extraire toute la force qui est en lui au profit du prétendu civilisateur. Ce n'est pas le droit, c'en est la négation. Parler à ce propos de civilisation, c’est joindre à la violence, l’hypocrisie » Le 30 juillet 1885 à la Chambre, il répond une nouvelle fois à la politique défendue par Jules Ferry : « Pendant que vous êtes perdus dans votre rêve colonial, il y a à vos pieds des hommes, des Français, qui demandent des dépenses utiles, fructueuses au développement du génie français et qui vous aideront en augmentant la production, en la faisant à meilleur compte, à trouver ces fameux débouchés que vous fermez par vos expéditions guerrières ! [Très bien ! très bien ! Applaudissements sur divers bancs]. Il y a la question politique. On n’en a rien dit, on l’a oubliée, elle a disparu des préoccupations de M. Jules Ferry. Mais elle subsiste, vous êtes en face d’un pays où se dressent les problèmes les plus graves pour une nation, à savoir comment vous pouvez organiser un gouvernement régulier fondé sur le principe de la Liberté. Depuis cent ans tous nos gouvernements sont venus échouer contre la Révolution. Réussirons-nous à organiser, à régler l’évolution pacifique au grand bénéfice de tous ?

Quand un homme d'État ose même regarder en face une pareille œuvre, lorsqu'il ne trouve rien à conseiller à une nation, sinon de partir en guerre aux quatre coins du monde, s'il ne comprend pas que la première condition du progrès qu'il veut servir, c'est la paix, s'il formule une doctrine de guerre, c'est peut-être un grand homme dans le sens vulgaire du mot, ce n'est pas un démocrate ! » Plus tard, s'appuyant sur l'exemple de la Cochinchine, Clemenceau conteste (rejoignant en cela la position de Thiers et de la droite de cette époque) le profit économique qu'apporterait la colonisation (« pour refaire la France vaincue, ne pas gaspiller son sang et son or dans des expéditions sans profit », proclame-t-il lors du discours de Salerne de 1893). Plutôt que de diffuser la « civilisation française » dans le monde, il préconise de lutter contre la misère en France et de faire avancer les droits sociaux. 

Vague boulangiste

Les élections d'octobre 1885 marquent un progrès important des monarchistes alors que la Grande dépression s'abat sur la France. Clemenceau, mis en ballotage, est élu à la fois à Paris et dans le Var où le modéré Jules Roche s'est désisté par discipline républicaine, permettant à la liste radicale de l'emporter. Clemenceau opte pour le Var (circonscription de Draguignan), département dont la population vote de plus en plus à gauche. Majoritaire, la gauche est cependant divisée entre les modérés de l'Union républicaine et de l'Union démocratique et l'extrême-gauche, incluant la Gauche radicale, dont fait partie Clemenceau. En 1886, le général Boulanger, ancien condisciple de Clemenceau au lycée de Nantes, est nommé Ministre de la Guerre dans le cabinet Freycinet, ce qui est considéré comme un geste des modérés vis-à-vis de Clemenceau. Effectivement, Boulanger, républicain et patriote, applique de manière étendue la loi du 22 juin 1886 interdisant aux membres des familles ayant régné sur la France de servir dans l'armée. Opposé au colonialisme, qu'il considère comme un détournement de l'effort militaire vis-à-vis de Bismarck, et préparant la professionnalisation de l'armée, il plaît alors à Clemenceau, qui reste cependant circonspect.

Lors de l'affaire Schnæbelé (1887), Boulanger consulte Clemenceau, qui lui conseille d'agir avec fermeté sans tomber dans la provocation lancée par Bismarck. C'est le début de la vague boulangiste qui manque d'emporter la République. Appuyé par une coalition hétéroclite de radicaux d'extrême-gauche (L'Intransigeant de Rochefort et La Lanterne de Mayer) et de monarchistes, Boulanger, démis de ses fonctions en tant que ministre à la suite de la chute du cabinet Goblet provoquée par Ferry, puis démis de ses fonctions militaires en mars 1888, se présente successivement à plusieurs élections partielles, se faisant élire puis démissionnant pour se faire élire ailleurs, afin de faire la preuve de sa popularité. Il critique le parlementarisme et appelle à une réforme institutionnelle qui donnerait une grande place au référendum et à ce qu'il appelle la « démocratie directe » (proposition de loi du 4 juin 1888). Les sceptiques, au contraire, dénoncent un risque d'autoritarisme. Fin 1887, le scandale des décorations est utilisé par les boulangistes pour discréditer le régime parlementaire : le président Jules Grévy est contraint de démissionner en décembre 1887.

Les républicains, Jules Ferry en tête, s'inquiètent de cette vague antiparlementaire. Ferry fait l'objet de la colère populaire lors d'une manifestation des 1er et 2 décembre 1887, à laquelle participent des membres de la Ligue des patriotes de Déroulède, des proches de Rochefort, des anarchistes, dont Louise Michel, des blanquistes du Comité central révolutionnaire, etc., qui s'opposent à l'élection à la présidence de Ferry. C'est finalement Sadi Carnot qui est élu. De son côté, Clemenceau semble s'appuyer au début sur la vague boulangiste pour pousser ses propres projets de réforme institutionnelle (abolition du Sénat et de la présidence), avec prudence puisque dès juillet 1887, il critique la manifestation en faveur de Boulanger qui a eu lieu le 14. En mars 1888, tout en s'opposant aux boulangistes, il refuse de voter l'ordre du jour demandé par le cabinet Tirard, composé d'Opportunistes. Il exige en effet des réformes sociales, et pas seulement politiques : selon lui, c'est leur absence qui explique le succès du général. Il vote donc comme les députés boulangistes (Laguerre, ancien collègue de La Justice, ou Michelin). L'ordre du jour est néanmoins voté par 339 voix, contre 82. Selon l'historien Michel Winock : « Au fond, Clemenceau, à la mi-mars 1888, utilise la fièvre boulangiste, sans être boulangiste lui-même, pour aiguillonner le parti républicain, ses hommes au pouvoir et les parlementaires. »

En avril, il s'oppose frontalement à Boulanger, l'accusant de césarisme et de bonapartisme, en somme de représenter un danger pour la République. Le 25 mai 1888, avec Joffrin, Ranc et Lissagaray, il fonde la Société des droits de l'homme et du citoyen, unissant contre la vague boulangiste diverses tendances républicaines, à l'exception des partisans inconditionnels de Ferry, ainsi que certains « possibilistes » (Joffrin) . Lorsque le 4 juin 1888, Boulanger présente à la Chambre son projet de réforme institutionnelle, Clemenceau s'y oppose, déclarant : « je le dis très haut : je suis pour la politique de parti […] Il [Boulanger] ignore apparemment, lui qui essaie de faire un parti, que c'est d'abord un groupement d'idées, que c'est là ce qui, dans tous les pays du monde, constitue un parti […] Lisez l'histoire de la France depuis la Révolution française, et vous verrez que le parti royaliste, que le bonapartisme lui-même, et en tout cas le parti républicain, ont chacun leurs traditions et leurs titres dont ils peuvent se réclamer. Vous croyez qu'ils peuvent disparaître à votre voix […] Le voulussent-ils, ils ne le pourraient pas, et il me sera permis qu'il faut que le parti royaliste ne se sente guère de fierté au cœur pour adhérer à la déclaration que nous avons entendue tout à l'heure […] ces cinq cents hommes qui sont ici, en vertu d'un mandat égal au vôtre, ne s'accordent pas sans discussion. Eh bien, puisqu'il faut le dire, ces discussions qui vous étonnent, c'est notre honneur à tous. Elles prouvent surtout notre ardeur à défendre les idées que nous croyons justes et fécondes. Ces discussions ont leurs inconvénients, le silence en a davantage. […] Si c'est le régime de discussion que vous croyez flétrir sous le nom de parlementarisme, sachez-le, c'est le régime représentatif lui-même, c'est la République sur qui vous osez porter la main. » 

« La Révolution est un bloc »

Aux élections générales de septembre-octobre 1889, le camp républicain s'unit contre la menace boulangiste et la droite. Clemenceau se présente de nouveau à Draguignan. Au premier tour, il obtient 7 500 voix sur 15 400 suffrages exprimés, face au boulangiste Achille Ballière, ex-déporté de Nouvelle-Calédonie, et au radical Louis Martin (3 500 voix). Par discipline républicaine, Martin se désiste et Ballière, bon perdant, se retire, permettant la réélection de Clemenceau le 6 octobre 1889 (9 500 voix sur 10 200 suffrages exprimés, l'abstention ayant augmenté au deuxième tour). Le 29 janvier 1891, à l'occasion d'une interpellation du gouvernement au sujet de l'interdiction de la pièce de Victorien Sardou, Thermidor, Georges Clemenceau affirme, dans un discours resté célèbre, que « la Révolution est un bloc ». Lors de la fusillade de Fourmies du 1er mai 1891, il évoque un « Quatrième État » à propos des ouvriers, et réussit à faire voter l'amnistie des manifestants arrêtés. Avec Millerand et Pelletan, il propose, sans succès, une mesure similaire, à la suite de la grève des mineurs de Carmaux de 1892. 

Clemenceau Georges

Scandale de Panama

En 1892, Clemenceau est mis en cause dans l'affaire de Panama. La première attaque vient de Gaston Calmette qui, le 12 décembre 1892, écrit sous pseudonyme un article dans Le Figaro, dans lequel il monte en épingle une rencontre, la veille de la mort de Jacques de Reinach, avec Clemenceau, Maurice Rouvier et Cornelius Herz. Rouvier avait en fait demandé à Clemenceau d'être son témoin pour cette réunion. Il est ensuite accusé par les boulangistes (Maurice Barrès), les antisémites (notamment La Libre Parole), Ernest Judet, propriétaire de l'influent Petit Journal, dont les attaques sont douteuses (voir ci-dessous la caricature du « pas du commandité » du 19 août 1893), d'avoir frayé avec Cornelius Herz, d'origine juive, qui achetait les votes de certains députés et avait naguère investi dans La Justice. On intente un procès contre Clemenceau, de fausses preuves sont produites mais il est blanchi.

Néanmoins, sa réputation est entachée et la revanche de ses nombreux adversaires est en marche. Le nationaliste Paul Déroulède l'accuse de corruption à la Chambre, le 20 décembre 1892, et le provoque publiquement en duel. Le 22 décembre 1892, aucune des six balles tirées par chacun des adversaires ne fait mouche. Les témoins sont Barrès et Léon Dumonteil pour Déroulède, Gaston Thomson et Paul Ménard-Dorian pour Clemenceau. Le journaliste Édouard Ducret va jusqu'à utiliser un faux pour faire accuser Clemenceau d'intelligence avec l'ennemi, en l'occurrence le Royaume-Uni, avec le relais de Lucien Millevoye. Ce dernier, qui accuse non seulement le député radical, mais également Rochefort, est ridiculisé à la Chambre. Ducret et son complice, l'escroc Louis-Alfred Véron alias « Norton », sont condamnés pour faux et usage de faux. 

Campagne hostile de 1893

Lors de la campagne électorale pour les législatives d'août-septembre 1893, l’opposition utilise abondamment la rhétorique de l’homme vendu aux puissances étrangères, de l’escroc, du parvenu… Il est soumis à une campagne particulièrement haineuse, dépassant de loin le département du Var. Ses ennemis, de gauche et de droite, forment même une Ligue anti-clemenciste, et Engelfred crée le 5 août un nouveau journal, L'Anti-Clemenciste. La presse, nationale et régionale, n'est pas en reste : le Petit Dracénois de Fortuné Rouvier se retourne contre lui tandis que d'autres périodiques poursuivent leur campagne à son encontre : La Cocarde, Le Figaro, Le Petit Marseillais, La Croix, etc. Le Petit Journal, force de frappe journalistique qui tire à un million d'exemplaires, publie en une « Le pas du commandité », un portrait satirique de Clemenceau sur la scène de l'Opéra (allusion à la cantatrice Rose Caron, sa maîtresse) en train de danser avec des ballerines tout en jonglant avec des sacs remplis de livres sterling, « au son d'un orchestre conduit par un Anglais à favoris »72 et au nez crochu, caricature antisémite de Cornelius Herz. Le marquis de Morès, fondateur avec Drumont de la Ligue antisémitique, se présente contre Clemenceau et l'accuse d'être un « agent de l'Angleterre ». En face, Clemenceau est moralement soutenu par Rochefort, Jaurès ou les mineurs de Carmaux. Le 8 août 1893, dans son discours de Salerne, il dénonce « la meute » lancée contre lui et demande : « Où sont les millions ? » Le 20 août 1893, au premier tour, il obtient 6 634 voix : il est le mieux placé des dix candidats, mais en ballottage ; le 3 septembre, il est battu, obtenant 8 610 voix contre 9 503 à l'avocat Joseph Jourdan, soutenu par une coalition hétéroclite de gauche et de droite. 

De l'Affaire Dreyfus au Sénat

Écriture et question sociale

Cet échec électoral force Clemenceau à se mettre en retrait. Il s'appuie sur ses talents d'écriture ainsi que sur sa notoriété pour faire face à ses difficultés financières ; il a en effet des dettes pour La Justice, où il remplace Pelletan à la rédaction en chef à partir d'octobre 1893. Un nouveau duel - il en a eu 12 au total, considérant ceux-ci comme la marque de l’accomplissement de la liberté individuelle garantie par la République - l'oppose à Paul Deschanel, qui l'a de nouveau impliqué, sans preuves, dans l'affaire de Panama, le 27 juillet 1894. Deschanel est légèrement blessé. Clemenceau profite de ce répit pour écrire dans La Justice une série d'articles, rassemblés en 1895 dans La Mêlée sociale, avec une préface qui décrit un processus de civilisation rigoureusement inverse à celui prôné par le darwinisme social ; le jeune Maurras, pas encore devenu royaliste, la dit d'une « tumultueuse beauté ». Il y dénonce les tarifs Méline de 1892 qui protègent les cultivateurs de blé, mais pas, selon lui, les petits propriétaires terriens ni les populations urbaines, assujetties à une hausse des prix. Il ne cesse d'appeler à la réforme sociale, mettant l'accent sur la misère à travers des faits divers ; il reprend, à propos du chômage, la phrase de Marx sur « l'armée de réserve du travail ». Il critique la répression des grèves, fait l'éloge de Louise Michel, critique l'évolution du christianisme, qui, d'« insurrection des pauvres », est devenu un « syndicat des riches ».

Il s'élève contre la propagande par le fait des anarchistes, rappelant une « effroyable histoire de sang, de tortures et de bûchers, auprès desquels la bombe de Vaillant est une plaisanterie d'enfants ! » Il compare la psychologie de ce dernier à celle de Robespierre qui voulait « amener le règne de la vertu sur terre ». Comme Jaurès, il s'oppose aussi à la peine de mort, décrivant par le détail l'exécution d'Émile Henry : « Je sens en moi l'inexprimable dégoût de cette tuerie administrative, faite sans conviction par des fonctionnaires corrects. […] Le forfait d'Henry est d'un sauvage. L'acte de la société m'apparaît comme une basse vengeance. » Il s'oppose aux lois scélérates (1894), prenant la défense de l'ouvrage censuré de l'anarchiste Jean Grave, La Société mourante et l'anarchie. Il s'attaque au libéralisme économique défendu par Léon Say, Yves Guyot et Leroy-Beaulieu : « Qu'est-ce que votre laissez-faire, votre loi de l'offre et de la demande, sinon l'expression pure et simple de la force ? Le droit prime la force : voilà le principe de la civilisation. Dès que nous avons constaté votre loi, à l'œuvre contre sa barbarie. »

Contre l'individualisme libéral et la non-intervention de l'État d'un côté, contre le collectivisme de l'autre, il préconise les réformes sociales et l'impôt sur le revenu et sur la propriété. Il ébauche néanmoins une possibilité d'entente avec Jaurès, affirmant que son programme n'est, en fait, que « la reprise du programme radical-socialiste défendu par La Justice depuis quatorze ans ». Par ailleurs, d'août 1894 à 1902, il écrit dans La Dépêche de Toulouse, contrôlée par Maurice Sarraut, d'abord des chroniques littéraires, puis des articles politiques. Il collabore également au Journal (de 1895 à 1897), à L'Écho de Paris (1897), devient éditorialiste à L’Aurore et à l'hebdomadaire Le Bloc. Il publie des recueils d'articles : Le Grand Pan (1896), dans lequel il fait l'apologie du paganisme précédant le judéo-christianisme ; Au fil des jours (1900) et Les Embuscades de la vie (1903). Il s'essaie même au roman, avec Les Plus Forts (1898). Ses essais littéraires, qui ne remportent guère de succès populaire, sont raillés par Maurice Barrès, Charles Maurras étant plus indulgent. En revanche, Léon Blum est élogieux pour Le Grand Pan ainsi que pour son roman. Il écrit aussi une pièce de théâtre, Le Voile du bonheur, jouée au théâtre Récamier en 1901, mais sans grand succès. 

Défenseur du capitaine Dreyfus

L'affaire Dreyfus permet à Clemenceau de revenir au premier plan. Entré comme rédacteur à L’Aurore en octobre 1897, il n’est pas au départ convaincu de l’innocence du capitaine Dreyfus, condamné au bagne en 1894. Approché par Mathieu Dreyfus, par Lucien Herr, le bibliothécaire de l'École normale supérieure, et par son ami Arthur Ranc, il entre progressivement dans l'Affaire. Ranc l'envoie chez son vieil ami, dont il s'était éloigné, Auguste Scheurer-Kestner, vice-président du Sénat, qui a eu connaissance par Me Leblois du témoignage du lieutenant-colonel Picquart innocentant Dreyfus et accusant Esterhazy. Sans se prononcer sur l'innocence de Dreyfus, Clemenceau s'indigne contre le refus de transmettre les pièces du dossier à l'avocat de la défense, et réclame la révision du procès sur cette base. Loin de considérer que cela déshonore l'armée, il s'étonne au contraire que l'armée puisse ne pas être soumise à la justice ; il commence aussi à prendre conscience du rôle de l'antisémitisme. C’est l’acquittement d'Esterhazy, le 11 janvier 1898, qui déclenche la crise ; le 13 janvier, Zola publie « J'accuse… ! », dont le titre a été trouvé par Clemenceau.

Georges Clemenceau lui dédicace ainsi l'Iniquité : « À Zola, pour l'avoir suivi dans la bataille ». La même année, il publie un ouvrage sur les mœurs de la communauté juive de Galicie, Au pied du Sinaï, qui, malgré les poncifs (« nez crochus », « maîtres du monde », « Juif crasseux »), s'achève sur une note conciliante. Il plaide ensuite, aux côtés de son frère Albert, avocat, dans le procès intenté à Zola et au journal. Le 23 janvier 1898, il lance le néologisme d'intellectuel : « N'est-ce pas un signe, tous ces intellectuels, venus de tous les coins de l'horizon, qui se groupent sur une idée et s'y tiennent inébranlables ? » Provoqué par Édouard Drumont, il défie celui-ci en duel le 26 février 1898. Le duel a été provoqué par un article comportant notamment les mentions suivantes : « Je suis trop modeste, monsieur, pour prétendre que mes services militaires égalent ceux de tant de généraux et de tant d'officiers d'élite que Zola traîne dans la boue aux applaudissements de votre bande. Ils me donnent le droit, cependant, d'exprimer mon mépris pour l'homme qui ne s'est aperçu qu'il y avait une armée française que lorsqu'il a éprouvé le besoin de cracher dessus. [...] Vomi par vos électeurs et redevenu journaliste, vous vous êtes fait le défenseur du traître Dreyfus. Vous êtes un misérable, évidemment, mais dans votre genre, vous avez au moins le mérite d'être complet. » — Édouard Drumont

Clemenceau, tireur reconnu et se sachant opposé à un myope, choisit le pistolet comme arme du duel. Toutefois, aucune des trois balles tirées par chacun des deux adversaires, situés à vingt pas de distance l'un de l'autre, n'atteindra sa cible. Absorbé par l'Affaire, il décline la proposition qui lui est faite de se présenter dans le Var pour les législatives de mai 1898. Depuis décembre 1897, il publie sans relâche : près de 700 articles dreyfusards85 publiés entre 1899 et 1903 sont réunis en sept volumes (L'Iniquité, La Honte, etc.), articles qui sont des succès populaires, permettant au « Tigre » de rembourser la plupart de ses dettes. Malgré la réticence de son directeur Arthur Huc, il écrit également dans La Dépêche. C'est après la lecture publique des preuves alléguées contre Dreyfus, par le ministre de la Guerre Godefroy Cavaignac, le 7 juillet 1898, qu'il acquiert l'intime conviction de l'innocence du capitaine, sans toutefois changer sa ligne de défense. Cloué au lit par une bronchite contractée à la station thermale de Carlsbad, il ne peut assister au procès de révision en août-septembre 1899 à Rennes, ouvert peu après la formation du gouvernement de Défense républicaine de Waldeck-Rousseau. Il recommande alors d'attaquer frontalement les militaires, ce qui n'est pas suivi par Me Demange. 

En septembre 1899, alors que Dreyfus a été de nouveau condamné pour trahison, mais avec circonstances atténuantes — jugement dont Clemenceau moque l'incohérence —, Waldeck-Rousseau envoie le ministre Millerand proposer à l'équipe dreyfusarde d'accepter de demander une grâce présidentielle. Contrairement à Jaurès, Clemenceau y est opposé, préférant la justice et la reconnaissance de droit de l'innocence de Dreyfus plutôt qu'un acte de clémence : dans une lettre à Me Labori, il avait souligné : « Dreyfus n'est ici qu'un protagoniste symbolique. Il faut sauver tout ce que représente l'innocence aux abois. » Cependant, interrogé par Mathieu Dreyfus, qui refuse de demander la grâce sans l'unanimité de l'équipe dreyfusarde, il lui laisse le champ libre. Le président Loubet signe le décret de grâce le 19 septembre 1899. Cinq jours plus tard, Clemenceau réitère ses convictions : « Oh! je n'ignore pas qu'on va poursuivre la réhabilitation de Dreyfus devant la Cour de cassation. […] Mais au-dessus de Dreyfus — je l'ai dit dès le premier jour — il y a la France, dans l'intérêt de qui nous avons d'abord poursuivi la réparation du crime judiciaire. La France à qui les condamnations de 1894 et de 1899 ont fait plus de mal qu'à Dreyfus lui-même. »

Dreyfus est réhabilité, le 12 juillet 1906 par un pourvoi en cassation ; ainsi, comme le préconisait l'avocat à la défense Me Henri Mornard, le conseil de guerre de Rennes a été annulé sans renvoi : « attendu en dernière analyse que de l'accusation portée contre Dreyfus rien ne reste debout » ; il est décoré le même jour par le général Gillain. Georges Clemenceau s'oppose à la loi d'amnistie du 14 décembre 1900, qui concerne aussi bien le général Mercier que Picquart et Zola. En décembre 1899, Clemenceau quitte L’Aurore, indigné par un article d'Urbain Gohier qui se vantait d'avoir à lui seul défendu Dreyfus. Il crée alors un nouvel hebdomadaire, Le Bloc, qu'il rédige quasiment en entier80. Il s'attaque à nouveau au colonialisme, s'intéressant en particulier au cas de l'Indochine, et critiquant au passage les missionnaires. Ce journal paraît jusqu’au 15 mars 1902. 

Lutte contre le cléricalisme et le colonialisme au Sénat

Après dix ans d'absence, son retour à la vie parlementaire s'appuie sur ses nombreuses amitiés, mais aussi sur les résultats de ses campagnes d'agitation en faveur d'Alfred Dreyfus. Lorsqu'une place de sénateur inamovible se libère, ce qui provoque une élection partielle dans le Var, nombreux sont ceux qui l’incitent à poser sa candidature et se déclarent prêts à la soutenir. Réticent au départ, Clemenceau se laisse finalement convaincre par son éditeur, Stock, et surtout la délégation varoise menée par le maire de Draguignan93. Une autre raison est que le général Mercier, ennemi acharné lors de l'affaire Dreyfus, s'est fait élire sénateur. La décision du Tigre est saluée par Jaurès. Bien que Clemenceau ait affirmé antérieurement son radicalisme et son socialisme, il reste à l'écart du nouveau Parti radical-socialiste, créé en 1901, ce qui ne l'empêche pas d'être soutenu dans le Var par les radicaux d'une part, des républicains indépendants d'autre part. Le 6 avril 1902, le radical hostile au bicamérisme, qui dénonçait le Sénat comme une institution antirépublicaine vingt ans plus tôt, est élu avec 344 voix sur 474 votants, contre 122 pour son rival, un conseiller général radical-socialiste. Les législatives d'avril-mai 1902 voient la victoire du Bloc des gauches et la formation du cabinet Emile Combes.

Après la réaction cléricale et militariste provoquée par l'Affaire Dreyfus, l'ordre du jour républicain n'est autre que la séparation des Églises et de l'État, appelée de ses vœux par le Tigre depuis des décennies. Cependant, dès la rentrée, son discours du 30 octobre 1902 étonne l'assemblée. Constituant selon l'historien Michel Winock « une des bases de la philosophie républicaine en matière de laïcité et d'éducation », ce discours critique férocement la « politique romaine » et le « gouvernement romain », distingué de la « religion catholique romaine », ces deux composantes formant l'« Église romaine ». Alors que la loi 1901 sur les associations visait uniquement les congrégations religieuses non autorisées, il pourfend la « théocratie » catholique et réclame la « suppression pure et simple au nom de la liberté » des « congrégations religieuses », « législativement » supprimées depuis 1790 : « Retirés du monde, les moines sont partout répandus dans le monde. La congrégation plonge ses racines dans tous les compartiments de l'État, dans toutes les familles. Et de toute sa puissance, elle enserre pour notre malheur cette société moderne, ce progrès, ce libéralisme que le Syllabus a condamné. »

Il défend cependant la « liberté d'enseignement », contestant, à l'encontre de Ferdinand Buisson (qu'il cite) et de la gauche républicaine, l'intérêt pour l'État du monopole de l'éducation : « l'État, au lieu de s'immobiliser dans le monopole, recevra de ses concurrents l'impulsion nécessaire à son propre développement d'éducateur. » Le Temps s'alarme de ce regain de jacobinisme tandis que Péguy, pas encore converti, publie ce discours dans les Cahiers de la quinzaine, avec le titre : « Discours pour la liberté ». Il participe finalement à la chute du cabinet Combes, à la fois en raison de l'affaire des fiches et de la non-dénonciation du Concordat qui aurait dû, selon lui, être l'aboutissement de la crise provoquée par le voyage du président Loubet à Rome. En avril 1905, lors des débats sur la loi de séparation des Églises et de l'État, Clemenceau passe à nouveau à l'attaque, cette fois-ci contre Aristide Briand et Jean Jaurès ; il s'oppose à leur frilosité à propos de l'article 4, qui concerne la dévolution de la propriété ecclésiastique aux associations cultuelles. Alors que le catholique Albert de Mun se félicite de « ce grand coup donné à la loi », Clemenceau traite Briand de « socialiste papalin » et accuse la nouvelle formulation de l'article de « [mettre] la société cultuelle dans les mains de l'évêque, dans les mains du pape » ; « voulant rompre le Concordat, la Chambre des députés est demeurée dans l'esprit du Concordat […] au lieu de comprendre qu'elle aurait pour premier devoir d'assurer la liberté de tous les fidèles, sans exception. ». Malgré cela, il vote la loi. Le 30 septembre 1906, la séparation de l'Église et de l'État constitue le deuxième thème de son discours à la Roche-sur-Yon.

Pas plus que sur l'anticléricalisme, revigoré par l'Affaire, Clemenceau ne cède quoi que ce soit sur le colonialisme. Dans L'Aurore du 13 juin 1904, il critique la domination française sur le Maroc, et se moque, le 2 avril 1905, au moment de la crise de Tanger, de la politique de l'inamovible ministre des Affaires étrangères, Théophile Delcassé : « Les politiques républicains, trouvant plus aisé de remporter des victoires sur les populations désarmées de l'Afrique et de l'Asie que de s'adonner à l'immense labeur de la réformation française, envoyaient nos armées à des gloires lointaines, pour effacer Metz et Sedan, trop prochains. Une effroyable dépense d'hommes et d'argent, chez une nation saignée à blanc, où la natalité baissait. […] Partis de France dans l'illusion qu'à la condition de tourner le dos aux Vosges, le monde s'ouvrait à nous, nous rencontrons l'homme de l'autre côté des Vosges devant nous à Tanger. » La volonté de protéger le pays n'est jamais loin : « Être ou ne pas être, voilà le problème, qui nous est posé pour la première fois depuis la guerre de Cent Ans, par une implacable volonté de suprématie. » (L'Aurore, 18 juin 1905). Il s'éloigne de Jaurès, entré aux côtés de Jules Guesde à la SFIO, et critique l'internationalisme de Gustave Hervé dans « Pour la patrie » (12 mai 1905) : « ils comprendraient peut-être que la nature humaine est à la racine de tous les faits sociaux, bons ou mauvais, et que la suppression de la patrie ne détruirait point le fondement universel de l'égoïsme humain, ne changeant que la forme des manifestations de violence inhérentes à l'homme, seul ou associé. »

Clemenceau Georges
Figure controversée du pouvoir exécutif

« Premier flic de France »

En mars 1906, après la victoire des radicaux aux élections législatives, Ferdinand Sarrien est appelé à former le cabinet. Clemenceau ironise : « Ça, rien ? Tout un programme ! » Mais Briand, qui doit encore négocier les inventaires de l'Église, préfère l'avoir avec lui plutôt que contre lui et subordonne sa participation à celle de Clemenceau : ce dernier obtient ainsi l'Intérieur, alors que la France connaît une vague de grèves importantes, parfois quasi-insurrectionnelles (la CGT a entériné son orientation syndicaliste révolutionnaire avec la Charte d'Amiens, tandis que la SFIO est sur une position révolutionnaire et anti-réformiste bourgeoise, malgré les hésitations de Jaurès). « Je suis le premier des flics », dit-il alors. Place Beauvau, Clemenceau calme le jeu sur la question des inventaires : le 20 mars 1906, alors qu'il ne reste plus à inventorier que 5 000 sanctuaires sur 68 000, il déclare à la Chambre : « Nous trouvons que la question de savoir si l'on comptera ou ne comptera pas des chandeliers dans une église ne vaut pas une vie humaine. »

Confronté à la grève qui fait suite à la catastrophe de Courrières (plus de 1 000 morts), il refuse d'envoyer, comme c'est l'usage, la troupe de façon préventive, c'est-à-dire dès que la grève se déclare, mais se rend à Lens dès le 17 mars, et affirme aux grévistes que leur droit à faire grève sera respecté, sans envoi de la troupe, tant qu'aucune personne ni propriété ne sera menacée. Les grévistes s'échauffant, il se résout à envoyer une troupe de 20 000 soldats le 20 mars ; le Temps (22 mars) est rassuré. Cette décision marque le début du divorce entre Clemenceau et la gauche socialiste, révolutionnaire et syndicaliste. La grève fait tache d'huile, atteignant Paris : L'Écho de Paris titre « Vers la révolution ». À l'approche du 1er mai 1906, Clemenceau avertit Victor Griffuelhes, secrétaire général de la CGT, qu'il sera tenu responsable pour tout débordement, et fait arrêter préventivement plusieurs militants d'extrême-droite, « laissant entendre la préparation d'un complot ». Il fait aussi venir 45 000 soldats à Paris : la « fête du Travail », sous haute surveillance policière, se déroule dans le respect de l'ordre et de la propriété. En juin 1906, une joute l'oppose à Jaurès à la Chambre pendant six jours. Le 18 octobre 1906, Ferdinand Sarrien, malade, recommande Clemenceau au président Armand Fallières pour lui succéder. 

Président du Conseil pour la première fois

Il accède à la présidence du Conseil le 25 octobre 1906, à 65 ans, et reste au pouvoir presque aussi longtemps que Waldeck-Rousseau. Son cabinet comprend le socialiste indépendant René Viviani, à la tête d'un Ministère du Travail inédit, le général Picquart, qui avait dévoilé la supercherie accusant Dreyfus, comme ministre de la Guerre, et son ami journaliste et diplomate Stephen Pichon à la tête du quai d'Orsay. Conformément à l'habitude de cumuler la présidence du Conseil avec un portefeuille ministériel, Clemenceau demeure à l'Intérieur. Enfin, il maintient Briand à l'Instruction publique et aux Cultes. Son programme ministériel, dévoilé le 5 novembre 1906 à la Chambre, vise à maintenir la paix avec l'Allemagne, tout en réformant l'armée afin de préparer la France à un éventuel conflit. Sur le plan social, il déclare vouloir accomplir la réalisation de la loi sur les retraites ouvrières, la loi sur les 10 heures, améliorer la loi Waldeck-Rousseau sur les syndicats, nationaliser la Compagnie des chemins de fer de l'Ouest en quasi-faillite, intervenir dans le contrôle de la sécurité dans les mines avec possibilité de rachat des compagnies houillères, préparer un projet de loi sur l'impôt sur le revenu… 17 chantiers sont ainsi lancés. 

Séparation des Églises et de l’État

Le sujet prioritaire est toutefois l'application de la loi de séparation des Églises et de l'État, fermement condamnée par Pie X dans l'encyclique Vehementer nos. La question soulève de nouveaux débats, le Vatican faisant tout pour empêcher la formation des associations cultuelles, auxquelles sont censés être dévolus les biens de l'Église. Attaqué par Maurice Allard, Briand rétorque le 9 novembre 1906 en rappelant que la loi de séparation est une loi d'« apaisement », que l'État laïc « n'est pas antireligieux » mais areligieux. Si la loi n'est pas appliquée d'ici décembre 1907, Briand déclare qu'il s'appuierait sur la loi de 1881 sur les réunions publiques afin de maintenir la possibilité d'un exercice légal des cultes. Par circulaire du 1er décembre 1906, il précise qu'une déclaration annuelle doit suffire à cet exercice.

Le 11 décembre, le Conseil des ministres rappelle qu'en cas de non-déclaration (annuelle), les infractions seront constatées : l’intransigeance pontificale menace de créer un « délit de messe ». Mgr Carlo Montagnini, à la tête de la Nonciature apostolique de la rue de l'Élysée, est expulsé sous l'accusation d’inciter au conflit. La perquisition de la Nonciature et la saisie de documents supposés compromettants pour l'Église aboutissent à l'ouverture d'une instruction mais l'apparition de certaines de ces lettres dans la presse, à l'initiative de Clemenceau — en dépit du secret de l'instruction — crée un scandale. Jaurès réclame l'ouverture d'une commission d'enquête : c'est l'affaire dite des « petits papiers ».

Le 21 décembre 1906, un nouveau débat, durant lequel Briand accuse le Vatican de préconiser l’intransigeance afin de réveiller « la foi endormie dans l’indifférence », aboutit à la loi du 2 janvier 1907, qui vise à rendre impossible la sortie de la légalité des catholiques « quoi que fasse Rome ». Le Pape la dénonce à nouveau, le gouvernement parle d'« ultimatum »… et finalement, par la loi du 28 mars 1907, autorise les réunions publiques, sans distinction d'objet, et sans déclaration préalable. La position d'apaisement du gouvernement est confirmée par la loi du 13 avril 1908, qui considère les églises comme des propriétés communales et prévoit des mutualités ecclésiastiques (pour les retraites, etc.). Ces mesures ne seront cependant acceptées par le Vatican qu'après la Première Guerre mondiale avec le compromis, élaboré par Pie XI et le gouvernement français, des « associations diocésaines ». 

« Le Briseur de grèves »

Président du Conseil le plus à gauche qu'ait connu jusqu'alors la IIIe République, mais « premier flic de France », Clemenceau est confronté à d'importantes grèves (1906 bat des records). Il s'illustre par sa férocité, à la fois contre les mouvements sociaux et contre le personnel politique qu'il estime peu quand il ne l'accable d'un profond mépris - ainsi quand il décide de retirer le portefeuille des Finances au vieux président Ribot : « Il est voûté, mais ce n'est pas un abri sûr ». En mars 1907, éclate d'abord une grève des électriciens à Paris ; le génie militaire rétablit le courant. En avril, une grève de l'alimentation, lancée par la CGT, touche Paris. La fonction publique réclame le droit de grève (la Poste le 12 mars 1909), inimaginable pour Clemenceau. Des dizaines de postiers, ainsi que Marius Nègre, fondateur du Syndicat national des instituteurs, et le syndicaliste révolutionnaire Émile Janvion sont ainsi révoqués. La Ligue des droits de l'homme apporte son soutien aux révoqués. Au printemps 1907, la révolte des vignerons du Languedoc s'étend à l'ensemble de la population de la région et prend une tournure insurrectionnelle. Le 10 juin 1907, le maire socialiste de Narbonne, Ernest Ferroul, démissionne, avec l'appui des maires locaux. Les viticulteurs réclament des aides équivalentes à celles accordées aux betteraviers du nord. Cinq ou six manifestants sont tués le 20 juin, la préfecture de Perpignan est incendiée, et le lendemain, le 17e régiment se mutine.

Le 21 juin, la Chambre confirme son appui à Clemenceau. Le 23, il reçoit le leader gréviste et non-violent, Marcelin Albert. Et, comme celui-ci, venu en train, lui dit candidement n'avoir pas de quoi payer son billet de retour, il lui fait remettre 100 francs, après avoir placé un journaliste dans la pièce voisine de son bureau. La Presse, faisant ensuite passer Albert comme "acheté" par le ministre, le discrédite auprès des vignerons... La grève s'essouffle, et le 29 juin 1907, la Chambre vote la loi revendiquée, qui fixe une surtaxe sur les sucres utilisés pour la chaptalisation. En juillet 1907, deux grévistes sont tués à Raon-l'Étape. L'année suivante, il est confronté à la grève de Draveil-Villeneuve-Saint-Georges : deux grévistes tués le 28 mai 1908. Le socialiste Édouard Vaillant accuse la « politique du gouvernement » d'être « responsable du meurtre ». Clemenceau rétorque : « la Chambre […] dira si elle veut faire avec nous l'ordre légal pour les réformes contre la révolution ». Hormis les socialistes, la majorité le soutient. Le conflit redémarre le 2 juin 1908 à Vigneux, où deux grévistes sont tués et plusieurs blessés : il s'agit de la violence policière la plus grave depuis le début de la IIIe République, dans la mesure où les gendarmes ont tiré à bout portant dans une salle, sur des ouvriers désarmés et accompagnés de femmes et d'enfants. Le 30 juillet, toujours à Vigneux, quatre grévistes sont tués et il y a plusieurs blessés du côté des forces de l'ordre.

Clemenceau décide alors des arrestations massives dans les rangs de la CGT (Griffuelhes, Pouget, etc.), malgré l'attitude conciliante du secrétaire général. Des rumeurs insistantes font état d'un agent provocateur qui aurait été utilisé par Clemenceau pour dissoudre la CGT anarcho-syndicaliste qu'il abhorrait. Bien que l'existence d'un tel agent soit avérée (elle est l'objet d'une interpellation de Caillaux en 1911), l'enquête historique de Jacques Julliard, Clemenceau, briseur de grèves, relativise son importance dans les événements : comme le disait Péricat, le secrétaire de la Fédération du bâtiment, surestimer son rôle serait faire bien peu de cas « de la Fédération du bâtiment, de son Comité fédéral et de ses militants ». En fin de compte, Clemenceau, tout comme Viviani, préfèrerait plutôt favoriser une tendance moins dure à la CGT, poussant à ce que celle-ci abandonne le vote par membres (un membre = une voix) au profit d'un vote par syndicat (une fédération = une voix). Il est également confronté à des grèves d'employés voulant faire appliquer la loi sur le repos hebdomadaire votée sous Sarrien, notamment dans le secteur de la boulangerie.

Il devient rapidement ami avec le préfet de police Lépine — alors qu'ils ne s'aimaient guère au départ — et conduit d'importantes réformes de la police. Alors que la presse s'effraie des « Apaches », il soutient la création de la Police scientifique par Alphonse Bertillon, un des « experts » de l'Affaire Dreyfus, et des brigades régionales mobiles (dites « Brigades du Tigre ») par Célestin Hennion, nommé à la tête de la nouvelle Sûreté générale. Hennion met en place un fichier des récidivistes et crée un service d'archives, tandis que les brigades régionales fichent les « nomades ». Le projet de loi du 25 novembre 1908 « relatif à la réglementation de la circulation des nomades » aboutit à la loi du 16 juillet 1912 « sur le port du carnet anthropométrique d’identité » : recensant les empreintes digitales ; ce carnet, qui ne s'applique qu'aux Tsiganes, préfigure la carte d'identité et le livret de circulation. Le cabinet Clemenceau ne se résume cependant pas à la répression. L'abolition de la peine de mort est mise à l'ordre du jour de la Chambre le 3 juillet 1908, à la suite d'une intervention de Joseph Reinach. Le gouvernement est pour, ainsi que Jaurès, Briand et l'abbé Lemire ; mais la commission parlementaire est contre et son rapport est approuvé le 8 décembre 1908 par une majorité rassemblant le centre et la droite catholique. Le projet de loi sur l'impôt sur le revenu, présenté en février 1907 par le ministre des Finances Joseph Caillaux, est bloqué par le Sénat. En revanche, la loi Ribot sur les habitations à bon marché (HBM) est votée en avril 1908, puis, en juillet 1909, la loi sur le bien de famille insaisissable, qui vise à protéger les paysans. Le corps de Zola est transféré au Panthéon. Ce style de « premier flic de France » l'amène à se brouiller durablement avec Jaurès, qui n'écartait pas, au début de son cabinet, une possibilité d'alliance avec le leader radical. La SFIO et la CGT ne sont clairement pas sur la même ligne que le radical-socialisme de Clemenceau. D'où cet échange au Parlement : « Monsieur Jaurès, vous promettez tout à l'ouvrier, mais vous n'êtes tout de même pas le bon Dieu !
— Et vous, vous n'êtes pas le Diable !
— Qu'en savez-vous ? »

Politique étrangère et coloniale

En politique extérieure, Clemenceau et Pichon se soumettent aux résultats de la conférence d'Algésiras et probablement aussi à l'influence du parti colonial. En effet, lorsqu'en mars 1907 un médecin est assassiné au Maroc, il ordonne un débarquement et autorise le général Lyautey à occuper Oujda. Le 30 juillet 1907, plusieurs Français sont tués lors d'une émeute consécutive à la décision de faire passer un chemin de fer à travers un cimetière musulman. Cela finit par un bombardement de Casablanca en août puis par l'occupation de Settat. Ces « incidents » suscitent aussi quelques remous avec l'Allemagne. En 1908, une querelle franco-allemande au sujet de la désertion de soldats de la Légion étrangère finit par un arbitrage de la Cour de La Haye, qui donne raison à la France le 22 mai 1909. 

Le 9 février 1909, par un accord franco-allemand, Paris s'engage à accorder l'égalité de traitement aux ressortissants allemands au Maroc, tandis que Berlin reconnait la légitimité de la France à s'octroyer le maintien de l'ordre dans le pays. En revanche, un décret du 24 septembre 1908 propose une timide réforme en Algérie, avec l'élection des conseillers généraux indigènes, jusque-là nommés par le gouverneur. En octobre 1908, une délégation des Jeunes Algériens vient réclamer la reconnaissance de l'ensemble des droits civils et politiques pour les Algériens « évolués ». Clemenceau se heurte à ce sujet aux Européens d'Algérie ; il se rattrape avec la loi du 4 février 1919, louée par Messali Hadj.

Chute

Clemenceau est renversé au bout de presque trois ans, alors que la session parlementaire touche à sa fin et qu'un grand nombre de députés de la majorité sont rentrés dans leurs circonscriptions. Le 20 juillet 1909, Clemenceau se refuse à répondre à des questions d'ordre technique sur la Marine posées par son rival Delcassé, qui a fait tomber le ministre Gaston Thomson l'année précédente ; il fait voter un ordre du jour. Celui-ci est repoussé par 212 voix contre 176 (avec 176 absents dont 76 radicaux-socialistes et 23 républicains de gauche) et Clemenceau démissionne. En effet, furieux, il a révélé à la Chambre que les ministères de la Guerre et de la Marine considéraient, lors de la crise de Tanger, que la France n'était pas prête à la guerre, ce qui équivalait à révéler des informations confidentielles presque de l'ordre du secret défense. Le 21 juillet 1909, L'Humanité titre : « La fin d'une dictature ». 

Retour sur les bancs parlementaires

Journalisme et Amérique latine

Les années 1909-1912 constituent dans sa carrière une période d'accalmie. Le 10 avril 1910 paraît le premier numéro du Journal du Var, dont il est le fondateur. Il se détache peu à peu de cette publication pendant les deux années qui suivent. Le 30 juin 1910, il embarque sur le Regina Elina (en) pour effectuer, en Amérique latine (Argentine, Uruguay, Brésil), une tournée de conférences destinées à renflouer son portefeuille ; il y fait l'apologie du régime parlementaire. L'Illustration et le New York Times rendent compte de la tournée et publient ses « Notes de voyage ». En Argentine, qui fête un siècle d'indépendance et s'apprête à voter la loi Sáenz Peña établissant le scrutin universel secret, le Tigre rencontre Benito Villanueva, président du Sénat argentin, et fait l'éloge des « indigènes » locaux (du moins des survivants…). Il assiste avec intérêt à une conférence sur la « justice sociale » du criminologue Enrico Ferri. Il remarque que la séparation entre l'Église et l'État existe presque entièrement de fait, il fait l'éloge du système pénitentiaire. Il loue le système scolaire tout en soulignant certaines limites matérielles de l'Instruction publique. De même, il est étonné par la modernité du système de santé ainsi que des hospices qu'il juge bien meilleurs que leurs équivalents français.; il critique l'enfermement psychiatrique, tel que pratiqué à l'asile de Sainte-Anne, en comparaison avec le traitement en extérieur, accompagné d'essais de réinsertion, pratiqué par le docteur Domingo Cabred.

Revenu en Europe à bord du SS Principe Umberto, il doit passer devant une commission d'enquête parlementaire sur l'« affaire Rochette » (une sorte de chaîne de Ponzi) qui avait suscité de nouvelles piques anti-parlementaires de Maurice Barrès, mais est blanchi de tout soupçon, ainsi que le préfet Lépine. En 1912, il subit aussi une opération risquée de la prostate, dont il sort en meilleure forme. Après le coup d'Agadir, il vote, avec une quarantaine d'autres sénateurs, contre la ratification de la convention franco-allemande : « nous voulons la paix […] Mais […] si on nous impose la guerre, on nous trouvera. » Clemenceau, sans être devenu revanchard, est désormais convaincu de la réalité de la Weltpolitik allemande. À la suite de l'élection présidentielle de janvier 1913, il se brouille de nouveau avec Raymond Poincaré, président du Conseil depuis 1912, qui ne s'étant pas retiré devant le candidat choisi par le camp républicain, Jules Pams, a été élu en s'appuyant sur la droite. En mars 1913, il fait tomber le cabinet Briand en tant que président de la Commission sénatoriale chargée d'examiner le projet de loi, complexe, sur le scrutin proportionnel, destiné à remplacer le scrutin d'arrondissement, voté par la Chambre le 10 juillet 1912. Clemenceau, bien que critique à l'égard de ce dernier, considère celui-là comme propice au césarisme et s'oppose au changement. Le Sénat le suit (161 contre 128) et Briand démissionne : c'est le second cabinet de la IIIe République, depuis celui de Léon Bourgeois (1896), à être renversé par le Sénat. 

L'Homme libre et débuts de la Grande Guerre

Le 6 mai 1913, paraît le premier numéro de L’Homme libre, journal édité à Paris. Il y publie quotidiennement son éditorial, et ne cesse d'avertir la France du danger que constitue l'Allemagne (« Pour la défense nationale », 21 mai 1913 ; « Vouloir ou mourir », 24 mai ; « Ni défendus ni gouvernés », 15 juillet, etc.) Il défend avec ardeur la loi des Trois ans, qui accroît la durée du service militaire, et qui est votée le 19 juillet 1913 avec l'appui de la droite contre les deux-tiers des députés radicaux-socialistes. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate en juillet 1914, Clemenceau se montre déterminé à se battre et loin de l'optique de la « fleur au fusil » : « La parole est au canon […] Et maintenant, aux armes ! Tous. J'en ai vu pleurer, qui ne seront pas des premières rencontres. Le tour viendra de tous. […] Mourir n'est rien. Il faut vaincre. » (L'Homme libre, 5 août 1914). Le 26 août 1914, il refuse la proposition de Briand d'entrer dans le cabinet Viviani, souhaitant devenir président du Conseil.

Il va jusqu'à reprocher au ministre Louis Malvy de n'avoir pas arrêté les militants fichés au « carnet B », alors que la quasi-totalité de la gauche socialiste s'est ralliée à l'Union sacrée. Après qu'il a dénoncé les insuffisances du service sanitaire aux armées, qui fait voyager les blessés dans les mêmes wagons que des chevaux atteints du tétanos, son journal est suspendu par Malvy du 29 septembre au 7 octobre 1914, en application de la loi du 4 août qui réprime les « indiscrétions de la presse en temps de guerre ». Le journal reparaît le 30 septembre sous le titre L'Homme enchaîné ; immédiatement saisi, il reparaît sous ce nouveau nom le 8 octobre à Paris. Son quotidien est à nouveau suspendu en août 1915. Clemenceau envoie alors les articles aux parlementaires. En juillet 1915, son secrétaire Léon Martin, qui a été envoyé au Front, est remplacé par le poète Jean Martet.

Dans les années qui suivent, Clemenceau s’emploie à critiquer l’inefficacité du gouvernement, l'insuffisance des informations qu’il transmet, le défaitisme, l'antimilitarisme et le pacifisme, et défend sans cesse le patriotisme face aux Allemands. Pour l'historien Jean-Yves Le Naour, contrairement à l'idée répandue des années après la guerre, Clemenceau n'est pas l'homme de l'Union sacrée, puisqu'il n'a jamais soutenu les gouvernements en place entre 1914 et 1917. Siégeant à la commission des Affaires étrangères du Sénat et à la Commission de l'Armée, Georges Clemenceau en devient rapidement président, distribuant rapports et blâmes au ministère, effectuant de multiples visites au front en sa qualité de président de la Commission de l'Armée. Il affirme la légitimité du contrôle du Parlement sur les actes du gouvernement et la conduite de la guerre : « Il n'est bon pour personne de n'être pas contrôlé, critiqué ; cela n'est que trop vrai, même et surtout du haut commandement militaire. »

Il siège au sein des comités secrets du Sénat réunis à partir de juin 1916, alors que la bataille de Verdun fait rage. Trois jours après la première réunion du comité secret, il fait partie avec son ami Stephen Pichon des seize sénateurs qui refusent de voter la confiance au gouvernement Briand. Au lendemain d'une nouvelle réunion, il présente au Sénat, le 24 décembre 1916, un ordre du jour refusant la confiance à Briand, mais celle-ci est votée (194 voix contre 60). Malgré son patriotisme, Clemenceau reste attaqué par certains royalistes. Ainsi, le 30 août 1916, Léon Daudet, fils de l'écrivain Alphonse, lui adresse cette lettre ouverte : « Oh ! Comme je vous connais ! Votre élément, c'est le désastre national à condition de pouvoir y faire des mots. Vous appartenez à la génération absurde et aveugle qui, en 1870-71, guettait une ascension politique sur les malheurs de la patrie136 ». Il est toutefois soutenu par Maurice Barrès.

À l'entrée en guerre des États-Unis (avril 1917), il déclare (sans prévoir l'évolution des événements en Russie ni le traité de Brest-Litovsk d'avril 1918) : « Le suprême intérêt des pensées générales par lesquelles le président Wilson a voulu justifier l'action de son pays, c'est que la révolution russe et la révolution américaine se complètent à miracle pour fixer définitivement toute la portée idéaliste du conflit. Tous les grands peuples de la démocratie, c'est-à-dire du juste droit pour tous, ont désormais pris, dans la lutte, la place qui leur était destinée. » Le 22 juillet 1917, lors d'une interpellation concernant l'offensive Nivelle, il fait pendant deux heures et demie une critique acharnée de Malvy ; ce discours, applaudi au Sénat, est reproduit en plusieurs éditions par L'Homme enchaîné du 23 juillet puis diffusé en brochure sous le titre L'Antipatriotisme au Sénat. Malvy démissionne un peu plus tard, ce qui entraîne la chute du cabinet Ribot (septembre 1917), remplacé par Painlevé. 

Madame Kuroki, Claude Monet, Alice Butler, Blanche Hoschedé-Monet et Georges Cemenceau (de gauche à droite) dans une allée du jardin, à Giverny, photo prise en juin 1921 par Henri Martinie - Collection Phillipe Piguet

Madame Kuroki, Claude Monet, Alice Butler, Blanche Hoschedé-Monet et Georges Cemenceau (de gauche à droite) dans une allée du jardin, à Giverny, photo prise en juin 1921 par Henri Martinie - Collection Phillipe Piguet

Président du Conseil pour la seconde fois

« Père la Victoire »

L’Homme enchaîné garde son nom jusqu'à l’accession de Clemenceau à la Présidence du Conseil, le 16 novembre 1917. Le 13 novembre en effet, le gouvernement Paul Painlevé tombe et le président Poincaré doit rapidement lui trouver un successeur. Il aurait eu alors à choisir entre Joseph Caillaux et Clemenceau. Bien qu'il n'aime guère Clemenceau, il préfère celui-ci, favorable à une victoire militaire et dont la force morale l'impressionne, plutôt que Caillaux, partisan d’une paix de compromis, mais accusé d'intriguer contre la France en faveur de l'Allemagne. Dès janvier 1917, Charles Ier d'Autriche avait entamé des pourparlers de paix secrets avec Poincaré, qui se montre enthousiaste et prêt à faire des concessions (colonies et avantages commerciaux) à l'Allemagne. Clemenceau, belliciste souhaitant la guerre jusqu'au bout, refuse cette paix négociée, prétextant que c'est un piège tendu par l'Allemagne. À 76 ans, Georges Clemenceau devient ainsi à nouveau président du Conseil, malgré l'opposition de Briand et des socialistes (Marcel Sembat affirme à Poincaré que sa nomination susciterait un soulèvement immédiat). Hormis la presse socialiste, les journaux acclament sa nomination, jusqu'au New York Times, dithyrambique.

Son gouvernement est essentiellement composé de proches et de figures qui s'effacent derrière lui : Stephen Pichon aux Affaires étrangères, Jules Pams à l'Intérieur, Georges Leygues à la Marine, Louis Loucheur à l'Armement. Son ami Georges Mandel devient chef de cabinet et Jules Jeanneney sous-secrétaire d'État à la présidence ; dans son cabinet se trouve aussi Georges Wormser, son futur biographe. En novembre 1919, il fait entrer André Tardieu au gouvernement ; celui-ci reste un ami proche jusqu'à son entrée dans le Gouvernement Poincaré dans les années 1920. Lui-même se réserve le portefeuille de la Guerre (« La Guerre ! C'est une chose trop grave pour la confier à des militaires ! », avait-il dit en 1887 lors de l'affaire Schnæbelé). Il s'y adjoint les services du général Henri Mordacq, qui devient son chef de cabinet militaire et véritable bras droit pour les questions militaires. Le 20 novembre 1917, il annonce à la Chambre son programme de gouvernement : « Vaincre pour être juste, voilà le mot d'ordre de tous nos gouvernements depuis le début de la guerre. Ce programme à ciel ouvert, nous le maintiendrons. » Il rend hommage aux « poilus » comme au courage de l'arrière : « ces silencieux soldats de l'usine, sourds aux suggestions mauvaises », « ces vieux paysans courbés sur leurs terres », « les robustes femmes de l'arrière » et « ces enfants qui leur apportent l'aide d'une faiblesse grave ». Mais il affirme également la fin des « campagnes pacifistes » : « Ni trahison, ni demi-trahison : la guerre ! ». Il précise toutefois : « Nous sommes sous votre contrôle. La question de confiance sera toujours posée. » Il est acclamé. Seuls les socialistes lui refusent la confiance ; le lendemain, La Lanterne de Marcel Sembat écrit : « Depuis le début de la guerre, on n'a rien entendu d'aussi vide ! »

Il restaure la confiance, mettant tout en œuvre pour que la République soutienne le choc de cette guerre (Guillaume II prédisait justement le contraire, assurant que les démocraties — France et Royaume-Uni — s'effondreraient d'elles-mêmes si la guerre devait durer). Il s'attache d'abord à épurer l'administration, révoquant le préfet de police et le préfet de la Seine, ainsi que nombre de fonctionnaires jugés incompétents. En matière de politique intérieure, Georges Clemenceau s’emploie à mater énergiquement toute tentative de révolte, de mutinerie ou de grève dans les usines. Il mène également une lutte énergique pour le soutien du moral des troupes. Pour ce faire, il pourchasse les pacifistes, les défaitistes, les « embusqués » (pour soutenir le moral des troupes) et fait également pression sur la presse favorable à ces mouvements sans pour autant utiliser la censure. Il généralise l'appel aux troupes coloniales (la « force noire » du général Mangin, qu'il nomme à la tête du 9e corps d'armée malgré l'hostilité de Pétain), nommant le député sénégalais Blaise Diagne, qui vient d'adhérer à la SFIO, Commissaire Général chargé du recrutement indigène. Malgré les révoltes, 65 000 hommes sont ainsi recrutés dans les colonies en 1918. Il fait également appel à l'immigration italienne, négociant avec le président du Conseil Orlando pour obtenir cette main-d'œuvre d'appoint. 70 000 immigrants italiens sont ainsi en France en mars 1918. Par la loi du 10 février 1918, il obtient le droit de réglementer par décret « la production, la circulation et la vente » des produits servant à la consommation humaine ou animale, point sur lequel le cabinet Briand avait échoué en 1916. Ceci lui permet de renforcer l'économie de guerre.

Les défaitistes sont réprimés, soit à la demande de Clemenceau, soit par la justice. Ainsi, l'ex-ministre de l'Intérieur Malvy, lourdement attaqué par Clemenceau journaliste, demande à ce qu'une Commission de la Chambre examine son cas pour le disculper ; celle-ci le renvoie devant la Haute Cour de justice, et il sera condamné pour forfaiture à l'été 1918. Le 11 décembre 1917, Clemenceau s'attaque directement à Joseph Caillaux, accusé de chercher une « paix blanche » (sans annexions) ; il demande la levée de son immunité parlementaire conjointement à celle du député Louis Loustalot. 397 députés votent pour la levée ; Caillaux est incarcéré en janvier 1918, Clemenceau refusant toute intervention judiciaire. Caillaux sera condamné par la Haute Cour en février 1920. Georges Clemenceau frappe aussi la rédaction du Bonnet rouge, journal défaitiste subventionné par l'Allemagne, ainsi que Paul Bolo (dit « Bolo Pacha »), payé par l'Allemagne pour racheter Le Journal, ce qui lui vaudra d'être condamné à mort. La censure est cependant allégée, étant restreinte aux faits militaires et diplomatiques : « Le droit d'injurier les membres du gouvernement doit être mis hors de toute atteinte », déclare-t-il à la suite de la publication d'un article qui le visait férocement. Il pose également régulièrement la question de confiance, se soumettant ainsi au contrôle parlementaire. À de nombreuses reprises, les chambres du Parlement doivent ainsi choisir entre soutenir ses décisions et le renverser.

Mettant la pression sur les États-Unis pour faire venir des troupes, il participe au Conseil supérieur de guerre interallié, dont la première réunion a lieu le 1er décembre 1917 avec Lloyd George, Orlando et le conseiller présidentiel de Wilson, Edward House, et à la Conférence interalliée pour tenter de mettre en place une direction intégrée des troupes. Plus résolu et plus intransigeant que jamais, il conduit ainsi une politique de salut public qui porte ses fruits l'année suivante, consacrant un tiers de son temps à la visite des tranchées, suscitant l'admiration des « poilus » pour son courage (il se couvre la tête d'un simple chapeau). Le 8 mars 1918, il présente ainsi son programme de gouvernement [archive] à la tribune alors qu'il veut faire voter les crédits de guerre : « Vous voulez la paix ? Moi aussi. Il serait criminel d'avoir une autre pensée. Mais ce n'est pas en bêlant la paix qu'on fait taire le militarisme prussien. Ma politique étrangère et ma politique intérieure, c'est tout un. Politique intérieure ? Je fais la guerre. Politique étrangère ? Je fais la guerre. Je fais toujours la guerre. » Il ajoute alors : « Celui qui peut moralement tenir le plus longtemps est le vainqueur. » Churchill a ainsi dit de lui : « Dans la mesure où un simple mortel peut incarner un grand pays, Georges Clemenceau a été la France »

Le 24 mars 1918, trois jours après le déclenchement d'une nouvelle offensive du général Ludendorff, Clemenceau envisage sérieusement d'opérer un retrait du gouvernement sur la Loire, mais Poincaré l'en dissuade. Le « Tigre » se rend alors à Compiègne voir Pétain, qu'il juge à nouveau trop pessimiste. Le 26 mars, il se rend avec Poincaré à Doullens, au nord d'Amiens. Il préfère alors Foch à Pétain comme généralissime des troupes interalliées, choix entériné le 14 mai après une rencontre à Beauvais, le 3 avril, avec Lloyd George et le général Pershing. Poincaré et Clemenceau se méfient en effet de Pétain, malgré cela nommé maréchal le 8 décembre 1918. Poincaré raconte ainsi que le « Tigre » lui aurait dit : « Imaginez-vous qu'il m'a dit une chose que je ne voudrais confier à aucun autre que vous. C'est cette phrase : « Les Allemands battront les Anglais en rase campagne ; après quoi, ils nous battront aussi. » Un général devrait-il parler et même penser ainsi ? » À son surnom de « Tigre » vient s'ajouter celui de « Père la Victoire », qui résume à lui seul la part prise par lui au redressement de 1918, notamment pour son rôle dans la création du commandement unique. Après une nouvelle offensive lancée à partir du Chemin des Dames, qui permet à l'armée allemande de se trouver à 60 km de Paris (Pétain conseille alors à Clemenceau de quitter la capitale), le gouvernement est critiqué par les présidents des Chambres, Dubost et Paul Deschanel. Le 4 juin 1918, il obtient la confiance de la Chambre par 377 voix contre 110. Deux jours plus tard, un Comité de défense du camp retranché de Paris est institué, pour préparer les mesures en cas d'évacuation du gouvernement.

Le 30 juin 1918, se rendant au château de Bombon siège du Grand Quartier Général, il s'arrête visiter l'hôpital militaire no 23 créé dans l'orangerie du château de Vaux-le-Vicomte par Germaine Sommier, née Casimir-Périer - un de ses opposants politiques - qui pour son organisation le 1er juillet suivant sera citée à l'ordre de l'Armée ; il interrogea en anglais un blessé britannique mais refusa de parler à un Russe, et lors du déjeuner qui suivit, répondit ainsi aux questions de ses hôtes : « Nous avons encore de durs moments à passer, mais après, vous verrez, tout ira très bien ». À partir de la bataille de Château-Thierry, en juillet 1918, le vent commence à tourner. En octobre, alors que l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et la Turquie ont fait savoir qu'elles demandaient l'armistice sur la base des Quatorze points de Wilson, Clemenceau manque de démissionner à la suite d'une lettre de Poincaré, dans laquelle celui-ci refuse tout armistice tant que les troupes ennemies n'auront pas évacué tout le territoire français, voire l'Alsace-Lorraine150. Alors que la droite (L'Action française, L'Écho de Paris, Le Matin...) fait preuve de jusqu'au boutisme, réclamant d'aller jusqu'à Berlin imposer l'armistice, Clemenceau s'y refuse, préférant mettre fin au carnage et signer l'armistice du 11 novembre 1918. Ceci lui vaut l'ironique « Perd-la-Victoire » au sein de la droite nationaliste.

Tandis que se profilent déjà de difficiles négociations pour la paix, il confie au général Mordaq le soir de l'armistice : « Nous avons gagné la guerre, non sans peine. Maintenant il va falloir gagner la paix, et ce sera peut-être encore plus difficile. » Viscéralement antibolchevique, il lance, dans les dernières semaines de 1918, une importante opération en mer Noire pour soutenir les armées blanches en lutte contre la Révolution d'Octobre. Les moyens engagés fondent avec la démobilisation, et les soldats, épuisés, ne comprennent pas cette nouvelle guerre lointaine. L'échec de l'expédition est consommé au printemps 1919 avec la vague de mutineries qui secoue l'escadre de la mer Noire. En compagnie du président de la République, il entreprend un voyage triomphal dans l’Alsace et la Lorraine libérées. Le 21 novembre 1918, l'Académie française l'élit à l'unanimité, aux côtés du maréchal Foch, mais il ne siège jamais. L'Humanité ironise : « M. Clemenceau a contribué à la Commune. Il est devenu conservateur. M. Clemenceau a été dreyfusard. Il a étouffé la justice. M. Clemenceau a assailli, criblé de sarcasmes et ruiné le Sénat. Il est sénateur. M. Clemenceau a mésestimé l'Académie française. Il en a été élu hier membre. » L'empereur déposé Guillaume II écrit au contraire, dans ses Mémoires : « La cause principale de la défaite allemande ? Clemenceau. […] Non, ce ne fut pas l'entrée en guerre de l'Amérique, avec ses immenses renforts […] Aucun de ces éléments ne compta auprès de l'indomptable petit vieillard qui était à la tête du gouvernement français. […] Si nous avions eu un Clemenceau, nous n'aurions pas perdu la guerre. » 

Négociations de paix

La gauche lui est alors hostile, invoquant les Quatorze points de Wilson et sa vision idéaliste contre Clemenceau, opposition exprimée tant dans Le Rappel ou La République française que dans Le Matin, proche de Briand et dans L'Œuvre (radicale) de Gustave Téry. La droite, au contraire, soutient Clemenceau, espérant arracher le plus possible à l'Allemagne (Le Figaro, Le Gaulois, L'Écho de Paris, L'Action française et une partie de la presse radicale, Le Pays, Le Radical ainsi que le centriste Le Temps). Le 29 décembre 1918, la Chambre lui renouvelle sa confiance par 398 voix contre 93. Représentant de la France à la conférence de la paix de Paris (janvier-juin 1919), il y défend trois priorités : la ratification de la réintégration de l'Alsace-Lorraine, les réparations et l'assurance de la sécurité de la frontière franco-allemande. Il fixe seul la composition de la délégation française, faisant venir Tardieu comme négociateur, accompagné du ministre des Affaires étrangères Stephen Pichon, du ministre des Finances Klotz et de l'ambassadeur Jules Cambon. Il est élu président du Conseil des Dix, devenu, après le départ du Japon, Conseil des Quatre, avec Wilson, Lloyd George et Orlando.

Pour cela, il exige l'annexion de la rive gauche du Rhin et de lourdes indemnités matérielles et financières. En mars, il obtient la réduction de l'armée allemande à 100 000 hommes, avec un service militaire sur la base du volontariat. Le 14 avril 1919, le Conseil des Quatre lui accorde l'occupation du Rhin pendant 15 ans avec évacuation partielle tous les cinq ans, celle-ci pouvant être retardée en cas d'absence de garanties suffisantes contre des projets d'agression allemande (art. 429 du Traité). Il s'oppose sur ce sujet au maréchal Foch, qui, soutenu par Barrès, prône l'annexion de la Rhénanie. Il revendique également l'annexion de la Sarre, bassin minier qui remplacerait les pertes du Nord de la France, et obtient finalement, en avril 1919, un consensus avec la création d'un statut autonome, sous administration de la Société des Nations, de celle-ci.

Le 19 février 1919 à 8h30 du matin, après avoir attendu que le président du Conseil sorte de son domicile rue Franklin, l'anarchiste Émile Cottin qui reproche à Clemenceau d'être un briseur de grève et un tortionnaire de la classe ouvrière, tire à neuf reprises sur sa Rolls. Il le touche trois fois, sans le blesser grièvement. Une balle, jamais extraite, se loge dans l’omoplate à quelques millimètres de l’aorte. L’attentat déclenche dans la population et dans la presse une ferveur extraordinaire. L’enthousiasme populaire est exacerbé, on idolâtre Clemenceau. Il s’en sort finalement sans trop de dommages et intervient pour commuer la condamnation à mort de Cottin en dix ans de réclusion. Six jours plus tard, il reprend ses activités, faisant preuve d'une santé vigoureuse pour son âge, et conserve son poste de président du Conseil jusqu'en 1920.

S'il défend les promesses faites à l'Italie lors du pacte de Londres, il refuse de soutenir Orlando sur la question de Fiume, qui n'avait pas été évoquée en 1915. Le Premier ministre italien part, furieux. En juin 1919, les Allemands déplorant les conditions du traité de paix, Clemenceau consulte Foch pour organiser une éventuelle offensive militaire. Finalement, le traité de Versailles est signé le 28 juin 1919, dans la Galerie des Glaces de Versailles, un choix symbolique voulu par Clemenceau pour marquer le coup par rapport au lieu de la proclamation du Reich allemand. La ratification par la Chambre a lieu le 23 octobre 1919, Clemenceau déclarant au Sénat : « Nous ne faisons pas de miracles. » Georges Clemenceau a dû, sur le plan intérieur, tenir compte des positions antagonistes des partis français : la SFIO se montre très critique, accusant Clemenceau d'avoir surchargé l'Allemagne au risque de compromettre la paix ; en revanche, la droite nationaliste (Jacques Bainville, de l'Action française, est particulièrement virulent), l'accuse d'avoir fait preuve de faiblesse face à « l'ennemi héréditaire ». Soutenu par la majorité de l'opinion publique française, imprégnée de revanchisme et traumatisée par les destructions de la guerre (« le boche doit payer »), Clemenceau adopte envers l'Allemagne et l'Autriche une attitude très intransigeante.

Concernant l'Allemagne, cessions territoriales et versement sans délais d'importantes réparations sont les deux pans de son programme. La République d'Autriche allemande (en allemand Deutschösterreich) doit être renommée en Autriche (en allemand Österreich), car le souhait de la majorité de sa population, de bénéficier du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes par le 9e point de Wilson en rejoignant la nouvelle république d'Allemagne, est formellement rejeté. Le traité de Saint-Germain, signé en septembre 1919, interdit ce rattachement. L'intransigeance française suscite les réticences du Royaume-Uni et des États-Unis, soucieux d'apaiser les tensions et de préserver la stabilité de la toute nouvelle République de Weimar et l'équilibre de l'Europe centrale. Le texte du traité de Versailles est finalement un compromis, où la position de Clemenceau reste cependant dominante. 

Politique intérieure

Avant de quitter le pouvoir, Georges Clemenceau, qui se montre particulièrement hostile envers la Russie soviétique, fait voter la loi des huit heures, afin de couper l'herbe sous le pied de la SFIO, quelques jours avant le 1er mai 1919. Le ministre de l'Intérieur Jules Pams interdit toute manifestation. Celle-ci a tout de même lieu : 300 manifestants blessés, deux morts, et 400 blessés du côté des forces de l'ordre. Le gouvernement est interpellé à la Chambre le 6 mai, mais celle-ci lui vote la confiance par une large majorité. Une loi sur les conventions collectives est également adoptée le 25 mars 1919. Cela n'empêche pas qu'il continue à être attaqué par les socialistes : le 4 avril 1919, à la suite de l'acquittement de Raoul Villain, l'assassin de Jaurès, un article d'Anatole France, publié dans L'Humanité, déclare : « Ce verdict vous met hors la loi, vous et tous ceux qui défendent votre cause. ». En juin, les métallurgistes parisiens entament une grève d'envergure, revendiquant l'application de la loi des 8 heures. 

Le 18 juillet 1919, le radical et ex-ministre Augagneur fait voter un ordre du jour défavorable au ministre de l'Agriculture Victor Boret. Au lieu de démissionner, Clemenceau remplace ce dernier par Joseph Noulens, ex-ambassadeur en Russie et anti-bolchévique notoire. Il convoque le dirigeant de la CGT Léon Jouhaux, un modéré, et lui promet l'amnistie et l'accélération de la démobilisation tout en affirmant qu'il n'hésitera pas à réquisitionner la fonction publique en cas de grève générale. Le 22 juillet 1919, il est à nouveau mis en difficulté à la Chambre par la gauche, mais parvient à se maintenir. Aux législatives de novembre 1919, que Clemenceau a refusé de repousser, la droite, réunie au sein du Bloc national, l'emporte largement : c'est la chambre Bleu horizon. Cette importante victoire est en partie due à la nouvelle loi électorale du 22 juillet 1919, qui a instauré le scrutin proportionnel avec une dose de majorité, mais aussi aux divisions de la gauche. 

Candidature avortée à la présidence de la République

En décembre 1919, alors que Raymond Poincaré ne se représente pas et qu’il envisageait de se retirer de la vie politique, Georges Clemenceau autorise ses partisans à soumettre sa candidature à l’élection présidentielle du mois suivant. Mais ses nombreux ennemis, à gauche comme à droite, s’unissent pour soutenir la candidature de son adversaire, le président de la Chambre des députés, Paul Deschanel, qu’il avait battu en duel en 1894. Auprès de nombre de parlementaires, Georges Clemenceau souffre de sa gestion autoritaire lors de la guerre et des négociations sur le traité de Versailles (ses opposants, considérant qu'il a gagné le conflit mais pas la paix, le qualifient de « Perd-la-Victoire »). Beaucoup craignent qu’il n’utilise sa popularité auprès de l’opinion publique pour renforcer considérablement les prérogatives de la présidence de la République, qu’il avait longtemps jugée inutile.

De son côté, Aristide Briand met en garde la droite catholique du danger que cet anticlérical impénitent représente (Léon Daudet l'appelle le « Vendéen rouge »), tandis que la SFIO le perçoit toujours comme le « premier flic de France ». Le 16 janvier 1920, lors du vote préparatoire réunissant l'ensemble des parlementaires républicains au palais du Luxembourg, Paul Deschanel l’emporte d’une courte majorité. Georges Clemenceau retire alors à ses amis l’autorisation de poser sa candidature à l'Élysée. Le lendemain, le président de la Chambre des députés est élu avec le plus grand nombre de voix jamais obtenu par un candidat sous la Troisième République. Clemenceau, qui a tout de même obtenu 53 voix (sur 868), présente aussitôt la démission de son gouvernement au chef de l'État sortant, Raymond Poincaré

Vie sociale

Personnalité

Être caustique doté d'un humour souvent « décapant », Clemenceau s'est régulièrement illustré par des propos sarcastiques concernant la France, sa société et ses voisins. Clemenceau était athée ou vaguement déiste - il évoquait Dieu de temps en temps - anticlérical, ardent défenseur de la laïcité. Pourtant, il se disait être bouddhiste : « Que voulez-vous, je suis bouddhiste ! », a-t-il répondu un jour à des journalistes à la sortie d'une cérémonie bouddhiste japonaise organisée au musée Guimet le 21 février 1891. Il pratiquait le sport (gymnastique tous les matins, équitation) et aimait les plaisirs de la campagne, la chasse, les animaux (il avait un bouledogue), notamment les oiseaux… (il installe des paons et des cigognes au ministère place Beauvau) ; dans « Le Cinquième État », il s'émeut des « inutiles travaux » infligés aux animaux domestiques.

Grand amateur d'art asiatique, d'estampes japonaises, de bouddhas du Gandhara, de laques, masques et céramiques, et autres objets d'art. En 1890, il assiste à une exposition d'art nippon organisée par Samuel Bing à la Galerie des Beaux-Arts, à Paris. En 1891, il fait acheter pour le musée du Louvre les deux premières œuvres japonaises du musée ; il intervient pour faciliter le legs à l'État de la collection de 1 700 objets d'art chinois et japonais de Clémence d'Ennery (1894). Contraint pour des raisons financières de se séparer de son importante collection d'art asiatique en 1893-1894, il parvient à conserver un ensemble 2 875 kōgō ou boîtes à encens en porcelaine, qui sera vendu à Québec en 1938 170 puis donné au Musée des beaux-arts de Montréal. 

Ami de Monet et défenseur des impressionnistes

Il rencontra Monet dans les cafés du Quartier latin, foyer de l'agitation républicaine face au Second Empire : les deux étudiants républicains s'y croisaient régulièrement. Leur amitié profonde se développa lorsque Clemenceau publia un grand article élogieux, intitulé « Révolution de cathédrales » dans son journal La Justice, le 20 mai 1895, à propos de l'exposition chez Durand-Ruel. Il écrivit le livret d'un opéra, Le Voile du bonheur. L'Olympia de Manet déclenche ce 15 juin 1865 au Palais de l'Industrie et des Beaux-Arts de Paris l'indignation ; « Une tempête de fureur, soufflait et on vomissait les injures les plus grossières », raconte Clemenceau venu soutenir son ami Manet. Lorsqu'un « rustre à la mine fleurie » vient cracher sur le tableau, Clemenceau se jette sur lui en le souffletant. 

Un duel s'ensuivit au petit matin dans les faubourgs de Paris. Clemenceau écorcha le bonhomme, qui s'en tirait à bon compte. Cette histoire fit le tour des ateliers parisiens et ses nouveaux amis avaient pour nom : Pissaro, Degas, Toulouse-Lautrec, Sisley, mais il resta très proche de Claude Monet qu'il appelle « mon vieux cœur ». Durant sa longue carrière politique, malgré son activité infatigable, il a trouvé le temps de s'intéresser à l'art et fut le protecteur de Claude Monet (il obtiendra que ses Nymphéas soient exposées à l'Orangerie des Tuileries, à Paris) et d'autres peintres, tels que Jean Peské. Raymond Woog brossa son portrait, aujourd'hui conservé au Musée Carnavalet. 

Fréquentations et salons

N'aimant guère cependant la paysannerie réactionnaire de Vendée, il fréquentait assidûment les salons littéraires et musicaux de la Belle Époque et, ayant divorcé, était connu comme coureur de jupons (nombreuses petites danseuses « repérées » dans le foyer de l'opéra, Léonide Leblanc, ex-maîtresse du duc d'Aumale, et de Gambetta ; en son souvenir il donna son prénom à une ânesse qui, comme elle, avait « de grands yeux humides, la langue chaude et le poil luisant… », l'actrice Suzanne Reichenberg, la comtesse d'Aunay, et, pendant plus longtemps, la cantatrice Rose Caron). Il fut également un ami de la féministe Marguerite Durand, de la femme de lettres Anna de Noailles, de l'actrice Sarah Bernhardt ou de Cécile Sorel, autre actrice également amie de Barrès, à qui il déclarera : « Toute ma vie j'ai été amoureux ».

Il fréquente ainsi le salon de la comtesse de Loynes avant qu'elle ne choisisse, avec son amant Jules Lemaître, le camp des anti-dreyfusards. Celui, surtout, d'Aline Ménard-Dorian, fille du ministre du gouvernement de la Défense nationale Pierre-Frédéric Dorian et épouse de Paul Ménard-Dorian, riche maître des forges député radical, mère de Pauline Ménard-Dorian (qui se maria avec le petit-fils de Victor Hugo). Dans le salon républicain d'Aline, rue de la Faisanderie, on rencontrait Émile Zola, Alphonse Daudet, les frères Goncourt, Rodin, Carrière, Béthune, Renouard, Victor Considerant, et nombre d'hommes politiques républicains de l'époque, tels que Georges Périn, Allain-Targé, Challemel-Lacour, Henri Rochefort, etc.. À la fin du siècle, il fréquentait également beaucoup, avenue Hoche, le salon de Mme Arman de Caillavet, l'égérie d'Anatole France, « le plus célèbre des salons dreyfusistes, et où l'on rencontrait la fine fleur des arts et des lettres, en même temps que le gratin politique ».

Il se rendit à Vienne en 1886, lors de la crise boulangiste, au mariage de son frère Paul avec Sophie Szeps, fille du journaliste Moritz Szeps, propriétaire de la gazette libérale Neues Wiener Tagblatt (de), célébrations au cours desquelles il rencontra l'archiduc Rodolphe d'Autriche (1859-1889), ami des Szeps et favorable à un rapprochement avec la France. Jusqu'à l'annexion de la Bosnie-Herzgovine par l'Autriche-Hongrie en 1908, il put espérer une alliance avec l'Autriche. Par ailleurs, il demeurera proche de sa belle-sœur, Berta Zuckerkandl. « Souvenez-vous du vieux Rembrandt du Louvre, creusé, ravagé (qui) s'accroche à sa palette, résolu à tenir bon jusqu'au bout à travers de terribles épreuves. Voilà l'exemple » (lettre du 12 juillet 1911), et à poursuivre les recherches picturales qui aboutirent aux célèbres Décorations des Nymphéas; c'est à son instigation que le peintre les offrit à son pays le 12 avril 1922. Clemenceau fréquenta aussi les peintres et graveurs Jean-François Raffaëlli (1850-1924) et Eugène Carrière (1846-1906), habitué du salon de Mme Arman de Caillavet. 

Clemenceau Georges
Dernières années

Retraite

À 79 ans, Clemenceau consacre désormais son temps à de longs voyages. Il part ainsi, en avril 1920, pour l'Égypte à bord du Lotus, puis au Soudan où il rencontre le nationaliste Osman Digma et, invité, fin 1920, par le maharadja de Bikaner qu'il avait connu et apprécié lors du Congrès de Versailles, pour chasser le tigre, en janvier 1921, dans l'État de Gwalior, il en tuera trois, dont il offrit les dépouilles à des amies et celui de Mme Pietri couvre le lit de sa chambre vendéenne. De retour à Paris, il paie ses dernières dettes et s'achète une Citroën. André Citroën ne voulant pas la lui faire payer, Clemenceau exige en retour qu'il accepte 10 000 francs pour la caisse de solidarité des ouvriers. Il fréquente Basil Zaharoff, marchand d'armes millionnaire, « vieux Grec d'Odessa qui gagne cent mille francs par jour, l'air d'un Tintoret, très généreux, splendide aventurier, roi secret de l'Europe » (Paul Morand), qui contrôlait la firme d'armement anglaise Vickers, qui employa, grâce à son ami Nicolas Pietri, son fils unique, Michel. Zaharoff procure à Clemenceau chauffeur et Rolls-Royce afin de remplacer celle que lui avait offerte, en 1917, le roi d'Angleterre, en qualité de Président du Conseil, et qu'en conséquence, le gouvernement français lui a demandé de laisser à l'État en 1920. Le seul geste du Pouvoir envers lui – il ne reçut aucune pension ou indemnité – a été l'offre de la Médaille Militaire, qu'il a déclinée avec son ironie habituelle, de « simple civil qui n'est même pas un ancien gendarme ! »

Le 22 septembre 1920, le lendemain de la démission de Deschanel, il part pour Ceylan sur la Cordillère. Il est invité en Inde par Ganga Singh, le maharajah de Bîkâner, rencontré lors de la Conférence de paix. Il visite aussi Colombo, Singapour, Jakarta, Bandung, Rangoun, Bénarès, Bombay, Mysore (où le maharajah local l'a également invité)… De retour à Toulon le 21 avril 1921, il se rend ensuite en Angleterre, où l'université d'Oxford le fait docteur honoris causa (22 juin 1921). Il y rencontre ses amis Churchill, Kipling, le rédacteur en chef du Times Steed, l'ex-Premier ministre Asquith et, à sa demande, fait une visite à Lloyd George. De retour en France, séjournant en Vendée, il inaugure le 9 octobre 1921 le Monument aux Morts de Mouilleron-en-Pareds, son village natal, et le 20, son propre monument, au centre du bourg de Sainte-Hermine, le groupe sculpté sur place en deux ans par son ami le sculpteur François Sicard, qui le représente debout sur un rocher surmontant plusieurs « Poilus » : la statue, décapitée pendant l'Occupation par les troupes d'Occupation, a été restaurée — la tête originale est conservée au musée national « maison de Georges Clemenceau » de Saint-Vincent-sur-Jard.

Au proche village de Féole se trouve le logis médiéval de L'Aubraie (propriété des Clemenceau par mariage depuis 1800) où, enfant, il séjourna et qui fut attribuée à son frère Paul en compensation des secours financiers apportés par leur père à Georges pour apurer ses dettes journalistiques, partage qui brouilla les deux hommes. En février 1922, il relance un journal, L'Écho national, qui a comme « fondateur » Clemenceau, et comme « directeur politique » Tardieu. Édouard Ignace, Georges Bonnefous, Georges Suarez, Gaston Bénac y collaborent. À l'automne 1922, il part aux États-Unis pour une tournée de conférences, plaidant la cause de la France. De retour le 20 décembre 1922, Clemenceau s’attelle à la rédaction de plusieurs ouvrages : Démosthène, où il peint à la fois l'orateur grec et lui-même ; Grandeur et Misères d’une victoire, où il défend, contre Poincaré et Foch, son action politique de 1917-1919 et évoque le risque du réarmement allemand en raison de l'abandon des garanties du traité de Versailles et de la politique d'apaisement de Briand ; et surtout Au soir de la Pensée, un gros ouvrage de réflexion et de philosophie qui va être le but principal de ses vieux jours : il y réfléchit sur l'humanité, les différentes religions et cultures, le progrès, etc.

Fin 1923, à 82 ans, il rencontre Marguerite Baldensperger, de 40 ans sa cadette, dont une fille, amoureuse d'un pasteur protestant marié, venait de se suicider (« Je vous aiderai à vivre et vous m'aiderez à mourir, voilà notre pacte », lui dit-il), directrice de collection et épouse d'un professeur de littérature à la Sorbonne. Il la fait venir chez lui pour écrire une biographie sur Démosthène et lui écrit régulièrement jusqu'à ses derniers jours 668 lettres qui lui tiennent lieu de journal, publiées en 1970 par son fils Pierre sous le titre Lettres à une Amie ; elles révèlent l'amour platonique « d'un Clemenceau inconnu, attentif, courtois, plein de tendresse et d'égards […] soudain ombrageux, irrité, tel qu'en lui-même l'amour ne l'a pas entièrement changé ». Il lui dédicaça entre autres La France devant l'Allemagne (1918) et en juin 1924 un exemplaire des Embuscades de la vie (1919) avec les simples mots « Aimons la France ». Au vu de la situation internationale, il se décide à écrire au président Coolidge le 9 août 1926 : « Nous sommes débiteurs et vous êtes créanciers. Il semble que ce soit pure affaire de caisse. N'y a-t-il point d'autres considérations à envisager ? […] Si les nations n'étaient que des maisons de commerce, ce sont des comptes de banques qui règleraient le sort du monde. […] Or, c'est le secret de la comédie qu'il ne s'agit ici que d'échéances fictives pour aboutir à l'emprunt, avec de bonnes hypothèques sur nos biens territoriaux, comme en Turquie […] La France n'est pas à vendre, même à ses amis ! » Coolidge ne se donna pas la peine de répondre, se contentant d'un communiqué laconique ; ce fut la dernière intervention politique de Clemenceau. 

Mort

Frappé d'une crise d'urémie à 88 ans, Clemenceau meurt après trois jours de maladie, à l'aube du 24 novembre 1929, à son domicile au 8 rue Benjamin-Franklin à Paris — ancienne « garçonnière » de Robert de Montesquiou — qu'il habitait depuis 34 ans. Le 18 mai 1926, l'immeuble entier de son appartement est mis en vente dans le cadre de la succession de sa propriétaire, qui, connaissant les ressources modestes de son illustre locataire, n'avait pas augmenté le loyer du petit appartement. L'immeuble est secrètement acheté pour le compte d'un admirateur de Clemenceau, le milliardaire américain James Douglas Jr. (1867-1949). « Pour mes obsèques, je ne veux que le strict minimum, c'est-à-dire moi ». « Une terrasse plantée d'acacias qui domine le lit d'un ruisseau. Des arbres, beaucoup d'arbres. Quelque chose dans tout cela de simple et en même temps d'orgueilleux. Une sorte de paix des premiers âges […] M. Clemenceau me montrant sa tombe : voilà la conclusion de votre livre : un trou et beaucoup de bruit pour rien ».

Sur son lit de mort Clemenceau, voyant arriver un prêtre aurait dit : « Enlevez-moi ça ! » mais l'anecdote est peu sûre ; René Godart le représenta un mois avant sa mort assis dans un fauteuil de jardin, coiffé de son éternel calot de soldat — les méplats asiatiques de son visage le font ressembler à Gengis Khan — et François Sicard réalisa son masque mortuaire (dessin et masque sont reproduits dans le numéro-hommage de L'Illustration de novembre 1929). Son exécuteur testamentaire est son vieil ami corse Nicolas Pietri. Le lendemain du décès, conformément au testament du 28 mai précédent qui stipulait « Ni manifestation ni invitations, ni cérémonie », son corps, auprès duquel avait été placé selon ses instructions un petit coffret recouvert de peau de chèvre, le livre (Le Mariage de Figaro selon le numéro-hommage de l'Illustration de novembre 1929) qu'y avait déposé sa mère, sa canne « à pomme de fer qui est de ma jeunesse », offerte par son père lorsqu'il était enfant, et « deux bouquets de fleurs desséchées », dont celui que lui offrirent en Champagne le 6 juillet 1918 deux soldats d'avant-poste promis à la mort, fut transporté dans sa voiture et arriva à 12 h 30 à Mouchamps (Vendée), au « bois sacré » où reposait depuis 1897 son père, en présence de 200 gendarmes et de nombreux paysans accourus malgré les barrages routiers et la fermeture du chemin menant au manoir-ferme du Colombier, où ses ancêtres avaient vécu du début du XVIIIe siècle à 1801. Il fut porté en terre par son chauffeur Brabant, son valet de chambre Albert Boulin, deux fossoyeurs et deux paysans, sur le bord d'un ravin boisé dominant une boucle du Petit Lay, (terrain qui avait été donné à la commune en avril 1922 par Clemenceau et ses cinq frères et sœurs) dans la simplicité des funérailles protestantes traditionnelles.

Une légende tenace veut qu'il ait été enterré debout afin d'être tourné vers la « ligne bleue des Vosges » voire pour défier l'Église catholique ; en réalité, du fait d'une des grosses racines du cèdre impossible à réduire, le cercueil ne put être posé à plat, mais fut légèrement incliné. Un de ses familiers, le commandant Jean de Lattre de Tassigny, futur maréchal de France — dont la pieuse mère disait chaque jour son chapelet depuis 1918 pour la conversion de Clemenceau — fut avec son épouse parmi ses rares amis vendéens à assister à ses obsèques, et protesta ensuite envers l'évêque qui n'avait cru devoir annuler une réjouissance publique prévue le soir même. Une copie — sans le livre sur lequel s'appuie la lance du modèle original, à la demande de Clemenceau — de la Minerve casquée dite de Samos sculptée par Sicard en pierre blonde d'Égypte surplombe les sépultures jumelles, dépourvue de dalles et de toute inscription, entourées de grilles ombragées par un grand cèdre de l'Atlas, « arbre de La Liberté » planté en 1848 par Benjamin Clemenceau et son jeune fils pour célébrer la Deuxième République. Pendant de longues années, la commune de Montmartre fit fleurir la sépulture, de même que celle de Mouchamps, le jour anniversaire de l'Armistice de 1918, et l'État, pour celui de sa mort (24 novembre) ; c'est probablement lors de l'une de ces deux circonstances, en 1954, que le peintre amateur C. Gauducheau-Merlot brossa un tableautin du lieu (coll. privée). Par décision ministérielle du 15 juillet 1998 les deux tombes, la stèle et l'allée d'accès ont été inscrites à l'Inventaire Supplémentaire des Monuments historiques. 

Détail des mandats et fonctions

  • Maire du 18e arrondissement de Paris, composé pour l'essentiel de l'ancienne commune de Montmartre (1870-1871)
  • Conseiller municipal de Paris (1871-1876), président du conseil municipal de Paris (1875)
  • Député (1871 et 1876-1893)
  • Sénateur (1902-1920)
  • Ministre de l'Intérieur (1906)
  • Ministre de la Guerre (1917-1920)
  • Président du Conseil (1906-1909 et 1917-1920)
  • Membre de l'Académie française (élu en 1918, n'y siège jamais)

Georges Clemenceau : dates clés

28 septembre 1841 : Naissance de Georges Clemenceau

Georges Clemenceau naquit en 1841 à Mouilleron-en-Pareds en Vendée. Comme son père, il fit des études de médecine. Il obtint son doctorat en 1865, et pratiqua la médecine pendant près de vingt ans. Puis il se tourna vers la politique.

4 septembre 1870 : Naissance de la IIIème République

Dans la nuit du 3 au 4 septembre 1870, les Parisiens apprennent que Napoléon III a été fait prisonnier par les Prussiens à Sedan. Dès l'annonce de la défaite, les députés renoncent à confier la régence à l'impératrice Eugénie, confinée au palais des Tuileries, et commencent à préparer la déchéance de Napoléon. Le corps législatif se réunit à 1h du matin. La foule, qui a manifesté toute la nuit, envahit le Palais Bourbon : il est 14h30. Gambetta et Jules Favre parviennent à entraîner les manifestants à l'Hôtel de Ville où siègent déjà les révolutionnaires, bien décidés à former un gouvernement. Mais la tentative est déjouée, Favre et Gambetta font plébisciter la nomination du Général Trochu comme gouverneur de Paris et forment un gouvernement modéré de Défense nationale. Les ministres sont immédiatement nommés : Gambetta (Intérieur), Favre (Affaires étrangères)... Etienne Arago est nommé maire de Paris, chargé de désigner les maires des arrondissements : Carnot dans le 8ème, Clemenceau dans le 18ème. La République est proclamée aux Tuileries.

1871 : Clemenceau devient député de la Seine

Après avoir été maire de Montmartre, Georges Clemenceau fut élu député républicain radical de la ville de Paris en 1870. Il devint rapidement leader des radicaux. En s’opposant à la politique coloniale de Jules Ferry, il le contraignit à démissionner. Comme il était déjà responsable de la chute du ministère de Léon Gambetta l’année précédente, il gagna le surnom de "tombeur de ministères".

8 mars 1893 : Début du procès du scandale de Panama

Le dossier de la Compagnie de Panama est porté devant la cour d'assises de la Seine. Ferdinand de Lesseps, le fondateur de la société, et ses associés, sont accusés d'avoir versé des pots de vin à des députés et des sénateurs pour qu'ils votent une loi autorisant la Compagnie à émettre des obligations. Au terme des 13 jours de procès, l'ancien ministre des Travaux publics, Baïhaut, sera condamné à 5 ans de prison pour corruption. Il sera le seul homme politique à avouer les faits. Les frères Lesseps et l'entrepreneur Gustave Eiffel écoperont d'un an pour abus de confiance. Clemenceau, lui aussi sali par le scandale, ne sera pas condamné.

13 janvier 1898 : Le "J'accuse...!" d'Emile Zola

L'écrivain Emile Zola publie dans le journal "L'Aurore" une lettre ouverte au président de la République Félix Faure. Le titre lui est soufflé par Georges Clémenceau, alors éditorialiste du journal : "J'accuse...!". La lettre dénonce l'antisémitisme et les erreurs judiciaires dont est victime le capitaine Alfred Dreyfus depuis le mois d'octobre 1894. En prenant ouvertement la défense de Dreyfus, condamné à la déportation à vie en Guyane pour crime d'espionnage au profit de l'Allemagne, Zola s'oppose au gouvernement Méline. Il sera condamné à 3 000 francs d'amende et à un an de prison. Par sa grandiloquence, le "J'accuse" fait du cas Dreyfus une "affaire" et divise la France entre dreyfusards (les socialistes, les radicaux) et antidreyfusards (la droite nationaliste, le clergé) .

1902 : Un retour en force sur la scène politique

Revenu sur le devant de la scène grâce à l'affaire Dreyfus, Clemenceau est élu sénateur du Var en 1902. Il défend avec ferveur la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat. Quatre ans plus tard, il devient ministre de l’Intérieur et Président du Conseil (de 1906 à 1909). L’Histoire a retenu la force avec laquelle il réprima les mouvements sociaux (la grève des mineurs du Pas-de-Calais et la révolte des vignerons en Languedoc-Roussillon). Le "premier flic de France" créa également à cette époque le ministère du Travail.

1917 : Une poigne de fer dans une période trouble

Après avoir dirigé l’un des plus longs ministères de la IIIème République, Clemenceau passe dans l'opposition. Il faut attendre 1917 pour qu'il fasse de nouveau parti du gouvernement. La guerre se prolongeant, le président Poincaré n'a d'autres choix que de le rappeler en novembre 1917. Clemenceau s'emploe alors à faire la guerre, au détriment parfois des principes démocratiques. A l'armistice, on le surnomme le "Père la Victoire".

17 novembre 1917 : Clemenceau rappelé au gouvernement

Georges Clemenceau, 76 ans, est appelé à la présidence du Conseil par son vieil ennemi, le Président de la République Raymond Poincaré. Il forme un gouvernement de choc afin de poursuivre et intensifier la guerre avec l'Allemagne. Celui-ci comprend essentiellement des ministres radicaux et seulement deux membres rescapés du cabinet Painlevé. Dans son discours d'investiture, Clemenceau annonce son intention de traquer les défaitistes et les traîtres de l'arrière. Sa détermination vaut au Président du Conseil d'être surnommé le "Tigre".

1919 : La présidence de la République lui échappe

Georges Clemenceau survit à une tentative d'assassinat en février 1919 : Cottin, un anarchiste, lui tire dessus ; Clemenceau sera légèrement blessé à l'épaule. En 1920, alors qu’il a des vues sur la présidence de la République, les parlementaires lui préférèrent Paul Deschanel. Cette déception marquera la fin de sa carrière politique.

28 juin 1919 : Le traité de Versailles

Le traité mettant fin à la Première Guerre mondiale est signé dans la galerie des Glaces du château de Versailles, entre l'Allemagne et les Alliés. Il a été préparé par les vainqueurs, le Français Clémenceau, le Britannique Lloyd George, l'Italien Orlando et l'Américain Wilson. Il impose notamment à l'Allemagne la restitution de l'Alsace-Lorraine, la création du "couloir de Dantzig" donnant à la Pologne un accès à la mer, la limitation du potentiel militaire et le versement de 20 milliards de marks-or. En Allemagne, ce "diktat " sera vécu comme une humiliation et fera naître un sentiment de revanche.

24 novembre 1929 : Une fin de vie paisible

Clemenceau passa les dernières années de sa vie à écrire ("Démosthène" en 1925, "Aux sources de la pensée vive" en 1926, "Claude Monet et les Nymphéas" en 1928) et à voyager, notamment en Inde et aux Etats-Unis. Il fut l'un des amis et protecteurs de Claude Monet. Il mourut à Paris le 24 novembre 1929, à l’âge de 88 ans. 

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